1 Le projet de canal à grand gabarit entre le Rhône et le Rhin : un

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1 Le projet de canal à grand gabarit entre le Rhône et le Rhin : un
Le projet de canal à grand gabarit entre le Rhône et le Rhin :
un conflit sans fin entre ses promoteurs et ses opposants ?
Raymond Woessner
Professeur de géographie, Master Transport, Territoires, Logistique et Environnement
Espace, Nature et Culture UMR 8185
Paris 4, Institut de Géographie, 191 rue Saint-Jacques, 75005 Paris
[email protected]
http://www.tlte.paris-sorbonne.fr
Résumé - La décision de porter une voie d'eau au grand gabarit devrait reposer sur une approche
économique rationnelle. Dans les faits, elle dépend d'un jeu d'acteurs où chacun propage sa vérité
qui ne représente qu'un élément particulier pris au sein d'un grand tout systémique avec l'Etat
comme pivot. Ainsi, la question du grand gabarit Rhin-Rhône est récurrente depuis des décennies.
Elle montre les difficultés de la territorialisation. Il faut donc évoquer le rôle respectif des acteurs
politiques, économiques et associatifs. L'actualisation des problématiques se fait autour de la
mondialisation, de la durabilité et des nouveaux projets de tracés.
Mots clés : canal à grand gabarit, conflit, territorialisation.
« De l’avis général, le grand canal Rhin-Rhône est un très beau spécimen de « sédimentation »
des discours et de « glaciation » des décisions » écrit François Corbier (1999). Apparu dès les
années 1950, ce projet aurait dû se concrétiser en 1997 avant que l'Etat n'y renonce in extremis. Hier
comme aujourd'hui, de nombreuses études ont « prouvé » la nocivité comme l'intérêt de cette
infrastructure. Les projets successifs s'inscrivent dans un jeu d'acteurs des « anti » et des « pro » où,
finalement, les données objectives sont instrumentalisées par les convictions des uns et des autres. Il
en résulte une situation conflictuelle qui témoigne de visions antinomiques de la nature et des
patrimoines, mais aussi d'un futur économique que l'on attend avec impatience... ou que l'on craint !
Dans ce contexte, la notion de territorialisation permet d'interpréter le jeu des acteurs et de les
objectiver (Woessner, 2010). Cette notion est fondée sur trois aspects : la volonté d'appropriation et
de contrôle d'un territoire ; une organisation multiscalaire ; la capacité du territoire à se mettre en
projet. Sous cet angle, la liaison à grand gabarit entre la Saône et le Rhin (Carte 1) offre un cas
d'école pour un examen de la gouvernance à la française, avec un va-et-vient entre l’État et le
milieu local. De l'après-guerre à 1997, le projet a connu une phase de débats contradictoires
exceptionnels par leur durée (Tableau 1). Depuis, ces débats ont repris avec la conteneurisation et la
durabilité comme nouveaux leitmotivs.
Tableau 1 :Chronologie sommaire du projet de canal Rhin-Rhône à grand gabarit
Facteurs adjuvants
Date
Facteurs opposants
Mission Thomas
Commission Boulloche
Association Mer du Nord - Méditerranée
Achats de terrains
Rapport Gaspard
Georges Pompidou, premier ministre
Rapport Lhermitte
1958
1960
1961
1962
1965 Rapport Laval
1967
1970
1974 Plan de rénovation du petit gabarit
Déclaration d’Utilité publique (valable
jusqu’en 1998)
1978 La Lorraine soutient Seine-Moselle
1
La CNR est maître d’ouvrage 1980
1987 Rapport de l’Équipement
- Sommet d’Essen 1992 - Rapport Forni-Vallon
- Inauguration du canal Rhin-Main-Danube
- Collectif Saône-Doubs vivant
La SORELIF, filiale d’EDF et de la CNR, est 1995
maître d’ouvrage
Inauguration de la section à grand gabarit 1996 - Rapport mixte du Conseil général des
Mulhouse – Niffer (Haut-Rhin)
Ponts et Chaussées et de l'Inspection
générale des Finances
- Réserves d’EDF
Création de l’association Saône-Rhin Voie
d’Eau 2010
1997 Abandon du projet par le gouvernement
Jospin
1999 Association Moselle-Rhône avec M.
André Rossinot, maire de Nancy
2003- Construction d'ouvrages d'art à Mulhouse
2011 aux normes Freycinet
Le ministre de l’Aménagement du Territoire 2006
rouvre le dossier
Étude du Conseil général du Haut-Rhin 2007 Étude Moselle-Saône
- Livre blanc de l'UE favorable
au rail et à la voie d'eau
- M. Richert, président de la région Alsace, 2011
devient président du Consortium des Voies
Navigables de l'Est et du Sud-Est
1. Le positionnement historique des acteurs
Le rôle ambigu de l'Etat - Dès 1961, l'Etat rejette la nécessité de transporter des pondéreux en
quantité avec la Lettre Massé condamnant tout projet de canal à grand gabarit Saône-Rhin. Par la
suite, les luttes d’influence entre les administrations, jointes à la prudence du ministère des finances,
nuisent à l’avancement du projet, alors que la posture élyséenne affiche avec constance la nécessité
de la voie d'eau à grand gabarit : « Créer le fleuve pour irriguer l’économie et unir les hommes,
grand projet qui marquera la volonté de la France d’orienter elle-même le développement de son
économie, et, à l’image de ceux qui traçaient jadis à la charrue le contour des villes à naître, de
dessiner sur son sol les lignes de son destin » dit le président Giscard d’Estaing 1. En 1978, le projet
de la SOciété de RÉalisation de la LIaison Fluviale (SORELIF) prévoit un tracé à grand gabarit de
229 kilomètres. Il aurait fallu recouper 58 kilomètres de méandres sur le Doubs, construire 24
écluses, 14 stations de pompage et refaire une centaine de ponts pour un coût total estimé à près de
17 milliards de francs (2,6 milliards d'euros) hors taxes en 1993. Mais l'Etat, encore lui, ruine ce
projet en 1997 au nom de l'écologie.
La faiblesse du lobbying – Le projet est soutenu localement par les Chambres de Commerce et
d'Industrie (CCI), la Compagnie Nationale du Rhône (CNR), les ports de Strasbourg, de Lyon et de
Marseille ainsi que par de nombreuses personnalités politiques chrétiennes-démocrates, libérales ou
socialistes (Kammerer, 1978). A de rares exceptions près, les élus francs-comtois sont indifférents
ou hostiles au canal. Les élus alsaciens et bourguignons sont plutôt indifférents. Les milieux
1
24 novembre 1974 à Dijon, in P. Parreaux, Le mythe du grand canal Rhin-Rhône, Paris,
Edition du CLAC Ile-de-France, 7ème édition, mai 1998 p. 10.
2
professionnels de la navigation intérieure ne pèsent guère par rapport à la route ou au rail. C'est
finalement du milieu associatif que vient le soutien le plus évident. Fin 1997, l’association SaôneRhin Voie d’Eau 2010 est fondée par M. Valère Pourny, un directeur de papeterie à la retraite 2. Elle
s’appuie sur un argumentaire développé lors du colloque de Lyon de 1989 qui évoquait la nécessité
de l’aménagement du territoire, la congestion annoncée des routes et la prise en compte des aspects
environnementaux (Christen, Fortin, 2002). Elle défend l’idée d’un canal à moyen-grand gabarit
(avec des écluses de 190 mètres de long sur 12 mètres de large) sur les 210 km séparant Laperrièresur-Saône (Côte-d’Or) et Mulhouse. L'association s’emploie à mobiliser les régions du Rhin, de la
Saône et du Rhône, à l’image de son homologue belfortaine qui avait porté avec succès le projet de
TGV Rhin-Rhône.
La science économique, de moins en moins favorable – Selon différentes études, le potentiel
de trafic en 2020-2025 serait de 17 millions de tonnes pour Seine-Nord, 11 à 14 pour Saône-Rhin et
7 pour Saône-Moselle. Mais se pose la question de la rentabilité de l'investissement.
Dès 1683, le canal du Midi avait rendu d'inestimables services au Languedoc jusque dans les
années 1960 pour les marchandises, un trafic relayé par le tourisme depuis les années 1980 (Cotte,
2003). En 1803, pour Jean-Baptiste Say, la dépense publique est un investissement rentable : « Les
frais de confection d'un canal [..] peuvent être tels que les droits de navigation ne soient pas
suffisants pour payer les intérêts de l'avance ; quoique les avantages qu'en retirerait la nation
fussent très supérieurs au montant de ces intérêts. Il faut bien alors que la nation supporte
gratuitement les frais de son établissement, si elle veut jouir du bien qui peut en résulter » 3.
Alain Bonnafous (1997) a démontré que la rentabilité ne saurait être atteinte, à moins d’user de
« gags méthodologiques » comme ceux de certains rapports publiés dans les années 1990. Il a
également souligné la lenteur croissante du transport fluvial lorsqu’il pénètre à l’intérieur des terres,
du fait de l’augmentation du nombre d’écluses. Ainsi, avec le grand gabarit, il y aurait 4,5 jours de
navigation entre Marseille et Strasbourg (pour 873 km avec une quarantaine d’écluses à franchir) et
2 jours entre Rotterdam et Strasbourg (pour 737 km et 2 écluses), soit 6,5 jours de bout en bout. Par
la mer, on va au moins aussi vite : la liaison maritime entre Marseille et Anvers prend 6 jours avec
des volumes bien plus importants que ne pourrait le faire le mode fluvial modernisé. Mais cet
argument ne prend pas en compte les dessertes intra-continentales.
Dans le contexte du Grenelle Environnement, un canal se justifie également par ses impacts
économiques et environnementaux. Mais pour Seine-Nord, Rémy Prud’homme (2006) a démontré
la faiblesse des arguments de Voies Navigables de France en termes de bilan carbone. Il a conclu à
l’absurdité financière d’un projet estimé à 3,5 milliards d’euros pour les finances publiques.
L'écologie dans l'impasse – Face au projet SORELIF, la défense des paysages de la vallée du
Doubs était devenu le ferment de la lutte pour la préservation de l'existant face à des technocrates et
des « bétonneurs ». Un important volet était pourtant dédié à la renaturation, à l’image de la section
rénovée entre Mulhouse et Niffer en 1996. Les écologistes soutenaient qu’il valait mieux réaliser
une ligne de ferroutage à partir de la voie ferrée existante ; cette idée est restée sans suite malgré le
Contrat de Plan Avenir des Territoires entre Saône et Rhin. Seules les écluses du canal Freycinet ont
été rénovées dans les années 2000. Mais aucune action interrégionale n’a émergé. Ainsi, la
véloroute Nantes-Budapest reste discontinue entre Saône et Rhin.
2
3
Aujourd'hui Saône-Rhin Europe cf. http://www.saone-rhin-europe.eu
Cours d'économie politique, 7e partie, ch. XXIV.
3
2. Remise à plat de la problématique
Le monde a changé. La mondialisation et le réchauffement climatique ont introduit de nouvelles
données.
Massification et conteneurisation du transport de marchandises – En Europe, depuis le creux
historique de 1997, le transport fluvial est reparti de l'avant avec la conteneurisation grâce à la
désindustrialisation et aux importations massives maritimes depuis les pays-ateliers. Plus que
jamais, Hafenpolitik ist Kanalpolitik, comme ont coutume de dire les Allemands. En effet, les ports
maritimes ont besoin de se désencombrer avec la création de ports d'arrière-pays alimentés par la
route, le fer et la voie d'eau. A charge pour les plateformes des régions mouillées d'assurer la
distribution finale.
Venant de l’Asie du Sud-Est principalement, les conteneurs sont débarqués à Anvers et à
Rotterdam, puis remontent le Rhin en 70 heures jusqu’à Strasbourg. Dans l’autre sens, la descente
est effectuée en 40 heures. Les porte-conteneurs de 135 mètres de long peuvent charger jusqu’à 470
EVP 4 sur quatre rangs en hauteur. Dès 1969, les premiers conteneurs sont arrivés dans le port de
Strasbourg ; en amont du Pont de l'Europe, la faiblesse du tirant d’air limite leur empilement à trois
rangs, et à deux rangs en amont de la Mittlere Brücke de Bâle. La Saône et le Rhône sont entrés
dans ce jeu depuis 2002, avec des navires de 280 EVP de capacité entre Fos-sur-Mer (Bouches-duRhône) et Pagny (Côte-d’Or). Les horaires sont fiables. Seuls les accidents, rarissimes, les crues ou
les basses eaux peuvent gêner les entreprises lorsqu'il leur faut réduire les volumes transportés.
Le soutien de l'Union européenne - Dans son Livre blanc de 2011, l'Union européenne est
décidée à favoriser l'intermodalité depuis les grands ports maritimes : « En ce qui concerne les
transports routiers de marchandises sur des distances supérieures à 300 km, [il s'agit de] faire
passer 30 % du fret vers d'autres modes de transport tels que le chemin de fer ou la navigation d'ici
à 2030, et plus de 50 % d'ici à 2050, avec l'aide de corridors de fret efficaces et respectueux de
l'environnement. Pour atteindre cet objectif, il faudra [..] veiller à ce que tous les ports maritimes
de base soient reliés de manière suffisante au système de transport ferroviaire de marchandises et,
selon les possibilités, au système de navigation intérieure. Mettre en place un cadre permettant
d'optimiser le fonctionnement du marché intérieur de la navigation intérieure et supprimer les
barrières qui freinent le recours à ce mode de transport ; analyser et définir les mesures nécessaires
et les mécanismes requis pour leur mise en œuvre, en les inscrivant dans un contexte européen plus
large » 5.
Le tourisme fluvial - La liaison Saône-Rhin « devait emprunter la vallée du Doubs, traverser les
agglomérations de Mulhouse, Montbéliard, Besançon et Dole, passer à proximité de 33 sites classés
ou inscrits, 36 monuments historiques et 196 sites archéologiques » (Conseil général du Haut-Rhin,
2007). Inscrits sur la liste du patrimoine mondial UNESCO en 2008, les paysages Vauban de
Besançon et de Neuf-Brisach sont devenus un nouveau point fort.
Le tourisme fluvial constitue un monde en soi. Les pénichettes, en général de location, se
plaisent d'abord sur les canaux de petit gabarit. Mais les croisiéristes procèdent de logiques
industrielles, sauf lorsqu’il s’agit de niches de marché orientées principalement vers le tourisme de
luxe. Un équipement à terre est indispensable, sous forme de halte ou mieux, de port de plaisance
qui intègre des locaux d’accueil, une station-service, voire de la réparation navale et des marinas
(avec des résidences « pieds dans l’eau » et divers services), dont Saint-Jean-de-Losne (Côte-d’Or)
4
Equivalent Vingt Pieds.
Livre blanc Transports 2050 de l'UE, Feuille de route pour un espace unique européen des
transports, vers un système compétitif et économe en ressources, Bruxelles, 28 mars 2011.
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4
offre un bel exemple. Le destin régional du tourisme fluvial dépend d’une communauté de travail
organisée par l’Etat, les collectivités, les CCI, les entreprises ainsi que diverses associations. Des
paysages culturels, des infrastructures soignées et un état d’esprit ingénieux sont indispensables à
son développement.
Deux ressources locales spécifiques sont à signaler dans les métropoles rhénanes proches. Grâce
à sa fiscalité avantageuse, Bâle est une métropole du tourisme fluvial, où, selon une logique très
anglo-saxonne, fleurissent plusieurs sièges sociaux européens (dont celui de Viking Cruises, au
premier rang mondial), le lobbying professionnel (IG River Cruise) et les cabinets de consultants
(River Advice). Depuis Strasbourg, les navires de CroisiEurope longs de 110 mètres sillonnent les
grandes voies d'eau de l'Europe. La réalisation de la liaison Saône-Rhin à grand gabarit permettrait
de reproduire le « modèle » touristique existant entre le Rhin et le Danube, fort de la navigation à
grand gabarit, des véloroutes et des excursions à terre (Woessner, 2007).
Short shipping – La question des liaisons courtes mérite d'être posée. De réelles opportunités
existent pour l'industrie. Ainsi, le groupe PSA a tenté une expérience en 2011, en faisant venir des
pièces métalliques de la Bourgogne jusqu'en Alsace, pièces qui avaient besoin de vieillir quelques
jours avant leur utilisation. Hélas, la vétusté du canal Freycinet a compromis ce trafic. D'autre part,
la collecte des déchets peut intéresser la voie d'eau, comme c'est le cas à Lille ou sur la Basse Seine.
De manière générale, le désir de revenir à une économie de proximité et d'utiliser des transports
« propres » devient un nouvel axe de réflexion.
3. Quels tracés ?
Volontarisme sur la Moselle - La Lorraine fait preuve d'un activisme efficace. Pour elle, « il
s'agit de poursuivre d'ici 2012 [..] les études nécessaires à la réalisation d'une liaison fluviale à
grand gabarit entre les bassins de la Saône et de la Moselle, en envisageant l'intérêt d'une
connexion fluviale entre la Saône et le Rhin [..]. Conformément au mandat donné par le
gouvernement au préfet coordinateur, les études excluent la vallée du Doubs entre la Saône et le
Rhin » écrit le Comité de pilotage du Débat public liaison fluviale Saône Moselle Saône Rhin 6. Des
études sont inscrites au Contrat de Projet Etat-Région 2007-2013. Présidée par André Rossinot,
maire de Nancy depuis 1983 et plusieurs fois ministre, l’association Seine-Moselle-Rhône veut
« promouvoir un nouveau maillon à grand gabarit entre la future liaison Moselle-Saône, avec un
raccordement ultérieur vers le Rhin supérieur via Mulhouse, sans préjuger du tracé qui sera retenu
in fine, entre Neuves-Maisons, près de Nancy, et Saint-Jean-de-Losne, en Bourgogne » 7.
Inquiétudes en Franche-Comté et en Alsace – Pour les Alsaciens qui craignent de se faire
marginaliser, les Lorrains sont devenus des concurrents et les Francs-Comtois un problème avec
leur sanctuaire de la vallée du Doubs. Il en résulte un projet de substitution à partir d'une patte d'oie
en remontant la Saône. Le grand gabarit continuerait vers Nancy ; une branche Saône-Rhin
nécessiterait un triple seuil de franchissement à Luxeuil-les-Bains (310 m.), à Champagney (362 m.)
et à Valdieu-Lutran (338 m.). Quel serait alors le coût de ce projet ? Et avec quelle gestion de la
ressource aquifère ? (Carte 2)
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Communiqué de presse, 22 novembre 2010.
Communiqué commun établi à l’issue de la réunion de travail entre les membres des
bureaux du Consortium pour le Développement des Voies navigables de l’Est et du Sud-Est et de
l’Association Seine-Moselle-Rhône, 29 juin 2007.
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Conclusion provisoire pour un vieux débat
Dans un contexte d'économie des transports, un réseau efficace de fret ferroviaire serait
assurément moins coûteux à mettre en œuvre que de grands travaux fluviaux entre Rhône et Rhin.
Mais dans une perspective systémique, la voie d’eau à grand gabarit a des atouts spécifiques. Elle
permet d’échapper au stress généré par la vitesse pure au profit de liaisons cadencées. Outre la
conteneurisation, de nouveaux marchés, comme celui des déchets, semblent prometteurs. La voie
d'eau offre des perspectives aux activités de loisirs et de tourisme. Il faut en outre reconsidérer la
gestion de l’eau dans les bassins-versants concernés, à une époque où les risques climatiques
engendrent davantage de sécheresses et d’inondations.
Face à de fortes oppositions, principalement écologistes, et avec un État prompt à se désengager
pour des raisons budgétaires, les porteurs du projet n'ont pas pesé bien lourd jusqu'ici. De plus, la
SORELIF était apparue comme un bâtisseur technocratique, dans le sens péjoratif où la technocratie
apparaît éloignée des préoccupations des habitants et de leurs représentants. A présent, si l'on veut
réaliser une liaison interbassins, il faut construire un jeu d'acteurs puissant et multiniveaux, depuis
l'Union européenne jusqu'aux communes concernées par les tracés. Il faut aussi définir une vision
qui puisse fédérer les opinions en la fondant sur les trois piliers du développement durable :
croissance économique, tourisme et loisirs, qualité des paysages et préservation des ressources.
Mais, dans une France jacobine, les villes et les régions du Grand Est français sont dans
l'incapacité de se fédérer en vue de la création d'un projet territorial où la voie d'eau créerait une
forme de territorialisation. Sur le terrain, il n'existe pas de mode de gouvernance qui puisse faire
émerger cette liaison, ce dont l’État s'est manifestement accommodé.
Ouvrages cités
 Bonnafous A. (1997), « Le projet de liaison Rhin-Rhône à gabarit européen ou les
mystères d’un pari », Annales de Géographie, Infrastructures de transport et organisation
de l’espace en France au seuil du XXIe siècle, n°593-594, cf. p. 107 – 128.
 Christen B., Fortin O. (dir.), « Les couloirs Rhin-Rhône dans l’espace européen », Actes
du colloque de 1989, Lyon, mars 2002, 71 p.
 Corbier F. (1999), Le grand canal Rhin-Rhône. Les méandres politiques et cognitifs d’une
expertise pluraliste, Diplôme d’Etudes Approfondies institutions et politiques publiques,
Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne, 91 p.
 Cotte M. (2003), Le Canal du Midi, « Merveille de l’Europe », Belin Herscher, 191 p.
 Kammerer L. (1978), Le projet Rhin-Rhône et la décision administrative et politique,
Paris IX Dauphine, Thèse de 3e cycle « Science des Organisations », 569 p.
 Prud’homme R. (2006), « Analyse socio-économique du projet de canal Seine-Nord »,
Transports n°440.
 Woessner R. (2007), « L’émergence du tourisme fluvial en Europe », Actes du colloque
des commissions nationales de géographie transport et tourisme, Chambéry Collection
Edytem Cahiers de Géographie n°4 -2006.
 Woessner R. (2010), « Les conditions de la territorialisation », Revue d'Economie
Régionale et Urbaine n°4-2010, Paris Armand Colin, cf. p. 669-687.
6
Carte 1 : L'univers Saône-Rhin, topographie et localisations
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Carte 2 : Corridors envisagés entre la Moselle, le Rhin et la Saône
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