Texte de Karl Marx (Contribution à la critique de l`économie politique
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Texte de Karl Marx (Contribution à la critique de l`économie politique
Texte de Karl Marx (Contribution à la critique de l’économie politique, extrait) : Remarques liminaires : a) ce qui suit n’est qu’un plan détaillé, et non un commentaire de texte philosophique : lors de la rédaction finale, il conviendra surtout de ne pas se contenter de juxtaposer les arguments, et de développer certainement davantage ; b) tout ce qui figure ici entre crochets droits, toute indication correspondant à la démarche suivie, comme les numéros des paragraphes, devront disparaître dans un devoir. [Introduction] [Objet du texte] Dans cet extrait, Karl Marx jette les bases d’une méthode radicalement nouvelle d’analyse de l’histoire des sociétés : ce n’est pas, contrairement à ce que pensait Hegel, la conscience de soi d’une époque donnée qui peut être à l’origine de quelconques changements historiques, mais les « contradictions de la vie matérielle » telles que caractéristiques d’un mode de production déterminé. [Position du problème] Les changements historiques peuvent-ils être induits par des idées novatrices qui se feraient jour à un moment donné dans une société, ou bien exigent-ils que les contradictions dans l’ordre matériel soient d’abord pleinement développées ? Et quel rôle joue à cet égard l’action humaine, individuelle ou collective ? [Moments de l’argumentation] Dans un premier moment, Karl Marx relativise totalement l’importance de la conscience de soi caractéristique d’une époque, qui n’est jamais selon lui que seconde et dérivée, constitutive de la superstructure idéologique de la société correspondant à un mode de production donné. Dans un second moment, il explique que l’action révolutionnaire ne peut intervenir avant que les contradictions internes au mode de production, entre le plein développement des forces productives d’un côté, et de l’autre des rapports sociaux devenus dans leur forme obsolètes ou inadaptés, ne soient d’abord pleinement développées. [1ère partie : explication du premier moment] 1) Le texte s’ouvre sur une comparaison entre l’image que se forme un individu de sa propre personne et les représentations idéologiques caractéristiques d’une époque et d’une société. La problématique de Marx est matérialiste : ce n’est pas selon lui, et suivant en cela la formule bien connue, la conscience des hommes qui peut déterminer en quoi que ce soit leur existence, mais c’est bien à l’inverse leur existence sociale qui est à l’origine de leur conscience. La conscience de soi collectivement acquise par les hommes n’est jamais qu’un produit des conditions matérielles dans lesquelles se déroule leur existence. 2) Si dans certains cas il est envisageable que certaines idées ou représentations que se forment les hommes puissent avoir une influence dans l’histoire, être à l’origine de certains changements historiques, il est faux de dire de manière générale, comme Hegel, que les idées « mènent le monde ». On parlera plutôt de détermination en dernière instance de la superstructure idéologique par l’infrastructure matérielle de la société, pour reprendre le vocabulaire marxiste. Par exemple, on pourra mettre en relation les formes du droit et de la justice en vigueur dans une société avec le niveau de développement économique et d’évolution même de cette société. Et l’abolition progressive de l’esclavage en Europe ne doit évidemment rien à la propagation plus ou moins forcée parmi les peuples européens des idées judéo-chrétiennes, de provenance orientale, mais bien plutôt aux progrès techniques intervenus dans la sphère du travail agricole. 3) Les contradictions qui peuvent apparaître, en particulier entre le progrès des forces productives – force de travail des hommes, moyens de production et objets du travail – et l’état des rapports sociaux, des rapports de production réellement institués, notamment tels que fondés sur la propriété privée des moyens de production, peuvent s’avérer décisives. Ces derniers peuvent parfois accuser un retard certain, et se rendre ainsi relativement indépendants des changements intervenant dans l’ordre matériel, essentiellement à la suite des progrès techniques accomplis depuis une certaine durée. Le résultat est qu’une crise s’ouvre alors, mais qui exige d’être pleinement développée avant que puisse surgir, de la part des hommes eux-mêmes, une prise de conscience réelle de la situation ainsi ouverte. [2ème partie : explication du second moment] 1) Une « formation sociale », c’est-à-dire l’ensemble formé par les représentations et les idées que se forment les hommes avec les rapports sociaux effectivement institués, peut-elle s’effondrer d’elle-même, sous le poids de ses propres contradictions internes, ou bien n’exige-t-elle pas une action révolutionnaire décisive pour la renverser ? Selon Karl Marx, il ne fait aucun doute que ce sont bien les hommes eux-mêmes qui font leur propre histoire, en agissant, même s’ils la font sur la base de conditions matérielles déterminées. Aucune circonstance historique particulière n’étant identique à nulle autre, aucune époque ne ressemblant à une autre, les crises comme les réponses que les hommes peuvent leur apporter ne peuvent qu’être à chaque fois singulières. 2) Quoi qu’il en soit, chacun peut se rendre compte, à un moment donné, et que ce moment constitue ou non un tournant de l’histoire, que la « vieille société » ne peut plus subsister en l’état. Par exemple, le mondialisme et le cosmopolitisme caractéristiques de l’époque présente ont rendu totalement obsolète la forme, telle qu’héritée du passé, des États-nations entrant périodiquement en conflit les uns contre les autres sur le continent européen. Il faudra bien imaginer un jour une nouvelle forme d’organisation sociale et politique pour le vieux continent, à moins de se résoudre à l’atomisation de l’Europe, demain tombée sous l’hégémonie américaine, devenue un simple satellite touristique et gastronomique pour la Chine ou l’Inde, sous la pression d’intérêts allogènes. 3) D’où cette idée que « l’humanité ne se pose jamais que des problèmes qu’elle peut résoudre ». Pour qu’une situation critique puisse faire l’objet d’une prise de conscience révolutionnaire, il faut qu’elle apparaisse d’abord comme réellement problématique. Mais si tel est le cas, cela signifie aussi que les remèdes susceptibles d’être apportés à la situation ont déjà été parallèlement développés, « ou du moins sont en voie de devenir ». À son époque, Karl Marx avait toutes les raisons d’être optimiste. Il pensait que le capitalisme industriel de son temps était déjà condamné, et que dans le même temps se faisait réellement l’unité de la classe ouvrière à l’échelle internationale, c’est-à-dire du prolétariat mondial, la classe révolutionnaire au sens du marxisme. Mais il ne pouvait évidemment pas prévoir que ce capitalisme industriel allait entre les mains d’une oligarchie se métamorphoser en une puissance devenue quasi exclusivement financière, exigeant, et finissant par obtenir, une surexploitation, à un niveau jadis parfaitement inimaginable, de la totalité des forces productives, et même des forces vives, de la substance même des anciennes nations. Il ne pouvait pas prévoir l’effondrement au niveau mondial du socialisme réel, dans lequel il plaçait au contraire tous ses vœux. Il ne pouvait pas non plus soupçonner la disparition progressive de l’ancienne classe ouvrière, que celle-ci ait été totalement affaiblie, notamment au travers de sa mise en concurrence forcée avec un nouveau Lumpenproletariat, ou qu’elle ait finalement accepté de se laisser séduire par les sirènes de la consommation et de son financement artificiel par le crédit. [3ème partie : approfondissement réflexif et critique] 1) Sont bien évidemment à souligner l’importance du facteur travail et des changements techniques intervenant à chaque époque pour la compréhension de l’histoire des sociétés. Comment comprendre par exemple l’édification des grandes cathédrales du Moyen-Âge en faisant totalement abstraction des multiples innovations techniques que suppose leur construction, du talent des architectes, des contributions pour l’essentiel restées anonymes des multiples artisans et ouvriers ayant participé à celle-là ? Une cathédrale médiévale est en tant qu’œuvre d’art sans comparaison possible avec une pyramide de l’Égypte antique : ici, des armées d’esclaves contraints à travailler sous la férule, au mépris de toute dignité et de toute vie humaines, dans le seul but d’un idéal mortifère d’immortalité individuelle imposé par leurs maîtres ; là, des travailleurs libres organisés en corporations, conscients de participer à l’accomplissement d’un commun projet, dont la foi chrétienne constituait alors le ciment. Ici peut être remarquée l’absence de la moindre innovation technique, tant les ressources en main-d’œuvre paraissaient inépuisables ; là au contraire, le rythme des progrès techniques ne cessait historiquement de s’accélérer. 2) Il est à remarquer que si Karl Marx récuse l’idée hegelienne selon laquelle le cheminement des idées puisse par lui-même constituer une force réelle de changement au cours de l’histoire, parce qu’elles ne sont jamais selon lui que des reflets illusoires sans correspondances réelles avec l’état de développement des forces matérielles d’une société, il retient néanmoins de Hegel son apport méthodologique essentiel : une dialectique réellement à l’œuvre dans l’histoire. Des forces sociales nouvelles, qui préludent à des changements futurs, au moins en puissance, se font progressivement jour, qui constituent la négation des puissances de conservation sociale déjà établies. Les contradictions, internes aux sociétés, sont motrices, et contiennent en germe l’idée de changements ultérieurs, lesquels nécessitent cependant l’action décisive des hommes pour pouvoir réellement s’accomplir. Par exemple, la société américaine du XIXème siècle accusait toujours davantage une contradiction interne majeure entre, au Sud, une aristocratie terrienne de propriétaires fonciers, fondant ses privilèges sur une organisation esclavagiste du travail agricole, et au Nord et à l’Est, une bourgeoisie industrielle et commerçante ayant entrepris la conquête du pouvoir politique par l’argent, mais il faudra cependant qu’éclate la guerre de Sécession, et que cette dernière parvienne à son terme, pour que la crise soit finalement résolue à l’avantage de la seconde. La « vieille société » caractéristique du Sud des États-Unis ne pouvait que disparaître à ce moment-là. 3) Karl Marx à son époque pouvait encore concevoir une alternative révolutionnaire toujours possible. On peut légitimement se demander si cela peut être encore le cas aujourd’hui, à notre époque, où on aurait au contraire toutes les raisons du monde d’être pessimiste pour l’avenir. Une alternative au capitalisme est-elle encore envisageable ? Le capitalisme n’aurait-il pas déjà définitivement triomphé ? Telles seraient les questions qui se poseraient plutôt. [Conclusion] [Résumé de la démarche suivie] Dans une première partie, nous avons montré que pour Karl Marx la conscience de soi d’une époque donnée ne pouvait être en aucun cas considérée comme déterminante pour comprendre les changements caractéristiques de l’histoire des sociétés. Dans une deuxième partie, nous avons souligné l’importance de l’action humaine révolutionnaire, mais ne pouvant intervenir que sur la base de conditions sociales et politiques déterminées. Dans une troisième partie enfin, nous avons apprécié l’originalité de la critique marxiste de l’idéalisme hegelien, mais souligné aussi son caractère historiquement révolu. [Solution du problème posé] Aucune idée, même la plus novatrice qui puisse être au cours de l’histoire, par exemple celle de l’égalité proclamée de tous les hommes, ou celle du respect inaliénable de la souveraineté des nations, ne peut jamais induire de quelconques changements historiques. L’action individuelle ou collective des hommes s’avèrera toujours nécessaire dans une situation de crise majeure, soit lorsque les contradictions entre le développement des forces productives et la formation sociale qui leur correspondait jusqu’ici se trouvent pleinement développées.