Le suicide - CULTURE
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Le suicide - CULTURE
AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI BBT-LB/BC Document en test Enseignement de culture générale Aspect : Ethique Dossier n° 2.1 Le suicide Contenu du dossier I. INTRODUCTION 2 II. PLAN 3 III. DONNEES EPIDEMIOLOGIQUES 3 IV. DONNEES JURIDIQUES 5 V. MODELES D’EXPLICATION DU SUICIDE ET PREVENTION 8 VI. QUELQUES THEORIES ETHIQUES SUR LE SUICIDE 12 VII. REPRISE DES CAS 16 VIII. LA PREVENTION DU SUICIDE 20 IX. LEXIQUE 23 X. BIBLIOGRAPHIE 24 XI. ANNEXES 27 XII. TABLE DES MATIERES 36 Dossier à l’usage de l’enseignant Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Le suicide Page 2/36 20/12/2002 LE SUICIDE I. INTRODUCTION A juste titre, le suicide des jeunes inquiète les enseignant(e)s suisses. Beaucoup savent en effet que le taux de suicide des jeunes dans notre pays est plus élevé que dans les pays voisins. Mais en même temps, les enseignant(e) sont partagés entre plusieurs sentiments contradictoires : En parler ne risque-t-il pas d’avoir pour effet paradoxal1 d’inciter certains jeunes à se donner la mort ? L’enseignant(e) pourrait-il alors, indirectement mais réellement, être tenu pour responsable sur le plan psychologique, moral, voir pénal ? Et d’ailleurs, s’engager dans une politique active de prévention ne se heurte-t-il pas à des obstacles insurmontables, tant sur le plan théorique – respecter la liberté des jeunes et le pluralisme d’une société qui ne condamne nullement le suicide –, que pratique – l’enseignant(e) ne sachant comment faire concrètement. C’est à ces questions que ce dossier voudrait apporter quelques éléments de réponse, mais non des solutions : le suicide des jeunes est une question complexe, à la fois dans ses causes et dans la manière de relever le défi. Ce dossier ne ferme donc pas le débat, mais voudrait contribuer au contraire à l’ouvrir. Comme les autres dossiers du Projet Aujourd’hui l’éthique, ce dossier s’adresse aux enseignant(e)s et non pas aux élèves. A la différence toutefois des autres dossiers, son but premier n’est pas de fournir aux enseignant(e)s des éléments destinés à construire une leçon pour la classe, mais de permettre aux enseignant(e)s à faire le point pour eux-mêmes. Libre ensuite, le cas échéant, aux enseignant(e)s de voir comment aborder la question en classe, en sachant leur approche reste limitée, non seulement parce qu’ils ne disposent pas de toutes les compétences sur ce thème, mais parce que le suicide a de nombreuses résonances émotionnelles que l’enseignant(e) peut ne pas maîtriser ; même si l’apport de l’enseignant(e) est cognitif et rationnel, il ne sera pas nécessairement pris sur ce plan là. Pour cette raison, l’enseignant(e) sera attentif à préserver l’espace de liberté des élèves, pour qu’ils aient la liberté de ne pas entrer en matière sur le suicide si ils n’en n’ont pas fait la demande. Nous conseillons donc que l’intervention aient lieu après préparation entre collègues, voire en sollicitant l’aide d’un tiers. Nous ne cachons pas notre option contre le suicide des jeunes. Bien entendu, comme pour les autres dossiers, notre but est de respecter la liberté de penser des élèves. Dans le monde pluraliste et pluriculturel qui est le nôtre, les points de vue sur la vie et la mort sont multiples. Néanmoins, toute démocratie se fonde sur un consensus de base autour de quelques valeurs fondamentales qu’elle vise précisément à protéger : respect de l’être humain, de sa vie, de sa dignité, de son intégrité, de sa liberté. Il nous semble alors – et c’est une des hypothèses sousjacentes à ce dossier – que la prévention du suicide fait partie du respect dû à tout homme comme humain. Ceci vaut particulièrement pour les jeunes, dont nous reconnaissons 1 Certaines études ont montré que le seul fait de parler du suicide pouvait avoir pour effet de le faire percevoir comme une « solution » envisageable dans les situations de crise traversées par les jeunes. Cf. P. Bowen, M. Choquet, F. Ladame, G. Kjellberg, M. Perret-Catipovic, Youth Suicide Prevention Programs : Review of Literature Published in English or French between 1990 And 1999, Geneva, HUG (Center for suicide research and prevention), 2001. Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Le suicide Page 3/36 20/12/2002 socialement que la liberté – politique, juridique, etc. – n’est pas entière. Dans cette mesure, l’Etat, et l’école qui en dépend, doivent d’abord assurer la protection de l’intégrité des jeunes avant de protéger leur liberté de disposer de leur corps, de leur vie et de leur mort. II. PLAN Nous nous proposons ici de faire un rapide état des lieux épidémiologique et juridique avant d’exposer trois grandes interprétations du suicide. Nous rappellerons ensuite quelques éléments éthiques du débat sur le suicide, avant de faire une synthèse sur la prévention du suicide. Nous conclurons ce dossier par quelques éléments d’analyse de quelques cas. Nous sommes conscients de faire des choix, qui pourraient ne pas être partagés par tous, selon leurs options ou leurs approches disciplinaires. Nous espérons simplement ne pas avoir dénaturé les argumentations de toutes celles et ceux qui ont contribué à ce dossier et dont nous avons dû synthétiser les apports dans cette version de ce dossier2. Qu’ils se sachent toutes et tous chaleureusement remerciés. III. DONNEES EPIDEMIOLOGIQUES On dispose aujourd’hui de données épidémiologiques fiables qui permettent de dresser le constat suivant : 1) La Suisse fait partie des pays les plus touchés par le suicide des jeunes (cf. Annexe 1). Ce constat est stable depuis de nombreuses années, et nous ne disposons pas, aujourd’hui, d’explications satisfaisantes pour le comprendre. De nombreuses hypothèses ont été avancées (climat, religion, niveau socio-économique etc), mais toutes ont été réfutées. Cette différence de la Suisse par rapport aux autres pays est bien plus grande encore à regarder certaines statistiques. L’OMS mène une enquête régulière pour connaître le taux de tentatives de suicide dans les pays européens3. Le taux de l’ordre du 0,3%, est nettement inférieur à ceux connus en Suisse. Mais il ne faut pas se tromper : la différence tient à la façon de récolter les données ; l’OMS ne tenant compte que des tentatives de suicide répertoriées dans les centres de soins. Si l’on met en rapport les tentatives de suicides répertoriées en Suisse dans les centres de soins par rapport à celles commises en général, on doit admettre que l’essentiel des tentatives n’est pas répertorié dans les centres de soins, et que les chiffres de l’OMS ne disent rien. 2) Le suicide concerne davantage les hommes que les femmes (annexe 2), ce qui vaut d’ailleurs dans tous les pays, à l’exception de la Chine et de l’île Maurice (WHO, 1999). 3) Si le suicide des enfants de moins de 15 ans reste exceptionnel, nous constatons que dès 15 ans il devient préoccupant. En Suisse, tous les 3 jours un jeune entre 15 et 24 ans décède par suicide. 4) Le même graphique montre que suicide ne concerne pas toutefois seulement les jeunes, puisque les personnes âgées se suicident davantage que les jeunes. 2 Ont contribué à ce dossier, les personnes suivantes : François Dermange, Philippe Granget, Stefania Lemiere, Hermine Mambi, Michel Maret, Meido Mefieuh, Carol Navarro, Maja Perret-Catipovic, Marinette Ummel. 3 Bille-Brahe U. et Schmidtke A. in Ladame F., Ottino J. et Pawlak C., (1995). Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Le suicide Page 4/36 20/12/2002 Toutefois, la comparaison des chiffres de suicides des jeunes et des personnes âgées doit tenir compte des autres causes de décès. On s’aperçoit alors que parmi les personnes âgées, le suicide ne représente plus que 0,0..% des causes de décès (annexe 3), alors que parmi les jeunes, le suicide est l’une des causes principales de mortalité. Le suicide est ainsi la première cause de mortalité des jeunes en Suisse, après les décès dus aux accidents de la circulation, les overdoses de drogues, les maladies telles que les cancers ou le SIDA (Graphique 4). Pour les plus jeunes (15-19 ans) ce sont les accidents de la circulation et le suicide qui se partagent les deux premières places, l’ordre variant selon les années. Il convient en outre de préciser qu’il s’agit de chiffres minimaux et que bon nombre de suicides non reconnus comme tels avec certitude sont répertoriés dans les catégories “ accidents ”. Une proportion non négligeable d’overdoses serait des overdoses calculées dans le but de se donner la mort. 5) Les tentatives de suicide sont infiniment plus nombreuses que les décès par suicide. On estime généralement qu’il y a 10 tentatives de suicide pour un suicide, ce qui est certainement sous-estimé pour certaines tranches d’âge, et surestimé pour d’autres. Les taux annuels des tentatives de suicide culminent entre 15 et 19 ans pour les filles et entre 20 et 24 ans pour les hommes4. S’il y a environ deux à trois fois plus d’hommes que de femmes qui décèdent par suicide, pour les tentatives de suicide le rapport s’inverse : il y a deux à trois fois plus de femmes que d’hommes qui font des tentatives de suicide, ou du moins qui sont reconnues comme telles dans les centres de soins. Une enquête sur la population générale en Suisse a mis en évidence que 4% des filles et 3% des garçons entre 15 et 20 ans disent avoir fait une tentative de suicide dans les 12 mois précédant l’enquête5. 6) L’insertion dans une filière scolaire ou professionnelle est un facteur positif de prévention C’est parmi les jeunes désinsérés de toute filière de formation scolaire ou professionnelle que la situation est la plus préoccupante. Ce sont même 34% des filles et 17% des garçons « drop out », entre 15 et 19 ans qui disent avoir fait une tentative de suicide dans l’année en cours. La désinsertion de toute filière de formation scolaire ou professionnelle apparaît également comme un des facteurs de risque importants d’un décès par suicide6. Ces données sont cohérentes avec les données internationales7 et semblables à celles récoltées en France par exemple8. 7) Les apprentis apparaissent sont cependant plus exposés au suicide que les collégiens Par ailleurs, parmi les jeunes insérés dans une filière scolaire ou professionnelle, le risque est variable selon le type de filières de formation. Les apprentis apparaissent sont plus exposés au suicide que les collégiens : 5% des apprenties et 3% des apprentis disent avoir fait une tentative de suicide dans l’année, contre 2% chez les collégiens filles et garçons. 4 M. Lejoyeux, E. Leon, F. Rouillon, (1994). 5 Narring et al. (1994). 6 Gould et al., (1996). 7 Hawton K. et Van Heeringen K., (2000). 8 Choquet M. et Ledoux S., (1994). Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Page 5/36 20/12/2002 Le suicide IV. DONNEES JURIDIQUES A partir de ce constat, que doivent faire les enseignant(e)s ? Doivent-ils chercher à agir par un engagement dans la prévention, ou doivent-ils faire comme si cela ne les concernait pas ? avant de chercher à débroussailler cette question, commençons par voir ce qui en est du droit, ne serait-ce que pour lever la crainte de certain(e)s qu’ils risqueraient d’engager leur responsabilité juridique au cas où indirectement un jeune attenterait à ses jours, suite à une intervention en classe. Du point de vue juridique, il faut pouvoir distinguer : a) la responsabilité de celui qui porte atteinte à sa propre vie ; En droit suisse, le suicide n’est pas réprimé. Même si pendant longtemps la tentative de suicide a été punissable – étant vue comme un acte grave portant préjudice à la société – tel n’est plus le cas aujourd’hui. On a plutôt tendance aujourd’hui à regarder le suicidaire comme une victime et non comme un coupable. b) la responsabilité de celui qui aide un tiers à porter atteinte à sa propre vie ; En droit suisse, la complicité au suicide (art. 25 du Code Pénal) ou l’instigation (art. 24 du Code Pénal) au suicide, deux actions « accessoires », ne sont pas punissables, puisque l’acte principal – le suicide – ne constitue pas une infraction pénale9. Ce n’est que dans des cas particuliers que la participation de tiers au suicide tombe sous le coup de la responsabilité pénale10 : c’est lorsque le tiers décide la victime à se tuer (incitation au suicide) ou lorsqu’il prête assistance à la victime avant le suicide ou lors de son exécution, notamment par des conseils ou par sa collaboration (remise d’une arme, par ex.) (assistance au suicide). Art. 115. Celui qui, poussé par un mobile égoïste, aura incité une personne au suicide, ou lui aura prêté assistance en vue du suicide, sera, si le suicide a été consommé ou tenté, puni de la réclusion pour cinq ans au plus ou de l’emprisonnement.11 Faisons à propos de cet article plusieurs remarques : La participation au suicide d’autrui est exclusivement réglée par l’article 115 CP12. Tout suicide qui ne tombe pas sous le coup de cet article n’est pas punissable. Mais encore fautil qu’il y ait bien suicide, c’est-à-dire que l’acte qui met fin à la vie ait été consommé ou tenté13 par la victime elle-même. 9 Pedrazzini A. L’euthanasie de l’avortement eugénique à la prolongation artificielle de la vie. Thèse de doctorat, Faculté de droit de l’Université de Lausanne. Imprimerie Pedrazzini. Locarno, 1982, p. 113. 10 Pedrazzini A., Ibid., (1982), p.119ss. Cf. Hurtado Pozo J., Droit pénal, Partie spéciale I., Zurich, Schulthess Polygraphischer Verlag, 1997, p. 53. 11 Chancellerie Fédérale, Code pénal suisse, Berne 1992, p.46. 12 Cassani, Ursula, « Assistance au suicide. Le point de vue de la pénaliste », Médecine et Hygiène 1997; no. 55, p. 616. 13 Hurtado Pozo J., Ibid., (1997), p. 56. Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Page 6/36 20/12/2002 Le suicide Si l’assistance fournie par autrui « consiste à agir sur le corps » de la victime « dans le but de provoquer ainsi sa mort, il y a homicide14» et non pas suicide et ce sont alors les art. 111ss ou 114 CP qui s’appliquent15. De même celui qui inciterait ou assisterait une personne incapable de discernement ou un enfant au suicide16 ne participe pas à un suicide mais « commet un homicide intentionnel ». L’article 115 ne vise pas d’auteurs particuliers de l’infraction, tels que les médecins ou les enseignant(e)s par exemple, mais tout un chacun puisqu’il commence par la formulation « Celui qui ». Pour tomber sous le coup de cet article, plusieurs conditions doivent être réunies : Avoir agi intentionnellement et par mobile égoïste (c’est-à-dire par un mobile non altruiste procurant un avantage patrimonial ou psychique à soi-même)17. Avoir voulu « la mort d’une personne déterminée ». Ainsi, « l’écrivain faisant une apologie du suicide, ne pourrait pas tomber sous le coup de l’art. 115 CPS même si la preuve est faite que X a été décidé à se donner la mort par la lecture de son ouvrage [ ]. L’intention de l’écrivain n’était certainement pas celle de pousser X au suicide et un élément constitutif du crime réprimé par l’art 115 CP fait défaut » 18. Avoir connu « le dessein suicidaire de la victime ». « On ne saurait punir pour assistance au suicide une personne qui aurait procuré à autrui la corde avec laquelle ce dernier se pendra si elle était tout à fait inconsciente de l’usage qu’il avait l’intention d’en faire » 19. La responsabilité spécifique des enseignant(e)s face aux projets de suicide : Y a t-il un devoir d’empêcher une personne de se suicider20 ? Pour les personnes majeures – âgées de 18 ans révolus selon l’art. 14 Code civil suisse – et capables de discernement, la réponse est clairement négative21. Pour les personnes mineures ou sous tutelle capables de discernement de se suicider, la question « n’est pas résolue de manière certaine » par la doctrine et la jurisprudence.22 Selon Hurtado Pozo, « le devoir de sauver celui qui veut se suicider n’est admissible que si ce dernier agit en état d’incapacité et si l’auteur à l’obligation de garant23 ». 14 Cassani U., Ibid., (1997), p. 616. 15 Pedrazzini A., Ibid., (1982), p. 129; Cassani U., Ibid., (1997), p. 616. 16 Hurtado Pozo J., Ibid., (1997), p. 55. 17 Hurtado Pozo J., Ibid., (1997), p. 55-56. 18 Pedrazzini A., Ibid., 1982, p. 125-126. 19 Pedrazzini A., Ibid., (1982), p. 125-126. 20 Cassani U., Ibid., 616 et 1997. Cf. Cassani U., « Le droit pénal face à l’assistance au décès », in Bertrand D. et al., Médecin et droit médical, Editions Médecine et Hygiène, 1998, p. 87. 21 Cassani U., Ibid., 1998, p. 88. 22 Cassani U., Ibid., 1998, p. 88. 23 Hurtado Pozo J., Ibid., (1997), p. 54. Cassani U. (1997) p. 616-617. Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Le suicide Page 7/36 20/12/2002 Cette situation est bien celle des enseignant(e)s qui ont fonction de garants 24. Les enseignant(e)s ont alors un devoir d’empêcher les élèves de se suicider, sous peine de commettre un homicide par abstention. Y a t-il un devoir de confidentialité vis-à-vis du jeune qui parle clairement d'un projet de suicide ? Les enseignant(e)s exerçant leur activité dans le secteur public sont tenus au secret de fonction25. Le secret peut toutefois être levé en cas de nécessité26 ou de danger imminent et concret ; dans ce cas, la levée du secret de fonction doit être faite par l’autorité supérieure27. Dans le secteur privé les enseignant(e)s sont soumis à l’art. 35 de la Loi sur la Protection des Données28. Ce devoir de confidentialité n’est pas absolu. Dans ce cas, l’état de nécessité29 constitue également une exception, de même que le consentement de la victime, un intérêt prépondérant privé ou public, ou la loi30. Y a t-il une responsabilités des enseignant(e)s lorsqu'ils sont confrontés à des jeunes "à risque" ou qui parlent clairement d'un projet de suicide ? a) L’enseignant qui aborde la question du suicide dans une leçon ne pourrait être tenu pénalement pour responsable si un jeune se suicidait suite à cette leçon, puisqu’en principe, il ne connaissait pas l’intention suicidaire de la victime. Les conditions de l’art. 115 ne sont pas remplies. Cependant, les règles en usage dans la profession quant au traitement d’un sujet si sensible doivent être respectées. Si cela n’est pas le cas, des sanctions administratives à l’encontre de l’enseignant pourraient être envisagées. b) Lorsqu’un(e) élève est « à risque de suicide » ou énonce des idées suicidaires, les cas de figure suivants peuvent se présenter : Si l’élève est mineur(e) : dans ce cas et même s’il n’y a pas de doctrine ou de jurisprudence claire, il nous semble que l’enseignant(e) devrait prendre les mesures nécessaires et proportionnellement adéquates pour empêcher l’étudiant de se suicider. Si l’enseignant juge utile de recourir à des tiers pour cela, il tentera d’abord d’obtenir le consentement de l’élève et s’il ne peut être obtenu, il passera outre son devoir de confidentialité pour avertir une instance ou une personne qui pourra se charger de dissuader l’étudiant de se suicider, soit directement31 si le danger est imminent, soit, après s’être fait délié par l’autorité supérieure pour le 24 Moreillon L. « Quelques réflexions sur la violation du devoir d’assistance ou d’éducation », Revue pénale suiss, no.4 , 1998, p.435. 25 Art. 320 du Code Pénal. 26 Prévu par l’art. 34 du Code Pénal . 27 Art. 320 ch.2 du Code Pénal. 28 Dumoulin J.-F., « La confidentialité et la maltraitance », Plaidoyer, 1999 no.3, p.53. 29 Prévu par l’article 34 du Code Pénal. 30 Faits justificatifs prévus à l’art. 13 al. 1 de la Protection des Données. 31 En vertu de l’art34 du Code Pénal. Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Le suicide Page 8/36 20/12/2002 fonctionnaire (ou en invoquant l’intérêt prépondérant de l’étudiant pour l’enseignant du secteur privé), si le danger n’est pas imminent. Si l’élève est majeur(e) et capable de discernement : l’enseignant(e) n’a pas de devoir légal d’empêcher l’étudiant de se suicider. Si l’élève est incapable de discernement : l’enseignant(e) doit l’empêcher de se suicider, soit lui-même, soit en en passant outre son devoir de confidentialité et en avertissant une instance ou une personne qui pourra se charger de dissuader l’étudiant de se suicider, soit directement si le danger est imminent, soit après s’être fait délié par l’autorité supérieure pour le fonctionnaire (ou en invoquant l’intérêt prépondérant de l’étudiant pour l’enseignant du secteur privé), si le danger n’est pas imminent. Lorsque l’étudiant est incapable de discernement en raison d’un état mental anormal, l’enseignant suivra les procédures, les indications définies dans chaque Canton (structures spécifiques d’évaluation, d’aiguillage et de suivi) V. MODELES D’EXPLICATION DU SUICIDE ET PREVENTION Ces données épidémiologiques et juridiques étant clarifiées, regardons comment le suicide est compris par les différentes disciplines. 1. Définitions Il n’existe pas de définition unanimement reconnue du suicide. Le terme suicide, d’origine anglaise, aurait été utilisé pour la première fois par Sir Thomas Brown dans son ouvrage Religio medici écrit vers 1636. Il est formé du latin sui (soi), et caedes (meurtre). Selon cette étymologie, le terme désigne l’« action de se donner soi-même la mort »32. Le terme serait apparu en français vers 1735. A partir de là, les définitions sont extrêmement variables. Certains, comme le sociologue Emile Durkheim, lient le suicide à son résultat (un genre de mort particulier) : On appelle suicide tout cas de mort qui résulte directement ou indirectement d’un acte positif ou négatif, accompli par la victime elle-même et qu’elle savait devoir produire ce résultat.33 La plupart des auteurs cependant mettent l’accent sur l’acte, ce qui lie le suicide à son intention volontaire, mais tout en défendant des thèses opposées. Pour les uns, c’est l’acte de se donner la mort de manière volontaire et intentionnelle. Peu importe alors que dans le suicide, la mort doive advenir ou qu’elle soit l’effet indirect d’un autre choix. Celui qui fait un geste de bravoure, pour lequel il risque sa vie, se suicide. Pour d’autres, il n’y a suicide que si dans l’acte voulu, la mort se présente comme certaine, qu’elle soit recherchée comme moyen ou comme fin. Peu importe alors la motivation du suicidé à mourir et le sens qu’il peut donner à sa mort. De ce point de 32 Le Petit Larousse Illustré 33 Le suicide, Paris, 1897, p. 5. Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Le suicide Page 9/36 20/12/2002 vue, les terroristes qui ont dirigé les avions sur les tours du World Trade Center se sont bien suicidés, puisque leur mort était certaine et délibérée. Pour d’autres encore, pour qu’il y ait suicide, il faut que la mort soit non seulement certaine, mais qu’elle soit le but premier pour lequel l’individu met fin à ses jours. Se suicide celui qui cherche la mort pour elle-même. D’autres encore refusent le terme de suicide pour une grande partie des actes jugés tels, car ils contestent la transparence de la volonté ou de l’intention ; celui qui est dépressif ou malade ne se suicidant pas. Retenons ici en première approche que le terme de suicide est connoté péjorativement et que la plupart des auteurs répugnent à considérer comme un suicide l’acte qui cherche à avantager autrui ou servir une cause ou un principe, comme c’est le cas du martyre34. Retenons aussi que la distinction entre les cas positifs et négatifs de la mort auto-infligée relève plus d’appréciations morales que de différences conceptuelles. Par exemple, il semble que les appréciations sociales des Suisses aujourd’hui soit partagée entre deux opinions contradictoires : désapprouvant largement le suicide d’adolescents, elle se montre compréhensive vis-à-vis du suicide des personnes âgées, au contraire de plusieurs pays voisins. Or on doit se demander ici, si l’âge est une donnée significative ou si la question ne doit pas se poser de la même manière dans les deux cas. Plus généralement, nous devons nous demander quel rôle une personne peut jouer dans sa propre mort et si ce rôle peut être actif ? Pour essayer d’y voir plus clair, on doit essayer de comprendre pourquoi une personne attente à ses jours. Le droit, nous l’avons dit, raisonne ici de manière simple : le critère est de savoir si la personne est majeure et capable de discernement. Or cette interprétation qui dirait que dans ces conditions toute personne tentant de se suicider le ferait librement et seulement en référence à elle-même est loin de faire consensus. Trois autres grandes modèles scientifiques d’interprétation prévalent aujourd’hui : le modèle « médical », le modèle de type « appel au secours » et le modèle « sociogénique »35. 2. Le modèle médical du suicide Contrairement au droit, le modèle médical estime que le suicide de l’adolescent(e) n’est pas l’expression d’un libre choix. L’enjeu alors est moins de faire une distinction nette selon l’âge de la majorité ou la capacité de discernement, que de voir dans la volonté de suicide un nonchoix momentané, qui rend inopérants les mécanismes de défense habituellement à l’œuvre. Le trait commun des approches variées qu’on peut ranger dans ce modèle est de considérer toute forme de suicide comme non volontaire et non délibérative – même lorsqu’elle apparaît telle aux yeux des tiers – ; toute forme de suicide résulte de facteurs sur lesquels l’individu n’a pas prise. Submergé par la souffrance, la personne n’est plus maître de ses choix. Significative de cette approche est, par exemple, l’affirmation du psychiatre Y. Pelissier, à propos du suicide en général, mais qui vaut a fortiori pour le suicide des adolescent(e)s : 34 Certains auteurs parlent alors de sacrifice plutôt que de suicide, ou encore de suicide indirect. Nous n’utilisons pas ici cette terminologie qui peut entretenir la confusion. 35 Margaret Battin, article « suicide », Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, M. Canto-Sperber (éd.), Paris, Puf, 1997, p. 1484-1485. Dans le développement éthique qui suit, nous nous inspirons largement de cet article. Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Le suicide Page 10/36 20/12/2002 Le désir de la mort, pour ce qui me concerne, je ne l’ai jamais vu pur. Même chez le mélancolique dont on pourrait dire qu’il est programmé pour mourir si l’on n’intervient pas pour le soigner. Que signifie ce désir qui peut être annulé par des soins parfois très courts, de l’ordre de quelques heures ou de quelques jours ?36 Une version dure de ce modèle prétend alors que celui qui se suicide souffre d’une maladie. Si le suicide n’est pas en lui-même une maladie, il en est la résultante. Cette maladie peut être la dépression, la maladie mentale ou l’altération des états neurobiochimiques. Une version plus souple de ce modèle défend la même thèse de manière plus complexe et moins déterministe. Certaines circonstances particulières expliquent que la personne, dans un moment particulier, attente à ses jours. Mais cela ne signifie pas toutefois, à l’inverse, que les circonstances expliquent tout et qu’il y ait une sorte de déterminisme au suicide. Tout en reconnaissant la présence de troubles psychiques divers37 – trouble de l’humeur, abus/dépendance de substances, troubles de la personnalité – chez la plupart des personnes38 qui font une tentative de suicide, on n’en fait pas alors une cause déterminante du geste de se donner la mort. Il s’agit tout au plus d’une dimension de risque. Le jeune qui souffrirait de trouble de l’humeur a un risque de faire une tentative de suicide 4,6 à 28 fois39 plus grand qu’un autre jeune, mais tous les jeunes qui souffrent de dépression ne se suicident pas. Le but de l’analyse est alors de repérer et d’inventorier les facteurs de risque. A la suite de Moscicki (1995), on peut classer ces facteurs de risque en deux types : facteurs distaux qui fragilisent les assises narcissiques du sujet et facteurs proximaux qui agissent comme déclencheurs de l’acte40 : par exemple, la dépression, un échec, une séparation, etc. (cf. Annexe 5 - Facteurs de risques proximaux et distaux). Les facteurs de risque distaux rendent compte d’une fragilité particulière du sujet et le rend vulnérable aux facteurs de risque proximaux. Ces facteurs peuvent être de nature génétique ou biologique, mais il peut aussi s’agir d’expériences négatives de l’enfance, etc. Plusieurs auteurs ont souligné les traits spécifiques des facteurs de risques distaux propres au suicide des adolescent(e)s. La puberté induit des remaniements profonds dans le psychisme qui bouleverse les assises narcissiques du sujet41. Par exemple, deux psychanalystes anglais, M. et E. Laufer (1984) ont lu les gestes auto-agressifs tels que le suicide, comme des règlements de compte contre un corps devenu sexué, perçu comme cause de tous les problèmes. D’autres auteurs, comme F. Ladame et J. Ottino (1993), ont relevé la dimension paradoxale d’un geste qui veut détruire le corps sexué du jeune adulte pour retrouver le corps idéalisé de l’enfant. D’autres encore ont attiré l’attention sur le paradoxe de vouloir se retrouver soi-même en se détruisant, ou sur le désir ressenti au moment de l’acte suicidaire de fusionner avec un proche par le geste même de se donner la mort. 36 Cité dans "Restaurer la cohérence", in E. Hirsch, Médecine et éthique, p. 152. 37 Par « trouble psychique » il faut entendre perturbation du fonctionnement psychique, présence de symptômes caractéristiques de certaines affections. Certains troubles psychiques sont très répandus, d’autres fort discrets, d’autres encore flamboyants. A ne pas confondre avec folie ou maladie mentale ! 38 Y. Prigent avance qu’un pourcentage de 20 à 40% du total des suicides est lié à des troubles psychiques (La souffrance suicidaire, p. 29). D’autres auteurs pensent que c’est beaucoup plus et l’estiment à plus de 80% des tentatives de suicide des jeunes (Marttunen et al., 1993). 39 Beautrais, (2000). 40 Jeanmet et Birot , (1994). 41 Perret-Catipovic, M. et Ladame, F., (1997). Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Le suicide Page 11/36 20/12/2002 Même si les programmes de prévention ne peuvent avoir prise que sur les facteurs « proximaux », ils doivent tenir compte des seconds pour identifier les populations auxquelles ils s’adressent Le lien entre un facteur de risque et un geste suicidaire est mesuré par l’ « Odds Ratio » (OR). Celui-ci indique, pour un facteur donné, le facteur multiplicateur du risque de suicide par rapport à une personne standard. Par exemple, un jeune coupé de toute filière de formation scolaire ou professionnelle présente un risque 5 fois plus grand qu’un autre jeune. Le tableau en Annexe 6 – Exemples d’odds ratio - indique les principaux facteurs associés au suicide tenté ou fatal. Le danger d’un passage à l’acte suicidaire s’accroît encore considérablement lorsque plusieurs facteurs se combinent. On notera qu’une tentative de suicide augmente énormément le risque de récidive et de décès. 3. Le modèle de « l’appel au secours » Cette théorie, élaborée aux Etats-Unis par Edwin Shneidman et Norman Farbrow dans les années 1950, interprète le suicide comme une stratégie de communication. Le suicide est d’abord une tentative, qui, si elle peut être fatale, ne l’est pas intentionnellement. La tentative de suicide, réussie ou ratée, n’est repliée sur le soi qu’en apparence ; en réalité, elle s’adresse aux autres pour leur demander de l’affection, de l’attention, ou pour que quelque chose change dans l’environnement de l’adolescent(e). Cette volonté de changer est alors à la fois si radicale et si désespérée que l’adolescent ne peut l’exprimer que par le geste de mettre sa vie en jeu. Souvent, ce geste traduit une question : « Ma vie a-t-elle encore un sens ? Ai-je encore du prix à vos yeux ? Ne suis-je qu’une charge pour la société ? Quelle estime avez-vous encore pour moi ? » Certains voient alors le suicide comme un chantage ou une manipulation de l’entourage pour mobiliser la famille, les enseignants, l’entourage ou les ressources médicales, en vue de modifier les circonstances de la vie de la personnes (type « carrière suicidaire »). D’autres voient le suicide comme un « appel au secours » à l’entourage qui doit être pris au sérieux en tant qu’ultime acte de parole pour rappeler celui-ci à sa responsabilité vis-à-vis de la victime (type « stratégique »). 4. Le modèle sociogénique Une troisième approche doit être mentionnée ici par son importance historique au cours du 19ème et du 20ème siècle : il s’agit de l’approche inaugurée par E. Durkheim42 dans son étude du suicide (1897). Ce modèle voit le suicide moins comme un choix, une stratégie personnelle ou l’effet d’une fragilité subjective, que comme le produit de forces sociales qui varient selon le type d’organisation sociale dans lequel vit le sujet. Chaque groupe social a pour le suicide un penchant collectif propre qui conditionne les penchants individuels. Dans les sociétés très intégrées et structurées fortement par des normes sociales contraignantes, les individus ne se suicident que lorsque les injonctions sociales le réclament : par exemple, la pratique hindoue de l’immolation volontaire des veuves. Dans les sociétés qui, comme la nôtre, sont très peu intégrées, le suicide est presque entièrement auto référentiel. Durkheim prétend alors que les sociétés plus « primitives » sont aussi plus permissives vis-àvis du suicide que les sociétés médiévales ou modernes. Ceci pour une simple raison : leur 42 Michel Maret, Stefania Lemiere. Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Le suicide Page 12/36 20/12/2002 vision du monde est assez partagée et simple, pour ne pas se laisser ébranler par le suicide de quelques individus, auxquels elles n’accordent de toute façon qu’une place toute relative. Il en est tout autrement parmi les sociétés modernes. Pour elles, la personne humaine a un caractère sacré et elle doit être respectée, y compris par elle-même. Si le christianisme a sans doute joué historiquement un rôle dans cette idée, celle-ci subsiste parmi les sociétés industrielles largement sécularisées. Le suicide d’un de ses membres, affecte la société et la remet en cause. Il blesse le respect dû à l’individu et signe son propre échec. Même si la société se défend alors par la désapprobation du suicidé qu’elle juge irresponsable, lâche ou asocial, elle se remet aussi en cause : n’est-ce pas à elle de donner, au travers des règles sociales, la possibilité pour les individus de trouver leur place dans le corps social, sans voir le suicide comme la dernière issue pour penser le conflit entre le sujet individuel et la société ? VI. QUELQUES THEORIES ETHIQUES SUR LE SUICIDE L’essentiel des réflexions sur le suicide à l’intérieur de la tradition occidentale ne s’est pas faite dans le sens des trois modèles explicatifs que nous venons d’exposer – modèle « médical », modèle de type « appel au secours » et modèle « sociogénique » –, mais à partir de réflexions éthiques. Ces réflexions supposent toutes que la personne n’est pas simplement victime de déterminismes intérieurs ou extérieurs, mais qu’elle peut choisir de se suicider. Le suicide est alors avant tout vu en rapport avec la liberté. Depuis près d’un siècle, ces approches ont été passablement contestées par toutes les théories qui ont contesté cette transparence du sujet vis-à-vis de lui-même : si le suicidé était moins acteur que victime, à quoi bon s’embarrasser de l’éthique ? Néanmoins, ces positions éthiques n’ont cessé de marquer les positions individuelles et sociales et trouvent aujourd’hui une actualité nouvelle, moins d’ailleurs en référence au suicide des adolescents que des personnes âgées, par des groupes qui se revendiquent fortement de l’une ou l’autre de ces positions. Sans prétendre ici faire de l’érudition, il paraît donc utile de poser les grands termes du débat. L’Antiquité grecque puis romaine a, vis-à-vis du suicide, une attitude largement réservée. De manière générale, elle voit dans le suicide un acte lâche et ne l’admet qu’en ultime recours en cas de honte, de détresse ou de maladie extrêmes, ou lorsque la mort paraît de toute façon inévitable, par le fait des « contraintes extérieures », comme c’est le cas pour Socrate. Seuls les Stoïciens encouragent le suicide comme un acte responsable, mais en le réservant au mêmes conditions. L’idée est que le sage doit accepter de conformer librement sa vie au destin qui est le sien dans l’univers. Si les circonstances le contraignent à la mort, il doit pouvoir s’y engager librement, comme l’ont attesté Caton le Jeune, Lucrèce ou Sénèque. Il va alors de soi que la déception, la détresse émotionnelle, la lassitude devant les difficultés de la vie ou le sentiment d’incompréhension ne sont pas des raisons suffisantes pour justifier le suicide. Le suicide est certes un acte de liberté, mais non la liberté de faire ce que l’on veut. La liberté est de pouvoir faire ce que l’on doit vouloir. Le suicide est un devoir qui contredit nos aspirations spontanées et auquel le sage consent de se soumettre : « Tout me convient qui te convient, Ô Monde »43. Ou encore, on peut dire, à la suite d’Epictète, que la liberté véritable suit une conformité à la raison, elle-même subordonnée à la Raison universelle. 43 Marc-Aurèle, Pensées, IV, 23. Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Page 13/36 20/12/2002 Le suicide L’humain ne peut se suicider par simple dégoût de l’existence, mais doit être certain d’ajuster ainsi par sa mort sa conduite au dessein de l’univers. L’Antiquité biblique partage dans l’ensemble cette manière de voir. La vie appartient à Dieu et aux autres et non à nous-mêmes et nous usurperions un droit qui ne nous appartient pas en attentant à nos jours. Il se peut toutefois qu’acculé à certaines circonstances extrêmes, le croyant aille au devant d’une mort inéluctable : par exemple, Samson (Juges, chap. 16, vers. 30), ou, dans l’histoire juive, le célèbre épisode de Massada44. Toutefois dans le judaïsme ultérieur, comme dans le christianisme primitif, le suicide n’est pas encouragé. Même dans le cas extrême du martyr, les avis sont partagés : pour Saint Jérôme, une vierge peut se tuer pour éviter d’être violée, mais pour Saint Augustin le mal commis serait pire que celui qu’on voudrait ainsi prévenir. Dès la fin du 5ème siècle, l’interdiction du suicide devient unanime et absolue. Au Moyen Âge, celle-ci sera justifiée par Thomas d’Aquin au nom d’un triple argument : le suicide va contre l’amour que nous nous devons à nous-même et contre l’inclination naturelle à la conservation de la vie ; il est une injustice envers la société à laquelle toute personne appartient ; il outrepasse enfin le pouvoir légitime que nous avons sur notre propre vie, qui, donnée par Dieu, n’appartient qu’à Dieu seul. C’est encore aujourd’hui, avec quelques nuances, la position défendue par la Congrégation pour la doctrine de la foi de l’Eglise catholique romaine (1980)45. A partir de la Renaissance, des voix commencent à remettre en cause le caractère intangible du principe. Dans ses Essais, Michel de Montaigne estime que chacun, dans des circonstances extrêmes, doit pouvoir décider pour lui-même. Dans son Utopia, Thomas More envisage le suicide comme une forme légitime d’euthanasie. Un peu plus tard en 1610, dans son Biathanatos, John Donne, théologien de l’université de Cambridge, tolère le suicide commis pour la gloire de Dieu, dont l’exemple même, dit-il, est donné par Jésus-Christ. Ce n’est pourtant qu’à la fin du 18ème siècle qu’un pas décisif est cependant franchi lorsque la philosophie rompt avec ces ouvertures qui ne peuvent donner lieu qu’à des arguties casuistiques. Trois grandes traditions émergent alors, qui ont sur le suicide des vues opposées : celle de Hume, celle de Kant et celle du conséquentialisme. David Hume C’est dans un essai posthume (1777) qu’il n’osa pas publier de son vivant, que David Hume développe ses thèses sur le suicide. Hume y soutient que le suicide ne manifeste un manquement à notre devoir ni envers autrui, ni envers la société, ni envers Dieu. Par contre, le suicide peut être un devoir envers nous-même : Que le suicide puisse être souvent conforme à l'intérêt et à notre devoir envers nous-même, nul ne peut le contester, qui reconnaît que l'âge, la maladie ou l'infortune peuvent faire de la vie un fardeau, et la rendre pire encore que l'annihilation.46 Le suicide relève tout simplement de la liberté du sujet, contre laquelle nulle bonne raison religieuse ou sociale ne saurait s’opposer, et qu’il n’y a pas d’acte plus libre que de choisir de se dessaisir de sa propre vie. En d’autres terme, il n’y pas d’ordre dans la nature ou la théologie qui puisse l’emporter sur l’appréciation que le sujet peut porter sur sa vie, sa mort et 44 Selon l'historien Flavius Josèphe, en 74 de notre ère un millier de juifs - hommes, femmes et enfants décidèrent de brûler la forteresse où ils étaient retranchés et de se suicider plutôt que d'être pris vivants par les Romains qui les assiégeaient. Les Romains qui virent la multitude des cadavres ne purent qu'admirer le courage de cette résolution et ce dédain de la mort. 45 Les Eglises protestantes suivent en général plutôt une position kantienne. 46 David Hume, Essai sur le suicide, Traduction française de Martine Bellet, 2002, p. 10. Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Le suicide Page 14/36 20/12/2002 sa souffrance. Ou plutôt, l’attachement à notre vie et la peur de la mort nous sont si naturels que si quelqu’un estime que la souffrance l’emporte sur ce qui le prévient d’attenter à ses jours, il ne revient qu’à lui d’en juger. Emmanuel Kant A l’opposé, Emmanuel Kant (1724-1804) soutient que le suicide n’est que l’expression d’une mauvaise compréhension de la liberté. Pour le comprendre, il faut rappeler dans les grandes lignes la démarche de Kant. Le but de Kant est de fonder une éthique contraignante et universelle qui puisse servir de garde-fou contre l’arbitraire. La méthode de Kant consiste alors à soumettre nos règles morales (maximes) à une épreuve d’universalisation qui est d’abord formelle (l’exigence d’universalité). D’où la première formulation de l’impératif catégorique : « Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse toujours valoir en même temps comme principe d’une législation universelle »47. La seconde formule l’impératif catégorique est traitée explicitement par Kant comme un développement de la formule générale de l’impératif. « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne comme dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen »48. L’idée d’humanité, en tant que terme singulier, est introduite par Kant dans le prolongement de l’universalité abstraite qui régit le premier principe. Il s’agit ici de ne pas faire acception des personnes. En revanche, l’idée de personnes comme fins en elles-mêmes introduit une idée nouvelle. Les fins sont des buts, des finalités que nous pouvons atteindre et accomplir. La seconde formule l’impératif catégorique riposte aux fausses finalités que l’agent pourrait donner à son action : se soustraire à l’exigence commune et se présenter soi-même comme seule fin nécessaire, ou bien soumettre quiconque, y compris soi-même, à une hypothétique finalité. Nous saurons que notre action est morale si et seulement si nous refusons de nous accorder quelque privilège pour nous soustraire de l’obligation que nous voulons juste pour les autres. On comprend désormais ce qu’est pour Kant la liberté comme autonomie. L’autonomie, c’est la volonté autolégislatrice, c’est-à-dire une volonté libre : libre d’abord de la loi de la causalité qui régit les phénomènes naturels, libre aussi des injonctions du désir et l’inclination, qui brouillent la voix de raison et prétendent lui donner un statut d’exception par rapport au reste des hommes. A l’aune de la double formulation de l’impératif catégorique, le suicide ne peut être accepté. Par rapport à la première formulation d’abord : Un homme, à la suite d’une série de maux qui ont fini par le réduire au désespoir, ressent du dégoût pour la vie, tout en restant assez maître de sa raison pour pouvoir se demander à luimême si ce ne serait pas une violation du devoir envers soi que d’attenter à ses jours. Ce qu’il cherche alors c’est si la maxime de son action peut bien devenir une loi universelle de la nature. Mais voici sa maxime : par amour de moi-même, je pose en principe d’abréger ma vie, si en la prolongeant j’ai plus de maux à craindre que de satisfactions à en espérer. La question est donc seulement de savoir si ce principe de l’amour de soi peut devenir une loi universelle 47 E. Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, trad. fr. de V. Delbos, revue par F. Alquie, in, Œuvres philosophiques, t. II, 1985, p. 285. 48 Ibid., p. 295. Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Le suicide Page 15/36 20/12/2002 de la nature. Mais alors on voit bientôt qu’une nature dont ce serait la loi de détruire la vie, en vertu même du sentiment dont la fonction spéciale est de pousser au développement de la vie, serait en contradiction avec elle-même, et ainsi elle ne subsisterait pas comme nature : cette maxime ne peut donc en aucune façon occuper la place d’une loi universelle de la nature.49 Par rapport à la seconde formulation ensuite car cela reviendrait à nier vis-à-vis de moi-même le respect qui est dû à ma dignité. La personne humaine – aussi bien moi-même qu’un autre doit toujours être respectée comme sujet et ne peut jamais être utilisé comme objet. Sa vie a une valeur en elle-même et pour elle-même, une valeur inconditionnelle. Aucune circonstance extérieure, altération physique ou psychique ne peut lui ôter cette valeur. Le suicide, puisqu’il utilise la personne comme un moyen en vue d’une fin (la fin de sa souffrance, ce qui lui paraît être son bonheur, etc.), ne respecte pas la dignité humaine, et n’est donc moralement pas acceptable : Celui qui songe à se suicider se demandera si son action peut s’accorder avec l’idée de l’humanité comme fin en soi. Si, pour échapper à une situation pénible, il se détruit lui-même, il se sert d’une personne uniquement comme d’un moyen destiné à maintenir une situation supportable jusqu’à la fin de la vie. Mais l’homme n’est pas une chose. Il n’est pas par conséquent un objet qui puisse être traité simplement comme un moyen, mais il doit dans toutes ses actions être toujours considéré comme une fin en soi. Ainsi je ne peux disposer en rien de l’homme en ma personne soit pour le mutiler, soit pour le dégrader, soit pour le tuer .50 Conséquentialisme Cette approche ne réfléchit pas de manière théorique sur ce qu’est la liberté ou son usage, mais elle part de l’hypothèse que tout individu recherche le plaisir et fuit la douleur et que peut être regardée comme éthique toute solution qui maximise la somme du plaisir en prenant en compte toutes les conséquences attachées à l’action. Plus concrètement encore, le suicide d’une personne peut avoir des effets dommageables sur sa famille, ses amis, ses collègues, etc. Mais si le calcul hédoniste de l’intérêt personnel l’emporte sur ce qu’elle affecte chez les autres, le suicide pourrait être moralement justifié. Dans cette perspective, et au contraire de Kant, la vie ne possède pas une valeur intrinsèque suffisante pour exclure le choix du suicide. Si le suicide est encore affaire de raison, c’est uniquement au sens de la raison instrumentale qui sait trouver les bons moyens pour parvenir à ses fins et non la raison kantienne ou stoïcienne qui indiquait au sujet un ordre dans lequel inscrire son action. Une difficulté apparaît toutefois dans cette perspective qui est de savoir si celui qui se suicide possède toutes les connaissances sur la nature de la mort et ce qui la suit, pour la choisir sciemment et volontairement. Certains défendent alors l’idée que tout suicide est irrationnel, par rapport même à l’idée de raison instrumentale51. Entre ces trois grandes écoles philosophiques, nous garderons ici de choisir, dans le cadre de ce dossier. Contentons-nous de souligner que la question du suicide soulève celle plus large encore de la liberté. La liberté consiste-t-elle à suivre la voie de notre intérêt, tant que nous ne lésons pas les autres (Hume), consiste-t-elle à suspendre tous les déterminismes pour nous soumettre volontairement à une loi qui nous place à l’égal des autres dans un respect commun 49 Ibid., p. 285-286. 50 Ibid. 51 Margaret Battin, op. cit. p. 1487. Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Le suicide Page 16/36 20/12/2002 (Kant), ou à trouver les bons moyens pour maximiser les plaisirs sur les peines (conséquentialisme). Le recours à la notion de liberté est en tous les cas discutable si l’on voit qu’une liberté « pour la mort » se détruit elle-même en détruisant l’auteur de son exercice. Le choix du suicide s’avère le choix de ne plus choisir. Comme le souligne Y. Meynard en se référant à l’existentialisme de M. Heidegger : au nom de la liberté, on s’ôte la condition même de l’exercice de la liberté : La mort volontaire est un acte qui, en rendant possible l’impossibilité de choisir désormais, rend par-là même impossible toute possibilité nouvelle d’exister. C’est le contraire d’un acte libre. L’un des mérites de ces analyses existentielles c’est de nous faire remarquer que le suicide n’est pas un choix véritable. Or, la liberté se pense en terme de choix et d’option. Le choix effectif n’est possible que dans l’existence même: on ne saurait choisir entre la vie et la mort mais seulement entre plusieurs possibilités à l’intérieur de la vie, dans le champ de la conscience où s’ouvre l’éventail des virtualités. C’est dire qu’on ne choisit pas de mourir. On choisit ceci ou cela, mais on ne saurait choisir de ne plus choisir. Cesser de pouvoir choisir c’est, en effet se priver de toute raison d’être et détruire toute liberté. Seul le nihiliste pourrait voir dans le suicide l’accomplissement de la liberté mais à condition de faire de cet accomplissement un renoncement radical, autant dire un échec retentissant.52 VII. REPRISE DES CAS Cas 1 : Françoise est une adolescente de 16 ans qui habite chez ses parents, avec deux frères plus jeunes qu’elle, dans une maison située à proximité de la ville dont elle fréquente le gymnase. Elle obtient des résultats suffisants bien qu’elle participe sans trop d’enthousiasme aux cours : ses enseignant(e)s ne se plaignent toutefois pas de son attitude. Pourtant, Françoise souffre et ses camarades s’en sont aperçus car elle ne participe ni aux activités de groupe (camping, sports, etc.) ni aux fêtes organisées par la classe. Ils ne parviennent cependant pas à connaître les causes de son mal-être. Ses parents sont ouvriers et travaillent tous deux à plein temps. Le matin, ils partent avant que leurs enfants prennent le bus pour l’école. Quand ils rentrent à la maison le soir, ils sont très fatigués et n’ont pas de temps à consacrer à leurs enfants ni même parfois aux tâches domestiques. Son père boit une bière devant la TV, alors que sa mère travaille à la cuisine ou repasse, elle aussi devant le petit écran. Ils se disputent souvent : Françoise ne supporte pas ces conflits. D’autant plus que son père est irascible et frappe parfois sa femme. Une fois Françoise a craqué et est intervenue, mais elle a failli être frappée à son tour. Depuis lors, elle se retire dans sa chambre et se borne à écouter les disputes qui éclatent dans la salle à manger. Ces derniers mois, ils parlent de plus en plus souvent de divorce pendant leurs altercations. La semaine dernière, son père n’est pas rentré et nul ne sait où il se trouve. Françoise pleure et ne supporte pas cette absence mystérieuse. Deux jours durant, elle ne se rend pas à l’école. Le directeur appelle sa mère pour en savoir plus. Mais Françoise se cloître dans sa chambre car elle ne veut parler à personne. Le matin suivant, elle ne se réveille pas et sa mère la découvre plongée dans un profond sommeil : une boîte d’analgésiques se trouve sur sa table de chevet. Elle essaye de réveiller sa fille, mais en vain. L’ambulance est appelée : transportée à l’hôpital où elle reçoit les soins d’urgence, Françoise revient à elle mais continue à pleurer 52 Le suicide, p. 30 et 51. Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Le suicide Page 17/36 20/12/2002 devant sa mère et les médecins. Peu après, elle est prise en charge par une psychologue, avec laquelle elle pourra partager sa souffrance. Quelques jours plus tard, la psychologue rencontrera les parents, en les mettant en face de leurs responsabilités : s’ils veulent garder leur fille vivante, il serait souhaitable qu’ils décident de réfléchir sur la qualité de leurs relations et de trouver des solutions à leurs tensions, en privilégiant le dialogue. Françoise continue un traitement psychothérapeutique pendant quelques mois. Son père entreprendra également une thérapie pour apprendre à gérer sa violence. Une année plus tard, la situation familiale, si elle n’est pas idéale, s’est néanmoins améliorée. La mère ne travaille plus qu’à 50 %. Le drame de leur fille a ressoudé quelque peu les parents, et la question du divorce a été abandonnée. Françoise s’intègre mieux dans le gymnase et ses résultats s’en ressentent. Cas 2. Bernard est un veuf à la retraite depuis 7 ans. Sportif et d’une solide constitution, il accepte difficilement les symptômes de l’âge. Suite à quelques ennuis de santé il y a une année, il est devenu membre de l’association EXIT. Bien décidé à ne pas vivre la déchéance, il sait que si une maladie ou un handicap grave se présentait, il n’hésiterait pas à se donner la mort. Depuis un peu plus de deux mois, il souffre d’une douleur au côté qui va en s’accentuant. Pendant les premiers temps, il n’y a pas vraiment porté attention, étant habitué à ne pas faire grand cas de la douleur. Mais celle-ci devenant de plus en plus lancinante, il décide d’aller voir son médecin. Un IRM permet de diagnostiquer un cancer du foie avec plusieurs métastases au poumon. Le médecin, connaissant bien son client, ne lui cache pas ce diagnostic fatal. Bernard encaisse durement le coup : il reste plusieurs jours cloîtré chez lui, effondré. Il prend contact avec un médecin d’EXIT. Il ne veut pas vivre ce qu’il considère comme une déchéance. Au jour convenu, le dit médecin se présente à son domicile avec la dose requise de Penthotal. Sans hésiter, Bernard avale le produit létal et, le surlendemain, la police le retrouve sans vie. Cas 3. Jacques est un célibataire âgé de 34 ans, sous-directeur dans une entreprise de bâtiment. Intelligent, dynamique, il vit néanmoins dans ce qu’on pourrait appeler une dépression latente. Il peine quelque peu dans les relations, et celles-ci- restent au niveau professionnel. Lors de coups durs, il est parfois animé par des sentiments de paranoïa. Un jour, il reçoit la lettre de congé de son entreprise. C’est l’effondrement et la dépression grave. Celle-ci ne va pas en s’améliorant au fil des mois, d’autant plus que ses multiples tentatives pour retrouver un travail échouent. Les idées suicidaires deviennent toujours plus fréquentes et précises. Deux ans après la perte de son emploi, il prend une dose importante de médicaments. Il s’en tirera avec quelque jours de soins intensifs. Il commence ensuite une psychothérapie. Très sceptique quand à l’efficacité des anti-dépresseurs, il finit quand même par les accepter, sans trop y croire, comme un soutien temporaire. Après une brève période de rémission, il replonge de nouveau pendant plus d’une année. Son état se stabilise alors, et il retrouve le goût de vivre. Il est heureux que sa tentative de suicide n’ait pas réussi, et avoue qu’il aurait perdu une partie importante de sa vie. Cas 5. Antonio a travaillé quarante ans dans l’administration cantonale où il a été nommé chef de service juste avant son départ à la retraite. Sa vie professionnelle a toujours été satisfaisante, sa vie de famille a été pour le moins harmonieuse. Son mariage est resté stable pendant plus de quarante ans, jusqu’à la mort de son épouse. Ses enfants sont tous mariés avec des enfants. Tout s’est donc bien passé dans sa vie: il y a deux ans cependant, il est atteint d’une grave insuffisance rénale, que les médecins ont tenté, dans un premier temps, de traiter avec des médicaments. Après diverses tentatives échouées, on lui propose de se Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Le suicide Page 18/36 20/12/2002 soumettre, trois fois par semaine, à une dialyse. Les médecins ont opté pour cette solution plutôt que pour une greffe d’organe à cause de son âge avancé (il est à la retraite depuis plus de cinq ans maintenant) et de la longueur de la liste d’attente pour ce type d’intervention. Antonio se rend donc trois fois par semaine à l’hôpital où il est “dialysé”. Il accepte les soins sans difficultés apparentes. En général, il passe les quatre heures que dure la dialyse à lire le journal, à parler avec ses voisins, à écouter de la musique écouteurs aux oreilles. Cinq ans de dialyse se sont écoulés sans complications particulières. Mais à 75 ans, un cancer se déclare au foie, avec assez rapidement des métastases. Après une longue discussion avec son médecin, il décide de ne pas entreprendre de chimiothérapie et, dès que son cancer s’aggravera, d’interrompre la dialyse rénale (en cas d’interruption, la mort s’ensuit dans les dix jours). Un vendredi après-midi, il salue le médecin qui passe régulièrement lors de chaque séance et l’informe qu’il ne viendra pas le mardi suivant pour la dialyse. Il souhaite seulement que soient soulagées au mieux ses douleurs, sans pour autant provoquer la mort. Le médecin lui demande donc de préparer ses affaires et, selon l’option qu’a choisie Antonio, de rester à l’hôpital. Huit jours plus tard, après une agonie paisible, il rend son dernier soupir. Cas 6. Muhammad est un père de famille de deux enfants. Il a vécu en Irak jusqu’à l’âge de 16 ans. Il est parti d’abord en Arabie Saoudite, où il se maria. C’est là qu’il fit la connaissance de Ben Laden. Après cinq ans, il se rendit en Afghanistan. S’étant enrôlé dans l’organisation Al-Quaïda, il y suivit la formation très rigoureuse de ceux qui se destinent à des attentas suicides. Après trois ans, il est mis partiellement au courant d’un projet d’attentat aux ÉtatsUnis. En 1990, il s’installe à New York. Le 11 septembre 2001, il prend l’avion pour Paris. Il sait que son dernier jour est venu, mais il n’a pas peur : il est convaincu de mourir martyr pour une juste cause, contre le « Grand Satan », et de mériter ainsi le paradis. Sa seule crainte est que les choses ne se déroulent pas comme prévu. Peu de temps après, le Boeing dont il a pris les commandes s’écrase contre une des tours du World Trade Center. Discussion sur les cas 1. Françoise : Les tentatives de suicides d’adolescents sont le plus souvent des appels de détresse. Par son geste, l’adolescent cherche à communiquer sa souffrance à son entourage, et veut susciter des changements de leur part. « Une grande envie de mourir, c’est aussi une grande envie de vivre une autre vie que la sienne » . L’adolescent a souvent beaucoup de peine à demander de l’aide et, d’autre part, craint de partager ses idées suicidaires de peur d’être pris pour un fou. 2. Bernard : Le suicide de Bernard est à classer dans la catégorie des suicides dit rationnels. Les personnes effectuant ce type de suicide sont souvent liées à l’association EXIT. 3. Jacques : Le cas de Jacques est un exemple typique de tentative de suicide dans un état dépressif. Selon des analyses statistiques, près d’un tiers des suicides « réussis » sont liés à une dépression. Si tous les suicides ne peuvent être reliés à des troubles d’origine psychologique, les statistiques font néanmoins ressortir une corrélation entre suicide et maladie psychique. Un bon nombre de tendances suicidaires disparaissent suite à un traitement de la dépression. 4. Antonio : Dans le cas d’Antonio, nous avons à faire avec une interruption de traitement avec la mort dans les 10 jours selon toutes probabilités. Aujourd’hui, près de 70 à 80 % de la population meurt à l’hôpital. Il en résulte que la mort s’est beaucoup médicalisée et technicisée. Plus du quart des décès résultent d’une Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Le suicide Page 19/36 20/12/2002 interruption de traitement. C’est dire combien le monde hospitalier est confronté à ce problème. Certains disent que l’on ne mourra bientôt plus de mort naturelle. La discussion sur la différence entre euthanasie active et interruption d’un traitement de survie dépasserait notre propos. Il convient seulement de signaler qu’il n’y a jamais de certitude absolue quand aux conséquences d’une interruption de traitement. H. Doucet affirme « qu’il y a à peu près 10 % de mauvais diagnostics et que près de 10% des patients dont le dossier indique de ne pas réanimer quittent l’hôpital en vie ». Tout autre est le cas de l’euthanasie active, où la mort est toujours au bout, la mort doit arriver, et si elle tarde, on s’arrange pour la faire advenir. Il faut aussi signaler que l’euthanasie active introduit un processus mortel autre que celui déjà en cours du fait de la maladie. Dans le cas de l’interruption de traitement, la personne décède de sa maladie ; et il n’est pas demandé à la médecine de rendre l’homme immortel ! 5. Muhammad : Attentat suicide. Ce type de suicide est très particulier, car la mort personnelle n’est pas recherchée en soi (encore que dans le cas de l’Islam, le paradis est promis à celui qui pose cet acte jugé héroïque): ce qui est visé, c’est de provoquer le maximum de dégâts et de morts chez l’ennemi. Autre serait le cas de l’immolation par le feu, où la mort est explicitement recherchée pour attirer l’attention. Autre encore serait le cas de celui qui sacrifie sa vie pour sauver une tierce personne : dans celui-ci, la mort n’est pas recherchée comme telle ; le risque, qui peut être parfois très grand, en est seulement accepté. Si les attentats suicides sont interprétés comme des martyrs par la branche extrémiste de l’Islam, il faut néanmoins signaler qu’ils se distinguent complètement des martyrs où l’individu n’est pas l’auteur de sa propre mort ni celle d’autres personnes innocentes. Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Le suicide Page 20/36 20/12/2002 VIII. LA PREVENTION DU SUICIDE Quel que soit le modèle auquel on se réfère pour expliquer le suicide, l’entourage doit pouvoir agir pour prévenir le suicide des adolescent(e)s, car le suicide de l’adolescent n’est pas libre. Il résulte soit de facteurs externes qui affectent le sujet (facteurs sociaux dans le modèle sociogénique ; facteurs distaux et proximaux de risques dans le modèle médical, souffrance qui induit l’appel dans le modèle « appel au secours »). Il faut donc que, face à tout jeune en « situation de mise en danger », au sens du droit (cf. cidessus), les enseignant(e)s puissent intervenir. La question est alors de savoir comment. 1. La reconnaissance du risque Deux stratégies complémentaires doivent pouvoir contribuer à reconnaître un risque de suicide avant la tentative : l’identification d’indices verbaux et de comportement, et la description des variables sociales, psychologiques, éthiques, etc. associées au suicide. L’identification d’indices verbaux et de comportement L’essentiel est que l’entourage sache lire les signes qui lui sont adressés. La prévention du suicide des jeunes repose ainsi, avant toute chose, sur l’information de ceux qui sont en contact avec les adolescent(e)s, pour qu’ils sachent reconnaître les symptômes qui signalent l’imminence possible d’une tentative de suicide. Tous ces signes sont repérables par tous, et même si certains sont particulièrement parlants pour les soignants, la plupart sont détectables par les proches, qu’ils soient parents, amis, enseignant(e)s. Lorsque l’adolescent a commis une tentative de suicide avortée, le signe est encore plus manifeste. Parfois, il peut s’agir d’avertissements directs (« je vais me suicider »), plus souvent le symptôme est indirect ; par exemple : avertissement indirect (« je ne vous verrai sans doute plus »), certains comportements (faire don de ses objets préférés), une difficulté progressive de concentration, un décrochage scolaire, une tristesse permanente, etc. Ces signes indiquent que l’adolescent « n’en peut plus » et qu’il a besoin d’une aide extérieure. Ce n'est toutefois pas parce qu'un jeune parle de suicide qu'il souhaite mourir ou fait des projets de suicide. La description des variables sociales, psychologiques, éthiques, etc. associées au suicide Le repérage des données épidémiologiques et des facteurs de risque distaux exposé ci-dessus peut certainement aider l’enseignant(e). De même, sur un autre plan, le rappel des grandes théories éthiques sur le suicide, exposé cidessus, pourra donner des outils d’interprétation des références culturelles et idéologiques des élèves. 2. La réaction de l’entourage En amont de toute pensée des jeunes au suicide, nous avons souligné dans les données épidémiologiques et parmi les facteurs distaux que l’insertion des jeunes était une variable positive de prévention. Le mieux à faire est donc, de manière générale, de faire en sorte que la classe soit l’occasion pour le jeune de - fréquenter une école de bonne qualité (climat) : Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Le suicide Page 21/36 20/12/2002 - conforter l’estime de soi, en particulier à travers la conscience que sa vie a un sens et qu’il peut avoir des projets personnels d’accomplissement, qui peuvent s’exprimer dans des mots ; - comprendre et d’assumer quelles sont ses propres responsabilités, c’est-à-dire de se reconnaître comme l’auteur de ses actes et d’en assumer les conséquences ; - se sentir utile et reconnu dans un groupe ; - avoir établi un lien privilégié avec au moins un adulte. Bien entendu, l’ensemble du système scolaire devrait, tel qu’il est aujourd’hui, permettre de répondre à ces objectifs. En particulier, l’aspect « éthique » développé dans l’ensemble des dossiers « Aujourd’hui l’éthique » devrait pouvoir y contribuer. Reste que, malgré tout, il pourra se trouver un certain nombre de situations où l’enseignant(e) pourra repérer des indices de risque de suicide avant toute tentative, sans qu’il doive nécessairement se remettre en cause sur la manière dont il s’est comporté par le passé vis-àvis de cet élève ou de la classe. Une fois le risque identifié, la question est de savoir comment réagir. La manière de réagir de l’entourage est essentielle. Selon son attitude, l’entourage peut renforcer le sentiment d’incompréhension de l’adolescent(e), désinhiber le suicide ou aider le jeune à dépasser la crise qu’il traverse53. L’enseignant a alors certainement un rôle essentiel à jouer : d’abord en entendant les messages qui lui sont transmis par l’élève et en lui signifiant qu’il les entend. Ce faisant, il manifeste à l’élève qu’il le prend au sérieux, qu’il peut écouter les raisons que le jeune pourrait avancer sans les banaliser ou les relativiser, tout en laissant à la volonté éventuelle de suicide sa gravité. L’adulte manifeste ainsi son envie de s’intéresser à la vie de l’adolescent qui pourra en retour réveiller l’intérêt de l’adolescent à sa propre vie. Par-delà la relation à deux de l’enseignant(e) et de l’élève, le travail de réseau est fondamental. Bien des établissements scolaires, ont des personnes de référence, qui doivent être considérées comme les interlocuteurs privilégiés par tout enseignant confronté à un(e) jeune en danger. La possibilité d’avertir les parents d’un élèves devra être évaluée de cas en cas. En effet, l’expression d’idées suicidaires pourrait refléter une situation familiale difficile, dans laquelle le signalement aux parents serait insuffisant ou contre-indiqué. Dans une optique de prévention, des réseaux fonctionnels, intégrant l’environnement scolaire, mais aussi les familles et des professionnels devraient être mis en place bien avant que surviennent des situations d’urgence. Dans l’esprit de la Charte d’Ottawa (Annexe 7), on pourrait aussi mettre l’accent sur des démarches participatives, qui associeraient des jeunes aux projets de prévention collectifs. Plus généralement, la Suisse offre aujourd’hui de nombreuses possibilités : Programmes fédéraux de prévention de la rupture d’apprentissage, Réseau des écoles en santé, propositions de l’Education à la citoyenneté, réflexions du groupe de travail romand EDUPRE (Education - prévention), la proposition tessinoise d’une formation autour de la santé des jeunes à tous les enseignant(e)s de culture générale des écoles professionnelles, etc. Selon le modèle médical, une prise en soins psychologique et médicale est hautement souhaitable. L’ANAES (1998) en France recommande même une hospitalisation systématique d’au moins trois jours de tout adolescent suicidant. Il existe quelques rares unités hospitalières 53 On sait ainsi, par exemple, qu’à l’époque de la publication du roman Les souffrances du jeune Werther (Die Lieden des jungen Werthers) par Johann Wolfgang von Goethe, beaucoup de jeunes se donnèrent la mort. Doiton dire alors que ces jeunes n’étaient pas libres et qu’ils furent engagés à se suicider, ou que le roman désinhiba certains tabous, ou qu’ils firent acte de liberté ? Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Le suicide Page 22/36 20/12/2002 spécifiques54. L’hospitalisation présente à l’adolescent une alternative à la rupture par rapport au quotidien, recherchée par l’adolescent dans son geste suicidaire. Une hospitalisation dans un service spécifique pour jeunes suicidants se donne comme but d’accompagner l’adolescent dans l’indispensable travail de réaménagement de ses ressources (internes et externes), ressources dont le suicide tenté a indiqué de façon incontestable les limites. Dans le modèle « appel au secours », une aide extérieure peut également s’avérer nécessaire, et, si elle n’est pas tout à fait vue de la même manière que dans le modèle médical, elle peut être aussi conçue de manière complémentaire. Un soutien psychologique extérieur, voire même une hospitalisation, peuvent contribuer à favoriser la reconstruction de liens avec l’entourage naturel de l’adolescent, afin de le réinsérer dans un réseau social fonctionnel qui prendra le relais. L’accompagnement thérapeutique psychologique, et/ou spirituel, passera par l’expression de la souffrance (sa « mise en forme » verbale ou non), par l’accueil, l’écoute, la recherche de compréhension du «pourquoi » et, le cas échéant, par un processus du deuil. L’intervention de thérapeutes visera la résilience (Annexe 8). Les capacités de résilience ( de « faire avec », de rebondir - cf. bibliographie) sont multifactorielles. Le rôle des thérapeutes est de mettre à jour les potentialités de réparation de l’être humain et, à partir de ces « socles » de dégager des pistes (« tuteurs ») qui favoriseront un processus de restructuration évolutif. Par ailleurs, en cas de suicide tenté ou fatal, il est certain que l’événement est un traumatisme pour l’entourage ; il nécessite donc aussi une intervention. Que se soit en suivi individuel (avec la personne directement concernée par la tentative de suicide, un membre de la famille, un ami, un enseignant, …) ou/et en suivi collectif (avec les proches 55, l’ensemble de la famille, la classe, etc.), l’intervention soulèvera nécessairement des questions plus fondamentales encore quant au sens de la l’existence humaine, de la vie et de la mort, de la liberté, de la relation vis-à-vis de soi-même et des autres. 3. La prévention du suicide ; récapitulation On ne peut parler de prévention du suicide à un seul niveau. Toute politique de prévention devait comprendre au moins les trois niveaux suivants : 1) La prévention spécifique du suicide, lorsque les jeunes présentent une vulnérabilité particulière et manifestent des signes manifestes de risque de suicide avant la tentative (approche individuelle). 2) La prévention globale du mal-être chez les jeunes qui, non- reconnu, peut faire prendre des risques inconsidérés pour leur santé (approche individuelle et collective). 3) La promotion générale de la santé et du bien-être à l’école (approche collective ; cf. Charte d’Ottawa). 54 A Genève, service du prof F. Ladame ; à Bordeaux, service du Dr. Pommeraux ; à Brest, service du Prof. Walter. 55 Perret-Catipovic, (1999). Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Le suicide Page 23/36 20/12/2002 IX. LEXIQUE Mots Clés et définitions Assassinat 1. Meurtre commis avec préméditation, guet-apens. Cf. Crime 2. Exécution légale d’un innocent. Auto conservation Conservation de soi-même, défense de sa propre vie. Comportement suicidaire Série d’actions par lesquelles une personne attente à son intégrité physique dans le but de se donner la mort. Délit 1. (Sens large) Toute infraction à la loi, punie par elle. V. Contravention, crime, faute, délinquant 2. (Sens restreint) Infraction punie de peines correctionnelles. Dépression État mental pathologique caractérisé par de la lassitude, du découragement, de la faiblesse, de l’anxiété. V. Déprime, mélancolie, neurasthénie. Euthanasie Usage des procédés permettant de hâter ou de provoquer la mort de malades incurables pour leur épargner des souffrances extrêmes ou pour tout motif d’ordre éthique. Mort 1. Cessation de la vie d’un homme, un animal, une plante. Se donner la mort… Pathologie 1. Partie de la médecine qui étudie les causes et l’évolution des maladies - 2. (ext.) Maladie - 3. Ensemble des conditions atypiques ou dégénérées par rapport à la norme dans le fonctionnement d’un être, dans le comportement d’une personne. Suicide 1. Action de causer volontairement sa propre mort (ou de le tenter) pour en terminer avec la vie. 2. Le fait d’aller volontairement à la mort. Tentative de suicide Tentative par laquelle on s’efforce de provoquer sa propre mort ou, plus généralement, par laquelle on attente à son intégrité physique Thérapie 1. Synonyme de thérapeutique (partie de la médecine qui étudie et utilise les moyens propres à guérir et à soulager les malades). 2. Traitement des troubles mentaux et psychosomatiques (V. Analyse, psychanalyse, psychothérapie). Vie Ensemble des phénomènes (croissance, métabolisme, reproduction) que présentent tous les organismes, animaux ou végétaux, de la naissance à la mort. En italique figurent les définitions tirées du fascicule “Adolescents et suicide” (CPAM, DFP, 1998) Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Page 24/36 20/12/2002 Le suicide X. BIBLIOGRAPHIE La littérature sur le suicide et nous ne proposons ici qu’une sélection :. AGENCE NATIONALE D’ACCREDITATION ET D’EVALUATION EN SANTE (ANAES), Prise en charge hospitalière des adolescents après une tentative de suicide, Paris, 1998. AMERY, J., Porter la main sur soi, Arles, Actes sud, 1996. ANCTIL, H. et Alii, Les suicides, Montréal, Fides, coll. « Les cahiers de recherche éthique », no.11, 1985. BAECHLER, J. : Les suicides. Paris : Calman-Lévy, 1981. BAERTSCHI, B : Respect de l’autonomie et bienfaisance: le médecin face au suicide . Genève: Folia Bioethica, 1999. BATTIN, Margaret, article « suicide », Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, M. Canto-Sperber (éd.), Paris, Puf, 1997, p. 1484-1489. 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ANNEXES Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Page 28/36 20/12/2002 Le suicide Annexe 1. Taux de suicide des 15-24 ans dans quelques pays 2 Italie 6.5 3.5 Suède 13.1 4.3 France Femmes 3.7 Etats-Unis 23.4 6.3 Canada 25.5 4.5 Australie Hommes 16 27.9 5.2 Suisse 30.5 5.8 Nouvelle Zélande 39.4 7.8 Finlande 0 10 45.5 20 30 40 50 (Taux de suicide pour 100 000 habitants) Tiré de JOHNSON, G. R., KRUG, E. G. et POTTER, L. B. (2000) Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Page 29/36 20/12/2002 Le suicide Annexe 2 : Taux de suicide en Suisse en 199956 120.0 Hommes Femmes Taux de suicide : nombre de suicides pour 100'000 habitants 100.0 80.0 60.0 40.0 20.0 85 et plus 80 à 84 75 à 79 70 à 74 65 à 69 60 à 64 55 à 59 50 à 54 45 à 49 40 à 44 35 à 39 30 à 34 25 à 29 20 à 24 15 à 19 10 à 14 5à9 0à4 0 0.0 Groupes d'âges *Source : Office Fédéral de la Statistique (2002) 56 Il s’agit des derniers chiffres disponibles au moment de la rédaction de cet article (juin 2002). Pour publier des chiffres fiables, l’Office Fédéral de la Statistique a besoin d’un certains temps pour récolter et vérifier les données. Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Page 30/36 20/12/2002 Le suicide Annexe 3 : Proportion des suicides par âge dans l’ensemble des causes de décès en Suisse en 1999 Nombre de décès dus aux "Suicides"/ Nombre de décès "Toutes causes de décès" 0.300 0.285 Hommes Femmes 0.267 0.250 0.229 0.217 0.208 0.200 0.197 0.184 0.150 0.134 0.141 0.134 0.105 0.100 0.096 0.069 0.068 0.051 0.050 0.046 0.025 0.018 0.000 0.000 0 0.000 0à4 0.013 0.009 0.000 5à9 10 à 14 15 à 19 20 à 24 25 à 29 30 à 34 35 à 39 40 à 49 50 à 59 60 à 69 70 à 79 0.007 0.002 80 et + Groupes d'âges Source : Office Fédéral de la Statistique (2002) Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Page 31/36 20/12/2002 Le suicide Annexe 4. Causes de décès en Suisse en 1999 pour les 20-24 ans 18.00 16.52 (68) 16.00 Taux pour 100'000 habitants 14.00 12.63 (52) 12.00 10.69 (44) 10.45 (43) 10.00 7.77 (32) 8.00 5.34 (22) 6.00 4.00 2.19 (9) 2.00 0.97 (4) 0.00 Maladies infectieuses Cancers Appareil circulatoire Accidents de la route Suicides Autres accidents et traumatismes Abus de substances Autres causes de décès [Taux pour 100'000 habitants] Entre parenthèses : (chiffres absolus) [Ensemble des décès : 66.57 (274)] Accidents et traumatismes : 39.60 (163) Source : Office Fédéral de la Statistique (2002) Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Page 32/36 20/12/2002 Le suicide Annexe 5 - Facteurs de risque proximaux et distaux Facteurs biologiques génétiques Facteurs et socio- Age, sexe, appartenance ethnique, situation démographiques socio-économique, niveau d’instruction Caractéristiques et vécu familiales Psychopathologie parentale, conflits, perte infantile d’un ou de plusieurs parent, soins parentaux, abus, autres dysfonctionnements familiaux Facteurs Evénements de vie, facteurs environnementaux précipitants, facteurs d’imitation ou de contagion, influence des média, accès aux moyens Suicide tentative et desuicid e Morbidité Troubles mentaux, troubles psychiatrique de la personnalité, comorbidité, tentatives de suicide antérieures, traitement psychiatrique antérieur Traits de et styles personnalité cognitifs Facteurs de risque proximaux et distaux (d’après A. Beautrais, 2000) Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Page 33/36 20/12/2002 Le suicide Annexe 6 Exemples d’odds ratio pour les principaux facteurs de risque de tentative de suicide (TS) ou de décès par suicide (S) Trouble de l’humeur (p. ex. dépression) Abus/dépendance de substances Divorce/séparation des parents Troubles psychiques chez les parents Abus sexuel dans l’enfance Violence subie ou agie Suicide dans la famille Drop out de l’école Tentative de suicide antérieure Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 4,6 à 28 (TS) 1,7 à 11,5 (TS) 1,8 à 1,9 (TS) dépression : 11 (S) ; abus de substances : 10,4 (S) 5 à 6 (TS) 4,3 (TS) 4,3 à 4,6 (S) 5,1 (S) 17 à 19 (S) ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Page 34/36 20/12/2002 Le suicide Annexe 7 Promotion de la santé en milieu scolaire d’après Ottawa La charte d'Ottawa décrit la santé comme une ressource pour la vie quotidienne, et non pas comme le but de la vie. La promotion de la santé est rendue possible par un effort concerté de différents secteurs, parmi lesquels les secteurs sociaux et de l'éducation ont un rôle aussi central que le médical. Pour les services de santé, mais aussi pour d'autres secteurs, cette conception correspond à un renversement de certaines conceptions. La promotion de la santé favorise l'autonomie de chacun en s'appuyant sur la dynamique propre à chaque communauté. La définition de la promotion de la santé implique au niveau scolaire : élaborer une politique scolaire saine par des actions législatives et des changements organisationnels garantir des milieux scolaires favorables en créant des conditions de vie et de travail sûres, stimulantes, plaisantes et agréables renforcer l'action communautaire en s'appuyant sur les ressources humaines de l’école, afin de stimuler la participation et le contrôle des élèves et des adultes dans les questions de santé, dans la conception et l’élaboration d’actions de promotion de la santé promouvoir l’information et le perfectionnement des aptitudes individuelles indispensables à la vie, afin que l'individu puisse exercer un plus grand contrôle sur sa propre santé et faire des choix favorables à celle-ci organiser en partenariat l'action des professionnels médico-socio-scolaires pour oeuvrer ensemble à l'élaboration du processus de promotion de la santé, afin de soutenir les individus et la communauté scolaire, élèves et adultes, dans l'expression de leurs besoins de santé et dans l'adoption de modes de vie sains. La dynamique nécessaire au développement de la promotion de la santé repose donc sur la volonté de rassembler les membres de la communauté autour des intérêts et préoccupations qui les rassemblent, afin d'améliorer le lieu de vie et le climat de l’école. Ceci permet que chacun (quelque soit sa place) se trouve bien à l'école et puisse se développer et/ou se réaliser. Ce processus crée des conditions favorables à la prévention : de l'exclusion par l'accueil et l'intégration des différences, en favorisant l'implication de tous dans la vie de l'école de l'échec scolaire en donnant l'envie d'être à l'école, car on s'y sent bien, en sécurité, en confiance, valorisé, conditions nécessaires pour avoir envie d'apprendre de la violence en reconnaissant les besoins individuels et collectifs, ce qui permet de développer l'esprit de tolérance de la délinquance en développant l'altruisme, facteur protecteur le plus puissant des toxico-dépendances et autres prises de risques inconséquentes par l'anticipation des effets secondaires recherchés (reconnaissance, affirmation de compétences, établir la communication) des situations menaçant l'individu par la consolidation d'un réseau repérable, ouvert et accessible en cas de difficultés, de souffrance de la dépression, du suicide... Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Le suicide Page 35/36 20/12/2002 Annexe 8 Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011 BBT-LB-BC AUJOURD’HUI L’ETHIQUE - ETHIK HEUTE - ETICA OGGI Enseignement de CG Le suicide Page 36/36 20/12/2002 XII. TABLE DES MATIERES I. INTRODUCTION 2 II. PLAN 3 III. DONNEES EPIDEMIOLOGIQUES 3 IV. DONNEES JURIDIQUES 5 V. MODELES D’EXPLICATION DU SUICIDE ET PREVENTION 8 1. DEFINITIONS 8 2. LE MODELE MEDICAL DU SUICIDE 9 3. LE MODELE DE « L’APPEL AU SECOURS » 11 4. LE MODELE SOCIOGENIQUE 11 VI. QUELQUES THEORIES ETHIQUES SUR LE SUICIDE 12 VII. REPRISE DES CAS 16 VIII. 20 LA PREVENTION DU SUICIDE 1. LA RECONNAISSANCE DU RISQUE 20 2. LA REACTION DE L’ENTOURAGE 20 3. LA PREVENTION DU SUICIDE ; RECAPITULATION 22 IX. LEXIQUE 23 X. 24 BIBLIOGRAPHIE XI. ANNEXES 27 XII. TABLE DES MATIERES 36 Dossier 2 : Le suicide 20.12.02 ALE/3/EH/EO/ 21/03/2011