La sainte mission du nettoyeur

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La sainte mission du nettoyeur
sTraTégiEs corruption
La sainte mission
du nettoyeur
Le Fribourgeois René Brülhart est chargé d’améliorer la réputation
du Saint-Siège au sein du monde financier. Il enregistre ses premiers succès.
Jean François Tanda
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un dirigeant de l’APSA, l’Administration du patrimoine du Siège apostolique, qui aurait mis
ses comptes auprès de la banque du Vatican à
la disposition de certains clients pour qu’ils y
blanchissent leurs avoirs. Même si, pour
l’heure, aucune sentence n’a été prononcée
contre les trois suspects, leur suspension est
un effet du travail de René Brülhart à Rome.
Le Vatican a dépassé la Suisse
En tant que directeur de l’Autorità di Informazione Finanziaria (AIF), l’autorité de surveillance du Saint-Siège, il a eu à sonner l’alerte
à plusieurs reprises l’an dernier. Alors qu’en
2011 le Vatican n’avait émis qu’une seule communication pour une transaction douteuse, il
y en a eu six l’année dernière, dont cinq concernaient des mouvements de comptes à l’IOR, la
banque du Vatican. Deux cas sont toujours
sous enquête du Ministère public du Vatican.
«Le système d’alerte commence à fonctionner», constate René Brülhart. D’autant qu’au
premier trimestre 2013, le nombre de communications a encore augmenté.
Voilà qui conforte l’opinion des spécialistes.
Début juillet, l’instance dirigée par René
Brülhart a été admise au sein du groupe d’Egmont, qui rassemble 139 autorités de surveillance des marchés financiers dans le
monde. Avec René Brülhart, l’Etat de la Cité du
Vatican a même dépassé en peu de temps la
Suisse qui, d’un point de vue historique, fut une
pionnière de la lutte contre le blanchiment. Car
tandis qu’ici le Bureau de communication en
matière de blanchiment d’argent (MROS) ne
peut échanger des informations financières
avec d’autres pays, le Vatican le fait déjà.
Réformes. Le Vatican s’est souvent trouvé au
cœur de scandales financiers. Le nouveau pape
veut changer tout ça. Quitte à fermer la banque.
septembre 2013 | La banque suisse
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tudiant en droit à Fribourg, René
Brülhart n’aurait jamais imaginé
travailler un jour dans une cité encore plus catholique. A l’université, dans les années 1990, il faisait
partie de la dernière volée qui devait impérativement étudier le droit canon pour obtenir
sa licence.
Aujourd’hui, vingt ans après, René Brülhart est
quotidiennement confronté au droit de
l’Eglise. Depuis septembre dernier, l’expert travaille pour le compte de Sa Sainteté, chargé de
lutter contre le blanchiment d’argent au sein
de l’IOR (Institut pour les œuvres de religion),
la banque du Vatican. Il représente et conseille
le Saint-Siège pour un projet essentiel: être effacé de la liste des places financières obscures,
prendre place dans la liste des Etats qui luttent
sérieusement contre le blanchiment d’argent
et le financement du terrorisme et, à cette fin,
se conformer aux standards internationaux.
Au Vatican, la réalité et le droit divergent considérablement. Le micro-Etat a souvent fait la
une des journaux. Blanchiment d’argent, relations mafieuses, meurtre: le Vatican s’est
trouvé plus d’une fois au cœur du scandale.
Mais au lieu de s’en accommoder, il en tire les
conséquences.
A fin juin, les têtes de deux personnes haut placées dans la hiérarchie de la banque vaticane
ont roulé. Paolo Cipriani, le directeur général,
et son adjoint Massimo Tulli ont vidé leurs bureaux. En cause, la plainte imminente de la
justice italienne contre les deux dirigeants
pour soupçon de blanchiment d’argent. Une
semaine auparavant, les autorités de la Péninsule avaient arrêté un évêque, Nunzio Scarano,
stratégies corruption
En Suisse, à vrai dire, une loi permettant
l’échange avec d’autres bureaux de communication est en préparation. Mais on ne sait pas
encore quand elle pourra entrer en vigueur. Et
tandis que la Suisse risque de se faire éjecter
du groupe d’Egmont à cause de cette lacune
législative, le conseiller du Saint-Siège René
Brülhart a reçu des sollicitations pour y entrer
en qualité de membre du directoire. Le Fribourgeois y rechigne toutefois, le Saint-Siège
lui donnant suffisamment à faire. «Les temps
sont turbulents», explique-t-il.
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Le James Bond de la finance
Spécialiste en droit des affaires. Né en 1972, le Fribourgeois René Brülhart a commencé par faire un apprentissage de banque, avant de se
lancer dans des études de
droit dès 1994. Puis il a obtenu
un LL.M. de droit des affaires
européen et travaillé dans des
cabinets à Bruxelles et à Zu-
rich. Avant d’être appelé au
Vatican en septembre 2012 en
qualité de conseiller, ce catholique pratiquant a œuvré huit
ans comme responsable du
Bureau de communication en
matière de blanchiment d’argent du Liechtenstein. Dans
cette fonction, il a mis au jour
le scandale de corruption de
modification réglementaire est un pas décisif
en faveur d’une réforme», admet-il. Il en va de
l’indépendance de l’AIF.
Du coup, l’accord spectaculaire avec l’autorité
américaine contre le blanchiment, le Financial
Crimes Enforcement Network, est intervenu
rapidement. Et le Saint-Siège a signé d’autres
déclarations d’intention avec l’Espagne, la Belgique, la Slovénie et les Pays-Bas, tandis que
des accords de coopération sont à bout touchant avec divers Etats du G20.
Succès sans surprise
Pour le procureur général de la Confédération,
Michael Lauber, de tels succès ne constituent
pas une surprise. Naguère, il avait encouragé
René Brülhart. Il explique: «J’ai appris à le
connaître et à l’apprécier comme un homme
très intègre, certes droit mais en même temps
très diplomate.» Il aurait largement contribué
à ancrer dans la Principauté du Liechtenstein
une sensibilité durable à la prévention du
Siemens et a su faire en sorte
qu’un jet secret, propriété de
Saddam Hussein, soit transféré entre les mains du nouveau gouvernement irakien.
La lutte contre le blanchiment
d’argent, la corruption et le financement du terrorisme l’ont
conduit sous tous les cieux du
monde.
blanchiment d’argent. Le Liechtenstein a
réussi à s’extirper de la liste noire.
Longtemps considérée comme un repaire de
pirates et un paradis fiscal, la Principauté est
aujourd’hui reconnue comme un Etat qui ne
protège plus les fraudeurs fiscaux et qui coopère avec l’étranger. Le passé est vraiment enterré, comme l’indiquait à l’époque déjà le fait
que René Brülhart, alors responsable du Bureau de communication en matière de blanchiment du Liechtenstein, avait été nommé à
des postes à responsabilité dans des groupes
d’experts internationaux. En 2010, il devint
vice-président du groupe d’Egmont.
Les informations sur le succès du Fribourgeois
du Vatican ont fait le tour du monde des initiés
et sont parvenues jusque sur les bords de la Sarine. L’ex-étudiant de l’université locale a été
redécouvert. Après avoir été appelé au chevet
de la banque du Vatican, il a reçu un appel de
Fribourg: Radio Fribourg lui demandait une
interview, pour la première fois.
SePteMBRe 2013 | La banque suisse
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Le numéro 2 du Vatican déchu
A Rome, ses journées sont longues. Il travaille
quatorze à seize heures par jour, de 7 heures du
matin à 22 ou 23 heures. «Un espresso pour
commencer la journée, puis c’est l’heure des
réunions, des réunions et encore des réunions»,
dit-il de sa vie quotidienne. Heureusement, ses
déplacements pour se rendre au travail sont
courts. Il loge à la résidence Sainte-Marthe, au
sud du micro-Etat, et n’a dû la quitter que pendant le conclave qui a élu le pape François parce
que les cardinaux y avaient pris leurs quartiers.
L’AIF, qu’il dirige, a ses bureaux tout à côté,
piazza San Carlo. La coupole de la basilique
Saint-Pierre
est
à
150 mètres et l’IOR est de l’autre côté de la place.
L’Institut pour les œuvres de religion est un petit
établissement. Il ne gère que 6,3 milliards
d’euros et compte 104 collaborateurs qui s’occupent de 20 772 clients. A fin 2011, l’IOR recensait près de 5000 comptes dormants, pour un
montant de 30 millions d’euros. Officiellement,
les titulaires de ces comptes sont des ecclésiastiques, des diocèses, et autres institutions catholiques. Officieusement, on murmure que la
mafia y aurait aussi des comptes. C’est pourquoi en juin le pape François a créé une commission internationale de cinq membres chargée d’ausculter les choses.
Avant le pape François, son prédécesseur
Benoît XVI avait déjà engagé des réformes sérieuses. En toute discrétion, il avait privé de ses
pouvoirs le cardinal Tarcisio Bertone, numéro
2 du Vatican. Jusqu’en décembre dernier, le
puissant secrétaire d’Etat avait l’œil sur tout. A
chaque fois que René Brülhart voulait signer
au nom de l’AIF une déclaration d’intention
pour la coopération avec des institutions homologues étrangères, il lui fallait la bénédiction du prélat, le nihil obstat. Benoît XVI a
changé tout ça: désormais, René Brülhart peut
conclure ce genre de «memorandum of understanding» de manière autonome. «Cette

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