Dassault : l`aveu de la corruption / 15 septembre 2013 | Par Fabrice

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Dassault : l`aveu de la corruption / 15 septembre 2013 | Par Fabrice
Dassault : l'aveu de la corruption / 15 septembre 2013 | Par Fabrice Arfi et Michaël Hajdenberg et Pascale Pascariello
Pour la première fois, l’industriel et sénateur UMP Serge Dassault reconnaît dans un enregistrement réalisé fin 2012, et dont Mediapart
publie des extraits, avoir acheté la victoire de son successeur à la mairie de Corbeil-Essonnes. Une somme de 1,7 million d’euros est en jeu.
Les deux hommes à l’origine de l’enregistrement se sont fait tirer dessus trois mois plus tard.
Cette fois, Serge Dassault ne pourra pas nier. L’industriel milliardaire et sénateur UMP admet dans un enregistrement clandestin réalisé fin
2012, que Mediapart a pu écouter en intégralité et dont nous diffusons des extraits, avoir payé pour s’assurer de la victoire de son
successeur à la mairie de Corbeil-Essonnes, Jean-Pierre Bechter, lors de la campagne municipale de 2010.
Pour la première fois, on entend Serge Dassault admettre avoir payé, et c’est tout un système de corruption aux conséquences criminelles
qui se fait jour. Durant cette conversation accablante pour le milliardaire soupçonné par la justice d’avoir mis en place un système de
corruption électorale dans sa ville, Serge Dassault dit ouvertement avoir commis des actes illégaux et, en creux, avoir opéré des paiements
occultes depuis le Liban, s’inquiétant d’être désormais « surveillé par la police ».
La rencontre a eu lieu en novembre 2012. Deux hommes, habitants de Corbeil-Essonnes, décrochent un rendez-vous dans le bureau du
célèbre avionneur et propriétaire du Figaro, en prenant soin de dissimuler leur matériel (voir la Boîte noire). Durant la discussion, qui dure au
total vingt-quatre minutes, ils se plaignent qu’un acteur clé du « système Dassault » n’ait pas redistribué comme prévu 1,7 million d’euros
destinés à des personnes qui ont participé à la campagne victorieuse de 2010 dans des quartiers populaires du sud de Corbeil.
L’existence de cet enregistrement avait déjà été évoquée par Le Canard enchaîné en décembre 2012. Libération (ici ou là) et Le Point ont de
leur côté raconté comment banditisme et politique étaient étroitement mêlés à Corbeil. Mais pour la première fois, dans les documents que
nous publions, Dassault confirme lui-même la folie du système mis en place, dont les conséquences sont aujourd'hui incontrôlables.
Nous avons pu entendre cet enregistrement de bout en bout, connaître les conditions de sa réalisation et authentifier la voix de Serge
Dassault. Nos sources nous ont autorisés à en publier trois extraits.
Dans le premier d’entre eux, Serge Dassault, 88 ans, lui-même ancien maire de Corbeil (1995-2010) où il est surnommé « le Vieux », vend
rapidement la mèche, montrant la conscience qu’il a du caractère illégal de ces pratiques électorales. Ses interlocuteurs lui réclament leur
dû et le sénateur lâche : « Là, je ne peux plus rien donner. Je ne peux plus rien sortir, c’est interdit. (…) Je suis surveillé. Je suis surveillé
par la police. »
http://www.dailymotion.com/video/x14qa1o_dassault-1_news
Dans un autre extrait, alors que les deux individus évoquent le fait que l’argent a été versé depuis le Liban, le milliardaire, 69e fortune
mondiale selon Forbes, ne nie pas, bien au contraire, prenant seulement soin de préciser : « L’argent a été donné, complètement. Moi, j’ai
donné l’argent. Je ne peux plus donner un sou à qui que ce soit. Je ne peux plus sortir l’argent pour qui que ce soit. Y a plus de Liban. Y a plus
personne là-bas, c’est terminé. Moi, j’ai donné l’argent. »
http://www.dailymotion.com/video/x14qa38_dassault-2_news
Dans un troisième extrait, le milliardaire se défend d’être responsable de la mauvaise répartition de son propre argent noir : « Si c’est mal
réparti, dit-il, ce n’est pas de ma faute. Je ne vais pas payer deux fois. Moi, j’ai tout payé, donc je ne donne plus un sou à qui que ce soit. Si
c'est Younès, démerdez-vous avec lui. Moi, je ne peux rien faire. »
http://www.dailymotion.com/video/x14qa2r_dassault-3_news
Contacté, Serge Dassault nous a fait savoir que « compte-tenu de la situation », il ne souhaitait pas s’exprimer. Quant à Jean-Pierre
Bechter, son successeur à la mairie, il explique avoir déjà entendu parler de cette vidéo, ne pas l’avoir visionnée, mais refuse de l’entendre :
« Je n’en ai rien à foutre de cette vidéo cachée. En bon chiraquien, je vous dirai que ça m’en touche une sans faire bouger l’autre. »
L’actuel maire, qui assure n’avoir jamais parlé de cet enregistrement avec Serge Dassault, tente par avance de le discréditer en expliquant
que « les Tarterêts (nom d’une cité de Corbeil – ndlr), c’est Hollywood. Il y a plein de vidéos et de montages qui circulent. » Quand nous lui
expliquons que nous avons authentifié la bande et que nous détaillons son contenu, il répond : « Ce que raconte Serge Dassault deux ou trois
ans après… Je n’ai pas d’explication. Il dit ce qu’il veut. Ce n’est pas moi qui suis en cause. »
Quelle explication apporter à ces propos ? « Je n’en sais rien, confie-t-il. Peut-être qu’il se fout d’eux. Moi, j’ai été élu sans verser un euro.
Je n’ai jamais entendu parler d’achat de voix. Il y avait un magistrat dans chaque bureau de vote. J’ai été élu avec 750 bulletins d’avance.
Comment voulez-vous acheter 800 voix ? Ça coûterait une fortune. Et de toute façon, un mois avant l’élection, grâce aux sondages, on savait
que j’allais gagner. Je ne vois pas pourquoi il aurait dépensé un euro. Et aucun de mes adversaires politiques n'a d'ailleurs contesté mon
élection. »
Un tireur en cavale
L’affaire est pourtant fâcheuse. Il apparaît, d’après plusieurs enquêtes de police actuellement en cours, que trois mois après la réalisation
de cet enregistrement clandestin, les deux personnes qui sont venues réclamer leur dû auprès de Serge Dassault se sont fait tirer dessus, à
Corbeil. Les faits remontent au 19 février dernier. Le tireur présumé ? Younès B., selon des sources proches de l’enquête. Soit précisément
l’homme cité par Dassault dans l’enregistrement et accusé de ne pas avoir comme convenu réparti l’argent.
Si les enquêteurs sont aussi certains de l’identité du tireur, c’est que celui-ci ne s’est pas caché au moment de son forfait, commis en pleine
rue non loin d’un bar dont il est le propriétaire, agissant à visage découvert devant de nombreux témoins. Identifié très rapidement, le
tireur a toutefois réussi à quitter la France après sa tentative de meurtre et, selon des sources policières, résiderait aujourd’hui en Algérie.
La principale victime des coups de feu est un boxeur de 32 ans. Il a reçu trois balles de calibre .38, le blessant grièvement. Un mois plus tôt,
en janvier, un autre acteur du système Dassault, Rachid T., qui avait dénoncé une dérive « mafieuse » dans la ville, a été victime lui aussi
d’une tentative de meurtre par balles.
La justice cherche à déterminer s’il existe un éventuel lien de causalité directe ou indirecte entre la tentative d'assassinat de février et
l’enregistrement clandestin qui accable Dassault sur l’achat de votes. Elle enquête sur ces deux volets, de façon distincte. À Évry (Essonne),
sous l'autorité de plusieurs juges d'instruction, les policiers de la brigade criminelle s’intéressent à la tentative d'homicide, tandis qu'à
Paris, une information judiciaire a été ouverte fin mars sur des soupçons d’« achats de vote », « corruption », « blanchiment » et « abus de
biens sociaux » lors des campagnes municipales de 2008 à 2010. L’enquête a été confiée à la Division nationale des investigations financières
et fiscales (Dniff), basée à Nanterre.
En juillet dernier, Jean-Pierre Bechter, l’actuel maire de Corbeil et homme lige de Serge Dassault sur place, a été placé en garde à vue et
entendu dans le volet criminel du dossier, tout comme le directeur du service jeunesse et sports de la mairie. Les deux hommes sont
ressortis de leur audition sans avoir été déférés devant les magistrats. Jean-Pierre Bechter affirme à Mediapart connaître Younès B., mais
pas la victime des coups de feu. « Tout a été réglé par mon audition », assure-t-il.
Les juges d’Évry auraient également voulu entendre Serge Dassault. Mais le 3 juillet, le bureau du Sénat (voir ici sa composition) a refusé de
lever son immunité parlementaire, au motif que « la demande présentait un défaut de motivation ». La décision a permis à Serge Dassault de
ne pas avoir à répondre devant l’autorité judiciaire. Mais les enregistrements clandestins révélés par Mediapart pourraient changer la
donne. Ils apparaissent dans tous les cas comme une pièce à conviction centrale dans le volet financier du dossier, celui portant sur la
corruption électorale de Corbeil.
Les pratiques locales de Serge Dassault ont déjà valu en 2009 au milliardaire l’invalidation par le Conseil d'État de son élection municipale à
Corbeil pour fraude électorale. C’est donc faute de pouvoir se représenter qu’il avait placé l’année suivante à la tête de la ville un de ses
proches, Jean-Pierre Bechter, ancien député RPR de Corrèze et administrateur de son groupe de presse, la Socpresse. À l’évidence, les
pratiques d’achats de votes sous Serge Dassault, telles qu’elles ont été rapportées par de très nombreux habitants de Corbeil, ont continué
après sa chute. Mais toujours avec son argent, dont il va falloir, pour les policiers, désormais reconstituer le cheminement.
Or une troisième enquête judiciaire, menée à Paris par les policiers de la Brigade de répression de la délinquance sur la personne (BRDP),
pourrait y aider. Engagées pour des faits de « harcèlement » suite à une plainte de l’un des fils Dassault, Laurent, et de son épouse, victimes
ces derniers mois de multiples coups de téléphone menaçants, les investigations ont d’ores et déjà permis de remonter la piste de trois
frères originaires de Corbeil.
Selon les témoignages recueillis lors de l'enquête, l’un d’entre eux, Mamadou K., aujourd’hui réfugié en Belgique, aurait perçu par le passé de
l’argent au Liban depuis un compte bancaire lié à Serge Dassault, en relation avec les activités politiques du milliardaire. Exactement comme
le patron de l’empire Dassault le laisse entendre lui-même dans l’enregistrement pirate que nous révélons aujourd’hui.
Près de vingt ans après la conquête de Corbeil par Serge Dassault en 1995, c’est tout un système qui est donc en train d’imploser dans
l’Essonne. Même si, pour l’heure, les différentes enquêtes judiciaires ouvertes sur les diverses ramifications du dossier n’ont pas été
regroupées.
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Cela fait plusieurs années que Pascale Pascariello, journaliste indépendante (France Inter, France Culture, Le Canard
enchaîné, Arte Radio…), travaille à Corbeil-Essonnes sur le système Dassault. Certains de ses contacts nous ont proposé
il y a quelques semaines de visionner l'enregistrement de 24 minutes cité dans l'article. Il s'agit d'une vidéo réalisée en
caméra cachée. Nous l'avons visionné de bout en bout, puis nous avons pris le temps nécessaire pour l'expertiser,
authentifier les voix, et nous assurer de l'absence de montage.
Nos sources n'ont cependant pas souhaité que nous le diffusions en intégralité. Elles ont seulement accepté que nous en
publiions trois extraits.
L'image fixe étant sans intérêt, nous avons décidé de nous en tenir à la bande-son. Nous avons légèrement poussé la voix
de Serge Dassault afin qu'il soit mieux entendu, ajouté des photos et des sous-titres pour aider à la compréhension.
Mercredi 11 septembre, en début de matinée, nous avons contacté Serge Dassault et Jean-Pierre Bechter. Le premier
nous a fait savoir qu'il ne souhaitait pas nous répondre « compte-tenu de la situation ». Ses avocats, Me Jean Veil et Me
Pierre Haïk, ne nous ont pas plus répondu.
Jean-Pierre Bechter, lui, nous a rappelés. Ses explications figurent dans l'article.