Tonton Louis

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Tonton Louis
BIBLIOTHEQUE MUNICIPALE L’HERMITAGE
ENCRES D'AUTOMNE 5 CONCOURS D’ECRITURE
Texte n°17
Tonton Louis
Aujourd’hui c’est l’enterrement de tonton Louis, il vient de quitter le monde. Après la
mort accidentelle de mes parents, il est revenu de la capitale pour m’élever. C’est un
grand homme diront certains un drôle de bonhomme diront d’autres mais il ne laissait
personne indifférent. Je n’ai jamais su pourquoi il était resté au village en pleine
campagne. Il préférait gérer de loin ses affaires. Cela ne l’empêchait pas de faire
quelques séjours à la capitale de temps en temps. Ce n’est que récemment que j’ai
découvert ce qu’étaient les affaires de tonton, dit « Loulou le parigot ». Et pourtant il
n’a jamais pu se séparer de l’accent et des expressions des p’tits voyous de Paname.
Tonton aurait été heureux de constater le nombre important de personnes présentes
pour son enterrement. Une sorte de reconnaissance posthume. Il faut voir les gens qui
se pressent à l’église, il avait beaucoup de relations. Ce n’était pas une oie blanche.
Mais il a rendu des services à tous, qu’ils soient notables ou citoyens ordinaires. Il
aurait commenté cet événement comme il savait le faire, à la fois, coloré, expressif et
gouailleur.
Tiens v’là la Gilberte, toujours la première, c’est distrayant les enterrements. Cette
vieille rombière, le reflet du miroir ridé par les années, les quenouilles flageolantes,
grosse comme un manche à balai et les michemards en balloches. Radine comme pas
deux, elle a sûrement dans son sac son porte monnaie en peau de hérisson. Peut-être
avait elle espéré il y a quelques décades se caser avec un p’tit bourgeois cossu, voire
un honnête besogneux, mais d’hésitations en tergiversations elle finit par se retrouver
avec des toiles d’araignées au niveau de la pâquerette. Elle est médaillée d’or du jeté
de pièce à la quête. Il faut la voir avec ses mains gantées, elle sort ses piécettes avec
discrétion et agilité et quand le sacristain, la perruque en peau de fesse, lui présente
son panier d’osier elle lâche ses rondelles cuivrées. Un son tapageur remplit l’aile
gauche de l’église et se répand dans la nef jusqu’à la porte d’entrée. Elle est fière la
greffière, avec ses années de pratique, ça fait son effet. Le premier mirliton venu
pourrait croire qu’elle a versé tout le contenu de sa tirelire. Ensuite elle affiche comme
bien d’autres croyantes une mine adaptée à la circonstance un grand sourire pour un
mariage, une mine triste pour un enterrement plus une larme pour un proche.
Ah mais c’est Victor le prédicateur, un peu devin quand il faisait la fermeture chez
Nanard au bar Central. Ils n’étaient pas nombreux à le contredire, faut dire que c’était
un vrai molosse. Il n’hésitait pas à distribuer des fricassées de phalanges à la moindre
contradiction. Mais il a pris un coup sur le carafon ! Il a le chambranle qui godille et a
du mal à arquer. Il s’appuie sur une canne. Ben dis donc, y a pas encore une pige, on le
voyait encore courir derrière les perdrix et les bécasses à l’ouverture de la chasse.
La Marie-Claude vient d’entrer, avec sa tête de jument type british, équipée pour
manger du pot au feu, le chignon vissé sur la nuque. On pourrait croire qu'elle reçoit
tous les ans le 1er prix, dans la catégorie "reinette de bénitier". Méfiez vous de cette
vipère, elle persifle plus qu'elle ne prie. Elle taille des costards à la moitié de la
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populace certains sont même habillés pour l'hiver indien. C’est à peine si ses collègues
du club des beuglantes la regardent. Elles sont rancunières, les bigotes de la chorale.
Leur faire le coup de la sainte Nitouche qui n'a jamais vu l'escargot de bourgogne sortir
de sa coquille, ça les a fait s'ébaubir. Elles se rappellent qu'avant sa soudaine
conversion, la Marie-Claude a connu quelques petit gris du canton.
Bien entendu, Marcel la flanelle est là, le roi de la contrebande. Quel faux-derche celui
la, nippé sur son 31, l’étrangleuse à rayures serrée sur le col, la brioche sous une
limace verdâtre toujours à suer à grosses gouttes. J’ai toujours regretté de ne pas lui
avoir fait entendre la rafale des tambours lorsque que j’en ai eu l’occasion. Au lieu de
faire le flambard, il serait en train de siroter son flanby.
Tous les notables de la commune sont venus, le maire et ses adjoints au 1er rang. Il
faut dire que lors de leurs voyages d’affaires à la capitale j’ai toujours pris soin de leur
réserver la plus belle chambre de mon établissement, avec tout le confort.
Toutes mes employées sont venues à la cambrousse respirer un peu d’air pur et se
recueillir sur le cercueil du patron. Elles sont toutes là, les jolies !
Susie la gourmande, quel beau châssis! Elle a mis son plus beau décolleté avec ses
deux frères Bob et Bobby penchés au balcon. Gigi la grignoteuse, carrossée comme pas
deux toute équipée pare-chocs chromés et astiqués à l’avant et à l’arrière. Alphonsine
la fouine, le sari vert en guise de deuil et son joufflu sans pareil qui ondule. Marie
fleurette spécialiste des techniques orientales comme le ciseau javanais ou la marmite
pékinoise. Sans oublier la chef d’équipe Momo la guêpe, une gouaille de poissonnière
mais un don inné pour le commerce et encore vachement choucarde.
La traversée de l’église de cette petite troupe provoque un peu de ramdam dans les
travées. On peut distinguer des sentiments partagés. D’un côté, les paroissiens, des
tronches éberluées les yeux exorbités rivés sur le défilé. La plupart n’ont jamais vu de
pareilles frangines. De l’autre les bergères de ces messieurs l’ont plutôt duraille. A la
décarrade, il y en a quelques uns qui vont entendre Mirza siffler entre leurs
portugaises. Les voisins du Hameau d’à coté, Doudou la chicaille, Dany le chicaneur et
Mimi le grelot faillirent régurgiter le Paris-Brest becqueté à la boustifaille 3 plombes
avant. On peut dire qu’ils ne sont pas venus pour des clopinettes, ils se rappelleront de
cet enterrement.
Tonton Louis parlait comme ça. Il y a 3 mois il m’a avoué la vraie nature de ses
affaires. Il savait qu’il était atteint d’un mal sans remède. Il m’a offert le choix de ma
destinée. Sa disparition sonnait comme la fin d’une époque.
J’ai pris ma décision, je pense avoir fait le bon choix. Comme disait souvent tonton
après le journal télé du soir « et que le vaste monde poursuive sa course folle ».
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