Comment lutter ? Sociologie et mouvements sociaux

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Comment lutter ? Sociologie et mouvements sociaux
agrégation de sciences économiques et sociales
préparations ENS 2006-2007
fiches de lecture
Les approches sociologiques de la culture
Mathieu (2004) : Comment lutter ?
Fiche de lecture réalisée par julie Genet (ENS LSH)
MATHIEU Lilian (2004), Comment lutter ? Sociologie et mouvements
sociaux, Paris, Textuel, coll. « La discorde », 206 p.
CHAPITRE 1 QU’EST-CE QU’UN MOUVEMENT SOCIAL ?
1. Qu’est-ce qu’un mouvement social ?
⇒ Une première composante est la dimension collective. Ne va pas de soi car est dans bien des cas un enjeu mais
aussi le produit de toute dimension.
⇒ Tout aussi hasardeux de postuler que c’est autour des fins partagées ou de projets communs que des individus
en viennent à coordonner leurs actions dans un même mouvement social. Au contraire, c’est généralement en
fonction de projets, de définitions de la situation et de visées tactiques disparates que des individus convergent vers ce
qu’ils se représentent plus ou moins à tort comme une même cause. Oublier cette hétérogénéité interne, ou cette
dispersion constitutive des mobilisations expose à ignorer ce qui représente pourtant un des moteurs les plus
importants de leur dynamique. De même, le sens et les objectifs d’un mouvement ne sont jamais donnés d’emblée,
mais sont le produit de la concurrence à laquelle ses différentes composantes se livrent en son sein pour l’imposition
de leur propre définition de la lutte.
⇒ Association dans la définition de différents traits : dimension perturbatrice, exclusion du jeu politique légitime
ou institutionnel, recours privilégié au sein des couches sociales dominées. On constate que le recours à l’action
protestataire n’est pas tant le fait des plus dominés que de ceux que l’on pourrait appeler les dominants parmi les
dominés. S’engager dans un mouvement social exige en effet un certain nombre de compétences dont sont
généralement démunis les membres des populations démunies ou exclues i.e. forte politisation ou fort niveau de
diplômes ; cf. Siméand et Mathieu (Les mobilisations des prostituées, 2001) L’engagement des sans papiers et
prostituées est dépendant de l’engagement de militants aguerris qui dans bien des cas, n’appartiennent pas à leurs
groupes. La thèse d’un recours à l’action collective comme effet de l’exclusion politique se heurte elle-aussi à
plusieurs difficultés ⇒ cette angle envisage alors la protestation comme une carence ou une privation. Penser le
mouvement social en termes perturbateurs signifie que certains mouvements relèvent d’une forme non
conventionnelle. On aurait toutefois tort de rejeter totalement la dimension perturbatrice des mouvements sociaux en
ce qu’elle signale ce qui constitue effectivement une de leurs composantes essentielles, à savoir le conflit. Le
mouvement social implique une part de rapport de force ⇒ Mouvements sociaux qui doivent être analysés au travers
des relations qu’ils entretiennent avec un environnement politique, social et économique .
⇒ Orientation vers le changement social.
2. Les mouvements sociaux entre économie, politique et société.
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Logiciel marxiste d’analyse qui a perdu de son influence après les années 1970. Ce déclin est en partie lié au
développement de luttes difficilement saisissables en termes économiques, ainsi qu’à l’apparition d’une nouvelle
grille sociologique que l’on a pris l’habitude de désigner comme celle des nouveaux mouvements sociaux (NMS). ⇒
cf. R. Inglehart : dans les sociétés post-industrielles : besoins matériels immédiats satisfaits, revendications qui se
déplaceraient vers des revendications post matérialistes. Pour Melucci, cette revendication est le droit de réaliser sa
propre identité ⇒ caractéristique centrale des NMS mais aussi politisation de la sphère privée, vive attention à la
dimension corporelle, intérêt pour les marges et la déviance, désir d’autonomie et d’indépendance vis-à-vis de l’Etat
et de ses appareils de contrôle social, fort accent sur la solidarité, spontanéité et participation directe, rejet des
hiérarchies, autorité et délégation de pouvoir, dimension utopique. NMS qui n’ont en aucun cas remplacé les luttes
matérialistes (cf. Fillieule, 1997). De plus même les mobilisations les plus matérialistes font l’objet d’une dimension
identitaire minimale. ⇒ usages normatifs qu’ont pu faire certains sociologues d’une opposition entre militantisme
ancien et nouveau = disqualification des formes traditionnelles d’engagement. Développer ce genre de distinction,
c’est oublier que les luttes occupent des positions distinctes au sein de l’espace des mouvements sociaux. S’intéresser
aux relations que les différentes causes entretiennent les unes avec les autres permet de saisir un aspect important de
la dynamique interne de cet espace. Cela ouvre également à une compréhension des rapports que cet espace avec le
reste du monde social et spécialement avec cet autre univers qu’est le champ politique.
CHAPITRE 2 QU’EST-CE QUI DECLENCHE UNE MOBILISATION ?
⇒ Lien entre mobilisation et mécontentement qui n’a rien d’automatique.
1. Les attitudes individuelles devant le mécontentement
⇒ Frustration et privation relative
T. Gurr : enchaînement frustration (sentiments de déception face à une réalité qui ne lui accorde ce à quoi il
s’attendait)colère agression (d’autant plus grande que la frustration est grande). Développement du mécontentement
puis politisation de ce mécontentement et actualisation dans une violence politique dirigée contre des objets ou des
acteurs politiques.
Trois grands types de décalage entre attentes et satisfactions réelles :
- déclinant : stabilité des attentes alors que la situation réelle est perçue comme se dégradant
- privation aspirationnelle : élévation du niveau d’attente tandis que le niveau de rétribution reste stable
- privation progressive : réalité qui n’est plus à même de satisfaire les orientations positives des attentes qu’elle avait auparavant satisfaites.
Passage de la frustration relative à l’action collective n’est pas automatique : est façonné par les définitions et
conceptions culturelles de la violence et par la perception que les acteurs se font de la violence.
= Vision éruptive des phénomènes contestataires + difficile d’analyser le passage de la frustration individuelle à
l’action collective.
⇒ Défection, loyauté (forcée ex-RDA)⇒ n’ont pas d’autres choix que de rester loyal ie en cas de chômage) et
prise de parole
Pour Hirschmann, tout mécontentement ne débouche pas nécessairement sur la contestation.
⇒ Coûts et rétribution de l’action collective
M. OLSON. Le fait que les groupes sachent qu’ils pourront atteindre un objectif commun en joignant leur force dans
une action collective ne suffira à entraîner leur engagement car le type de biens visés par les mouvements sociaux
sont des biens collectifs qui bénéficient à l’ensemble du groupe et ne peuvent être refusés à aucun de ses membres. ⇒
Individus tentés par la stratégie du passager clandestin qui consiste à rester en marge de la mobilisation en laissant les
autres en supporter le coût tout en espérant en tirer un profit individuel en cas de succès. Mobilisations du fait que
certains groupes arrivent à proposer des incitations collectives dont la valeur compense le coût de l’engagement =
rétributions individuelles de l’engagement. Incitations qui peuvent aussi être négatives au sens où elles n’incitent pas
les individus à se mobiliser.
⇒ Vision instrumentale de l’action collective voyant seulement en elle un moyen alors que le militantisme et
l’engagement peuvent avoir leurs propres fins. Activités militantes qui portent leurs récompenses en elles-mêmes.²
2. Les dimensions structurelles de la contestation
Pour Tilly et Shorter, les grèves sont généralement conduites sous forme de vagues, ou en d’autres termes sont
menées en même temps dans un grand nombre d’entreprises différentes. Attirent l’attention sur la large
correspondance qui se manifeste entre les vagues de grèves et les changements importants qui se produisent dans la
puissance politique nationale de la classe ouvrière. Fillieule a pu accéder à une vision d’ensemble de l’activité
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manifestante en France et constater que celle-ci dépend en grande partie du contexte politique. Tous ces travaux
montrent que l’activité contestataire est étroitement dépendante de facteurs conjoncturels et spécialement de l’état
contestataire. Ce contexte fournirait au gré des évolutions plus ou moins d’opportunités pour le développement des
mouvements sociaux. ; le concept de structure des opportunités politiques a en conséquence été proposé pour rendre
compte de cette dépendance de l’activité contestataire à l’égard du contexte politique. Tarrow propose de décomposer
la structure en 4 éléments : degré d’ouverture ou de fermeture des institutions, degré de stabilité des alignements
politiques, présence ou absence d’alliés influents apportant leur soutien au mouvement considéré et existence de
conflits et de divisions entre les élites politiques. Forte dépendance des stratégies, des modes d’organisation,
ampleur ou encore chances de succès des mobilisations en regard du type d’Etat auquel elles s’affrontent.
Etude de Mac Adam qui a montré que la crise de l’agriculture cotonnière du Sud des Etats-Unis dans la première
moitié du 20ème siècle, en provoquant une migration des noirs vers le Nord du pays où le racisme et la ségrégation
étaient moindres, a notablement contribué à transformer leur représentation de leur condition et suscité en leur sein
une disposition à la contestation, qui combinée à la stratégie du parti démocrate de conquête du vote noir, a largement
favorisé le développement du mouvement des droits civiques.
Développement chez Tarrow de l’idée de cycle de contestation. Un tel cycle commence par une vague de contestation
impulsée selon des formes conventionnelles par des organisations déjà existantes et de longue date, opposées au
pouvoir. Leurs succès sont interprétés comme une ouverture de la structure des opportunités politiques et incitent de
nouveaux acteurs à se mobiliser à leur tour ; ces nouveaux acteurs, moins organisés, sont le plus souvent porteurs de
nouvelles formes de contestation. Deux caractéristiques sont typiques des fins de cycle : soit les mouvements sociaux
sombrent dans la violence soit ils s’institutionnalisent. On comprend alors que faute d’un contexte « favorable »
d’une structure des opportunités politiques ouvertes, la contestation ne parvient pas à émerger. L’activité des
mouvements sociaux n’apparaît au final que comme un sous-produit de la concurrence à laquelle se livrent, à
l’intérieur du champ politiques, les organisations partisanes.
Enfin, ajoutons que les menaces peuvent elles aussi jouer un rôle important sur le développement des
mouvements sociaux. Aggravation des menaces qui ne conduit pas forcément à un délitement mais au contraire à
une amplification de l’activité militante. ⇒ peut susciter une radicalisation contestataire fondée sur un sentiment de
n’avoir plus rien à perdre.
⇒ cf. radicalisation du mouvement gay et lesbien au milieu des années 1980 aux Etats-Unis dans une période
défavorable marquée par l’épidémie du SIDA et par l’hostilité du pouvoir politique à l’égard du mouvement
homosexuel (cf. loi en Géorgie contre les relations homosexuelles et qui les comparent à des crimes sexuelles).
Pb de la théorie des opportunités qui reste le plus souvent silencieuse sur la manière dont les militants se saisissent
des opportunités : « il ne suffit pas que des opportunités soient offertes, il faut encore qu’elles soient saisies et elles ne
peuvent l’être que si elles ont été au préalables perçues. (Chazel) ⇒ pour McAdam parle de libération cognitive :
processus par lequel les militants potentiels décodent les ouvertures de la structure des opportunités. Pour Ferree et
Miller, l’engagement dans une action collective est déterminé par ce qu’ils appellent les attributions : il y aurait dans
nos sociétés une tendance des personnes en situation dominée à en rapporter la responsabilité à eux-mêmes. Le
passage à la contestation exigerait donc au préalable qu’elles modifient leurs représentations et attribuent la
responsabilité de leur situation malheureuse à des forces extérieures à elles-mêmes, mais susceptibles d’être
contrôlables ou modifiables par une action collective ⇒ La mobilisation dépend de la prise de conscience d’une
domination autrefois méconnue. Mais ne suffit pas pour s’en affranchir (Bourdieu) + idée que la libéralisation
dépend d’individus qui maîtrisent les formes et les sens que doit justement prendre cette libéralisation.
CHAPITRE 3 QUI S’ENGAGE ET POURQUOI ?
1. L’influence des représentations
Analyse des cadres de l’expérience contestataire ⇒ W. Gamson et D. Snow, The strategy of social protest, 1990
• Goffman : Les cadres de l’expérience sont les principes à partir desquels les individus ordinaires comprennent et
donnent du sens aux différentes situations qu’ils rencontrent dans leur vie quotidienne. Un cadre est ce qui permet
dans une situation donnée d’accorder du sens à tel ou tel de ses aspects, lequel serait autrement dépourvu de
significations.
⇒ c’est l’adoption d’un cadre d’injustice qui conduit les individus à envisager la mobilisation. L’alignement des
cadres désigne la relation qui s’établit entre les interprétations des situations par les individus et les organisations du
mouvement social, de telle façon que certains intérêts, valeurs et croyance des individus, et certaines activités, bouts
ou idéologies des mouvements sociaux soient congruents ou complémentaires (Snow). ⇒ condition nécessaire de la
participation à un mouvement, quelque soit sa nature ou son intensité.
4 types d’alignements :
- connexion des cadres qui désigne le travail mené par une organisation à l’égard de personnes qui partagent son point
de vue, mais qui ne la connaissent pas.
- Amplification du cadre
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- Extension du cadre
- Transformation du cadre
⇒ le cadre proposé par l’organisation doit avant tout entrer en résonance avec les croyances et les valeurs de la recrue
potentielle, c'est-à-dire lui apparaître comme crédible et pertinent.
• Notion de structure des opportunités discursives : désigne l’environnement culturel général avec lequel les
revendications d’un mouvement social doivent entrer en résonance pour pouvoir être publiquement recevables.
• Ecueils de la théorie : déséquilibre entre l’action des organisations militantes et la passivité supposée des recrues.
Ppale difficulté à savoir l’alignement des représentations qui serait une condition nécessaire à la mobilisation.
2. L’engagement, producteur d’identifications
A. Pizzorno (1990) ⇒ logique d’identification à travers le vote et l’engagement dans les mouvements sociaux.
Mouvements sociaux qui sont des incitations de solidarité : agissent sur le besoin de l’individu de rentrer en relation
de solidarité avec les autres de telles façons qu’elles permettent la reconnaissance spécifique et réciproque de sa
propre identité et agissent sur le besoin de satisfaire des attentes que l’individus perçoit comme relevant de sa propre
action ; ce sont des attentes pour que l’action se conforme à certaines normes sociales). Engagement qui permet
d’affirmer son identification à un groupe par la revendication et la mise en œuvre de son code moral ⇒ importance
de la sociabilité militante (Duriez et Sawicki).
3. Dispositions des carrières militantes
Théories de la socialisation (politique ⇒ Percheron )
B. Pudal Prendre parti pour une sociologie historique du PCF (1989)
⇒ Ceux qui occupent un poste important sont le plus souvent des miraculés sociaux ayant connu une réussite scolaire
inespérée en regard de leur origine modeste : mode de l’ambivalence et du porte-à-faux. ⇒ « fidèle infidélité à la
classe d’origine » : devenir responsable c’est échapper au monde du travail ouvrier sans pour autant le vivre sur le
mode du reniement. Même idée chez Siméant.
⇒ Pour Maurer, idée, que les chômeurs qui se sont mobilisés, sont ceux qui avaient une expérience préalable de
mobilisation. + chômeurs qui disposent d’un entourage solide ne se mobilisent pas.
⇒ McAdam a ouvert une analyse en termes de carrières militantes en analysant ceux qui avaient réellement participé
(étudiants blancs) et ceux qui le souhaitaient et ne l’ont pas fait au freedom summer ⇒ montre que même propriétés
sociales mais carrières conjugales, professionnelles et militantes ≠ ( les effectifs se sont mariés plus tard et sont entrés
plus tard sur le marché du travail et ont plus milités).
⇒ Militantisme qui contient en lui-même sa propre fin. Mais contexte qui joue aussi un rôle important. Pour Mauger,
NMS qui sont le produit de la reconversion d’investissements politiques antérieurs, d’investissements
révolutionnaires déçus. Mais il peut arriver l’épuisement du militantisme : déception qui peut conduire à un repli sur
la sphère privée ( Hirschmann, Bonheur privé, action publique, 1983), évolution sur voie désapprouvée par le militant
ou effets d’épuisement (burn out) (ex : Fillieule et Broqua-Devenir militants, 2004- sur la confrontation quotidienne à
la mort et à la maladie : cause fréquente de désengagement au sein des asso. De lutte contre le sida).
4. Un militantisme en mutation
J. Ion, La fin des militants, 1997 ⇒ voir notes sur son article dans Politiques de l’individualisme ⇒ idée d’un
engagement post it ponctuel et prêt à passer d’une cause à une autre et auquel les individus désormais distanciés
refuseraient de sacrifier leur vie privée et leur identité personnelle (cf. Ressources humaines).
Pour Colovald, le militantisme distancié ne correspondrait pas tant à une mutation des engagements qu’à une vision
sociologique normative dont un effet serait la disqualification des formes de militantisme propres aux classes
populaires. « Pour une sociologie des carrières morales des dévouements militants », L’humanitaire ou le
management des dévouements, 2002.
CHAPITRE 4 COMMENT LES MOUVEMENTS SOCIAUX SONT-ILS
ORGANISES ?
• Ce qui permet ou non le passage à l’action collective est la disponibilité ou l’absence des ressources nécessaires
pour construire le mouvement et diffuser ses revendications dans l’espace public. La tâche décisive de leur
accumulation et de leur mobilisation pour l’action protestataire revient à des structures ad hoc que McCarthy et Zald
appellent des organisations de mouvement social. Un mouvement social dans cette approche est une structure de
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préférence orientée vers le changement social tandis qu’une SMO est une organisation complexe, formelle dont les
objectifs s’identifient à ceux d’un mouvement social et qui entreprend d’atteindre ces objectifs.
La précarité financière endémique de très nombreuses SMO montre que les ressources sont dans l’espace des
mouvements sociaux très rares. Cela explique que les relations entre SMO soient souvent empreintes de concurrence.
Mc Carthy et Zald rendent compte de cette concurrence avec la notion d’industrie de mouvement social (SMI) qui
regroupe l’ensemble des SMO actives sur un terrain de luttes donné.
⇒ Pour Bourdieu , un groupe dominé ne peut accéder à l’existence politique que par le moyen de la délégation du
pouvoir de le représenter à une organisation et à un porte-parole. C’est l’effet d’oracle. Décisive pour pouvoir exister
et peser politiquement, l’organisation et ses porte-parole portent en eux le danger de la dépossession c'est-à-dire de
l’usurpation du pouvoir collectif des mandants par leurs porte-parole et de l’asservissement des intérêts du groupe
aux intérêts particuliers de l’organisation et de ses représentants. « Il faut toujours risquer l’aliénation politique por
échapper à l’aliénation politique » !!! ⇒ cf les Brigades rouges en Italie.
Depuis les années 1980, rôle stigmatisé comme démobilisateur de certaines organisations qui tentent de calmer le jeu
en valorisant la concertation et la négociation. Ont donné naissance à de nouvelles organisations : les coordinations,
porteuses d’un renouvellement des formes contestataires fondé sur une critique des dérives bureaucratiques des
organisations. Emergence qui participerait de la promotion d’identités professionnelles renovées principalement
parmi les nouvelles générations qui ne se reconnaissent pas dans les structurations identitaires traditionnellement
proposées par les syndicats.
Mode d’existence ou définition des SMO qui ne sont pas forcément constants au fil du temps mais peuvent au
contraire évoluer au gré des changements de contexte ⇒ féminisme qui s’est en quelque sorte mis en veille sous la
forme d’un réseau = organisations dormantes à même de maintenir un carré d’activistes très engagées et de jouer le
rôle passeurs entre deux étapes de la mobilisation = maintien de réseaux activistes, entretien d’un répertoire buts et de
tactiques, promotion d’une identité collective qui offre aux participants un but moral et un sens du devoir.
• McCarthy et Zald distingue différents statuts militants : les adhérents qui partagent les objectifs d’un mouvement et
les membres actifs qui apportent des ressources à une SMO. Objectifs des SMO qui est de faire passer les individus
de la première catégorie à la seconde. Ces deux catégories s’opposent à une autre catégorie celle des élites qui
contrôlent un volume des ressources beaucoup plus important. Ces trois catégories partagent les objectifs du
mouvement. Tel n’est pas le cas des spectateurs qui observent le mouvement sans avoir d’avis sur la validité de ses
revendications et celle des bénéficiaires potentiels qui tireront un avantage de l’éventuel succès de la mobilisation
mais sans en partager les options politiques ou idéologiques.
Distinction la plus féconde entre bénéficiaires et militants par conscience qui ne tireront aucun avantage personnel de
l’éventuel succès⇒ sont particulièrement présents dans le soutien de population dominée.ex : les militants chrétiens
pendant la mobilisation des prostituées en 1975. A été critiqué par Collovald car ignore les rétributions morales.
Ces militants par conscience reste un élément déterminant pour le réussite de ces mobilisations ≠ harmonie entre ces
groupes. Participation positive dans un premier temps mais qui peut être négative car source de tensions dans un
second temps qui menacent à terme le conflit (tendance paternaliste de ces militants + tendance à la monopolisation
des postes clés…). Pour McAdam, engagement des membres de l’élite qui est une stratégie combinant tentatives de
contenir tous les aspects les plus menaçants du mouvement et efforts pour exploiter le conflit émergent d’une manière
conforme à leurs propres intérêts politiques.
⇒ En fait soutien extérieur qui facilite la visibilité des mouvements mais sans nécessairement modérer leurs actions.
J. Siméand montrent que les militants des associations de soutien aux étrangers sont parfois bien plus radicaux euxmêmes que les sans-papiers eux-mêmes. Tentative de tirer des conclusions sur les effets positifs ou négatifs de ces
militants est finalement vaine. L’engagement de personnes socialement très différentes dans un même
mouvement social relève d’intérêts et de motivations hétérogènes d’autant plus prégnants qu’une forte
inégalité de ressources distingue les personnes engagées vers ce qu’elles se représentent initialement comme un
même objectif.
Il reste une dernière catégorie de protagonistes : les célébrités qui mettent ces ressources particulières que sont leur
notoriété et leur prestige au service d’une cause. En apportant leur soutien, ces personnes qui disposent d’une certaine
grandeur sociale contribuent à grandir une cause qui autrement risquerait d’en rester à un bas niveau de singularité
(Boltansky, L’amour et la justice comme compétences, 1990). Ex : succès de la pétition en faveur du droit à
l’avortement : appel des 343 en 1972 ; B. Tavernier et Histoires de vies brisées, Joan Baez et Bob Dylan. La
conversion des célébrités à leur cause est parfois accueillie avec méfiance par les activistes (les suspectent de vouloir
s’appuyer sur leur mouvement pour assurer leur propre promotion). L’adoption d’une posture engagée peut être à
même de compenser un manque de reconnaissance par les pairs. Cf. G. Sapiro, La guerre des écrivains 1940-1953,
1999 : « les prises de position politiques des écrivains obéissent à des logiques qui n’ont pas la politique pour seul
principe ».
CHAPITRE 5 COMMENT PRENNENT LES MOBILISATIONS ?
• Obershall, Social Conflicts and Social Movements, 1973 ⇒ théorie de la mobilisation des ressources. C’est le fait
d’appartenir à un groupe, communauté ou associations déjà existants qui facilite leur mobilisation. La mobilisation se
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fonde sur une association collective plus ou moins informelle ou structurée, préalablement existante. ⇒ voir tableau
dans Neveu sur les différents types de mobilisations en fonction des liens à l’intérieur de la communauté et de
l’association. Il montre également que l’appartenance à des groupes intermédiaires favorise la mobilisation. Pose le
problème de l’identité.
Cf. R. Gould dans Insurgent Identities (1995) sur la commune ⇒ Le recrutement des participants à un mouvement
social s’opère autour d’une identité particulière dans laquelle ceux-ci se reconnaissent mutuellement mais que le
mouvement tend lui-même à redéfinir ou à mettre en forme en en défendant les intérêts et les valeurs. Les identités
constituent à la fois une condition et un produit de l’action collective. Dans les logiques de recrutement dans l’action
contestataire, contribution importante des réseaux sociaux préexistants. A l’enrôlement des militants dans la défense
d’une cause. Trois fonctions assurées par ce réseau dans ce processus :
- fonction de socialisation
-fonction de connexion structurelle
- fonction de production de la décision
• L’article de Snow, Zurcher et Ekland Olson met l’accent sur les interactions directes entre un agent recruteur et un
individu qu’il tente de convaincre de rejoindre son mouvement : importance des interactions avec des personnes
connues.
Reste à comprendre le décalage entre entre adhésion aux options d’un mouvement et participation active ⇒ cf
distinction de Klandermans entre mobilisation du consensus et mobilisation de l’action. ⇒ met en évidence
l’importance des anticipations des individus susceptibles de s’engager.
• Du coup une mobilisation une fois écloses va se propager selon une structuration sociale préexistante qui, en temps
ordinaire, répond à de tous autres enjeux que l’action protestataire (importance de la nature, de la réputation des
différentes unités mobilisées). Influence aux côtés des préjugés, des précédents dans les représentations, anticipations
et élaborations tactiques de protagonistes. Importance des courtiers qui relient différentes unités contestataires
antérieurement isolées.
Ce sont les mobilisations multisectorielles qui peuvent déclencher une crise politique : extension d’une mobilisation à
différents secteurs sociaux. Ceux qui tentent leurs coûts et dont l’élaboration ne doit plus rien à la logique sectorielle
opèrent un phénomène d’évasion des calculs. Une conjoncture fluide est nécessairement temporaire puisque la
plupart des acteurs n’ont qu’une hâte c’est de revenir à un fonctionnement politique plus stable et à des règles du jeu
prévisibles.
CHAPITRE 6 QUELLES FORMES DE LUTTES ADOPTER ?
1. Les répertoires de l’action collective
C. Tilly rend compte du fait qu’un groupe qui entend exprimer une protestation opère une sélection au sein de
l’ensemble des formes d’action qui lui sont virtuellement accessibles. Ces différentes actions composent un
répertoire. ⇒ référence au théâtre. Certaines organisations vont se cantonner à un répertoire composé de formes
relativement classiques et routinières de protestation tandis que d’autres vont davantage miser sur la nouveauté et le
caractère spectaculaire ou perturbateur de leurs actions. Répertoire du 19ème s. qui est essentiellement communal,
local basé sur le patronage. A partir du milieu du 19ème s. et sous l’effet de la nationalisation de la vie politique, le
répertoire a lui aussi pris une envergure nationale tout en s’autonomisant. En d’autres termes, les mobilisations ne
sortent pas du néant, elles portent en elles l’expérience des luttes du passé, et cette expérience est fait autant des
succès que des échecs des actions antérieures, dont le groupe a en quelque sorte tiré les leçons.. quand les
contestataires choisissent une action au sein du répertoire, celui-ci existe avant tout sous forme d’objectivations des
expériences passées des groupes, des mouvements sociaux, des sociétés, objectivations dotées d’une inertie
particulière et surtout objectivations contraignant les calculs, définitions de situations et anticipations des
protagonistes dans l’action collective. Le répertoire opère d’abord dans la conscience des acteurs en tant que
représentations cristallisées de façons d’agir, possibles ou impossibles, accessibles ou inaccessibles, dotées d’une
certaine efficacité ou inefficaces, d’un coût limité ou à haut risque allant de soi enfin ou anormales, illégitimes ou
parfois déshonorantes.
⇒ Ce sont « des performances constamment réinventées et redéfinies sous le double effet de l’improvisation et de
l’échange des coups entre les adversaires ⇒ McAdam, MacCarthy et Tilly C. Dynamics of contention (2001).
⇒ L’importance de la maîtrise d’un répertoire de l’action collective ne se remarque sans doute jamais plus clairement
que quand il fait défaut à une population dépourvue de tradition et d’expériences protestataires. La maîtrise d’un
répertoire étendu fait ainsi partie des compétences et des ressources indispensables à la conduite d’un mouvement
social et son absence est une des composantes majeures de la domination politique que subissent les individus ou les
groupes qui en sont dépourvus.
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2. Enjeux stratégiques et identitaires des formes d’action
Une manifestation comme l’a montré Bourdieu manifeste l’existence du groupe qui exprime ainsi sa protestation.
Toute action publique présente une image du groupe qui la mène.
• La grève de la faim chez les sans-papiers est une forme d’action en grande partie contrainte : du fait de leur
stigmatisation et de l’irrégularité de leur présence en France, ceux-ci ne peuvent se permettre de recourir à des formes
illégales ou violentes de protestation. Ils retournent la violence contre eux-mêmes. Les expose plus que d’autres à la
répression : il leur faut donc conduire leur action dans un espace à l’abri des interventions policières. La dimension
collective de la grève de la faim est aussi un enjeu. Se fait jour alors l’articulation entre les enjeux individuels de
l’engagement et la portée générale du mouvement. Dimension symbolique très forte de la grève de la faim qui tient à
l’adoption de positions misérabilistes. C’est « une mise en scène théâtralisée des rapports de domination et de
violence ».
• Les mouvements sociaux de groupes stigmatisés placent la dimension identitaire au centre leurs préoccupations :
l’enjeu est pour eux de parvenir par leur action à contester l’image défavorable qui imprègne les représentations
ordinaires et de lui subsister une image plus positive à même de susciter davantage de tolérance. Idée du déploiement
identitaire défendu par Berstein (1997) : processus par lequel un groupe stigmatisé va exprimer son identité distincte
de manière à en contester la représentation dominante défavorable. : le but est de transformer la culture dominante en
proposant des formes organisationnelles alternatives. Peut adopter deux voies distinctes : la confrontation et
l’éducation. Le choix entre les deux options peut être déterminé tant par les ressources dont le groupe dispose que par
le degré de fermeture ou d’ouverture de la structure des opportunités politiques au moment où il les mobilise. Ex :
gay pride= stratégie de confrontation identitaire. ⇒ Au total on observe un équilibre instable entre affirmation et
discrétion identitaires repérable dans tous mouvements sociaux où l’identité constitue un enjeu important.
3. Expertise et recours au droit
⇒ existence de militants experts. Un mouvement social qui mobilise le registre de l’expertise a le choix entre deux
options : soit solliciter la coopération d’experts spécialisés dans son domaine d’activisme, soit s’approprier lui-même
cette expertise ⇒ ex : fondation copernic. Bien des « intellectuels engagés » n’opèrent pas une distinction radicale
entre leurs activités proprement intellectuelles et leur militantisme (ex : l’écologie).
⇒ cf. la lutte contre la double peine qui met en évidence la tension entre cause générale et défense de cas particuliers.
Victoires juridiques qui ne sont source toujours de généralisation. Nombre de juristes et de militants considèrent que
c’est par l’accumulation de succès individuels que leur action peut se doter d’une portée générale, dépassant les seuls
cas siguliers.
Autre usage du droit : mobilisation tribunicienne d’un procès ⇒ cf. le procès de Bobigny.
Les juristes engagés sont des cause lawyers : « un avocat adhérent pleinement à la cause des clients qu’il défend […]
plutôt marginal dans sa profession […] marginalité professionnelle qui n’exclut pas une reconnaissance dans les
médias sous la forme de défenseur des petits ou des faibles contre les gros et les puissants, bref dévoués aux nobles et
grandes causes ».
Se révèle une nouvelle fois l’ambiguïté des ressources juridiques qui si elles peuvent constituer un instrument de
défense des populations dominées, contribuent aussi, par une technicité qui en restreint l’accès et la maîtrise, à la
dépossession et à leur dépendance politiques.
CHAPITRE 7 QUELLES INFLUENCES PESENT SUR LES MOUVEMENTS
SOCIAUX
1. Le poids du contexte international
Dernières années qui ont été marquées par un processus de trasnationalisation des luttes, solidaire d’un effritement de
la forme classique d’un Etat national. Passage à ce niveau : preuve de la relation d’isomorphisme qui unit le
capitalisme à sa critique (Boltansky/Chiapello). ⇒ Les opposants à la mondialisation doivent en effet pour pouvoir
lutter efficacement contre le système économique qu’il dénonce, s’ajuster à ses formes et évolutions. Ils doivent
comme lui se doter d’une stature internationale miser sur la flexibilité et adopter une structure en réseau composée
d’une multiplicité de petites unités.
Distinction entre organisations de mouvement social et transnational (objectif de contestation) et organisations
internationales non gouvernementales (promouvoir les objectifs internationaux de ses membres). // structure des
opportunités politiques transnationales.
Examen des faits qui montre que cette transnationalisation est plus fictive que réelle. Pour Rucht, l’européanisation
des luttes en est restée à un stade embryonnaire car difficulté de coordonner et d’uniformiser les instruments de lutte
Agrégation de sciences économiques et sociales / Préparations ENS 2006-2007
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entre différents pays +faiblesse des ressources à la disposition des mouvements sociaux (faible connaissance des
institutions de l’UE qui les empêchent d’identifier ls acteurs et les réseaux les plus influents.)
2. Mouvements sociaux et médias
P. Champagne a rendu compte de cette dépendance des mobilisations à l’égard des médias en appelant
« manifestations de papier » les manifestations produites par et pour la presse. ⇒ contraint les mouvements sociaux à
une hypertrophie des stratégies des représentations de soi qui visent à agir principalement sur la représentation que le
public à travers la presse peut se faire du groupe qui manifeste. Le lieu stratégique où se déroulent les manifestations
est la presse. Relations entre professionnels des médias et militants sont davantage marquées par la réciprocité que le
laisse entendre une analyse unilatérale. La dépendance à l’égard des médias est surtout le fait de grandes
manifestations parisiennes. ≠ mobilisation locale.
3. Les contre mouvements
Concept forgé aux EU à la fin des années 1970 // émergence des mouvements liés à la new christian right = volonté
de remise en cause des acquis des mobilisations « progressistes » qui les avaient précédées. « Tentative consciente,
collective et organisée de renverser ou de résister à un processus de changement social ». Mouvements qui sont
soumis aux effets de leur antagoniste en fonction duquel ils élaborent une stratégie = relation d’interdépendance.
« Tango relâché de mobilisation et démobilisation ».
CHAPITRE 8 LES MOUVEMENTS SOCIAUX SONT6ILS EFFICACES ?
1. La mesure du succès
= reconnaissance du groupe contestataire et avantages nouveaux (Gamson).
Mais attention, noter dans une perspective bourdieusienne que chacun va tenter d’imposer aux autres sa propre
définition du sens du mouvement et de son résultat, une définition qu’il estimera plus conforme à ses positions et
intérêts et qui s’il pavient à en faire une vision dominante lui permettra d’asseoir solidement sa position dans la
perspective de luttes futures.
2. Mouvement social et changement social
Répercussions du mouvement social qui peuvent toucher les piliers de l’ordre social = puissant agent de
transformations sociales. Cela est spécialement vrai des mouvements de déviants qui ont dans une certaine mesure
par leur seul fait de leur existence radicalement transformé la représentation que les normaux se font d’eux +
contestation des rapports d’autorité ordinaires.
« Les mouvements sociaux jouent un rôle de catalyseur dans la transformation des préférences culturelles, des
mœurs, des valeurs. Dans un sens, les mouvements sociaux sont des laboratoires culturels, des arènes propices au
travail constructif de déconstruction et de recombinaison des matériaux, des ressources et des traditions.
CONCLUSION
poser les mouvements sociaux comme ferments de la démocratie à condition qu’ils s’abstiennent de tout recours à la
violence et se cantonnent à des enjeux restreints, c’est aussi tenter de domestiquer en lui définissant une bonne forme
pacifique et limitée une action collective toujours potentiellement menaçante tout en disqualifiant politiquement dans
le même mouvement les formes contestataires qui parce qu’elles sont le fait de groupes qui ne peuvent ou ne veulent
s’inscrire dans ce registre pacifié, entendent résister ou protester à la mesure de la violence qu’ils estiment subir.