Procédure Qualité - Département du Rhône

Transcription

Procédure Qualité - Département du Rhône
Compte-rendu de la conférence sur le thème
« Regards croisés sur la recherche des origines
personnelles »
M on s ieu r J e an -P au l DEL O RME, V ic e-pr é s id en t d u C on s e il G é n é r a l du Rh ône
pr on on ce le d i s c ou rs d ’ ouv ertu r e d e cet t e conf é re nc e qui s ’ e s t déro ul é e l e mard i
1 7 d é c e mb r e 20 13 d an s l e c ad r e des r en c ont r e s d e l a M a i s on d e l ’ A d op t i on à
l’ amph ithéât re de l’ IDE F à Bron.
L e p r e m ier t h ème r e t e n u p a r l e s p a r t enaires du comité de pilotage de la
maison de l’ adopt ion est « la rech erche des origin es personn elles », un e qu êt e qu i
f a it part ie de l’ h ist oire de chacun à la f o is personn elle et int ime dan s le cadre
d ’un e adop t ion.
M e s d a m es M ON Y et G U T H p r é s e n t en t l e programme, les in t erv enant s et le
déroulé de l’ap rès-midi à l’aide d’un P owerP oin t ain s i qu e les prochain es
th émat iques validées au sein du comit é de p i l o t ag e d e l a m ais on d e l’ ad op t ion.
D an s l e c ou r ant de l ’ a n n é e 2 0 1 4, s e r a a bo rdé d a n s l e p r o l o n gem e n t d e c e t t e
conférence le thème sur « la recherch e des origin es cu ltu relles ».
Ch aq u e mem b r e e t r e p r és ent an t ont p u a in s i p r é s ent e r leu r a ssoc ia t ion et
f a i r e p ar t d e l eu rs pr o p r es exp é r i e n c e s :
Intervenant(e) s
Myriam MONY
Marie-hélène GUTH
Julia NOBLANC
Céline GIRAUD
Laurence PREVOST
Robert THIONOIS
René GIRAUD
Joselyne TERRIEN
Entité
Membre du comité de pilotage de la Maison
de l’adoption et membre d’EFA
Responsable du service adoption nationale et
accès aux origines
Membre de l’Association La Voix des Adoptés
Fondatrice et Vice-présidente de l’association
La Voix des Adoptés
Référente au niveau du Conseil National
d’Accès aux Origines Personnelles (CNAOP)
Président d’honneur de l’ADEPAPE 69
(Association Départementale d’Entraide des
Personnes Accueillies en Protection de
l’Enfance – Pupilles et autres statuts Membre de l’ADEPAPE 69
Membre de l’Association EFA et Association
MAEVA
V o us tr ouv e r ez e n a nn ex e, un e syn th ès e d e s thé m a t iqu es a bo r d é es a ins i qu e
les qu es t ions - r ép ons es ex p osées à l’ is su e du d éba t.
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L’idée est de reconnaître pour chacun « un droit à connaître son histoire », droit dont la mise en
œuvre se heurte au « droit de la mère au secret » tout en tenant en compte les textes de loi en
vigueur (Loi N) 78-753 du 17 juillet 1978 et loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002).
INTRODUCTION
Présentation du programme et des intervenants
Rappel des 4 thématiques validées par les partenaires du comité de pilotage de la maison de
l’adoption pour l’année 2013/2014. (Annexe 1 et 1bis)
1. ASSOCIATION «LA VOIX DES ADOPTÉS»
Présentation de l’association La Voie des Adoptés par Mme NOBLANC, Responsable de l’antenne
Rhône-Alpes.
L’association a été créée en 2005 et l’antenne Rhône-Alpes en 2006. En partenariat avec la Maison
de l’Adoption, des débats à thème sont organisés environ tous les deux mois avec des sorties au
restaurant permettant ainsi de maintenir les échanges et expériences de chacun en toute
convivialité. L’association travaille sur quatre objectifs :
1/Communiquer : Créer un espace d’échange et de discussion pour les adoptés
2/Collaborer : Témoigner de notre expérience auprès des (futurs) parents adoptifs et des
professionnels, réfléchir ensemble sur la problématique de l’adoption.
3/Accompagner : aider à la recherche de ses origines et accompagner les personnes sur leur projet
(édition d’une charte d’aide à la recherche)
4/Sensibiliser : faire part des risques face aux dérives à travers le monde.
Pour aborder ce quatrième point, Madame Céline GIRAUD, Vice-présidente et fondatrice de
la Voix des Adoptés aborde la question du trafic d’enfants dont elle a été elle-même victime au
Pérou en 1980. Auteur d’un livre « J’ai été volée à mes parents – Quand l’adoption tourne au
trafic ». Quelle réponse apporter lorsque la personne part à la recherche de ses origines (annexe 2 et
annexe 2 bis)
2. LE CNAOP
Présentation du CNAOP par Mme PREVOT, chargé de mission au Secrétariat général du CNAOP
« Conseil National pour l’Accès aux Origines Personnes » créé par la loi du 22 janvier 2002, votée à
l’unanimité par les députés.
Son objectif est de faciliter l’accès aux origines personnelles des personnes adoptées et des
pupilles de l’État. Cette mission est assurée en liaison avec les départements les collectivités
d’Outre-Mer et les organismes autorisés pour l’adoption.
Ce dispositif s’adresse aux personnes qui recherchent leur origine, aux parents de naissance qui
souhaitent lever le secret de leur identité ou les proches parents qui désirent faire une déclaration
d’identité auprès du CNAOP.
Les recherches aux origines personnelles ne concernent que 3 à 5 % des personnes nées dans le
secret. Depuis la mise en place du CNAOP, 6 600 demandes ont été enregistrées.
« Chaque demande est unique, reflet d’une histoire singulière et appelle une attention
particulière », un réponse unique également ». (Annexe 3)
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3. ASSOCIATION «ADEPAPE 69»
Intervention de Monsieur THIONOIS
Actuellement, le public de l’ADEPAPE (Association Départementale d’Entraide aux Pupilles et
Anciens Pupilles de l’Etat) est celui des personnes accueillies par le service de l’Aide Sociale à
l’Enfance et les pupilles de l’État adoptés ou non. Cette association a été créée en 1946 et est
inscrite dans la loi (CASF). Elle est présente au conseil de famille et aux commissions d’agrément
aux fins d’adoption.
Intervention de Monsieur René GIRAUD, membre de l’ADEPAPE 69 et ancien pupille de l’État,
auteur d’une recherche en anthropologie « de la non parenté à la parenté multiple » - septembre
2011 à l’Université Lyon 2 (Annexe 4)
4. ASSOCIATION «MAEVA»
En Polynésie et culturellement, l’enfant n’est pas nécessairement élevé par sa famille biologique,
mais plutôt par la personne la plus apte à le faire. Il est donc courant que des parents confient un
enfant à un membre de leur famille ou à un proche, en tout cas à quelqu'un de confiance.
Quand des parents de naissance décident de confier leur enfant à des parents adoptifs potentiels
(en général à la naissance), ils doivent donc le faire dans le cadre d'une délégation d'autorité
parentale (DAP) prononcée par le juge du TGI de Papeete. De ce fait, les deux familles restent en
contact et lorsque l'enfant atteint l'âge de 2 ans, ses parents biologiques pourront alors signer un
consentement à l'adoption en lien avec les services sociaux. (Annexe 5)
5. QUESTIONS- RÉPONSES
Le public a pu réagir en apportant leur propre réflexion :
-
sur la consolidation de la filiation en trois points : biologique, sociale et légale
-
sur l’accouchement dans le secret : la commission européenne des droits de l’homme
(CEDH) a condamné l’Italie d’avoir refusé à un adulte l’accès à ses origines à la suite d’un
accouchement sous X. La CEDH reconnaît à l’enfant le droit de connaître ses origines ce qui
entraîne un paradoxe qui va faire réagir au niveau européen quant au droit de la mère de
faire accepter son anonymat mais qui protège ses intérêts.
Réaction : « pourquoi seule la mère serait entendue – c’est une aberration »
De même, ne pas pouvoir lever le secret à la mort de la personne c’est encore sublimer
cette dernière.
-
sur la particularité de l’adoption polynésienne et le comportement des familles adoptives :
la reprise du lien avec les parents biologiques ces dernières années est assez récurrente
avec d’autres pays ou le fait de mettre des photos des parents biologiques dans la chambre
de l’enfant par exemple, est-ce une culpabilité des parents adoptifs ? Il faut absolument
faire exister ces parents car ils ne se considèrent pas comme de bons parents adoptifs.
-
Ne pas tomber dans les excès : les parents adoptifs se sentent dans l’obligation de faire. Ils
doivent se considérer comme des parents à part entière.
Les participants ont également posé des questions :
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*Par rapport au CNAOP :
-
est-il possible de demander à la mère que le secret soit levé après sa mort si une personne
fait une recherche sur ses origines ?
Voici la réponse de Madame PREVOT :
-
Le législateur a pris sa décision : le CNAOP peut contacter la mère de naissance si elle est
identifié et localisée et l’informer de la démarche de la personne dont elle a accouché, lui
demander si elle souhaite ou pas lever le secret de l’identité. Si elle refuse son identité est
préservée
o prise de contact par téléphone. (semi anonymat, respect de la confidentialité, secret)
ou lettre neutre à l’entête du ministère ou l’on présente la démarche
o Message essentiel pour être très personnelle et le reconnaître tel qu’on parlé la 1ère
fois ; nécessité de faire confiance ; pas de décision sur le champ et laisser un temps
de réflexion
o Élaboration de la décision de refus et on va en prendre acte : « on va en attesté »
mais la personne pourra toujours changer d’avis : la personne décide par rapport à
son parcours de vie
o On va poser la question de la levée du secret après sa mort et faire en mesure de
respecter la volonté après décès avec des réponses « ni maintenant, ni après mon
décès » ou certaines personnes sont d’accord car elles ne seront plus là.
Inspiré d’une loi québécoise « Mouvement des retrouvailles » : ne donne pas l’identité non
identifiable car la personne n’est plus là pour s’expliquer : on donne des renseignements qui ne
permettent pas d’identifier la personne qui veut garder l’anonymat : c’est du déclaratif avec le
risque d’usurpation d’identité.
-
-
-
Qu’en est-il du déni de grossesse : toutes les preuves sont là mais la personne ne se
souvient pas: il s’agit d’une stratégie de protection : nécessité de prendre le temps et de
faire confiance : il ne faut pas trop rappeler les gens car harcèlement et intrusion dans leur
vie personnelle
Prendre en compte la mémoire prisonnière : ce n’est pas moi et 7 ans après c’est la mère
qui recherche son enfant
C’est un séisme pour la mère qui retrouve son enfant
Documentaire : «la tête de mes parents » : rien n’est jamais figé et il faut respecter le
rythme de chacun
Comment se présenter car suspicion : on se présente sous son identité et sous le ministère
de la famille : les personnes sont sans voix et vous laisse parler pour donner des détails
(qui ne peuvent pas être connu par d’autres).On la laisse progressivement compléter (pour
vérifier) = drôle de jeu dans le début : ne jamais mentir et juger : rester très humble
Personne née sous X : pas de levée de secret mais le CNAOP est habilité à recevoir une
déclaration d’identité ; Si la personne lève le secret : il existe un fichier d’identité l’enfant
recherche son identité
Si la personne a déjà fait un accès aux origines : on la contacte
Pas de prise de contact si le jeune n’a pas fait de démarches d’accès aux origines.
Quel est le poids des émissions :
La démarche existe, 650 levées de secret spontanées
Les proches des parents de naissance qui sont au courant ou le découvrent peuvent adresser
au CNAOP une déclaration d’identité
*Par rapport à la Voix des adoptés :
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- cette association organise des débats sur les différents clichés « tu viens d’où toi » surtout
si c’est visible – « la vraie et fausse mère »
Des adoptés colombiens qui seront meilleurs en espagnol avec toujours le besoin de se justifier
Les questions sur les origines si différents des parents adoptifs ; le non dit et le tabou – la pitié
« je suis désolé, j’ai mis les pieds dans le plat ou imaginé que c’est triste »
- Il faut toujours se justifier que ce soit du côté des adoptants ou adoptés : toute sa vie, il
faut prouver que ce soit par exemple en mairie pour des papiers d’identité : c’est un déclic
permanent qui rappelle.
Pas d’injonction ou dogme sur la recherche des origines. Chaque situation est singulière et aucun
livre ne peut dire ce que l’on doit faire : il s’agit d’une question légitime et universelle mais la
réponse est singulière, intime et personnelle.
Il est important de dire la vérité aux enfants en tenant compte de sa personnalité et de ce qu’il
peut entendre et comprendre comme dans tout acte éducatif.
CONCLUSION
Remerciements aux intervenants et participants. (Annexe 6)
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Annexes
Annexe 1 : Introduction de Mme Mony
Regards croisés sur la recherche des origines
Bonjour à chacun et chacune. Merci aux intervenants pour votre contribution
aujourd’hui à notre réflexion et nos échanges autour de la connaissance des origines
personnelles dans le cadre de la Maison de l’Adoption
La Maison de l’Adoption est une belle initiative du Conseil Général ainsi que sa
mise en œuvre par le service adoption à la Direction de l’Accueil de l’Enfant et de sa
Famille. C’est un lieu ressource et de rencontre pour les personnes concernées par
l’adoption.
Nous avons souhaité dans le cadre de cette initiative mobiliser ensemble les
partenaires de la Maison de l’Adoption et en particulier les associations de parents, les
organismes agréés pour l’adoption, l’association représentant les pupilles, celle de
personnes adoptées et aussi les professionnels autour d’activités transversales à ces
différents acteurs et ce par la constitution d’un comité de pilotage de la Maison de
l’Adoption.
Le but poursuivi est :
- De développer une réflexion issue des différents regards et positions des acteurs
de l adoption.
- Créer les conditions de la rencontre autour de préoccupations communes et
favoriser le débat et la connaissance partagés.
- C’est aussi ouvrir ce débat et cette réflexion à un public plus large que les
acteurs directs en lien avec leurs réseaux.
L’adoption est une question sociale et, pour faciliter la place de chacun, les
questions qui traversent l’adoption ont tout à gagner à s’inscrire dans une réflexion plus
large, afin d’être reconnues dans leur singularité et leur dimension transversale et
enrichies par des réflexions extérieures aux acteurs directs.
Alors au sein du comité de pilotage regroupant les partenaires de la Maison de
l’Adoption, nous avons défini 4 thèmes de rencontre à aborder entre octobre 2013 et
octobre 2014 :

Regards croisés sur la connaissance des origines personnelles,

mais
aussi
la
connaissance
des
origines
culturelles
et
la
multi
appartenance : ce sera en juin,

l’adoption simple au printemps

et la scolarisation des enfants adoptés à la rentrée.
Ces rencontres se font au rythme environ de trois par année scolaire. Aujourd’hui
c’est la première rencontre et je voudrai exprimer tout l’intérêt que j’ai eu dans la
contribution à la préparation de celle ci. La richesse de la réflexion de ces interventions
permettra je l’espère d’en témoigner. Notre réflexion nous a conduit sur un chemin où
nous constatons qu’il n’y a pas de dogme ni d’injonction et la complexité des apports
témoigne de l’impossibilité d une réponse linéaire. Chaque situation est unique et aucun
livre ne nous dira le chemin. La recherche des origines peut prendre des chemins divers
et aboutir sur des réponses et des modalités très différentes d’une personne à l’autre. Le
respect et la position compréhensive s’imposent à nous. Cette recherche est une question
légitime et universelle. Mais la réponse est singulière. Elle est une démarche personnelle
qui a un caractère intime.
Dans cette démarche quand on est parent et que les enfants au cours de leur
parcours posent des questions, il semble important de distinguer deux niveaux. Dire la
vérité oui et pour chacun c’est essentiel, mais cela ne passe pas forcement par la
confrontation à la réalité. Et d’ailleurs de quelle réalité parle-t-on ? Elle est une
construction subjective en lien avec l’expérience de chacun.
Il s’agit aussi d’entendre une demande et d’y répondre au niveau où il nous
semble
possible
et
pertinent
de
le
faire
comme
dans
tout
acte
éducatif
ou
d’accompagnement.
Et rechercher ses origines c’est une quête qui à un moment donné peut apparaître
nécessaire ; cela fait partie de l’histoire de chacun. Ce n’est pas pour autant un
éloignement de la famille adoptive mais c’est reconnaître sa multi appartenance et les
attachements multiples aussi bien au niveau de sa trajectoire personnelle que culturelle.
Ce dernier point sera le thème de notre rencontre en juin prochain
Je pense vraiment que l’émergence d un nouveau regard sur l’adoption passe par
ce travail entre acteurs. Je retiens pour terminer deux points qui me semblent une bonne
conclusion à nos échanges d’aujourd’hui pour fédérer notre projet autour de la Maison de
l’Adoption. Comme nous a dit Monsieur Giraud de l’ADEPAPE 69, il est important de
savoir passer de cas ou situations d’objets parlés à des personnes sujets parlant et
comme nous le souligne Julia NOBLANC de la Voix des Adoptés nous pouvons contribuer
ainsi à soutenir l’adoption éthique et légale.
Myriam MONY
Personne ressource à la Maison de l’Adoption,
Membre du CA d’EFA 69,
Consultante et formatrice de travailleurs sociaux (en particulier les EJE).
Annexe 1 bis : Introduction de Mme Guth
Intervention introductive
à la journée « regards croisés sur la recherche des origines
ll
Le thème de la recherche des origines personnelles a (effectivement) retenu
l’attention du groupe du COPIL, élément fédérateur pointant ainsi la préoccupation
partagée de l’ensemble des acteurs du domaine de l’adoption –parents, personne
adoptées ou non, bénévoles et professionnels.
Nous avions alors deux pistes de réflexion, la recherche des origines familiales, et
celle des origines culturelles. Nous avons fait le choix de vous proposer deux temps
distincts mais non antagonistes. Aujourd’hui, nous abordons la question des origines
familiales. En juin prochain, un temps sera réservé à la question de la recherche des
origines culturelles.
Le travail de préparation à cette journée a mis en avant la reconnaissance aux
personnes du droit d’accéder à leur histoire personnelle, comme un rappel. En effet, le
droit de rechercher ses origines est à corréler avec un principe légal qui est le droit à tout
individu de savoir ce que l’on sait sur lui. Il s’agit d’un choix personnel.
Ce besoin de savoir semble existentiel; pour les personnes qui ont été adoptées,
l’adoption ne répare pas l’abandon. Il s’agit alors d’une quête identitaire, qui peut aider à
se sentir légitime, à accepter l’histoire qui précède l’adoption.
Les personnes qui entament cette recherche semblent comme étrangères à ellesmêmes : recherche de la vérité, recherche sur elles-mêmes, d’où l’importance de
l’accueil et de l’accompagnement de ces personnes. La vérité peut être difficile à digérer,
décevante, imprévisible, périlleuse. Les effets peuvent être blessants, désobligeants. On
ne peut sans doute jamais connaître « toute « la vérité, parce que la vérité est une
notion elle-même subjective mais aussi parce que chacun des acteurs de leur histoire a
dû construire au fil des années les vérités autour desquelles il a organisé sa vie, sorte de
roman familial.
L’accompagnement des personnes qui recherchent leurs origines personnelles est
par conséquent essentiel. Il peut s’agir de bénévoles, de professionnels. Le cadre doit
être défini et s’inscrire dans une promotion d’une éthique dans la démarche d’adoption.
Accompagner c’est aller avec, être à côté.
Qui mieux que les intervenants de cette journée pouvaient en parler. Chacun a sa
propre expérience personnelle, professionnelle et / ou bénévole dans le champ qui nous
intéresse. Chacun d’entre eux va ainsi nous présenter ce qui anime ou a animé son
quotidien de la place qu’il occupe avec sa posture, sa sensibilité et avec la préoccupation
de nous en rendre compte le plus justement possible. Nous les en remercions par
avance.
Je laisse la parole à Julia NOBLANC, responsable de l’antenne Rhône-Alpes de la
Voix des Adoptés.
Annexe 2 : intervention de Mme Noblanc
La Voix des Adoptés La Voix des Adoptés a été créée en 2005. Cette association a été créée pour ouvrir un espace
d’échange, d’écoute, de soutien, d’accompagnement et d’entraide à tous les adoptés (qu’ils soient
nés en France ou à l’étranger). Elle souhaite aussi être un support pour les parents adoptifs et une
piste de réflexion pour les professionnels de l’adoption. La Voix des Adoptés souhaite contribuer
activement à la naissance d’un nouveau regard sur l’adoption d’aujourd’hui.
Nous proposons diverses activités (repas, groupes de parole, parrainage, atelier de réflexion...) qui
permettent aux adoptés, de tous âges, et aux familles adoptives, de s’exprimer sur leur vécu de
l’adoption.
La Voix des Adoptés est une association qui fonctionne sur la base de la tolérance et du respect de chacun, de son opinion et de son histoire. Notre association est totalement ouverte et disponible pour collaborer avec d’autres associations
d’adoptés, de parents adoptifs, d’OAA, d’APPO, avec des professionnels de l'adoption, des
structures, des institutions... C'est tous ensemble que nous contribuons à l’émergence d’un
nouveau regard sur l’adoption et que nous ferons évoluer les idées reçues encore trop souvent
répandues.
L'antenne Rhône-Alpes :
Elle s'est ouverte fin 2006. Au débout nous proposions uniquement des sorties conviviales au
restaurant afin tester le dynamisme de la région. Très rapidement nous avons été plus de 15
personnes à table régulièrement et qui souhaitaient parler de leur adoption. Nous avons donc
commencé les débats à thème à La Maison des Associations dans le 3eme. Puis, il y a 2ans, nous
avons eu le plaisir de commencer le partenariat avec La Maison de l'Adoption. Nous continons à
organiser des débats à thèmes (par ex: l'attachement et l'adoption, conjoints d'adoptés, les
clichés ...) environs tous les 2 mois et ce sont les responsables de l'antenne Rhône-alpes qui les
animent avec toute leur expérience d'années écoulées à accompagner les adoptés et leurs proches.
Nous sommes également ouverts à faire venir des auteurs de livres sur l'adoption (témoignages,
réflexions..) . Cela a déjà été le cas une fois et nous allons renouveler l'expérience en 2014.
Généralement nous avons plus d'adoptés adultes qui sont présents lors de ces débats mais
apprécions fortement la présence des parents ou futurs parents afin que les échanges
d'expériences se fassent. Vous pouvez également nous retrouver lors des interventions dans des
OAA, APPO etc pour témoigner de notre parcours et faire connaître notre association. A l'issu de
ces débats nous organisons une sortie au restaurant pour finir la soirée dans un cadre moins formel
mais tout aussi chaleureux.
Qu'est ce que La voix des Adoptés ? Nous avons 4 objectifs :
1/ COMMUNIQUER : Créer un espace d'échange et de discussion pour les adoptés
C'est important pour certains d'entre nous de parler de notre histoire ou d'écouter aussi celle des
autres. Nous mettons à disposition des activités permettant de se réunir et de partager, toujours
dans le respect de l'autre, avec des visions de l'adoption différentes et le récit expériences.
La Voix des Adoptés Maison des Associations du 11ème – 8 du Général Renault 75011 Paris Association Loi 1901, Parution au J.O le 21.04.2005 (acte 1025) www.lavoixdesadoptes.com – Contact : [email protected] La Voix des Adoptés 2 / COLLABORER : Témoigner de notre expérience auprès des (futurs)parents adoptifs et
des professionnels, réfléchir ensemble à la problématique de l'adoption
Il est important de se dire que c'est tous ensemble qu'il faut collaborer si nous voulons faire
avancer les choses. Le monde de l'adoption est en train d'évoluer. Mais il y a encore du travail : les
adoptés aujourd'hui peuvent témoigner, les parents adoptifs aussi, et les professionnels ont des
compétences qu'il faut aussi exploiter. C'est ensemble que nous construisons l'adoption de demain.
3/ ACCOMPAGNER : La recherche de ses origines est un projet qui demande beaucoup de
réflexion et un accompagnement solide.
Vouloir connaître sa famille de naissance est un droit qui doit être reconnu à toutes les personnes
adoptées, tout en respectant ceux qui ne souhaitent pas faire ce pas. C'est une décision qui devrait
être murie et c'est une démarche qui demande d’y être préparé. Nous proposons un
accompagnement aux adoptés souhaitant se lancer dans cette recherche : des ateliers ont été mis
en place à cet effet et sont animés par des adoptés professionnels de l'écoute ou formés à
l'accompagnement ; et si nous le pouvons, de manière concrète, grâce à nos contacts établis dans
les pays de naissance via une charte d'aide à la recherche (que je vais détailler ensuite).
4 / SENSIBILISER : Ce sont heureusement des cas minoritaires et les lois vont dans le
sens d’une réduction des risques. Mais n'oublions pas qu’il existe encore aujourd’hui de
nombreuses dérives à travers le monde.
Aujourd'hui, les pays de naissance sont plus vigilants face aux dérives et irrégularités de l'adoption.
Les frontières se ferment lors de problèmes, mais l’information a encore du mal à passer. La Voix
des Adoptés souhaite sensibiliser les postulants à la nécessité d’adoptions légales et éthiques.
Charte d'aide à la recherche
Au fur et à mesure que notre association à pris de l'ampleur nous avons eu de plus en plus de
demande d'aide à la recherche familiale. Afin d'aider au mieux nous avons éditer une charte qui est
la suivante :
L'association a mis en place un système d'aide sur place dans le pays de naissance via les cellules
par pays et les contacts établis là bas. L'association ne demande aucune contrepartie monétaire à
l'adopté pour cette aide. La seule obligation est d'être adhérent majeur à l'association et à jour de
cottisation.
Nous n'acceptons pas de demande de la part d'adopté(e)s mineurs, même avec l'accord parental.
En effet, une recherche familiale peut se révéler perturbante dans la vie de l'adopté(e), qu'il/elle
devra savoir gérer au fil du temps. C'est pourquoi nous pensons que les enfants et/ou adolescents
n'ont pas encore acquis la maturité qui est nécessaire pour entamer ce genre de démarche.
Lorsque l'adopté(e) fait appel à nous, pour cette recherche il/elle s'engage par là même à entendre
nos conseils pour le bon déroulement de cette aide. Nous sommes là surtout pour le/la guider s'il le
faut avec nos contacts sur place, lors de traductions, lui faire découvrir la culture et les mentalités
du pays de naissance… L'association s'appuie principalement sur l'expérience de ses membres
actifs animateurs de cellule que ce soit au niveau personnel ou associatif.
L'adopté(e) peut, s'il/elle le souhaite, nous transmettre des copies de ses documents
d'adoption/abandon ou tout autre document qu'il jugera important pour l'avancée des recherches.
L'association gardera un secret sur les documents que l'adopté se sera engagé à lui remettre.
Si le pays de naissance demande à ce que ce soit la personne concernée qui fasse la demande des
documents officiels d'adoption ou de certaines démarches administratives concernant l'adopté(e),
dans ce cas, l'association ne prend pas la responsabilité de se déplacer ou de demander des
papiers, même via son contact sur place. Le but étant de rester en toute légalité avec les autorités
étrangères.
La Voix des Adoptés Maison des Associations du 11ème – 8 du Général Renault 75011 Paris Association Loi 1901, Parution au J.O le 21.04.2005 (acte 1025) www.lavoixdesadoptes.com – Contact : [email protected] La Voix des Adoptés L'association ne s'engage pas à retrouver de façon sûre et certaine, et dans un laps de temps
donné, les familles de naissances
L'adopté(e) se doit donc à rester actif/ve tant que possible dans ses recherches personnelles et à
mettre au courant l'animateur de la cellule de son pays de naissance sur l'avancée des recherches,
tout comme l'association sera transparente sur tous les points d'informations qu'elle aura réussi à
obtenir.
Nous nous réservons le droit de refuser l'aide à un(e) adopté(e) que nous penserions trop fragile
psychologiquement pour entamer ces démarches et surtout sans soutien moral d'une personne
externe (famille, amis, conjoint...). Nous souhaitons avant tout que les recherches familiales
restent un moyen pour l'adopté(e) de pouvoir répondre à ses questions sur ses origines et que le
cadre de ce dernier soit avant tout stable et sain. Le but étant de le/la préserver de conséquences
éventuellement importantes notamment lorsqu'il faut parfois assumer des vérités dures à
entendre. Si toutefois tel était le cas, l'association ne serait en aucun cas responsable des
répercussions post-recherche mais peut se rendre disponible pour en discuter.
Si la famille de naissance est retrouvée par l'association, l'adopté mettra en œuvre ses propres
moyens pour rentrer en contact avec cette dernière,
L'association pourra toutefois servir d'intermédiaire si besoin et si possible (téléphone, courrier
postal ou électronique, tchat, mail), mais ne sera pas tenue d'établir de façon permanente une
quelconque relation entre l'adopté(e) et la famille de naissance.
L'adopté(e) pourra toujours revenir chercher conseil et soutien après de la cellule du pays concerné
ou à l'association en général après des éventuelles retrouvailles
Pour tous les adopté(e)s qui ont, ou qui souhaitent, retrouver leur famille biologique, nous
recommandons fortement leur participation aux ateliers de soutien et d'accompagnement organisés
par notre association. Toutefois, si l'adopté(e) ne peut se déplacer, nous lui conseillons de prendre
contact directement par téléphone avec l'animateur de cellule afin de parler de son projet.
Lorsque notre association commence à accompagner un adopté pour sa recherche familiale,
personne ne sait à l'avance ce que nous allons trouver. Il s'est avéré que pour certaines cellule par
pays de naissance, les dossiers que nous avons eu entre les mains étaient pour la majorité
irréguliers. Parfois, ce sont les adoptés qui viennent nous parler de leur propre histoire d'adoption
avec dérives après avoir fait eux-même les démarches pour retrouver leur famille de naissance et
avaient besoin d'être entendus, soutenus afin de se sentir moins seul face à ces vérités
perturbantes. Les moyens humains que cela nécessite en terme d'accompagnement peuvent être
conséquents . Nous faisons donc notre possible pour s'entourer de contacts fiables et formés afin
d'être le plus efficace pour ces adoptés et leur famille qui trouvent rarement des structures adaptés
à leur demande initiale et se tournent vers l'associatif pour les soutenir.
Dans le cas de dérives de l'adoption, j'ai tenu à inviter Céline GIRAUD. Peut être que certains
d'entre vous la connaissent déjà: Céline est la vice présidente et fondatrice de La VDA. Suite à sa
recherche d'origine, s'est rendue compte qu'elle et ses familles ont été victimes d'un trafic d'enfant
au Pérou en 1980. Je lui laisse présenté elle-même son histoire.
La Voix des Adoptés Maison des Associations du 11ème – 8 du Général Renault 75011 Paris Association Loi 1901, Parution au J.O le 21.04.2005 (acte 1025) www.lavoixdesadoptes.com – Contact : [email protected] Annexe 2 bis : intervention de Mme Giraud
LE TRAFIC D’ENFANTS Le trafic d'enfant est une réalité dans l'adoption. Ce ne sont pas de simples mots de journalistes qui sont faits pour créer de l'émotion. Cela peut toucher n'importe qui. Et cela m'a touché moi. A 23 ans, pensant retrouver une mère biologique qui allait m'expliquer les raisons de son geste, je découvre que je suis une enfant volée 3 jours après sa naissance. Et je découvre une famille pour laquelle je suis un miracle. Mon histoire en quelques minutes...... J'ai découvert ensuite que le trafic dont j'avais été victime n'était pas un fait isolé. Dans presque tous les pays on entend qu'il y a des adoptions irrégulières, que les éléments des dossiers sont faux, que les enfants n'ont pas été abandonnés, que des mères ont été abusés, que les contextes politique ont favorisé les trafic d'enfants, qu'il y a des différence d'interprétation du mot "adoption" selon les pays, les cultures... Mes questions aujourd'hui sont simples. Actuellement, les trafics d'enfants existent encore même si la volonté de tous est de les maîtriser. Dans le cas d'un trafic d'enfant ou d'une adoption irrégulière avérée, que devient la vérité ? Où doit elle être conservée? Qui a le pouvoir de révéler, ou non, cette vérité, cette histoire à l'adopté ? Si le trafic ou l'irrégularité est découvert alors que l'enfant est encore mineur donc sous l'entière responsabilité de ses parents, dans quelle mesure ses parents adoptifs doivent ils communiquer avec la famille biologique (la famille qui a perdu cet enfant et qui en souffre, voire qui ne sait pas ce qu’est devenu son enfant) ? Dans ce type de cas, doit on reconsidérer le contact entre l'enfant et la famille biologique (n'oublions pas que nous ne sommes plus dans le cas d'un abandon souhaité et donc d'une adoption régulière) ? Doit on penser à un nouveau type de relation dans l'adoption ? Et enfin, que doit‐on à la famille biologique qui a perdu un enfant ? Doit‐elle être indemnisée? Si oui, qui doit l'indemniser? L'adoption est un sujet tellement humain qu'il m'est difficile de répondre à ces questions. Mais le sujet mérite aujourd'hui ’être pensé, raisonné et pris en considération. Les adoptés deviennent adultes, partent à la recherche de leur origine, de la vérité, et nous allons au devant de milliers d'histoires comme la mienne. Que va t‐on leur répondre ? Annexe 3 : Intervention de Mme Prévot
LA RECHERCHE DES ORIGINES
Maison de l’adoption
Conseil général du Rhône - Lyon, mardi 17 décembre 2013
Laurence PREVOT,
chargée de mission au Secrétariat général du CNAOP
Dans le champ d’action de la Maison de l’Adoption, la recherche des origines
personnelles touche directement tous les partenaires et c’est bien précieux d’aménager
ainsi une occasion de croiser les regards :
- celui des adoptés et de leur quête de leur histoire
- celui de leurs parents et proches, prêts à accompagner leurs recherches
- celui des associations qui représentent leur point de vue
- celui des professionnels dont le rôle, fixé par la loi de 2002, est désormais de
faciliter cet accès aux origines.
Cette demande existe depuis très longtemps, les anciens Pupilles de l’Etat et ceux qui
ont été adoptés par l’intermédiaire des organismes privés ont ressenti le besoin de
« revenir à la source » pour consulter leur dossier à la recherche de leur histoire
initiale. On leur communiquait les informations sur les circonstances de leur naissance,
les conditions dans lesquelles ils avaient été confiés mais, dès lors qu’il y avait
demande de secret, la démarche devait s’arrêter là.
Cet obstacle a entraîné de vives réactions, la création d’associations de défense du
droit à l’accès aux origines, tout un mouvement partagé par les professionnels qui a
abouti à la loi du 22 janvier 2002 qui, il faut le souligner, a été votée à l’unanimité.
Son objectif : faciliter l’accès aux origines personnelles des personnes adoptées et
des pupilles de l’Etat.
Pour la 1ère fois, c’est la reconnaissance officielle de la profonde légitimité de cette
démarche de quête des origines personnelles : la loi dispose que la mère de naissance
« est informée de l’importance pour toute personne de connaitre ses origines et son
histoire ».
Pour remplir cette mission, le Conseil National pour l’Accès aux Origines
Personnelles a été mis en place. Le CNAOP est constitué d’un conseil de 17 membres,
assisté d’une petite équipe de 8 personnes, le Secrétariat général et d’un réseau de 250
correspondants départementaux désignés par les Présidents de Conseils Généraux.
1
Désormais, la démarche ne s’arrête pas aux renseignements sur les circonstances, un
contact peut être pris avec les «parents de naissance», un échange peut s’instaurer.
Un appel devient possible…
« Ma chère mère,
Je me décide enfin à vous écrire cette lettre, que je prépare depuis bien des années.
J’ai entrepris les démarches qui me permettront de renouer le contact avec vous.
J’ai donc consulté mon dossier à l’ASE.
J’espérais sans trop y croire pourtant, y trouver une lettre, un mot de vous.
J’ai pu néanmoins avoir accès à certains éléments concernant l’année qui s’est
écoulée de ma naissance jusqu’à mon adoption.
Je ne juge en rien votre décision et ne vous en veut nullement.
Il est vrai que, plus jeune, j’avais du mal à comprendre votre choix.
Mais mon amertume depuis longtemps a disparu et a fait place à un sentiment tout
autre, celui de vous retrouver.
Je ne veux pas non plus bouleverser votre vie en débarquant de la sorte au bout de
quarante ans.
Je ne voudrais pas vous faire peur et je respecterai votre vie.
J’aimerais juste vous voir, vous parler, parler de votre vie, de la mienne, vous
embrasser. »
Si la loi a reconnu la légitimité de la démarche, elle n’a pas pour autant reconnu un
droit d’accès aux origines personnelles : l’accouchement sous « X » est toujours
possible, et plus tard, si le parent de naissance contacté refuse de lever le secret, il est
pris acte de sa volonté qui est respectée.
Mais la loi de 2002 a encore diminué la possibilité de demander la préservation du
secret de l’identité pour se limiter à un objectif de sécurité sanitaire. Jusqu’en 1996,
les père et mère de l’enfant pouvaient le confier en demandant le secret dès lors qu’il
avait moins de 7 ans. Cette possibilité a été limitée à l’enfant de moins d’un an par la
loi de 1996.
Depuis 2002, la demande de secret ne concerne plus que la mère de naissance au
moment de l’admission à la maternité ou au moment de l’accouchement : dès lors que
la naissance a été déclarée à la Mairie (c'est-à-dire au plus tard dans les 3 jours), un
enfant ne peut plus être confié anonymement. Sa santé n’étant pas en jeu, le père
biologique ne peut plus demander le secret.
L’objectif de faciliter l’accès aux origines personnelles a conduit le législateur à doter
le CNAOP de pouvoirs d’investigation pour identifier et localiser les personnes
recherchées, à autoriser l’intrusion dans la vie privée des personnes que constitue le
fait de les contacter pour leur présenter la démarche et leur proposer de lever le secret
de leur identité.
Une réponse devient possible…
2
« Pendant des années, je sentais que tu n'avais pas besoin de moi, que tu vivais
heureux et je n'avais pas trop de chagrin.
Mais durant ces trois dernières années, j'ai ressenti, à d'innombrables reprises, très
très intensément, que tu m'appelais.
Je savais que ce jour allait arriver.
Il est très difficile d'affronter son passé lorsqu'il est peuplé de remords.
Ma décision d’alors fut prise après maintes réflexions et un profond déchirement.
Seule, avec déjà un enfant à charge, je n'arrivais pas à subvenir à nos besoins.
Je n'avais pas d'autre choix, j'ai souhaité pour toi le meilleur.
Que tu sois adopté, élevé, choyé avec tout l'amour d'une famille unie.
Je sais à présent que tu as eu ce que je désirais pour toi, j'en suis heureuse et apaisée.
Bien sûr, j'aurais aimé voir tes premiers pas, entendre tes premiers mots, te voir
grandir, savoir comment tu étais petit garçon, savoir comment tu vivais et de quoi tu
souffrais.
Mais ma décision ne me permettait pas de revenir en arrière et je n'avais pas prévu la
suite de notre histoire.
Bien sûr, tu te poses des questions sur tes origines : saches que tes racines sont
simples, humbles et honnêtes et que tu as été conçu avec amour. »
On le voit bien : il s’agit d’un dispositif d’équilibre entre la demande de connaître ses
origines et son histoire, la préservation d’un secret garanti par des professionnels et la
nécessité pour la nouvelle famille de l’enfant de se construire dans la sérénité avec des
repères clairs pour chacun.
LA DEMARCHE D’ACCES AUX ORIGINES PERSONNELLES
Tout d’abord, il faut souligner que la recherche des origines personnelles ne concerne
que 3 à 5 % des personnes nées dans le secret. Ce questionnement n’est donc pas
obligatoire : il est important de le dire dans la mesure où nous voyons aujourd’hui de
plus en plus de parents s’inquiéter pour leur enfant, alors que lui-même ne se pose pas
de questions, et ne s’en posera peut-être que très tard ou jamais.
Au moment de la mise en place du CNAOP, on nous avait annoncé 400 000
demandes : en 11 ans, on en a enregistré 6 600.
Ensuite, il est clair que toute généralisation est erronée, voire dangereuse : chaque
demande est unique, reflet d’une histoire singulière et appelle de notre part une
attention particulière, une réponse unique également. Il faut chaque fois inventer avec
le demandeur ce qu’il adviendra de sa démarche.
En effet les enjeux de la recherche sont très différents selon les personnes : de la
simple curiosité (puisque c’est possible, maintenant, j’utilise le dispositif) au besoin
de connaitre les fondations de la construction de sa vie jusqu’à la profonde crise
identitaire dont le questionnement insupportable empêche celui qui en souffre de
s’engager dans la vie affective et de se projeter dans sa vie d’adulte ( je ne peux savoir
où je vais si je ne sais pas d’où je viens).
3
La démarche peut être le fruit d’un long cheminement, la quête de nombreuses années
sans savoir où s’adresser, refaisant le parcours à la recherche de « traces » auprès de
sages-femmes, familles d’accueil, médecins…avec retour sur des lieux…
Les demandes sont souvent portées par un événement familial : le décès des parents
(le demandeur craint que cette démarche les aurait blessés), la découverte tardive de
l’adoption (avec la nécessité de repenser complètement ses relations antérieures en
fonction de ce secret de famille révélé), le fait de devenir parent à son tour qui fait
basculer le jeune dans un positionnement différent avec l’émergence de la notion de
transmission, l’expérience du don de la vie : comment a-t-elle pu faire pour me
laisser ?
La loi, pourtant centrée sur les origines personnelles, ne les définit à aucun moment
mais elle organise tout le dispositif sur les conditions dans lesquelles l’identité des
parents de naissance sera communiquée à l’intéressé.
La démarche portée par nos demandeurs ne se limite pourtant pas à cela…
Plus qu’à la question biologique (quelle est son origine ethnique ? quelles sont les
hérédités ?), elle relève du besoin de vérité, que l’on soit adopté ou non : de quelle
histoire suis-je le fruit ? Quel premier regard a été posé sur moi ?
Et puis, pourquoi cela a-t-il été interrompu ? Pourquoi l’après n’a-t-il pas été
possible ? Est-ce moi qui n’a pas été aimé parce que je n’étais pas aimable ?
Il y a ici comme une culpabilité qui s’exprime en réaction à la blessure de l’abandon.
A cette blessure, peut répondre l’agressivité (j’ai le droit de savoir, elle me doit des
explications, ce qu’elle a fait est inexcusable…) ou, tout au contraire, et c’est souvent
le cas, une attitude de protection de celle qui l’a mis au monde et à laquelle il veut
apporter un apaisement.
Il y a comme un inversement des rôles tant les mots utilisés sont « maternants »…
Une telle démarche consiste en une tentative d’appropriation de son histoire, malgré
des parents adoptifs aimants, malgré une grande clarté des éléments connus par la
famille : il est important que l’intéressé fasse sa démarche à son rythme personnel, au
moment où il le décide car il se sent prêt.
Ce respect du rythme personnel est primordial : pour l’entourage et les
professionnels, il s’agit de répondre au questionnement tel qu’il se pose à un moment
donné de son cheminement et de ne pas le devancer en allant au-delà de ce qu’il
demande.
Parfois, notre demandeur se désiste en cours : les informations non-identifiantes lui
suffisent, finalement, il ne souhaite pas rencontrer ses parents biologiques, ce n’est
finalement pas une priorité pour lui et nous stoppons alors l’instruction de sa demande.
4
Pour suivre au plus près ce cheminement personnel, il est très important qu’avant de
s’adresser au CNAOP, les personnes aillent dans un premier temps consulter leur
dossier au conseil général ou à l’organisme autorisé pour l’adoption. La démarche
auprès du CNAOP viendra dans un second temps : c’est une épreuve de réalité, il
s’agit de confronter des années d’illusions, d’attente, à une personne telle qu’elle est,
dans une réalité forcément inconnue, souvent bien différente de ce qui avait été
imaginé.
C’est une prise de risque : tout peut arriver, le meilleur comme le pire.
Il peut arriver qu’on ne trouve rien : les renseignements du dossier peuvent se révéler
insuffisants pour identifier ou localiser les parents de naissance : nous sommes
tributaires de la qualité des informations conservées et cela concerne 42% des
demandes. C’est une grande déception par rapport à tous les espoirs portés par la
recherche.
Mais pour les autres – et qu’ils représentent 58% des demandes a été une heureuse
surprise dans cette logique du secret – il va falloir gérer les résultats de la recherche,
ce qui peut être aussi lourd que de porter la démarche elle-même : effectuer un travail
de deuil du parent de naissance décédé, accepter le déni de cet accouchement, assumer
un refus qui pourrait être vécu comme un 2ème abandon, mais aussi retrouver un
équilibre de vie préservant la place de chacun après une rencontre chargée d’émotion
qui établit un nouveau lien…
Pour la mère de naissance, notre prise de contact va la ramener à son passé et c’est
aussi une émergence de l’imaginaire sur un évènement qu’elle a souvent enfoui pour
pouvoir continuer à vivre et nous savons bien que la femme que nous contactons n’est
pas la même que celle qui a accouché des années auparavant.
Il faut aussi prendre en compte le contexte de l’époque et le contexte socio-culturel :
naissance pendant la guerre, pressions sociales en écho au modèle « d’honorabilité de
la famille », difficile accès à la contraception, principes religieux …
Il convient aussi de respecter son rythme à elle, prendre le temps pour accompagner
ce retour vers le passé, plus ou moins long, plus ou moins doulpureux.
C’est beaucoup plus souvent la mère de naissance que l’on recherche : la loi utilise
les termes de père et mère de naissance mais souvent, le jour de la naissance, le père
est déjà bien loin… Tandis que, avec la mère de naissance, il y a eu 9 mois de
symbiose, puis l’accouchement. Souvent la mère de naissance aura pris l’enfant dans
ses bras, certaines lui auront parlé pour expliquer leur décision…
Avoir accès à son histoire, c’est aussi pouvoir éliminer tous les scénarios qui font
mal, auxquels on se prépare pour se protéger (Madame, j’avais imaginé le pire et
finalement, c’est une histoire toute simple…)
5
Connaitre une identité, c’est remplacer un point d’interrogation par un nom, même si
la personne est décédée, c’est très important pour ceux qui ont été désignés à leur
naissance par 3 prénoms. Une dame, à qui j’annonçais qu’il n’y avait aucun élément de
l’identité de ses parents biologiques dans ses dossiers, m’a répondu « mes parents
adoptifs m’ont donné leur nom, je ne les remercierai jamais assez ».
Rencontrer celle qui les a mis au monde, c’est avoir accès au jeu des ressemblances.
Je suis dans une gare, j’accompagne l’un ou l’autre, à la recherche d’une dame avec
une écharpe bleue ou un sac rouge et il me dit « c’est elle ! ».
La rencontre permet de rassurer chacun sur ce que l’autre est devenu (les mères de
naissance parlent de « délivrance »…). C’est aussi, en se racontant, donner du sens à
des aspirations, des goûts, des dons (ex gens du voyage).
Après la rencontre, c’est à eux de construire une relation. Avec du recul, nous
sommes un peu déçus au CNAOP de constater que finalement, à part quelques
exceptions, seuls des échanges épisodiques se sont installés mais c’est peut-être cela
l’essence même de la démarche : les chemins confondus au départ puis séparés se sont
croisés et reprennent leur trajectoire…
Alors pour les parents, comment se préparer pour accompagner son enfant ?
Aujourd’hui, le fait de l’adoption est de plus en plus souvent intégré par l’enfant dès
son plus jeune âge, les parents savent trouver les mots justes selon l’âge de leur enfant,
pour lui parler de son histoire.
On nous avait expliqué que les demandes d’accès à leurs origines concerneraient les
échecs de l’adoption, les jeunes en difficulté : c’est entièrement faux, ceux qui
s’adressent au CNAOP nous annoncent majoritairement qu’ils ne sont pas à la
recherche d’une maman, qu’ils en ont une et que leurs parents sont formidables.
Ils ont eu une enfance heureuse, exposée comme dans toute famille à des joies et des
épreuves, ont été entourés avec amour pour se construire.
Seulement, leur vie n’a pas commencé le jour où ils ont été confiés à leurs parents,
l’ « avant » fait partie d’eux-mêmes et ne peut être gommé.
Certains ont parlé, en allusion à la peur du lendemain, de la peur de la veille…
Je crois qu’il est important pour les parents, de réaliser que cette quête des origines ne
remet pas en question leur parentalité mais bien au contraire qu’elle permet à leur
enfant de se construire avec ses 2 réalités :
. la femme qui l’a porté, lui a donné la vie et qui n’a pas été là après
. et sa vie réelle entourée des siens avec qui il a grandi.
L’adoption est une filiation particulière dans le sens où l’on se propose d’être parent
d’un enfant né ailleurs : il est important pour les futurs parents de travailler ce point
précis, de prononcer les mots, qui peuvent être difficiles, sur l’accouchement de
6
l’enfant, de se familiariser avec cette histoire particulière pour être après en mesure
naturellement de faire face à ses questions, qu’elles soient posées directement ou de
façon détournée.
Les parents doivent donc être au clair avec cette dimension et se sentir légitimes face à
leur enfant : personne ne prend la place de personne.
C’est ainsi que l’enfant pourra grandir dans l’insouciance et la sécurité auxquelles il a
droit.
Si on doit toujours lui parler avec respect de celle qui lui a donné la vie, il n’a pas
forcément besoin qu’on lui « rabâche » quelque chose qu’il doit savoir mais qu’il doit
aussi pouvoir nier… jusqu’à ce qu’il décide lui-même un jour de s’y intéresser.
L’adolescence est par contre le moment des grandes interrogations sur soi et sur le
monde et, forcément, l’enfant adopté va questionner le pourquoi du désir de ses
parents, le pourquoi de sa naissance et rechercher à comprendre son histoire.
C’est là qu’il est important que ses parents puissent lui répondre dans le respect de la
vie de leur enfant, différent d’eux-mêmes, et dont ils ne peuvent effacer les
souffrances.
Le jeune peut alors se fabriquer une histoire plus agréable que la réalité, ignorer tel
aspect, se protéger de la réalité.
Il y a un travail de cohérence à respecter : rien n’est figé, il ne faut pas s’arrêter aux
mots prononcés mais laisser les demandes s’exprimer, avec des sentiments parfois
contradictoires…
Le fait de l’adoption est souvent rendu responsable de toutes les difficultés ou mal-être
des jeunes et nombre de « spécialistes » voient dans la connaissance des origines le
remède à ce qui est, comme pour tous, un moment de désorganisation traversé par bien
des adolescents.Or, on a vu que le résultat de la démarche peut être très déstabilisant…
Si ce besoin de remplir la case du puzzle qui manque s’exprime plus tard, le rôle des
parents est encore primordial : c’est tellement mieux de pouvoir partager naturellement
avec ses parents ce qui est important.
Il est donc essentiel que cet accompagnement familial se fasse dans un climat de
confiance et que la recherche des origines soit une étape de plus dans le « portage » qui
doit aboutir à faire de l’enfant un adulte autonome avec son histoire qu’on ne peut
changer et qu’il faut l’aider à vivre.
Ma mission au CNAOP est donc très particulière : l’occasion de « faire des miracles »,
de vrais bonheurs, mais aussi de grandes déceptions …
Moi, je suis un messager,
Je suis là avec mon professionnalisme, ma neutralité, mon rôle de passerelle entre 2
acteurs d’une histoire temporairement partagée.
7
Alors le message ?
. dites-lui que j'existe
. dites-lui que je la recherche, que je ne la juge pas
. dites-lui merci de m'avoir donné la vie
. dites-lui : Pourquoi ?
et le retour :
. dites-lui que je ne l'ai pas oublié
. dites-lui que je ne peux pas, que je ne veux pas…
. dites-lui que je savais que ça viendrait, que je l’attendais …
Alors, moi, je note tout, fébrilement, pour transmettre les mots justes, mais, les
silences sont souvent plus riches que les mots…
Je transmets quoi ?
. Je transmets tout car on me dit "je suis à la recherche de ma vérité, de la
Vérité, je vous fais confiance pour tout me dire, quoi que ce soit ".
Je ne suis pas là pour broder de belles histoires, la recherche des origines c'est la
confrontation avec la réalité.
. Je transmets tout mais seulement ce qu'on m'a dit de transmettre. "Ne lui dites
pas que c'est un viol, ça lui ferait du mal" : c'est l'esprit de la loi, la mère de naissance
a la maîtrise de ce qu'elle laisse, je ne dois rien ajouter à ce qu’elle m’autorise à
communiquer.
. Transmettre mes impressions ? Est-ce qu'elle est chaleureuse ? Comment
s'exprime-t-elle ? Sa voix ? Je réponds mais ne porte jamais de jugement de valeur.
Ce que je reçois pourrait constituer un livre "Paroles de " … des mots précieux,
comme le contenu d’une bouteille à la mère…
8
Annexe 4 : Intervention de M. Giraud
15/07/2014 17:29:00
revenir se chercher 1
les idées, trop rapidement développées dans cette
intervention, sont une reprise d’idées exposées dans notre
travail de recherches en Master2 : «un parcours
anthropologique dans la parenté des pupilles de l’État
accueillis ou adoptés».
Réfléchir sur le monde des pupilles me renvoie en permanence
au monde des Noirs déportés dans le Nouveau Monde. Ces deux
mondes, lors de leur « passage du milieu », la traversée de
l’Atlantique pour les premiers, l’abandon pour les seconds,
vivront
selon
l’expression
d’Édouard
Glissant
(écrivain
martiniquais), non pas un déplacement mais un transbord. En
effet le « déplacé » garde les principaux éléments de son
identité alors qu’il en va autrement pour le « transbordé ».
Ainsi l’Africain traité ne conserve pas sa qualité d’africain,
il en perd tous les attributs : son nom qui le reliait à une
généalogie, à une tribu, son corps qui devient propriété du
maître et la parole. Quant au pupille frappé du déni
d’origines il est rejeté « hors parenté ».
Le
« transbord »
s’appréhende
alors
comme
un
acte
de
dépossession.
Lui qui vient
« d’Ailleurs »
dans
son
nouvel
espace,
son
« Ici » qu’il « découvre » contraint, «Île nue...tu as dû tout
accepter/pied nu 2 » le Nouveau Monde pour le premier, sa
famille d’accueil pour le second, saura mettre en oeuvre sa
capacité d’agir, «Île advenue... tu as su tout improviser/pied
nu 3 », s’approprier, non sans difficultés, cet « Ici », et
rendre sa vie plus vivable en se changeant en autre chose.
1ExpressionrepriseSmaïn.VoirsonouvrageJereviensmechercheréd.MichelLafon2011
2
D. Maximim : « Bien Venue » L’invention des Désirades Le Seuil 2009
3
Ibidem (voir poème à la fin du texte)
Si pour Paul Gilroy, anglo-caribéen professeur de littérature
« le temps est venu de reconstruire l'histoire primitive de la
modernité à partir des points de vue de l'esclave » 4 ce temps
nous semble également venu de penser la parenté de notre
société à partir des points de vue, de ces « voix à soi », de
ceux qui en ont été rejetés, «les nés en marge», les pupilles
de l’État.
Si l'esclavage des plantations est consubstantiel de la
modernité
fondée
sur
l'ethnocentrisme
des
catégories
essentielles du projet des Lumières, plus particulièrement la
catégorie d'universalité, il va de soi que nous devons aussi
appréhender la « hors parenté » comme consubstantielle du
système de parenté dans notre société. Parenté élaborée à
partir de la triade: un homme et une femme mariés, des enfants
et où « l’entrée en filiation est la suite attendue du
mariage, consécration d’une relation sexuelle procréative
entre un homme et une femme » 5 . Les esclaves ne contesteront
pas l'idée de modernité, mais ils agiront sur les marges
humain/non humain pour promouvoir une modernité dans laquelle
il n'y aura plus que des humains. Les sans famille, les hors
parenté, dans leur famille d’accueil ou d’adoption, dans leur
quotidien d’enfants placés, puis d’adultes, par la recherche
de
leurs
origines,
recherche
quelquefois
suivie
des
retrouvailles avec la mère de naissance, interviennent eux
aussi sur les marges de ce système de parenté. Ainsi dotés de
cette capacité d’agir, ils défont, partiellement certes, les
normes sociales qui les ont faits ce qu’ils sont et élaborent
un système qui prendra enfin en compte la diversité des
configurations, configurations multiples de parenté où tous
trouveront leur place et feront ainsi quelque chose de ce que
ces normes sociales avaient fait d’eux.
4
P.Gilroy, L'Atlantique noir. Modernité et double conscience, Kargo 2003, p. 84.
5
A. Cadoret : "le champ de la parenté aujourd’hui" in Cités, n°28, 2006, p.49.
2
Ce monde des pupilles, un monde
personne, des enfants de nulle part
d’enfants
de
Ces « voix à soi » sont, pour la plupart, nés et ont été
accueillis en un temps où les pupilles de l’État étaient bien
plus nombreux qu’aujourd’hui, 145 000 en 1945 pour 2700
aujourd’hui et où l’adoption était bien peu pratiquée (peutêtre rappeler les dates principales sur l’adoption).
L’Administration, par la pratique le double secret voulait
rendre la rupture avec la famille de naissance irréversible :
- tout d’abord, le secret qui frappe alors tous les
pupilles, celui du lieu de placement en famille d’accueil
(en vigueur jusqu’en 1986)
- puis pour la très grande majorité d’entre eux, le secret
des origines, même pour ceux dont la filiation était établie,
donc connue.
Enfants sans acte d’État civil, seulement détenteurs d’un
simple certificat d’origine délivré par l’Administration,
certificat où seules figuraient sa date et son lieu de
naissance! Cette même Administration, dans le cas d’une
filiation établie, a, pendant une période, favorisé la
pratique de l’état civil provisoire. On délivrait bien au
pupille un acte d’état civil, lequel mentionnait la vraie date
de naissance mais un faux lieu de naissance et où ne figurait
plus le nom du ou des parents de naissance qui l’avai(en)t
reconnu (un simple trait suit les mots mère et père). On
fabriquait alors un faux, un vrai faux papier avec toujours
cette volonté de rendre impossible toute recherche, du moins
tel était le souhait des services. Pourtant nombre d’anciens
pupilles, dans leur désir de recherches, sauront surmonter cet
obstacle. Enfin quelquefois l’Administration attribuait à
certains d’entre eux un pseudonyme et c’était seulement à leur
majorité (21 ans à l’époque) qu’ils retrouvaient leur
véritable patronyme.
Par cet acte de dépossession d’une partie de leur histoire,
celle du début, celle de leur entrée dans la vie ces pupilles
devenaient des « enfants de personne » et de « nulle part ».
3
Ce monde des pupilles, un monde frappé par la malédiction des
origines
Les Noirs frappés par la Malédiction de Cham 6 pouvaient, en
raison de leur descendance (fils de Canaan), être déportés
comme esclaves aux Amériques. Les pupilles de l’État, comme
les Noirs, seront également marqués par cette malédiction des
origines.
Cham avait désobéi, il avait vu la nudité de son père; les
mères des pupilles, filles-mères, mères mariées adultères,
avaient, elles aussi, transgressé les normes sociales,
"désobéi", "faute" qui, bien souvent, provoquera, sous la
pression des parents ou des proches de la “déviante”,
quelquefois de l’Etat 7 l’abandon de l’enfant. Par l’effacement
de ses origines, dépossédé du début de son histoire, devient
un enfant à l’identité amputée. La malédiction de Cham
rejetait les Noirs hors de l’Humanité (ils n’avaient pas
d’âme), la malédiction des origines exclut les pupilles de
toute parenté, enfants du chaos, du "désordre social" ils ne
seront pas comme les autres, pas "tout à fait humains".
Ce rejet, en raison de ses origines, hors de toute parenté
marque le pupille du sceau de l’ambivalence :
- il sera d’abord un enfant frappé du « déni
d’origine », enfant de "la sexualité déniée " 8 , il devient
alors ce que les psychanalystes appellent " l’enfant miroir",
celui que l’on peut modeler, faire à son image. Le pupille en
famille d’accueil doit rester un numéro de matricule que les
services de l’Assistance Publique placent, déplacent à leur
gré, pour devenir, jusque dans les années soixante, garçon de
ferme ou bonne et demeurer aussi "gris", "caméléon" que
6
A. Quenum, Les Églises chrétiennes et la traite atlantique du XVe au XIXe siècle, Karthala,1993,
p. 23.
7
L’État facilitera, l’abandon à « bureau ouvert », l’accouchement au secret ou anonyme en 1941 (nous y
reviendrons plus loin à propos du secret des origines)
8
Nous reprenons cette idée à Corinne Daubigny, idée qu’elle développe dans son ouvrage, Les origines en
héritage, Syros, 1994.
4
l’Administration.
Enfant
frappé
du
déni
d’origine,
sans
filiation, il devient aussi "disponible" pour une éventuelle
attribution d’une filiation, la filiation adoptive. Le pupille
adopté prend le nom
de ses parents adoptifs qui lui
attribuent un nouveau prénom 9 , devient leur "l’héritier" : il
naîtra le jour de son adoption. Par cette filiation, le
pupille adopté accède enfin à "l’humain" comme les autres.
Quant au pupille "placé" il doit se faire oublier, devenir le
plus transparent possible. Du pupille ou de l’enfant-miroir
(du narcissisme), on ne veut donc rien savoir de ses origines.
- mais il sera également l’enfant "du sexe
condamné", de la transgression sexuelle (enfant "naturel",
illégitime, adultérin), "marqué" par ses origines comme nous
l’a dit un pupille « nous sommes les enfants de père inconnu,
mais de mère trop connue ! ». Il est alors l’étranger, le
métèque (celui d’à côté de la maison) : enfant refusé comme
miroir. Le préjugé selon lequel il hérite des vices de ses
parents, le plus souvent de la mère, enfant du péché, du
désordre social, du chaos, marque toute l’histoire de ces
enfants abandonnés, ils portent en eux la déchéance de leurs
origines. Dès lors si le pupille se rebelle, on lui rappelle
ses origines obscures, chargées d’une hérédité douteuse.
Certains adoptés, soit directement, soit par une parole saisie
à la dérobée, entendent cette allusion, pas toujours discrète,
à leurs origines : « je ne sais pas de qui tu tiens ça ! ».
Le pupille n’échappe pas à cette ambivalence:
- ses origines n’ont pas d’importance, il
est enfant-miroir, du narcissisme ou/et par ses origines,
- mais origines qu’il n’a pas intérêt à
connaître, c’est un enfant du sexe, de la sexualité
transgressive, refusé comme enfant-miroir.
Lui seul vit cette ambivalence des origines.
C’est, nous semble-t-il, à la lumière de cette ambivalence que
nous pouvons expliquer pour une part le secret l’adoption qui
prévaudra longtemps. En effet elle reste pendant longtemps la
rencontre de deux stigmates, deux marginalités, mais aussi de
9
L’enfant adopté plus tardivement (deux ans et plus) garde souvent son prénom de naissance.
5
deux souffrances, celle de la stérilité et celle de l’abandon
qu’il vaut mieux taire. Pour les premiers, l'adoption révèle
leur stérilité, leur infécondité, mal vécue chez l’homme
(stérilité=impuissance) comme chez la femme qui ne peut
s’épanouir dans la grossesse, la maternité. Pour les seconds,
ce secret cache leurs origines car être adopté signifie que
l’on a d’abord été abandonné avec toute la spécification liée
à cet état : enfant « du sexe condamné », du désordre social,
« bâtard ». Le déni d'origine, les promeut alors en enfantsmiroirs de ceux qui les adoptent. L’adoption met donc fin à la
marginalité de ces enfants comme à celle des femmes stériles,
infertiles. Pour les premiers, elle leur confère un état
civil, celui de leurs parents adoptifs, eux qui n’en avaient
pas ou plus et permet aux secondes de prendre une place de
mère dans la société. Selon F.R Ouellette « le secret gardé
sur le transfert et sur les origines de l'enfant s'inscrivait
dans une tentative de nier la réalité de l'abandon et de mimer
au
plus
près
la
filiation
biologique»4
Mais monde des pupilles où s’exprime un profond désir
de revenir se chercher
Le pupille de l’État, qu’il soit accueilli ou adopté, connaît
une double souffrance. D’abord une souffrance intime, celle
d’avoir été abandonné, mais aussi une souffrance sociale,
celle qui: « quand on naissait quelque part, on avait un point
de départ et on allait vers un autre point, nous les enfants
abandonnés n’ayant pas d’origine on partait de rien et pour
aller on ne sait pas vers quoi ! » (Smaïn). Ce déni de
naissance, lié au secret des origines prive le pupille la
possibilité de s’inscrire dans une trajectoire.
La plupart des anciens pupilles évoqueront, chacun dans leur
singularité, le désir, selon l’heureuse expression de Smaïn de
revenir se chercher.
Ils ne veulent plus connaître la
souffrance, celle de ne pas être comme les autres, ne plus
rester ceux qui ne sont pas nés, ne plus être ni un enfant
de personne, ni un enfant de nulle part et pouvoir enfin
6
accéder,
même
partiellement,
au
début
de
son
histoire,
histoire qui commence bien avant leur abandon.
Avec le désir, la nécessité même pour certains d’accéder à cet
Ailleurs
commence
alors
une
véritable
odyssée
de
la
10
réappropriation .
Deux moments dans le voyage de ces pupilles vers cet Ailleurs,
dans l’accomplissement de cet « impossible retour » auquel le
secret des origines pourtant les vouait. D’abord le moment de
« la quête des origines ». Puis, pour certains d’eux viendra
alors le deuxième moment, le temps des retrouvailles, le
moment de la mise en relation, si elle vit toujours, avec la
mère d'origine, éventuellement avec la fratrie et les autres
membres de la famille de naissance. Retrouvailles qui peutêtre sera en mesure selon les propos d’une ancienne pupille
accueillie de « combler les espaces blancs de mon passé, dans
mon livre. J’ai grandi et les trous de mon passé je veux les
combler en cherchant l’histoire » 11 . L'ordre de cette mise en
relation dépendra du contexte des retrouvailles. Enfin de ces
retrouvailles, de cette rencontre entre l'Ici et l'Ailleurs
s’ensuivra la mise en oeuvre d'une nouvelle configuration de
la parenté du pupille.
Si le mot origine signifie tout d’abord un événement, un point
de départ, ici la naissance il renvoie également, surtout pour
ces anciens pupilles, au phénomène genèse de cette naissance.
Leur recherche des origines personnelles ne se résume donc pas
à l’événement de leur venue au monde, leur date de naissance
qui figure déjà sur leur livret, inscrite à côté de leur
numéro de matricule et leur vrai lieu de naissance pour ceux
qui le découvriront lors de leurs recherches. Dans leur
démarche tous ces pupilles adoptés ou non, ceux qui souffrent
de "l’accomplissement impossible de la filiation" 12 car venus
10
11
Expression de P. Bourdieu : « L’Odyssée de la réappropriation », Awal cahier d’études berbères, n°18, 1998.
P. Verdier : Propos d’une pupille in « Le bébé face à l’abandon, le bébé face à l’adoption » p.72
Paris éditions Albin Michel 2003.
12
Claude Sageot in « Le droit d’origines, Abandon, Adoption, Filiation, Cahiers de Maternologie n°9 Juillet-
Décembre 1997
7
d’Ailleurs, ne souhaitent pas valoriser le biologique, ils
veulent seulement remonter jusqu’au processus qui précède
l’événement
et
veulent
par
cette
quête
des
origines,
s'inscrire dans une histoire passée, celle d'avant l'abandon,
d'avant la rupture, pouvoir enfin se projeter dans le futur et
ne plus être confronté à cette impasse généalogique et ne plus
connaître la souffrance de ne pas être comme les autres. Ils
ne veulent plus se sentir en marge de leur propre histoire
parce qu’histoire en partie oblitérée, histoire régie par une
historicité qu’ils ne reconnaissent pas comme leur, même si la
connaissance des origines ne saurait éliminer leur souffrance
intime
qui, elle, persiste.
Mais recherches que le conflit de loyauté diffère quelquefois
Evidemment tous ne voudrons pas connaître l’avant de leur
accueil ou de leur adoption.
Ainsi Claude affirmera ne jamais avoir été « obsédé » par la
question des origines. Il est né à deux ans, le jour de son
arrivée chez ceux qui deviendront « ses parents nourriciers,
ceux qui lui ont ouvert leurs bras, leur coeur et nourri » :
pour lui il n’y pas eu « d’avant ».
Pour d’autres «à quoi cela peut-il servir de savoir
maintenant, il est trop tard, j’ai fait ma vie», même si nous
sentons parfois, lors de leur récit, poindre quelques regrets
de ne pas avoir tenté même un début démarche.
Mais pour la majorité des pupilles, plus particulièrement dans
le cas des adoptés, rechercher ses origines et vouloir faire
coexister "l’Ici" et "l'Ailleurs" peut être ressenti, de leur
part, comme une trahison, comme un manque de loyauté envers
ceux qui leur ont donné "une place", prodigué leur affection.
Au moment de se marier le père nourricier de Yves, accueilli à
un an, lui conseille, attitude exceptionnelle de la part de
parents nourriciers, de faire quelques recherches sur sa mère,
8
sa famille d’origine 13 ; mais "je n’ai qu’un père et une mère
c’est vous" répond-t-il. Et pourtant aujourd’hui il voudrait
bien savoir quelque chose de cette mère à laquelle il pense
toujours, même à soixante cinq ans !
Du vivant de leurs parents adoptifs ou nourriciers, il y aura
plutôt velléité de recherches d’origines, sans plus, mais ils
passeront rarement à la phase active avant la fin de "l'Ici" 14 ,
même si des adoptés, les plus jeunes, nous confieront avoir
bien entamé leurs investigations, ce qui n'ira pas sans créer
quelques incompréhensions de la part des parents adoptifs.
Aussi ces recherches commenceront-elles le plus souvent quand
“les parents nourriciers” ou adoptifs auront disparu, ou du
moins, en ce qui concerne les adoptés, après le décès de la
mère adoptive. Ainsi pour Nathalie "Maman n'était plus, je ne
trahirais donc personne. Papa vieillissait. J'avais surtout
deux enfants auxquels je devais transmettre des fondements et
une appartenance." 15 . Magali n'effectuera également aucune
démarche pour en savoir plus, du vivant de sa mère:
Q: quand te mets-tu en recherche?
Magali: "très tard, quand j'ai perdu ma mère, bien qu'elle me
dise souvent, y compris dans les derniers mois de sa vie, il
13
Le père nourricier, comme nous l’avons souligné dans "l’Ici", n’est pas en concurrence avec le père
généalogique, presque toujours "défaillant", comme peut l’être la mère nourricière qui élève un enfant qu’elle
n’a pas conçu, l’enfant qu'une autre femme a mis au monde.
13
Pour les adoptés plus jeunes (nés après les années 70) les recherches commenceront même du vivant des
parents adoptifs parce que d'une part l'adoption ne sera plus cachée à l'enfant et d'autre part l'accès à la
connaissance des origines devient un DROIT. Bien sûr rien d'évident du côté des parents adoptifs, surtout de la
mère, l'idée que l'on ne peut avoir qu'une seule mère et qu’un seul père s’impose encore majoritairement. Les
familles adoptantes d’un milieu plus aisé, mieux informés sur les problèmes liés à la double souffrance,
comprennent plus sûrement la démarche de leur enfant, mais sans que cela soit toujours aussi évident
concrètement.
15
Nathalie Daysse, La seule de ma race, éd. du Toucan 2009, p. 57
Nathalie Daysse n'est pas une ancienne pupille, mais née sous X elle sera remise pour adoption à une œuvre
privée. Nous avons pu la rencontrer, échanger téléphoniquement et par courriel.
9
faut que tu fasses des recherches si tu en as envie…mais ma
mère décède, alors c'est la catastrophe psychologique pour
moi…et pour m'aider à faire mon deuil de cette mère il faut
que je sache aussi d'où je viens de l'autre côté, pour la
première fois j'éprouve ce besoin."
POURQUOI CE PROFOND DÉSIR DE CONNAÎTRE SES ORIGINES ?
La souffrance de ne pas connaître
La
construction
de
leur
parenté
dans
"l'Ici"
par
l'appropriation
d'une
histoire,
celle
de
leur
famille
d'accueil ou adoptive, celle qui leur permet de trouver une
place n’empêchera jamais qu’ils restent toujours ceux qui
"n'ont pas été engendrés", frappés du déni d'origine,
constamment confrontés à une impasse généalogique. Souffrance
de ce vide:« … durant toute une partie de mon enfance, j’ai
cru que ma mère m’avait abandonné. J’en ai voulu à la terre
entière. Ce n’est pas d’avoir été placé à l’Assistance
Publique dont j’ai le plus souffert, non. C’était de ne pas
savoir. Ni qui j’étais, ni d’où je venais. De vivre au
quotidien cette absence, ce vide…»1 ou bien ne rien savoir
comme M.A. qui s’inscrit dans la coupure, « dans la rupture,
dans le fait…
dans le fait par exemple de ne pas savoir
quelle est mon histoire avant cette adoption, de ne pas savoir
pourquoi je suis noire. Évidemment je suis noire parce que
l'un de mes deux parents était noir, mais de ne pas savoir
d'où vient ce métissage ».
Pour Nathalie il est « « impossible de faire le point si l’on
ne sait d’où l’on est parti mais plus grave encore, impossible
de savoir où l’on va… » .
Pouvoir aussi se déspécifier
Des pupilles entreprendront également des recherches avec
cette volonté de se départir du stigmate lié à leur statut,
une manière de se "déspécifier", d’être désormais comme les
autres, de pouvoir enfin décliner leurs origines, origines que
l’on a intérêt à connaître. Madeleine
10
nous dira que "c'est
pour mon fils que je l'ai fait, que j'ai recherché. On m'a
tellement toujours dit oui tu viens de nulle part, qui c'est
d'où tu viens ? Dès qu'il y avait une connerie de faite,
c'était parce que je devais venir d'une famille de voyous,
alors que c'est tout le contraire ; ça vous enlève du poids
quand vous apprenez que vous sortez d'une bonne famille". Sa
mère était journalière, elle faisait des ménages, de la
couture, du repassage, gardait des enfants…rien d'une femme de
mauvaise vie. Claudette détient peu d’éléments sur ses
origines mais lors de ses brèves recherches elle apprendra que
sa
mère,
alors
décédée,
a
été
couturière
à
l’Opéra
de
Marseille : « au début quand je faisais ce travail (elle était
alors convoyeuse
- meneuse à la DDASS), quand je voyais
une mendiante dans les rues de Marseille qui tendait la main,
qui faisait l’aumône, c’est peut-être ta mère… je te dis j’ai
été soulagée quand j’ai su tout ça, qu’elle était honnête.. »
Refus du sentiment de honte de soi
D’anciens pupilles ont renoncé à connaître leurs origines ou
décéderont sans jamais avoir évoqué ou même dévoilé leur
statut d'ancien pupille. En effet le poids de "la voix
dominante", celle des normes sociales, provoque chez certains
"enfants
du
désordre
social",
la
forme
suprême
de
dépossession, la honte de soi 16 celle d'être "rien". A quoi
cela
servirait-il
d'évoquer
ce
statut
"d'enfant
de
l'Assistance", "que valaient-ils ?". Parfois des enfants
abandonnés culpabilisent et « pensent souvent que s’ils ont
été abandonnés par leur mère, c’est qu’ils ne valaient pas
grand-chose, puisqu’ils n’ont même pas mérité cet amour-là » 17 .
C'était aussi, croyaient-ils, une façon de protéger leur
conjoint et leurs enfants de ce qu'ils vivaient comme une
"infamie", d’avoir été, pour reprendre les mots de Michel,
« un bâtard de l’Assistance ». Mais leurs enfants, quelquefois
16
Plus haut dans notre travail nous avons évoqué la possibilité que les normes sociales puissent "défaire"
l'individu, car elles lui rendent alors la vie invivable. Cf. J. Butler in Défaire le genre op. cité.
17
G. Delaisi, P. Verdier, Enfant de personne, éd. O. Jacob 2001, p. 231.
11
petits-enfants, refuseront cette dépossession extrême et
voudront savoir.
Ainsi un ancien pupille ne souhaite pas, même sur l'insistance
de ses quatre filles, consulter son dossier, en raison d'une
incapacité physique, mais surtout parce qu’il ne se sent pas
capable de faire le pas 18 . Catherine, l'une d'entre elles,
pense entreprendre prochainement des recherches, car "tout ça
pour vous dire que nous sommes encore très, voire trop, soumis
au désir de connaître cette filiation "généalogique". Et nous
avons à cœur, mes sœurs et moi-même, de "connaître " notre
grand-mère paternelle. Au moins ELLE. Nous pensons que quelle
que soit la vie qu’on a eue, on ne mérite pas de tomber dans
l’oubli aussi vite. Surtout par ses enfants et petits enfants.
Nous avons besoin de la réhabiliter 19 . Elle n’a pas été rien.
Inconsciemment, mon père nous a transmis aussi sa "colère"
contre "l’Assistance Publique" : sa mère, lui et ses frères ne
sont pas que des " moins que rien"…mais nous y greffons
sûrement nos " complexes" de toutes façons, d’après le peu de
choses que j’ai entendu d’elle, la mère de mon père a aimé ses
enfants, elle a fait ce qu’elle pouvait avec ce qu’elle
avait…Et puis voilà mon père n’est pas rien…ses filles ne sont
pas rien… " 20 . Catherine montre à quel point des enfants de
pupille peuvent exprimer fortement le désir, cette volonté de
vouloir se réapproprier cette histoire, ici pour faire
"exister" la mère (leur grand-mère), et ses fils (père et
oncles). Ils ne sont pas rien, existences sans lesquelles
Catherine et ses sœurs ne sauraient elles-mêmes pleinement
exister. Ne pas connaître les origines de son père ou de sa
mère revient, comme l'écrira Catherine, à "être rien".
Pouvoir enfin répondre à la question « qui suis-je
18
Aujourd'hui l'ancien pupille peut, s'il en fait la demande, recevoir la photocopie de son dossier de pupille par
courrier postal.
19
C’est nous qui soulignons.
20
Extrait d’un échange que nous avons eu avec Catherine G. de C., fille d’un ancien pupille de l’État, admis
tardivement dans les services de l’Assistance Publique. Les mots écrits en gras le sont par elle.
12
vraiment ? »
L'Administration, par sa pratique systématique du "secret des
origines", même quand il n'y avait pas lieu de l'établir 21 ,
interdit l'accès aux premiers moments de leur histoire, celui
de leur naissance, et plus largement à leur histoire
généalogique. Comment dans ces conditions s'inscrire selon
l'expression de H. Arendt dans ce "monde commun" 22 dans lequel
nous devons vivre dans ce monde qui a commencé avant nous et
qui continuera après nous ? Si les pupilles ne connaissent pas
leurs origines, "ils ne peuvent pas lier leur mortalité à leur
naissance,
comme
si
leurs
corps
étaient
déréalisés" 23 .
Augustine répétera que, vue de l'extérieur, sa vie est
totalement réussie, mais ajoutera-t-elle "ça ne compense
absolument pas le fait que j'ai derrière moi, le vide
absolument atroce, je ne sais rien et j'ai 83 ans et je me
sens blessée par la chose, et rien ne compense, ce sont deux
mondes complètement différents" 24 . Elle sait depuis peu de
temps, qu'elle est née à Nice et que sa mère venait de la
région de Gênes. Augustine assistera régulièrement aux
Assemblées Générales de la DPEAO 25 et à celle du 27 novembre
2009 (elle avait alors 88 ans), elle exprime à nouveau sa
détermination dans la poursuite de ses recherches parce que
"tant que je ne connaîtrai pas, je ne mourrai pas!". Augustine
n'envisageait pas de mourir sans connaître ses origines, "lier
21
Rappelons que d'une part tous les pupilles n'avaient pas été abandonnés, certains avaient une filiation et que
d'autre part des mères "abandonnantes" ne demandaient ni le secret ni l'anonymat. C'était l'Administration qui
décrétait et pratiquait alors le secret des origines
22
Citée par I.Théry op. cité, Les défis contemporains de la parenté, p. 103.
23
I.Théry, La distinction des sexes, op. cité, p.617.
24
Témoignage vidéo sur le site "Renouage", site de la DPEAO. Nous avons rencontré Augustine à plusieurs
reprises à l'occasion de l'AG annuelle de la DPEAO.
25
DPEAO: "Droit des Pupilles et Adoptés à leurs Origines". Association créée en 1978 par une ancienne pupille
Annette Blain, placée en famille d'accueil dans le Morvan. Association aujourd'hui présidée par C. SageotChomel.
13
sa mort à sa naissance" 26 . Cette crainte de ne rien savoir de
ses origines hante également l'esprit d'Anne-Marie à un tel
point qu’"il m'arrive de me réveiller la nuit et de me dire
que tu vas mourir sans savoir d'où tu viens et qui tu es, sans
connaître le nom de celle qui m'a mise au monde". Beaucoup à
l’instar
d’Augustine
et
d’Anne-Marie
éprouveront
cette
crainte. Connaître ses origines, et accéder à son "Ailleurs"
c'était pouvoir, pour reprendre les mots d'Augustine, combler
"ce vide absolument atroce".
Nous tous " devenons à partir de notre origine. Tel est le
point de vue de l'histoire" 27 . Ces pupilles 28 adoptés ou
accueillis refuseront d'être ceux "qu' on enferme …
doublement dans l'étrangeté. Ils ont été engendrés comme les
autres, mais pour eux seuls ce n'est pas important. Eux seuls
doivent affronter le blanc que l'on a créé sciemment dans leur
propre histoire" 29 .
Qui sont-ils ?
Il y a deux sens dans la question «qui ?» : qui « suis-je ?»
et «qui suis-je vraiment ?». Ils ne veulent pas seulement
répondre à la question "qui suis-je", mais aussi à celle "qui
suis-je vraiment ?". Répondre à la première question relève de
l'identification, ne pas être confondu avec une autre
personne, alors que répondre à la deuxième question c’est
pouvoir mettre en intrigue
26
sa
propre
vie,
raconter
une
Augustine, malade depuis plusieurs mois, décède le 17 décembre 2010 sans jamais avoir abouti dans sa
recherche et combler "ce vide absolument atroce".
27
J.M Delassus, op. cité, Cahier de maternologie n°9 1997, p.93.
28
Nous rappelons que certains de ceux que nous avons rencontrés n'étaient pas pupilles, ils étaient nés sous X
dans une clinique privée et remis à une œuvre privée pour l'adoption. Ils seront, eux aussi, soumis au secret des
origines et rencontreront les mêmes difficultés dans la recherche de leurs origines. Leurs dossiers sont conservés
par la clinique ou par l'œuvre qui les avait recueillis à leur naissance, avant d'être adoptés. Et selon de
nombreux témoignages d'adoptés, les dégâts des eaux ou les incendies particulièrement "fréquents" en ces lieux,
détruiront de nombreux dossiers. Cf témoignage de Graciane "Vice-présidente des X en colère" dans l'émission
" Surpris par la nuit" France Culture (28 août 2007) mais aussi Patricia Fagué, Né sous X enquête sur l'abandon,
éd. Carnot, 2004.
29
I.Théry, La distinction de sexe éd. O. Jacob, 2007? p. 617.
14
histoire,
agissant
Ainsi la
épaisseur
l’identité narrative. Le sujet est toujours un sujet
capable d'entrer en relation avec d'autres sujets.
forme narrative de l'action des sujets donne-t-elle
à l'instant en le situant au sein de la distinction
présent/passé/futur 30 . Nous sommes alors en mesure de relater
une histoire, avec le regard du présent sur un passé, regard
tourné également vers le futur, non pas une histoire
reconstruite
mais
une
histoire
construite,
construction
interactive. L'histoire biographique d'un individu prend sens
à partir de sa fin, et elle pourra toujours faire l'objet d'un
réexamen. L'identité narrative construite nécessairement dans
la relation, jamais achevée ni univoque, toujours remise en
chantier, sera alors appréhendée comme le résultat d’un
travail
personnel
de
réappropriation,
travail
toujours
renouvelé qui cherche à démêler selon l'expression d'I.Théry
"le mien, du tien, du sien".
Ainsi pour I. Théry "c'est du
coté de l'identité narrative qu'il faut se tourner si l'on
veut comprendre le sens des revendications actuelles d'un
droit aux origines, sans faire semblant de croire qu'il s'agit
de la quête absurde d'un "début" ou d'un "fondement"
primordial, alors que l'enjeu de ces revendications est pour
chacun d'être replacé symboliquement dans la condition humaine
commune, celle d'une transmission générationnelle qui ouvre
deux fois vers l'inconnu: celui du passé et celui du futur de
l'humanité." 31 .
De l’identité
rhizomique
racine
à
l’identité-relation
ou
identité
30
Nous avions déjà, dans notre travail de Master1, abordé cette question de l(histoire construite par le narrateur
en référant aux travaux de D. Bertaux, Les récits de vie, Nathan-Université, 1997. R. Giraud, Ni père, ni mère,
une anthropologie de la parenté du pupille de l’État, Mémoire Master1, Université Lumière Lyon2 année 20052006, p.p. 18-19
31
I.Théry " Anonymats des dons d'engendrement" in op. cité Les défis contemporains de la parenté, p. 102
15
Même après la disparition des parents nourriciers "les
accueillis", comme nous l'avons déjà souligné, ne renonceront
pas à cet 'Ici", à la parenté qu'ils se sont construite,
"bricolée", à l'inscription dans ce lieu. Lieu d'une mémoire
chargée d'affect et de vécu, qui leur a rendu "leur vie
vivable". Pourtant beaucoup d'entre eux prennent conscience 32
aussi que leur "Ici" est intimement lié à leur vie d'avant
"l'accueil". Un ancien pupille qui accède à la connaissance de
ses origines, de son "Ailleurs", retrouve peut-être sa mère ou
ses parents d'origine reste toujours "un ancien pupille" 33 mais
cet « Ailleurs" éclaire alors son "Ici". Ses deux "mois
disjoints" 34 , le "moi" de "l'Ici" et le "moi" de "l'Ailleurs"
pourront désormais être intimement liés, inséparables. La
volonté, de la part de l’ancien pupille, de faire coexister
l’Ici, celui de la famille d’accueil ou de la famille
adoptive, avec l’Ailleurs, celui la famille de naissance, ne
relève pas du manque de loyauté envers ceux qui lui ont
prodigué leur affection et donné une place. Pour lui accéder à
ses origines c’est lier ces deux mois disjoints, le moi
de l’Ici et le moi de l’Ailleurs, mois inséparables et être
en capacité de se réapproprier son histoire qui peut enfin
prendre sens, condition d’une vie plus vivable.
Aussi cet ancien pupille ne peut se penser qu’au prisme
d’une multiplicité d’ancrages, de racines, celui, celle
d’avant
la
rupture,
celui,
celle
d’après
la
rupture,
l’abandon, une place dans la famille d’accueil ou d’adoption
et enfin, en cas de retrouvailles, celui, celle du retour à sa
place, qui n’est plus celle d’avant la rupture. C’est cette
trajectoire qui lui confère non pas une identité racine unique
mais une identité-relation ou identité rhizomique.
32
Les femmes se lanceront plus tôt dans les recherches, souvent dès la maternité, mais les recherches sont
beaucoup plus tardives chez les hommes, bien souvent à l'instigation de la conjointe ou/et des enfants et petitsenfants.
33
C’est nous qui soulignons.
34
Expression que nous reprenons à É. Glissant
16
17
Annexe 5 : intervention de Mme Terrien
REGARDS SUR LA RECHERCHE DES ORIGINES
L’ADOPTION EN POLYNESIE.
LES SPÉCIFICITÉS DE L’ADOPTION EN POLYNESIE
1/ La circulation d’enfant : Le fa’a’amu 1
L’adoption d’enfants polynésiens présente des caractères spécifiques : Les parents
biologiques confient leur enfant à la naissance. Ceci est culturel comme dans beaucoup
de sociétés traditionnelles où la circulation des enfants est courante. La maternité est
toujours valorisée car elle « place » la femme même si elle est très jeune, dans un
statut privilégié. En revanche la parentalité et l’éducation des enfants sont tout à fait
distinctes : lorsqu’en milieu de grossesse se pose la question de savoir qui élèvera cet
enfant et que la famille élargie saturée par la présence de nombreux enfants ne peut plus
en assumer davantage, alors les parents cherchent une famille qui voudra bien adopter
l’enfant à venir. Ils pensent par cette démarche s’allier à une autre famille, élargir le
clan.
Le transfert d’enfant est donc culturel. Pour transformer ce transfert d’enfant en
adoption, et être en accord avec la loi française, et puisqu’il s’agit d’une adoption « en
directe » une DAP (délégation d’autorité parentale) sera prononcée par le juge du TGI de
Papeete, pour deux années.
De ce fait, les deux familles restent en contact d’autant
plus que le bébé qui n’aura pas été confié par un OAA (Organisme Autorisé pour
l’Adoption) ni par un service de l’Aide Sociale à l’Enfance ne pourra pas être adopté
avant l’âge de 2 ans (Article348-5 du Code Civil).
2 / La fréquence de ce transfert d’enfant
Recherches dans la littérature
L'ethnologue américain Robert Levy, a passé deux années à Huahine pour ensuite
écrire une étude inégalée sur les Tahitiens. Il a dénombré 34 enfants fa’a’amu sur 166
enfants, il conclut que l’habitude de donner des enfants est très fréquente ; concernant
les motifs pour justifier de cette pratique, il note leur variété : grande jeunesse de la
mère, mésentente parentale etc…
Paul Ottino (l’ethnologue qui a le mieux étudié les structures familiales
polynésiennes) parlant des transferts d’enfants, déclare: « ... sa survenue constitue la
norme et c’est son absence qui requiert une explication. »
Dans son livre Rangiroa, il insiste sur l’état d’esprit de ceux qui confient leur
enfant en adoption.
« L’adoption n’a aucun caractère clandestin et aucun opprobre ne s ‘attache aux
parents qui acceptent de se séparer de leurs enfants. Il s’ensuit que les enfants adoptifs
connaissent très bien leur parents biologiques et entretiennent des liens avec eux ».
Il y a une dizaine d’années on évaluait le nombre d’enfants confiés à environ 30%
des naissances.
1
Littéralement « faire manger » en tahitien, cette coutume consiste à confier un enfant à une autre famille, qui le
nourrira et l’élèvera sans qu’une adoption soit légalement mise ne place.
3 / Historique
On peut discerner 3 périodes dans l’histoire de l’adoption en Polynésie Française :
- La période de l’adoption traditionnelle, correspondant aux dons et
échanges entre familles polynésiennes.
- L’ouverture à l’Europe
A cette adoption traditionnelle est venue s’ajouter l’adoption d’enfants polynésiens
par des colons français ou par des résidents expatriés. Cette époque correspond à
l’ouverture du Centre d’Expérimentation Nucléaire du Pacifique. A cette démarche,
proche de la première, s’ajoute l’admiration et le respect pour l’Européen qui réussit bien.
Les enfants donnés par leur mère étaient appelés à rester sur le territoire plusieurs
années ou mois. On se connaissait, on s’appréciait, on se donnait des nouvelles.
- Depuis un peu plus de vingt ans, l’adoption s’est ouverte à la métropole.
L’agrément aux fins d’adoption est nécessaire pour se voir confier un enfant. Les
adoptants souvent mis en contact avec une famille maorie par des résidents d’origine
métropolitaine entretiennent avec elle, pendant quelques mois, des relations épistolaires
et téléphoniques. Ils arrivent sur le territoire un peu avant l’accouchement auquel ils sont
invités à assister. Après l’instruction du dossier de transfert d’autorité parentale assuré
par les Services Sociaux, l’audition des deux familles par le Président du tribunal de
Grande Instance , l’enquête de Gendarmerie demandée par le Procureur de la République
qui désire s’assurer qu’il n’y a aucune pression ni aucune transaction financière autour de
cette délégation parentale, les postulants à l’adoption peuvent quitter le territoire avec le
bébé et une DAP, (délégation d’autorité parentale ) qui durera pendant deux ans.
L’adoption simple ou plénière sera possible lorsque les parents biologiques
signeront au deuxième anniversaire de l’enfant un consentement à l’adoption. Le code
civil impose ce délai lorsque l’enfant, reconnu par ses parents biologiques, ce qui est
toujours le cas en Polynésie est confié sans la médiation d’une structure officielle.
4 / État des lieux
Les services sociaux ont tenté il y a quelques années de se positionner comme
intermédiaire incontournable dans la mise en relation des familles biologiques et des
familles adoptives, dans une démarche proche de ce qui se fait en métropole pour les
enfants pupilles tout en respectant la coutume polynésienne (choix des parents adoptifs
par les familles biologiques à partir de trois dossiers proposés par une sorte de Conseil
de Famille). Cette tentative a échoué les Polynésiens supportant mal de devoir choisir les
futurs parents de leur enfant à partir de dossiers papier, car cette population où la
tradition orale est de mise, a quelque réticence avec les écrits. Par ailleurs la composition
du Conseil de famille tel que l’administration polynésienne l’avait prévu n’avait pas l’aval
du gouvernement français ce dernier exigeant que le Préfet, représentant l’Administration
centrale, en soit le tuteur et les Polynésiens désirant imposer pour cette fonction leur
Président du territoire. Après quelques années de fonctionnement extrêmement
problématique (famille rentrant en métropole avec un statut de famille d’accueil sans
agrément et sans aucune reconnaissance officielle) ce mode de mise en relation s’est
arrêté.
Actuellement grâce à la dépénalisation de l’avortement puis à son autorisation
légale d’une part et à la mise en place d’une contraception, d’autre part, les grossesses
non souhaitées diminuent. Le nombre enfants confiés à l’adoption est d’une cinquantaine
chaque année alors qu’il était jusqu’en 2002/2003 d’une centaine avec un pic d’environ
200 en 1994/ 1995 (pour une population totale de 270 000 habitants !).
L’ATTACHEMENT
POLYNESIE.
ET
LE
MAINTIEN
DES
LIENS
dans
L’ADOPTION
EN
1/ Qu’entend-t-on par « maintien des liens » avec les familles d’origine ?
Dans la quasi-totalité des cas les parents polynésiens demandent à ce que des
nouvelles et des photos de l’enfant leur soient envoyées. Dans la quasi-totalité des cas
rien d’autre n’est demandé (ni argent, ni cadeau) Quelque fois une demande de «
retour » de l’enfant est envisagée ou même proposée. Bien que lors des informations
que nous délivrons aux postulants cette promesse de retour soit abordée et qu’il soit
conseillé de ne rien promettre de définitif (« je reviendrai l’an prochain ») il est assez
courant que les adoptants en situation de grande vulnérabilité fassent des promesses
qui peuvent devenir très problématiques lorsque quelques années plus tard l’enfant,
devenu grand, n’aura,lui, aucune envie de retourner dans son pays d’origine.
Quant au terme « maintien des liens » on se rend vite compte qu’il ne recouvre
pas la même réalité pour les parties en présence. Pour les parents adoptifs désireux
de bénéficier d’une adoption plénière qui rompt la filiation, cette démarche va se
transformer en véritable adoption. Pour les familles biologiques cette adoption scelle
une alliance avec les adoptants et de ce fait on fera donc un peu partie de la famille.
Je me souviens d’une maman polynésienne qui parlant de sa fille confiée à
l’adoption en métropole, disant «J’en ai une en France » bien qu’elle ait consentie à
signer pour une adoption plénière. Dans le même temps les parents adoptifs, eux
n’avait pas dit à leur fille qu’elle était adoptée !
Au-delà des problèmes soulevés par ce leurre, on trouve de très nombreuses
familles adoptives qui au fil des années, bien qu’ayant bien investi leur enfant
continuent à être embolisés par le souvenir de cette naissance et de ses parents
polynésiens qu’ils perçoivent - au nom du lien biologique – comme les vrais parents de
leur enfant… Une maman adoptive (une fille de 25 ans) me disait récemment :
« Quand on adopte en Polynésie
on se sent coupable, vis-à-vis des parents
biologiques, de l’immense bonheur que nous procure leur enfant et que c’est cela qui
empêche de se positionner comme le vrai parent. On est dans l’entre deux. »
25 ans après !!!
2/ L’attachement du point de vue du bébé
Les conditions d’accueil de l’enfant paraissent idéales. Pas de rupture dans le vécu du
bébé qui passent du ventre maternel aux bras (tout aussi maternels) de la mère
adoptive dont on peut imaginer qu’elle sera une mère « suffisamment bonne » pour
cet enfant. Du côté du bébé, les conditions d’âge, l’absence d’expériences
désagréables, d’émotions négatives le placent dans les conditions optimales.
3/ Qu’en est-il du point de vue des parents ? Le lien malmené.
On ne peut faire fi des conditions dans lesquelles ce transfert d’enfant se passe
car il me semble qu’elles sont par leur côté « incertain » à l’origine de beaucoup
d’angoisse chez les parents délégataires de l’autorité parentale.
L’énumération de tout ce qui peut déstabiliser les parents adoptifs est longue,
comme la solitude des postulants, sans structure d’accueil et sans qu’aucun organisme
n’intervienne dans la mise en relation, la vulnérabilité des parents adoptifs face au
positionnement parfois ambivalent de parents biologiques , la longueur des démarches
administratives qui imposent aux parents un séjour long et coûteux sur le territoire, la
malveillance des personnels soignant de l’hôpital las de voir des métropolitains
hantant la maternité et pour qui, tout postulant à l’adoption est malhonnête.
Mais surtout le statut légal de l’enfant et l’incertitude qui peut peser ses deux
premières années, (tant que l’adoption n’est pas signée) peut être aussi est source de
bien des angoisses !
Il semble donc que certains parents (de par la proximité des familles d’origine,
en particulier) ont du mal à se sentir les vrais parents de leur bébé. Beaucoup disent
qu’ils ont été soulagés quand l’avion du retour a décollé.
Néanmoins cette aventure est décrite comme la seule adoption valable ; Ils
apparaissent un peu hors de la réalité et fonctionne dans une sorte d’angélisme
décrivant les parents d’origine comme les meilleurs qui soient. Ils leur doivent tant !
Cette trop grande présence des familles d’origine de l’enfant dans l’inconscient et
même dans les pensées de la famille adoptive peuvent malmener les liens qui se
tissent entre parents et enfants à une période où le petit a besoin d’avoir auprès de lui
deux parents (et non quatre) qui le sécurisent et l’aident dans la formation de sa
personne.
4/ Constat des difficultés des ado2 2
Certaines familles adoptives sont amenées à vivre, à l’adolescence de leur enfant
des choses bien compliquées.... Même si l’adolescence n’est simple à vivre pour
personne, toutes les familles peuvent en témoigner le monde de l’adoption regorge
d’histoires douloureuses, cela va des difficultés scolaires à la déscolarisation, de la
violence verbale à la violence physique sans parler des addictions de toutes sortes,
fugues et tentatives de suicide. Et cela est encore bien plus compliqué quand votre
adolescent mesure 1m90 et pèse 110kg.
Jean Vital de Monléon s’est penché sur les difficultés de ceux qu’il a baptisés les
Ados².
Il énumère les causes de ce mal être qui va de l’inné et de la place qui leur est
faite dans la famille adoptive : ( « Quoique polynésiens ils ont le droit d’être de piètres
danseurs ou de ne pas aimer la mer » ) aux problèmes rencontrés par les parents
adoptifs tels que le deuil de l’enfant biologique, la psychorigidité parentale , les
remords et culpabilités ressentis par les parents de petits polynésiens vis-à-vis des
parents d’origine, les maladresses, et tous les accidents de la vie, deuil, maladie,
soucis professionnels ou conjugaux.
« Nos enfants et adolescents polynésiens ont la chance de connaître leur histoire il
ne faut pas l’oublier et encore moins la cacher, mais il faut savoir aussi, parfois, la
laisser à sa place ».
2
Terme imaginé par le Docteur Jean Vital de Monléon désignant les adolescents adoptés. Jean Vital de
Monléon, pédiatre au CHU de Dijon, créateur de la Consultation d’Outremer première consultation pour
l’accueil et l’accompagnement des enfants adoptés, permettant le suivi de plus de 2000 enfants Chercheur en
anthropologie spécialisé dans l’adoption dans d’autres cultures et particulièrement dans les Iles sous le Vent en
Polynésie Française.
Membre du Conseil Supérieur de l’Adoption.
5/ Quelques nuances dans ce parasitage
Je tiens à nuancer mon propos par des constats faits au cours de ces
dernières années en écoutant les familles adoptives d’enfants polynésiens.
vingt
Les difficultés lors du recueil de l’enfant :
J’ai déjà pointé que les difficultés rencontrées lors de la remise de l’enfant dans ce
statut particulier de grande solitude face à des parents biologiques qui peuvent être
perçus comme tout puissant. Difficultés d’ordre juridique, social, financier, mais aussi
émotionnel et affectif, auquel s’ajoute le statut provisoire du bébé, statut qui perdure
pendant plus de deux ans. Ceci aurait comme conséquence une confusion des rôles et
un véritable parasitage des parents biologiques dans l’inconscient des parents
adoptifs.
Il y aurait une différence significative dans la relation aux parents d’origine, entre
parents adoptifs ayant vécu le douloureux parcours de l’assistance médicale à la
procréation et qui inféconds, se tournent vers l’adoption et les familles ayant déjà des
enfants biologiques pour qui l’adoption n’a pas ce caractère impérieux, et qui ne
surinvestissent pas le «biologique ».
Le non abandon (puisqu’on parle de don) de ces bébés pour lesquels les géniteurs
développent un véritable projet de vie pourrait empêcher ou freiner leur investissement
affectif par leurs
parents adoptifs, ces derniers considérant les parents biologiques
comme les seuls « vrais » parents. Ne pourrait-on pas parler de trouble de
l’attachement « inversé » ou d’impossible lien des parents adoptifs à l’égard de leur
enfant, non que les parents adoptifs désinvestissent leur enfant mais qu’ils se sentent
empêchés dans leur amour. J’en veux pour preuve le discours des parents adoptants
qui ont perdu leur enfant. Situation heureusement très rare ! Tous ont dit « On ne
savait pas comment annoncer à ses parents polynésiens qu’il était mort ! » Ce même
douloureux évènement vécu par une famille ayant adopté au Vietnam n’a jamais été
l’objet d’une quelconque culpabilité de la part des adoptants.
Quant au terme de «don d’enfant » souvent employé en Polynésie pour parler du
transfert d’enfants il me semble bien négatif. Souvent idéalisé par les familles
adoptives il me parait mettre l’enfant au niveau d’un objet qui peut être donné (et
même repris !!!) Que peut ressentir un enfant à la phrase « mes parents m’ont
donné ! » ?
Relativisation…
Une dernière chose est que quoique aient fait les parents adoptifs, maintenu ou
non les liens, programmé ou non des retours en Polynésie, fréquenté ou non une
association de parents adoptifs, aient été ou non en lien avec la culture polynésienne, on
trouve les familles qui vont bien avec des enfants épanouis comme des enfants en
grandes difficultés. L’adoption est la rencontre de deux souffrances : celle d’un enfant
abandonné et celle d’un couple en souffrance. Pour que l’adoption se fasse de part et
d’autre, il faut que les deux parties aient pu dépasser leur douleur et s’investir dans la
relation. Il y a des familles plus capables que d’autres d’être sereines, calmes et
épanouies et du coup les enfants vont bien aussi.
Et surtout, ne pas oublier que chaque histoire d’adoption est unique !
LE CHOC DU RETOUR / LES RÉSEAUX SOCIAUX
On l’a vu le maintien des liens peut supposer un retour de l’enfant adopté vers son
pays d’origine, cela nous parait bien normal, mais très vite se pose la question du
«quand » Quel moment est-il le plus propice pour ramener un enfant vers son pays
d’origine. A MAEVA POLYESIE, nous débattons de cette question quasiment à chaque
réunion de parents ! On a coutume de dire que la période de latence (7/11 ans) est la
plus propice. L’enfant comprend beaucoup de choses et n’est pas encore dans les affres
de l’adolescence. Pour ma part je tiens à ajouter qu’il n’y a pas urgence et que l’enfant
doit manifester son DESIR de retour. Ce voyage n’est pas une obligation, d’où mon
discours de prudence quand on est en Polynésie avec le bébé nouveau né et qu’on
envisage de revenir : Ne rien promettre !!!
Souvent les parents l’avouent : « l’enfant ne demande rien, mais nous, on a
envie de retourner, de les revoir ces gens à qui on doit tout ! »
Quoiqu’il en soit, un voyage peut être programmé et là, tout peut arriver, c’est le
saut vers l’inconnu. En effet on se retrouve dans la situation du départ, dans une grande
solitude face à la famille polynésienne dont ignore le discours. En général tout se passe
bien, on visite la famille, on fait du tourisme et au retour l’enfant est plus serein (peutêtre parce que soulagé ??? on l’a ramené ???). Mais il arrive parfois que les géniteurs de
nos enfants aient mal « digéré » cette séparation, parce que ce n’était pas vraiment leur
projet de confier leur bébé à l’adoption, ou parce qu’ils ont subi des pressions pour le
confier.. Alors le discours tenu à l’égard de l’enfant devient : « on n’a jamais voulu
t’abandonner, » ou bien « on a été forcé de le faire « Ta place est ici, chez nous,
d’ailleurs on t’a construit une maison » (je n’invente rien).
Alors là, le pauvre enfant qui reçoit ce type de message va en général très mal dans les
mois qui suivent. Une maman dont le garçon de 12 ans a entendu ce discours me
racontait qu’à son retour en métropole, il ne savait plus qui il était, allait à l’école en
bermuda et tong (tenue des polynésiens) en plein hiver et qu’il avait du faire un passage
en hôpital psychiatrique pour digérer cette histoire.
Certains enfants lors d’un retour en Polynésie, voit leur famille d’origine, avec des
frères et sœurs qui leur ressemblent, qui seraient de bons compagnons de jeux, alors
qu’il est enfant unique et puis leur famille a l’air d’avoir une vie sympathique, dans un
environnement paradisiaque, de plus il est le seul à avoir été confié à l’adoption alors il
pose la question… Pourquoi moi ? Par ailleurs la famille n’est pas forcément très pauvre,
ça peut bien être douloureux de comprendre qu’il ait été donné, lui et lui seul
Un autre fléau/souci voit le jour avec l’arrivée d’Internet partout dans le monde ;
Que nos enfants grands aient des liens avec leur frères et sœurs biologiques rien de plus
normal, ils ont des « amis » dans le monde entier, que leur famille d’origine en fasse
partie ne gêne personne, mais je pense que très vite nos enfants devenus grands sont
capables de différencier leur frères et sœurs dans nos familles adoptives avec qui ils ont
une culture familiale commune , une histoire commune, des souvenirs communs et leur
fratrie d’origine qui certes leur ressemble beaucoup , ont parfois des traits de caractères
similaires, et ça peut les troubler, mais qui n’ont « rien à se dire… »
En revanche, je trouve très problématique la proximité que SKYPE ou d’autres
réseaux sociaux entretiennent entre les parents biologiques et les adoptants. Que les
bébés, puis enfants soient amenés à voir très fréquemment sur l’écran de l’ordinateur
familial les parents qui lui ont donné la vie, leur
fratrie, que l’on nomme à qui on
demande de faire « coucou » d’envoyer des baisers, pourquoi pas en les nommant « fais
coucou à papa, à maman », ça me dérange beaucoup et il me semble que cela doit
beaucoup déstabiliser les enfants et les insécuriser. Qui sont ses parents ??? Ceux qui
sont là, qui veillent sur lui, l’entourent de leur affection, ou bien ceux qu’il voit
régulièrement sur l’ordinateur qu’il ne connaît pas trop qui parlent avec un accent tel qu’il
ne les comprend pas. On me relate parfois des séances où lors de communications
téléphoniques entre la famille biologique et le famille adoptive , on passe le téléphone au
petit en lui disant : « dis quelque chose à ta maman ». Et l’enfant s’enfuit terrorisé : « je
ne sais pas quoi dire » !!!
Quelques mots en guise de conclusion
Chaque histoire d’adoption est unique et aux mêmes causes ne suivent pas
forcément les mêmes effets. On ne peut donc pas évoquer la causalité entre le maintien
des liens et le mal être des enfants, mais on peut pointer la coïncidence.
Il est bien évident que l’angélisme ressenti lors de l’arrivée de l’enfant n’est plus
de mise 15 ans après avec la crise musclée des adolescents adoptés. Mais on survit et
l’important est que le lien perdure entre parents et enfants. Je pense que l’adoption à
Tahiti avec son cortège de particularités gagnerait à être encadrée afin de sécuriser tout
le monde. Cela placerait les adoptants dans un statut de parents et non dans celui de
parents de second choix. Cette perception est souvent encore dite même dans les
structures officielles «l’adoption en Polynésie ce n’est pas une vrai adoption ».
Mais surtout et je voudrais terminer là-dessus c’est l’attitude des parents adoptifs
qui pose question, et non celle des enfants : Le comportement non sécure qu’ils ont à
l’égard de leur enfant, leur effacement face aux parents biologiques même s’il n’est pas
verbalisé est induit par leur attitude. Sans doute faudrait-il que le législateur se penche
sur ce problème et permette aux services compétents d’être un cadre sécurisant dont
tout le monde tirerait bénéfices.
Joselyne TERRIEN
Cofondatrice de l’Association MAEVA POLYNESIE
Annexe 6 : conclusion de Mme Guth
Conclusion
à la journée « regards croisés sur la recherche des origines personnelles »
Tout d’abord, je tiens à remercier les intervenants, et l’assistance d’avoir partagé
ces questions autour de la recherche des origines personnelles.
Cette quête de l’origine nous l’avons entendu n’est pas salvatrice; la vérité pas toujours
facile à entendre…
Il s’agit nous le rappelons d’une démarche personnelle, singulière qui ne doit pas
répondre à une injonction sociale. Cette démarche doit être soutenue par les parents
quand il s’agit d’enfants mineurs, et surtout accompagnée de bénévoles et/ou de
professionnels qui œuvrent dans ce domaine pour les grands et les petits : fonction de
tiers qui permet l’expression de la demande, des émotions, des craintes, tiers nonintrusif.
Il nous semble aujourd’hui légitime de savoir ce qui s’est passé sans que cela ne
remette en cause les liens affectifs tissés après l’abandon. L’histoire de l’enfant confié ou
adopté lui appartient. Elle fait partie de ce que P.VERDIER appelle « la préhistoire » de la
famille adoptive au même titre que la démarche des futurs parents. Elle n’éloigne pas de
la famille adoptive, elle peut même répondre au besoin alors inconscient de s’assurer de
son inscription dans sa famille adoptive, venir renforcer l’ancrage dans cette filiation, la
légitimer.
Et souvent d’entendre : « ce n’est pas des parents que je recherche, j’en ai…c’est
la réponse à mes questions !! ».
À nous « accompagnateurs » d’y être attentifs !

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