PSYCHOBIOLOGIE DES AFFECTS - Collège Français d`Analyse

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PSYCHOBIOLOGIE DES AFFECTS - Collège Français d`Analyse
PSYCHOBIOLOGIE DES AFFECTS :
Implications pour une thérapie psychocorporelle
Helen Resneck-Sannes ; Ph.D.
2002
[Publié dans: Bioenergetic Analysis”*, Vol. 13, 2002, p. 111-121]
* Le Journal clinique de l’Institut International d’Analyse Bioénergétique (IIBA)
Des conclusions récentes tirées d’observations de dyades mère-enfant (mère ou plus généralement
personne prenant soin l’enfant) ont confirmé ce que les thérapeutes travaillant avec le corps savent depuis
longtemps : les expériences d’attachement primaire sont encodées dans le cerveau droit, elles y subsistent
non symbolisées et sont accessibles dans la relation par la biais de la communication corporelle. Allan
Schore a résumé ces travaux en se centrant sur la communication mère-enfant telle qu’elle se déroule,
c’est-à-dire entre le cerveau droit de la mère et le cerveau droit de l’enfant. L’enfant présentant des
capacités à se débrouiller seul encore peu développée et donc limitées, la personne qui prend soin de lui
durant cette première étape de la vie est la source de régulation du stress de l’enfant, et, partant, de sa
sensation de sécurité. De fait, les systèmes régulateurs co-intégrant les expériences mentales et
corporelles dérivent du développement de circuits limbiques autonomes (Rinaman, Levitt et Card, 2000).
Leur maturation étant dépendante de l’expérience vécue, ils sont vulnérables aux expériences
traumatiques relationnelles durant cette période critique du développement.
Schore a étendu au processus thérapeutique ces observations concernant les relations mère-enfant. Il
affirme que les communications entre les clients et leurs thérapeutes sont dérivées de signaux
somatosensoriels que le thérapeute, comme une « mère suffisamment bonne », interprète, répondant
ensuite par une intervention correcte qui correspond à ce dont le patient a besoin a ce moment. De
surcroît, pense-t-il, la théorie psychanalytique est confirmée lorsqu’elle affirme que ce qui survient et
guérit dans la relation entre le client et son thérapeute est d’abord de nature inconsciente (Schore, A.N.,
1994, 1996, 1997a, 1997b, 1997c, 1998, 2000a, 2000b, 2001).
Les travaux de Schore ont d’importantes implications en ce qui concerne les thérapeutes psychocorporels.
Il affirme que la psychothérapie n’est d’abord pas une expérience verbale au cours de laquelle les affects
sont symbolisés. Au contraire, le centrage thérapeutique est porté sur les expériences non verbales vécues
entre le thérapeute et son client, et sur comment la relation est utilisée pour réguler les affects. Ces
signaux somatosensoriels, qui sont inconscients selon Schore, constituent les aspects primordiaux
inaugurant une thérapie psychocorporelle. Les signaux physiques sensoriels tels que des odeurs, la
sensation de chaleur, d’excitation, etc. sont au centre d’une thérapie psychocorporelle, et dans une large
mesure, sont conscients.
La recherche empirique sur les interactions mère-enfant remet en question la notion de thérapeute séparé
du client, et également le fait que l’on puisse répondre par des interventions thérapeutiques à partir d’une
lecture du corps, laquelle décrit des fonctions bloquées. La naissance engage une relation matricielle et la
thérapie concerne l’effet mutuel du client et du thérapeute au niveau des expériences corporelles
éprouvées par l’un et par l’autre. Plusieurs cas sont présentés, issus de ma pratique, afin d’illustrer le
principe de la régulation des affects en thérapie bioénergétique.
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LA PSYCHOBIOLOGIE DES AFFECTS
Dans le passé, les idées concernant le monde intérieur des enfants et conduisant à la théorie analytique et
à la théorie des pulsions furent développées à partir d’informations fournies par des patients adultes en
psychothérapie. Récemment, la littérature psychanalytique s’est centrée sur l’enfant empirique : les
observations directes d’enfants et les investigations basées sur diverses types de paires mère-bébé ont
conduit à connaître cet enfant. De nouvelles conclusions en ont été tirées ; elles concernent le stade
préverbal, l’importance du travail avec le corps et l’importance du toucher en psychanalyse.
« Le privilège acharné du langage (…) a par le passé protégé commodément les cliniciens de l’extrême
abondance des informations non verbales déroutantes, ou encore « sans ordre établi », utilisées
consciemment et le plus souvent inconsciemment durant le travail thérapeutique. Ces dernières années,
cependant, les thérapeutes se sont mis à comprendre de mieux en mieux la signification de l’expérience
non verbale au cours du développement humain. L’explosion des recherches concernant le petit humain a
illuminé la nature étonnamment riche et complexe du dialogue social permanent entretenu entre l’enfant
et sa figure maternelle, un dialogue qui au moins de la part de l’enfant, est essentiellement non verbal. »
(Toronto, 2001, p.40)
Allan Schore s’est imposé au premier plan de la scène en résumant un grand nombre de recherches
concernant les trois premières années de la vie. Ces conclusions empiriques indiquent que la
communication entre un enfant et la personne qui prend soin de lui (le plus souvent sa mère) est
essentiellement une communication cerveau droit – cerveau droit. Il a montré qu’il existe une période
critique, vers l’âge de trois ou quatre mois, alors que l’enfant s’engage dans des regards mutuels
prolongés. C’est durant ces échanges que la mère aide l’enfant à réguler ses affects, ce qui produit des
changements au niveau de sa structure cérébrale, essentiellement dans la région occipitale du cortex
cérébral. Elle apaise son bébé surstimulé, ou elle active son enfant en lui souriant, en lui parlant, en le
chatouillant, etc. Pendant ces quelques premiers mois de la vie, alors que l’enfant est impliqué dans des
expériences relationnelles permanentes, le cortex frontal orbital se développe, impliqué dans des
communications entre les trois cerveaux, reptilien, limbique et cortico-frontal.
Les observations empiristes ont montré que le nouveau né naissait avec des capacités non encore
effectives mais avec des câblages préprogrammés pour la relation, sachant que l’enfant vit au sein d’une
relation matricielle avec sa mère dès sa naissance. Le système limbique du très jeune enfant fonctionne en
boucle ouverte : il n’est pas capable d’autorégulation et nécessite la présence de l’autre. Le nouveau né et
sa mère co-construisent une relation, et son esprit se développe au sein de cette matrice relationnelle.
Cette structure peut être endommagée en l’absence de résonance maternelle empathique.
LA PSYCHOBIOLOGIE DE L’ATTACHEMENT
Schore définit l’attachement en tant que régulation du vécu émotionnel entre l’enfant et sa mère. « Le
bébé devient attaché à sa figure maternelle primaire, régulatrice et accordée psychobiologiquement, qui
ne limite pas seulement au minimum les affects négatifs mais qui maximalise également les opportunités
de vivre des affects positifs. » (Schore, 2001). L’attachement résulte fondamentalement de l’attitude de la
mère, apaisant et/ou stimulant l’enfant suivant son état et en fonction de ce dont il a besoin à ce moment.
Le cerveau droit de la mère reçoit des informations concernant l’état intérieur de son enfant. La réponse
de la mère, c’est-à-dire ses mots, le ton et la modulation de sa voix, l’aspect de son regard, le toucher de
ses mains, tout ceci enveloppe le bébé dans un cocon. Elle le contient de manière apaisante ou stimule sa
vitalité, elle lui fait sentir les limites de son corps et l’encourage à se séparer. Tout ceci se passe à un
niveau préverbal. Ces expériences influencent le développement du cerveau droit de l’enfant, le cerveau
dominant durant les trois premières années de la vie.
Le cerveau droit communique essentiellement avec le système limbique et le système nerveux autonome
impliqué dans la vie affective et la régulation des états somatiques. Au fur et à mesure du développement
de l’enfant, ce système cesse de fonctionner en boucle totalement ouverte : les capacités d’autorégulation
ont augmenté. Cependant les effets des interactions précoces mère-enfant, cerveau droit – cerveau droit,
subsisteront ultérieurement sous forme d’échos au sein de la structure nerveuse du sujet, durant son
développement et chez l’adulte lui-même. Ces patterns d’attachement primaires sont localisés dans le
système limbique et stockés dans la mémoire implicite. Ce sont des patterns mnésiques stockés dans notre
cerveau droit. Ils ne sont pas reliés au langage mais peuvent être connus.
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Une expérience tirée de ma propre vie illustre comment ces mémoires fonctionnent. J’ai eu le privilège
d’accoucher de mon bébé à la maison, et le matin suivant la naissance de Myrrhia, je mettais la radio
pendant que je l’allaitais. La musique chantée par un gospel reflétait la joie que j’éprouvais d’avoir un si
beau petit être dans mes bras, et j’ai commencé à danser. Avant sa naissance, je n’avais vraiment jamais
écouté beaucoup de gospels et je n’avais jamais dansé sur cette musique. Mais durant les trois premières
années de son enfance, je me suis mise à danser sur cette musique et j’ai acheté quelques recueils de
gospel.
Quelques années plus tard, Myrrhia avait huit ans et nous prenions le thé chez ma tante Barbara. Elle me
raconta qu’Helen Black, une femme noire qui prenait soin de moi à la maison pendant mes quatre
premières années, dirigeait le choeur de gospel de l’église. Ma tante me dit que chaque dimanche, Helen
Bell, en conduisant le chœur de sa congrégation, dansait dans les nefs de l’église ; elle adorait le gospel et
avait sans aucun doute dansé en me tenant dans ses bras, moi, Helen bébé.
Alors, bien que je ne sache pas qu’Helen Bell allait à l’église ou dansait, mon corps avait enregistré la
mémoire de cette expérience. Porter mon bébé libérait la mémoire de ma propre enfance, expérience que
je ne savais pas être la mienne jusqu’à ce que ma tante Barbara ne me la conte.
Ces expériences d’attachement primaire sont stockées dans notre cerveau limbique et constituent des
prototypes pour nos futures relations.
Un bébé s’efforce de s’accorder avec ses parents mais il ne peut juger à quel point ils sont bons ou non.
« Il s’attache à qui est là pour lui avec une constance inconditionnelle, celle là même que nous prétendons
exiger de nos futurs attachements : pour le meilleur et pour le pire, pour s’enrichir ou s’appauvrir,
devenant malade ou sain. L’attachement n’est pas quelque chose de critiquable : un enfant adore le visage
de sa mère et se rue vers elle, qu’elle soit jolie ou ordinaire. Et il préfère les patterns émotionnels de la
famille qu’il connaît, sans se soucier de ses valeurs objectives. Plus un copain/une copine correspondra à
ses prototypes, plus il se sentira attiré et passionné, et plus il éprouvera, là au moins, un sentiment
d’appartenance, avec cette personne. » (Lewis, Amini et Lannon, 2000, p.160)
Bien que les interactions relationnelles ultérieures participent à la construction de la structure de soi, les
patterns primitifs créent un effet de résonance qui affecte le choix de nos partenaires intimes ainsi que nos
expériences de liens tout au long de notre vie, inclus les patterns relationnels que nous développons en
thérapie. Le processus thérapeutique déposera de nouveaux patterns dans le système limbique de nos
clients, mais ceci prendra beaucoup de temps.
LES IMPLICATIONS EN PSYCHOTHERAPIE
Les dernières recherches concernant l’observation de paires mère-bébé a des implications concernant la
relation client-thérapeute et nous fournit des informations sur ce qui est source de guérison au sein du
processus thérapeutique (Beebe, Jaffe, Lachmann, Feldstein, Croown, et Jasnow, 2000 ; Beebe et
Lachmann, 1994 ; Zeddies, 2000 ; Amini, Lewis, Lannon et al, 1996). Cette recherche confirme
essentiellement l’hypothèse développée par les théoriciens de la psychanalyse depuis quelques temps, à
savoir que les facteurs de guérison émanant de la relation entre l’analyste et son patient sont à chercher
dans les échanges inconscient / inconscient, de l’un et de l’autre. A partir de sa recherche sur le
développement du cerveau de l’enfant, Schore promeut l’idée que l’inconscient est une communication
du cerveau droit. La guérison repose fondamentalement sur la capacité et l’habileté d’un thérapeute à lire
les signaux somatosensoriels de son client et à y répondre par une communication somatosensorielle
correcte. L’hémisphère droit du thérapeute décode les stimuli/signaux émotionnels du client par « ses
propres réactions émotionnelles (somatiques), éprouvée en réponse à ces stimuli, ce qui constitue une
forme de réponse empathique » (Day et Wong, 1996, p.651). Ceci permet au clinicien accordé à son client
au niveau psychobiologique d’agir en tant que régulateur interactif des états internes dérégulés de son
client. Le thérapeute ne fait pas seulement la lecture du comportement patent de son patient et de sa forme
extérieure mais, comme « une mère suffisamment bonne », il possède la compétence à lire les états
intérieurs de son client. Le thérapeute utilise ses propres processus somatosensoriels pour prendre
conscience des états de son client. Tout comme une mère suffisamment bonne, il aide son client à
transformer et intégrer ces états. Comme l’affirme Bob Lewis : « Le corps du clinicien est l’instrument
fondamental au service de l’accordage psychobiologique. » (2001, p.4)
Parce que les thérapeutes corporels sont entraînés à être conscients de leurs processus corporels internes,
ce qui reste inconscient pour le psychanalyste est enregistré par la sensibilité consciente de l’analyste
bioénergéticien qui y est préparé. Comme le déclare A. Lowen: « Si une personne n’est pas attentive à
son corps, c’est parce ce qu’elle a peur de percevoir ou de vivre ses sentiments.
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Quand des sentiments sont menaçants, ils sont généralement refoulés. Pour ce faire, des tensions
musculaires chroniques sont développées ; elles ne permettent à aucun flux d’excitation ou à aucun
mouvement spontané de se développer dans certaines régions corporelles significatives. » (1975, p.65)
Parce qu’en tant que thérapeutes bioénergéticiens, dans notre propre thérapie, nous avons justement été
sollicités à travailler avec ces sentiments menaçants, nous nous efforçons d’être conscients et de dresser la
carte de nos propres tensions musculaires afin que ce qui émerge à l’intérieur de nous ne reste pas
inconscient et devienne bien davantage conscient. En fait, nos signaux somatiques nous informent de la
présence d’affects menaçants, que ce soit dans notre propre corps ou dans celui de notre client.
Schore confirme qu’un bon thérapeute a besoin de réussir à accorder sa présence à celle de son client pour
se centrer sur les communications physiques, à partir de son propre corps. Comme le commente Lowen :
« L’individu qui, enfant ou bébé, n’a jamais consciemment éprouvé certaines sensations ne peut les
acquérir à travers l’analyse. Lorsqu’une personne a souffert d’un manque de sentiment de sécurité dans sa
petite enfance, le besoin éprouvé en thérapie n’est pas juste de l’ordre de l’analyse, il est de rencontrer la
possibilité d’acquérir cette sécurité dans le présent. » (1958, p.23) En d’autres termes, une analyse verbale
ne pourra pas remplacer l’expérience somatosensorielle nécessaire pour se sentir dans un lien
d’attachement sécure avec une autre personne et en lieu súr dans le monde.
Schore affirme que la thérapie se centre sur la perturbation et la réparation de l’accordage entre le
thérapeute et le patient. A partir d’interactions répétées, le cerveau droit et le système limbique peuvent
être modifiés par la psychothérapie, mais cela prend beaucoup de temps. Lorsque nous travaillons sur des
enjeux de la toute petite enfance, il est fondamental pour le thérapeute et son client de traiter
l’information au niveau physique. Le thérapeute a besoin de répondre de manière appropriée aux états
internes de son client au bond moment. Les ruptures d’attachement activent le système limbique du
thérapeute, ce qui se traduit en terme de résonance somatosensorielle d’un bout à l’autre de son corps.
Durant leur formation, on enseigne aux thérapeutes corporels de se centrer sur l’information venant de
leur propre corps et de l’utiliser pour examiner les qualités d’engagement et de désengagement
accompagnant le processus thérapeutique. Les analystes bioénergéticiens sont entraînés à avoir une
conscience et une capacité d’analyse minutieuses concernant leurs propres états somatiques tout autant
que ceux de leurs clients.
IMPLICATIONS POUR LA THERAPIE BIOENERGETIQUE
Les conclusions tirées des recherches sur le tout jeune enfant remet en question la perspective selon
laquelle un client est un système énergétique isolé dont les états énergétiques et émotionnels peuvent être
« évalués » à partir d’une observation « objective » de son corps ou de son caractère. Le client est une
personne, son corps et son être sont profondément ancrés dans la relation (inclus dans la relation au
thérapeute), et son expérience corporelle est façonnée par ce champ interpersonnel.
L’axe de référence s’est déplacé du client en tant que caractère pathologique vers l’influence que la
relation thérapeute-client exerce sur les états de l’un et de l’autre, états d’éveil physiologique, de désir de
contact et d’intimité, de régulation mutuelle. Cela confirme notre expérience : le thérapeute n’est pas un
observateur neutre procédant à la lecture de fonctions bloquées – le caractère en tant qu’états musculaires
hypo ou hypertoniques – mais deux corps sont mutuellement présents, entrant en résonance par le
toucher, les mots, le regard. Bien que prêter attention à l’état intérieur du client reste important, les
recherches sur le jeune enfant nous enseignent que nous devons diriger notre attention sur nos propres
états somatiques intérieurs. Stark (1999) s’y réfère lorsqu’il parle d’une « thérapie à deux ». Le thérapeute
est en contact avec ses propres expériences somatiques et il utilise cette information pour comprendre ce
qui est en train de se passer au sein de la relation interpersonnelle entre lui et son client. Comme Stark le
remarque, il n’est pas toujours utile que le thérapeute encombre son patient de ce qu’il vit à l’intérieur de
lui. Cependant, il est parfois utile que le thérapeute prête attention à ses propres états somatiques de
manière à comprendre ce qui se passe dans le champ relationnel.
Lorsqu’il y a accordage au sein de la relation, la résonance relationnelle va de soi. Le client vient en
thérapie et actualise des états de dérégulation, consciemment ou inconsciemment. Plus son histoire est
traumatique et plus s’actualisent ces vécus de dérégulation.
Je pense que notre formation à la lecture du corps est importante mais qu’elle ne devrait pas être
appréhendée hors de cette conception relationnelle. Le problème avec la lecture du corps est celui-là
même que Doyle rencontra lorsqu’il écrivit ses « Sherlock Holmes ». Doyle connaissait déjà le coupable,
de sorte que Sherlock Holmes devait interpréter ses indices de manière à coïncider avec la vérité
préconçue par l’auteur.
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C’est de cette malchance dont nous pouvons jouer avec la lecture du corps : nous recueillons des indices
et nous les interprétons pour les ajuster à notre idée concernant la structure schizoïde ou encore la
structure rigide ; ce faisant, nous méconnaissons la signification qu’ont ces structures, pour ces personnes,
dans la relation présente. Que cette structure corporelle soit le résultat d’un héritage génétique ou
d’évènement de l’environnement n’a guère d’importance. Chaque corps tend souvent à répondre de
manière différente aux divers types et quantités de stimulation. Il est nécessaire d’explorer comment se
sont formées pour chacun les expériences de son corps et de son soi (les pensées, les idées, les peurs et les
attentes) à l’époque des premières relations d’attachement et de lien aux autres. Le but de la thérapie est
alors d’offrir à l’individu de nouvelles expériences de son corps et de son soi, et la possibilité de vivre des
relations différentes avec les autres.
ETUDES DE CAS
Les études de cas suivants montrent comment la notion de « régulateur psychobiologique accordé »
développée par Schore s’ajuste à la thérapie bioénergétique. J’ai donné un pseudonyme à chacun de ces
clients et modifié quelques faits afin de protéger leur anonymat. Linda est l’exemple de quelqu’un qui se
contient de manière excessive ; elle a besoin d’être encouragée à exprimer ses sentiments,
particulièrement la colère. A l’opposé, Jim est arrivé en thérapie dans un état de surexcitation ; ce qui fait
qu’un certain cadre thérapeutique doit fonctionner comme contenant apaisant et tranquillisant. Enfin, Jane
est un cas à la fois de sous- et de sur-stimulation ; le contact physique est terrifiant et la déborde alors
qu’elle trouve que les mots l’apaisent. En fait, sans ce contact verbal, elle se sent abandonnée et seule.
Linda est arrivée en thérapie en se plaignant de douleurs articulaires temporo-maxillaires. Sa mère est
alcoolique et comme beaucoup de familles où l’un des parents est toxico-dépendant, le déni et la
minimisation sont utilisés en tant que mécanismes de défense. Linda a de bonnes raisons dans sa vie
actuelle de se sentir en colère. Elle s’est trouvée entraînée dans une bataille conflictuelle de garde
d’enfant. Nous avons tenté différentes stratégies de négociation avec la fille de son père et les demandes
de sa femme actuelle. Quoi qu’il en soit, le mythe familial est qu’exprimer de la colère ou afficher
pleinement ses émotions est dangereux. Il arriva que son père, qui était habituellement quelqu’un de
tempéré, se mette en colère contre l’une des sœurs de Linda et la jette contre le mur. Quand Linda était
petite, l’une de ses sœurs la frappa et la mit KO.
Ses propres signaux somatiques lui indiquant qu’elle pourrait se mettre en colère et attaquer sont retenus
essentiellement dans le haut de son dos et dans ses mâchoires. Depuis qu’elle peut développer des
stratégies de négociation avec son ex-mari et sa nouvelle femme, elle peut détendre ses mâchoires et les
sentir moins douloureuses. Je l’ai faite frapper sur un coussin, non pour se détendre émotionnellement
sinon pour devenir familière avec la musculature qui permet de contenir ses impulsions à attaquer. Elle dit
qu’elle se sent effrayée à l’idée d’attaquer quelqu’un et insiste sur le fait qu’elle ne pourrait pas faire de
mal à qui que ce soit. Je lui rappelle que je ne lui demande pas de faire du mal à quelqu’un, mais de sentir
ses muscles lorsqu’elle frappe.
Je n’ai pas peur qu’elle m’agresse. Mon propre corps est tranquille et se sent en sécurité en sa présence,
même lorsqu’elle est en colère. J’ai eu un client durant un an et demi qui me disait avec insistance qu’il
n’était pas violent, mais je ne me sentais jamais en sécurité avec lui dans mon cabinet. J’avais des images
récurrentes de lui attaquant une vague forme sombre ainsi que des signaux nerveux intestinaux à
l’intérieur de mon corps qui m’avertissaient que je ne pouvais pas me sentir en sécurité face à son
agressivité. Pour citer Schore : « Les représentations d’interactions qui enregistrent les premiers souvenirs
d’enfance se présentent essentiellement sous forme d’images, viscérales et non verbales, et elles
continuent à opérer durant la vie adulte » (Schore, 2001). Bien que mon client déniait toute forme de
violence dans son passé, sa rage sadique se glissait jusqu’à l’intérieur de mon corps.
En ce qui concerne Linda, toutefois, je fais confiance en ma capacité à la contenir ; en vérité, elle se
contient de manière excessive. Lorsqu’elle me parle d’évènements qui la mettent en colère, je sens mes
omoplates se resserrer et devenir plus rigides qu’elles ne le sont habituellement. Je perçois un pattern
corporel identique chez Linda. J’expire et relâche mes épaules pour retrouver une sensation d’espace à
l’intérieur de mon dos, mais je sens encore une charge dans mes bras et dans mes jambes. J’attire
l’attention de Linda vers son corps et elle devient consciente de sa tension en haut de son dos. Je lui parle
de son droit à être en colère, de sa « colère légitime », de ce sentiment qu’il est juste de ressentir
lorsqu’on a été blessé et mal traité. Je lui montre comment son corps est prêt à se battre et comment la
musculature de son dos y est préparée.
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Linda a développé un pattern de contention excessive. Pour Jim, un autre de mes clients, le seul fait que je
sois avec lui dans la même pièce est sur-stimulant. Assis sur le matelas, il vibre avec peur et anxiété.
Schore commente : « Ce n’est pas tant aux comportements patents de son enfant que la mère doit être
accordée sinon à ses états internes qu’elle reflète. Elle doit également contrôler ses propres signaux
internes et différencier son propre état affectif, tout autant que moduler les stimulations intenses et
inadéquates qu’elle pourrait adresser à son enfant, ce qui induirait en lui une augmentation exacerbée de
son niveaux d’excitation ». (Schore, 2001)
J’essaye de créer une atmosphère où je suis présente et silencieuse, comme dans ce livre d’enfant Good
Night Moon, où cette vieille dame se fait gardienne de la chambre lors qu’elle s’assombrit, et murmure :
« Chut ». Je m’assieds calmement, ralentit ma respiration, faisant en sorte que mon champ énergétique
reste proche de mon corps. Trop de mouvement ou d’excitation est pour lui sur-stimulant et terrifiant.
Jim m’a pris en photo dans mon cabinet car lorsqu’il me quitte il ne parvient pas à maintenir une
représentation de mon visage. Schore commente : « La synchronisation biologique impliquée dans la
formation du lien d’attachement s’établit dans un contexte de face à face, là où chacun peut lire les
informations affectives émanant du visage de l’autre ». La mère de Jim était psychotique maniacodépressive. C’est en ne se souvenant pas de son visage qu’il peut éviter de souffrir, ce qui arrive lorsqu’il
perçoit les informations affectives que lui transmettent son visage. Il veut toucher mon visage, voir si je
suis réelle et il a envie de passer la nuit dans mon bureau parce qu’il s’y sent en sécurité. Les bébés
touchent le visage de leur mère pour vérifier par la sensation kinesthésique ce qu’ils perçoivent
visuellement.
Une autre découverte importante pour les thérapeutes psychocorporels est la suivante : les interactions
non verbales vécues par les bébés les imprègnent. On donna à sucer à des bébés soit une tétine lisse soit
une tétine granuleuse. Bien qu’ils n’aient pas encore vu la tétine, lorsqu’on la leur présentait visuellement
ils montraient une préférence pour la tétine qu’ils avaient déjà sucée. Un enfant dès la naissance peut
transformer la modalité tactile en modalité visuelle. Ceci signifie que l’enfant est préprogrammé pour la
communication sensorielle transmodale, et qu’il peut identifier sa mère par le toucher et probablement par
son odeur et le son de sa voix. L’information transmise par une modalité sensorielle affecte les autres
modalités. Un nouveau-né non voyant connaît la voix et le toucher de sa mère qui l’apaisent et le
stimulent. Les informations visuelles ne sont pas nécessaires pour la construction des structures
cérébrales.
Jim est un artiste de renommée utilisant son sens visuel et il reste perplexe face à sa difficulté à former
une représentation visuelle de mon visage. Sans doute parvient-il à se rappeler de moi s’il me tient les
mains, s’il est d’une certaine manière en contact physique avec moi et regarde mon visage. Il arrive qu’à
certains moments il explore mon visage avec ses mains pour pouvoir se rappeler de moi visuellement.
Jane présente un mélange de sous et de sur-stimulation. Elle a été placée dans une famille d’accueil dès sa
naissance, et adoptée un mois plus tard. Elle a tenté de prendre contact avec sa mère biologique mais
celle-ci rejette chacune de ses tentatives, protégeant sa vie actuelle.
Chacun de ses deux parents adoptifs sont devenus alcooliques et elle décrit son père comme un « homme
ivre et coléreux ». Jane me dit que vers 5 ou 6 ans elle faisait pipi dans ses culottes parce qu’elle était trop
effrayée de rentrer à la maison pour aller aux toilettes. Sa mère ne la punit jamais et elle ne savait pas
vraiment ce qui l’effrayait. Elle ne mouillait pas ses culottes la nuit ou à l’école.
Jane a quitté son thérapeute précédent après deux ans de thérapie parce qu’elle le trouvait trop silencieux.
Jane s’assied en repliant ses épaules vers sa poitrine. Sa tête est légèrement tournée de sorte qu’elle me
fait face du côté droit de son visage. Elle ressemble à une petite fille honteuse me jetant des coups d’œil
par ce côté droit. Contrairement à Jim, elle ne perçoit pas mon état d’activation habituel sur-stimulant. En
fait, elle aime que je lui parle, ce qu’elle trouve agréablement stimulant. Après avoir échangé un moment
ensemble, elle se détend, assise sur sa chaise, et ses yeux s’adoucissent.
Cependant, le contact physique la terrifie. Quand, assise, je m’incline vers elle comme si je me
rapprochais d’elle, ses mains commencent à transpirer et deviennent froides, elle relève les épaules et son
œil droit reflète l’expression de son œil gauche, quelque chose de dévitalisé et un état de choc.
Lentement, en prenant le temps qu’il faut, je l’aide à entrer en contact avec ses besoins, régulant ce
processus ; elle sort alors de l’état de choc et son corps se relâche. Elle recommence à parler de manière
plus spontanée, ses yeux redeviennent présents ; parfois même le contact physique devient agréable. Au
fur et à mesure qu’elle se détend, alors que je m’appuie de nouveau sur le dossier de ma chaise et retrouve
ce support, je me rends compte que je commence à sentir de nouveau le fond de ma chaise.
Une thérapie strictement verbale ne pourrait jamais répondre aux besoins de Jane. Un thérapeute
silencieux reproduirait la situation traumatique de la toute petite enfance, celle de la mère abandonnique.
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Un thérapeute verbal plus interactif pourrait, lui, passer à côté du degré de peur et de l’intensité de l’état
de choc que le contact physique génère chez Jane. Elle a besoin de pouvoir ressentir que les mots
l’ancrent suffisamment dans la relation pour se risquer à établir un contact physique et éprouver la terreur
qui lui est liée. C’est en appréciant ensemble le juste rapport entre silence et parole, proximité physique et
distance, que nous découvrons un équilibre entre sous-stimulation et sur-stimulation. Ce point d’équilibre
homéostasique évolue pendant et entre les séances, mais nous le cherchons continuellement.
RESUME
En tant que thérapeutes psychocorporels, nous avons été formés à être conscients du champ énergétique
que nous partageons avec nos clients et à utiliser les informations corporelles que nous recevons, émanant
du corps de nos patients ainsi que de notre propre corps. Les recherches empiriques concernant les dyades
mère-enfant confirment que la plupart des informations que nous recevons de nos clients sont non
verbales. En centrant leur attention sur leur propre conscience somatosensorielle tout autant que sur celle
de leurs clients, les analystes bioénergéticiens sont probablement mieux préparés à entrer dans cette
résonance accordée qu’offre l’inconscient ou le cerveau droit, en réponse à des feed-backs appropriés.
Ces informations fonctionnent comme signal afin que le thérapeute réponde de manière appropriée. Ces
réponses peuvent moduler la stimulation et conduire à une réparation interactive. C’est le cas lorsque des
expériences d’attachement antérieures ont induit un état émotionnel intense et négatif. Les
psychothérapeutes corporels passent des années de formation à apprendre à traiter ces informations avec
attention et à les décoder. En retour, ce sont súrement les mieux équipés pour offrir une relation qui soit
accordée aux besoins du client.
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BIBLIOGRAPHIE
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