Confidences sur canapé

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Confidences sur canapé
Académie de l’Imaginaire – Équipe jaune – Tour 6 – Christophe Tabard
Confidences sur canapé
— Prenez l’argent ! Prenez tout ce que vous voulez, mais je vous en supplie, ne me tuez pas,
j’ai une femme et des enfants !
Assis dans son sofa, menotté et le pantalon baissé, l’homme pleurait comme une fillette.
Face à lui, Matthias ne put réprimer un sourire consterné tout en appuyant un peu plus fort
le canon du revolver sur son front.
— S’il vous plaît, je ne dirai rien à la police, je ne vous ai jamais vu, je vous le promets, je ne
veux pas mourir ! Les bijoux de ma femme, ils sont à vous ! Prenez tout mais par pitié, ne me
faites pas de mal !
Pathétique.
Matthias connaissait bien ce genre de personnes. Il en avait débarrassé la surface du globe
bien des fois mais toujours cette question lancinante qui lui trottait dans la tête : Comment
était-il Dieu possible que de tels êtres existent ?
Le spécimen qu’il avait devant lui s’appelait Patrick K., 41 ans, directeur d’une succursale
bancaire, marié, père de deux adolescentes un peu rebelles mais pas trop, une grosse voiture
bien voyante et une plus petite cylindrée pour madame, un pavillon à crédit en province.
Et un chien, évidemment.
Matthias relâcha la pression de son arme, se leva et se dirigea vers le bar que Patrick avait
fait aménager dans sa cave, avec son écran géant et tout le confort qui va avec. Pour
insonoriser la pièce, il avait même été jusqu’à coller des boîtes d’œufs sur les murs et le
plafond.
Pitoyable.
Matthias revint s’asseoir dans un fauteuil face au banquier en larmes et posa une bouteille
de whisky et deux verres sur la table basse qui les séparait. Il servit les récipients à ras bord
et lui en tendit un.
— Bois !
Matthias n’aimait pas les gens. Il méprisait la plupart d’entre eux et suivait son petit
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bonhomme de chemin d’informaticien bien intégré dans la société. Mais il arrivait parfois
qu’un Patrick s’y colle en travers et ça, Matthias, il ne pouvait pas le supporter. Il fallait qu’il
agisse. Il fallait que ça sorte !
— Qu’est-ce que vous me voulez ?
Son verre à la main et le pistolet dans l’autre, Matthias se cala confortablement dans son
fauteuil.
— J’aimerais comprendre ce qui ne va pas chez toi. À quel moment ça a commencé, qu’est-ce
qui fait que tu es Toi. C’est génétique ? Tes parents étaient pareils ?
Le trouble se lisait parfaitement sur le visage de Patrick qui but une rasade de whisky puis
balbutia :
— Je… mes parents… si je suis Moi ? Je ne comprends pas, monsieur… Pourquoi vous me
dites tout ça ? Qu’est-ce que j’ai fait ?
Matthias bondit soudain.
— Excellente question : qu’est-ce que tu as fait ? Tu as dû en faire tellement, mon pauvre
Patrick. D’ailleurs, faudra que tu m’expliques comment une femme aussi charmante que la
tienne a pu se reproduire avec un mec comme toi. Ça me dépasse. Pas la peine de me
regarder comme ça ! Oui, je connais ta femme Nathalie, Lola comme elle aime à se faire
appeler. Elle aime les fleurs, ça se voit. Elle est bien dans cette petite boutique que tu lui as
achetée pour faire la fleuriste. On s’ennuie vite dans une grande maison vide, le mari au
boulot et les filles au collège…
Le banquier était soufflé. Il regardait Matthias, son verre à la main et des envies de meurtre
dans les yeux. Il tenta bien de se lever mais il dut admettre que c’est Matthias qui avait l’arme
et lui les menottes.
— Ça t’embête si je me roule un joint ?
Matthias n’attendit pas sa réponse et s’empara d’un petit coffret en bois posé sur la table
basse. À l’intérieur se trouvait tout le matériel nécessaire.
— Je vais poser mon arme. J’arrive pas encore à rouler à une main, comme Lucky Luke, du
temps où il fumait et avant que les bien-pensants ne décident de lui coller un brin d’herbe
dans la bouche. Je te recommande, bien sûr, de ne rien tenter de foufou. Ne joue pas au
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héros, Patrick, tu n’en es pas un. Mais au cas où, soudainement, te viendrait la vocation,
sache qu’un bon ami à moi se trouve en ce moment même dans une charmante maisonnette
à l’autre bout de la France en compagnie de Lola, de tes pupuces adorées, de ton clébard et
de ta belle-mère. Dans la même situation que toi, sauf le pantalon… du moins je l’espère !
Patrick bouillait. Son visage avait tourné au pourpre.
— Si je ne l’appelle pas dans deux heures, il les égorgera comme des poulets, en
commençant par tes filles. Est-ce que je me suis bien fait comprendre, Patrick ?
L’autre acquiesça, soudainement livide, déglutit difficilement puis demanda :
— Qu’est-ce que vous me voulez ? C’est pour la banque, c’est ça ? Vous voulez cambrioler la
banque et vous avez besoin d’informations ? Que je vous ouvre les coffres ? On peut y aller
maintenant si vous voulez ! Détachez-moi et allons-y, mais par pitié, laissez ma famille en
dehors de ça…
Matthias rigola, posa son arme et commença à faire un filtre.
— Je me contrefous de ta banque, mon petit Patrick. Je veux juste que tu répondes à
quelques questions. Juste on parle en buvant un verre entre potes. Désolé d’être arrivé un
peu à l’improviste, mais c’est ça les vrais amis, pas vrai ?
Patrick but une gorgé, puis une deuxième et s’enfonça dans son canapé.
— Je peux au moins remettre mon pantalon ?
— Non, reste comme ça. T’es chez toi après tout, t’as le droit d’être détendu du gland.
Comme chaque vendredi soir, une fois sa femme et ses filles parties pour le week-end chez sa
belle-mère, Patrick descendait s’enfermer au sous-sol de sa maison qu’il avait aménagé en
petite salle de cinéma : un écran géant, fauteuils, canapé, minibar, boîtes d’œufs aux mur et
au plafond, herbe et haschich dans un petit coffret en bois et des centaines de DVD sur une
large bibliothèque murale. Des blockbusters comme s’il en pleuvait. Du Michael Mann, du
Roland Emmerich, du Spielberg, du gros bourrin bien lourd où tu sais qu’à la fin c’est le gentil
qui gagne. Certains étaient encore sous cellophane. Des coffrets, des éditions limitées. Il y en
avait pour une petite fortune.
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En général, il se commandait une pizza avec un soda puis se matait un film jusqu’au coup de
téléphone de sa femme pour lui dire qu’elles étaient bien arrivées à destination. Rassuré et
enfin sûr d’être seul sans retour impromptu et surpris en mauvaise posture, il sortait son
whisky, son paquet de mouchoirs en papier et sa petite boîte à haschich, branchait un disque
dur sur l’écran de sa télé puis s’astiquait le manche devant des vidéos pornos qu’il avait
téléchargées durant la semaine au boulot. Il s’endormait généralement dans le canapé,
bourré, les couilles vidées et la queue à la main.
Matthias avait eu maintes fois l’occasion de l’observer grâce aux mini-caméras qu’il avait
installées chez lui plusieurs mois auparavant.
— Tu sais ce qui tue les humains ? lui demanda-t-il tout en allumant le joint qu’il avait fini de
rouler, c’est l’habitude ! La routine tue les gens. Le même boulot, le même trajet tous les
jours, la même place pour garer sa voiture, le même parcours pour faire pisser le chien à la
même heure, les mêmes gens, les mêmes lieux de fréquentation, quand tu baises et dans
quelles positions. Où tu achètes ton shit, à qui et en quelle quantité. Il est cher son matos à
ton petit vendeur de la cité d’à côté mais il faut reconnaître que la qualité est au rendezvous !
Patrick dévisageait Matthias, comme s’il essayait de se rappeler quelque chose. Un indice.
Une piste pour commencer à comprendre.
— Vous êtes client à la banque ? Je vous ai refusé un crédit ? Si c’est le cas, on peut en
rediscuter, pas de problème ! Pourtant… votre visage ne me dit rien, je connais bien tous mes
clients mais vous…
— Je te le répète, Patrick, ta banque, je m’en contrefous ! Mais tu as raison… c’est légitime
que tu saches ce qui m’amène ici. Et, même si je suis un ami, c’est pas une heure pour
importuner les gens chez eux en pleine occupation avec des futilités !
Il lui fit aspirer quelques bouffées du joint avant de remplir à nouveau son verre.
— Bois donc, ça va te détendre un peu…
L’autre entama son deuxième verre mais semblait perplexe. Perdu dans un mauvais film. Les
vapeurs de haschich, l’alcool.
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Ou alors c’était une blague de ses copains, ce petit cercle de quadras des années lycée. Plus il
y réfléchissait, plus il était convaincu que ce ne pouvait être qu’une de leurs idées à la con.
Mais là ils allaient vraiment trop loin !
— Ça suffit la blague ! Vous leur direz qu’ils ne sont que des connards et que je n’ai pas
trouvé ça drôle ! Libérez-moi maintenant et tirez-vous de chez moi !
Matthias le regarda d’un air navré en hochant la tête.
— Tu veux dire que tu as des amis capables de faire ce genre de blagues ? Tu dois être bien
malheureux, mon pauvre Patrick. Maintenant bois et écoute le seul véritable ami que tu as
sur cette petite planète : Moi.
Matthias n’aimait pas conduire. Mais parfois il le faut, on n’a pas toujours le choix. Il pense
que les autres sur la route sont un danger et que celui-ci est inévitable une fois qu’on est
lancé sur une autoroute à plus de 100 km/h. On ne contrôle plus sa destinée. C’est pour ça
qu’il n’aimait pas conduire et se mêler au milieu du troupeau en espérant que l’imbécile qui
s’endort au volant ou le demeuré qui conduit en tongs s’encastrera dans le pare-brise de la
voiture de derrière et non dans le sien. Cependant, on ne peut jamais éviter les coups du sort
que Matthias, ce jour-là, avait plutôt pris comme un coup du destin. Il avait déjà détesté la
façon du banquier d’arriver derrière lui alors qu’il doublait un camion. Cette sale impression
que vous avez alors que trois secondes auparavant, dans le rétroviseur, il n’y a personne. Et
tout d’un coup, une voiture surgie de nulle part est sur toi. Le gars collé à ton pare-choc et
qui te fout encore plus la pression en te faisant des appels de phares. Il est tellement collé à
toi que tu le vois parfaitement dans ton rétro, faisant des grands gestes dans ta direction,
l’oreille scotchée à son cellulaire. Sa femme à ses côtés, si fragile dans cette énorme BMW.
Les filles, derrières, l’air boudeur, le nez collé dans leurs écrans. Tellement en sécurité dans
leur bulle d’acier.
Quand il s’était enfin rabattu, Patrick l’avait dépassé en lui faisant un doigt d’honneur.
Matthias aimait le vivre ensemble et il pensait fortement que si chacun respectait les règles
de la vie en communauté, le monde s’en porterait bien mieux. On ne dépasse pas les gens
dans les files d’attente. On dit bonjour, merci, au revoir et s’il vous plaît. On attend que tout
le monde soit à table avant de commencer à manger. Et surtout, surtout, on ne déboule pas
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derrière les gens plein phares, à 150 km/h, un téléphone portable à la main. C’est dangereux.
— Tu vois, je suis sûr que t’es le genre de gars qui s’en sort indemne s’il provoque un accident
qui fait plein de morts. J’ai pas raison ?
Plus tard, quand il s’était arrêté à une station-service, il était tombé sur lui à nouveau. Il était
tellement… parfait ! La façon dont il traitait sa femme, ses lunettes de soleil, sa façon de
parler fort. D’exhiber sa carte Gold. Sa putain de bagnole !
— Tu vois, mon estomac s’est noué, j’avais une petite boule au ventre. Comme lors d’un
premier rendez-vous amoureux, émoustillé par l’inconnu qui se profile. J’aime recevoir ce
signal gastrique qui me confirme dans mes convictions. Qui me dit que j’ai raison et que je
suis sur le bon chemin...
— Mais qu’est-ce que vous me voulez à la fin ? Qui êtes-vous ? Je ne me rappelle pas vous
avoir fait un doigt mais c’est bien possible… Je m’excuse, ça vous va ? Je m’excuse, je ne
recommencerai plus, promis !
Matthias remplit à nouveau le verre de Patrick, l’incita à boire et ralluma le joint qui s’était
éteint.
— Tu vois, c’est ça ton problème : tu penses possible de m’avoir fait ça et tu crois pouvoir te
racheter avec de simples excuses. Moi je m’en rappellerais parfaitement et toute ma vie si je
manquais ainsi de respect envers mes semblables. Toi, tu en fais tellement à longueur de
journées que tu ne te rappelles pas à qui ni pourquoi. C’est grave, non, tu crois pas ?
— Mais vous allez pas me tuer pour ça, non ?
— Mourir, au fond, n’est qu’un manque de savoir-vivre, Patrick. Mais si ça peut te rassurer, tu
ne sentiras absolument rien, ne t’en fais pas. Je sais qu’au fond de toi, c’est pas de ta faute.
C’est pour ça que je ne veux pas que tu souffres.
Patrick eut soudain un haut-le-cœur et sa pizza quatre fromages se retrouva éparpillée sur le
canapé, noyé dans un mélange de bile et de whisky.
Matthias lui tendit un mouchoir en papier ainsi que son verre, rempli à nouveau.
— Ne te mets pas dans des états pareils, Patrick, après tout, tu n’es pas encore mort !
Profite ! Bois ! Tant que tu bois, tu es vivant !
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— Mais vous êtes qui, bon sang, pour décider qui doit vivre ou qui doit mourir ? Dieu ?
Matthias s’était levé et avait ouvert un paquet de cacahuètes trouvé dans un des petits
placards derrière le bar.
— C’est ça qui manquait avec un bon whisky : des cacahuètes !
Il en engloutit une poignée puis commença à se rouler un second joint.
—Dieu merci, contrairement à lui, je ne tue pas à l’aveugle. Dieu est un tueur de masse, lui. Il
massacre sans qu’on y trouve à redire. Il est LE super tueur en série. Tandis que moi, je ne
suis qu’un modeste artisan. J’aime la belle ouvrage. Le travail bien fait. Ma modeste ambition
est de permettre une amélioration sensible du taux vibratoire de cette pauvre planète qui en
prend plein la gueule à cause de l’inconséquence de gens comme toi. J’apporte un peu
d’imprévu dans la vie morne de tous ces morts en sursis, de ces non profiteurs de la Vie, de
ces gentils consommateurs de Panurge qui pourrissent la vie des autres en attendant leurs
propres trépas. Bien souvent au fond d’un lit et très vieux. Ce qui est injuste, tu ne crois pas ?
Patrick naviguait entre les paroles de Matthias et les vidéos pornos qui continuaient de
défiler derrière celui-ci. Il claqua des doigts.
— Tu m’écoutes quand je te parle?
— En fait, vous n’existez pas. Je vais me réveiller bientôt et je vais oublier tout ça.
Matthias se leva puis lui asséna une monumentale gifle avant de se rasseoir en de poursuivre
son joint.
— Et celle-là, tu vas l’oublier ?
Patrick se remit à sangloter tout en buvant quelques gorgées de whisky puis tendit les doigts
vers Matthias en désignant le joint que ce dernier venait de finir de rouler.
— Je peux l’allumer ?
—Be my guest ! Fais comme chez toi.
Il l’alluma maladroitement, entravé par ses menottes. Matthias les avait choisies dans un sexshop, au rayon soft SM. De jolies menottes recouvertes de mousse orange pour ne pas laisser
de marques aux poignets et aux chevilles. Ça veut bien se faire fesser le dimanche mais faut
pas que ça se voie le lundi au bureau !
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— Donc, si je comprends bien, vous allez me tuer parce que je vous ai fait des appels de
phares et un doigt d’honneur sur l’autoroute, c’est bien ça ?
— Pour faire simple, oui.
— Mais pourquoi moi ? Il y a des gens pires que moi, non ? Les politiciens corrompus, les
patrons qui licencient à tour de bras pour augmenter la valeur des dividendes de leurs
actionnaires, les soldats qui massacrent à travers le monde, je ne suis rien à côté d’eux !
— Justement. Parce que tu n’es rien, tu disparaîtras plus facilement. Les riches, les célébrités,
les enfants, tout ça c’est des cibles bien trop risquées. Tue une baleine, t’auras Greenpeace
sur le dos, décime un ban de sardines, tout le monde s’en fout ! Je préfère m’attaquer à la
multitude. Celle qui ne fait pas de vagues. Celle qui disparaît sans que quiconque ne la
regrette. Tout le monde t’oubliera, Patrick. Ta femme refera sa vie. Ta belle-mère jubilera en
secret. Tes collègues enverront une couronne de fleurs pour ton enterrement et devront
supporter un nouveau directeur au bureau. On écrasera quelques larmes sur ton cercueil
puis la vie reprendra son cours comme si rien ne s’était passé. La routine en somme…
Matthias se leva à nouveau et alla parcourir les dvd qui trônaient dans la bibliothèque. Il
s’empara d’un coffret, enleva la cellophane et le montra au banquier.
— Ça t’embête si je te l’emprunte ? Tu me crois si tu veux mais j’ai jamais vu ce film.
Il colla la boite d’Independance Day sous le nez de Patrick.
— Tu me le recommandes ? Version longue en plus… Je sens que je vais passer une soirée de
folie en regardant ça chez moi toute à l’heure.
— Franchement, il est pourri ce film, mais c’était une version à tirage limité, il ne vaut plus
rien maintenant sans l’emballage…
Matthias le rangea dans sa veste et remplit de nouveau les verres.
— Il n’y a pas que l’argent dans la vie, Patrick.
L’autre vida son verre d’une traite.
— Sans argent, on n’est rien de rien. L’argent permet d’avoir tout ce qu’on veut. L’argent, c’est
la liberté, mon brave monsieur...
— C’est stupide ce que tu dis, Patrick. Regarde-toi avec ta petite vie bien rangée. Dans le
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fond, malgré tout ton pognon, t’es un gars malheureux. Ton argent n’achète pas le bonheur
et ne te sauvera pas à la fin de cette soirée. Je ne comprends toujours pas les gens comme
toi : t’as souffert à l’école ? T’avais pas de copains ? T’étais le gars au fond de la salle de classe
près du radiateur et de la fenêtre ? Pourquoi t’es comme ça, Patrick ? Explique-moi, donnemoi une bonne raison de t’épargner !
Le banquier renifla, tendit son verre que Mathias remplit de nouveau, puis, de sa voix
pâteuse lui dit :
— Les gens ne m’ont jamais respecté. Mes parents, la famille, à l’école, on m’a toujours pris
pour un con !
— Mais ton comportement leur donne raison, tu ne crois pas ?
Il tapa du poing sur la table.
— Je veux qu’on me respecte ! Je sais bien que je ne suis pas très intelligent et que j’ai
tendance à trop ramener ma gueule mais c’est pas une raison !
Le banquier vida son verre en deux gorgées puis s’enfonça dans le canapé en sanglotant.
— Je veux juste qu’on me respecte, c’est tout…
— Et regarde où ça t’a mené…
— Je m’en fous des autres, qu’ils crèvent ! C’est la jungle là dehors…
Sur l’écran géant, derrière Matthias, deux gamines blondes étaient en train de se faire
inonder de sperme par une quinzaine de gars libidineux. Des gras du bide avec des demimolles. Des types qui n’arrivaient pas à bander et qui s’astiquaient le manche avec l’énergie
du désespoir. Fallait-il vraiment être en manque d’argent pour accepter ce genre
d’humiliation et se faire souiller ainsi ? Ou bien était-ce vraiment dans leur nature et que,
sincèrement, elles y prenaient du plaisir ?
Une odeur rance de vomi mélangée à celle du joint flottait lourdement dans la pièce. Une
odeur pas si désagréable qui rappelait à Matthias certaines de ses soirées de jeunesse où
l’alcool et la gerbe coulaient à flot au fond d’une cave ou dans des squats. Des soirées où il
avait pu observer de près et à loisir la misère humaine dans toute sa splendeur. Où on
refaisait le monde loin des vrais problèmes de la société. Où les fils à papa venaient
s’encanailler en ayant l’impression de franchir les limites de la bienséance. Des rebelles en
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carton-pâte qui, aujourd’hui, étaient publicitaires, experts-comptables ou banquiers. Toute
une clique d’esclaves qui se croyaient les maîtres de leur destin et qui se retrouvaient, vingt
ans plus tard, à exécuter des ordres qu’ils croyaient être les leurs. Des gens comme Patrick.
Matthias le secoua.
— Tu dors ?
L’autre sursauta et marmonna un « Ta gueule, laisse-moi tranquille » avant de se blottir de
nouveau dans le canapé.
Matthias pris son verre et alla le laver dans le petit évier derrière le bar. Il l’essuya et le
rangea avec les autres dans un placard. Il remplit de nouveau celui du banquier et vida le
reste du contenu de la bouteille sur la moquette et le canapé. Puis il s’assit dans le fauteuil
face à lui et finit tranquillement le joint. Ça y était. Le point d’orgue de ces mois de filature et
d’espionnage. Ce n’était pas son moment préféré mais il fallait bien mettre un point final à
toute cette histoire et passer à autre chose. Il repassa mentalement la liste des choses à ne
pas oublier. Il avait bien récupéré ses caméras la semaine dernière. Aucune trace de son
passage ne subsisterait après son départ.
Il fallait quand même s’assurer qu’il dormait profondément. Matthias s’empara de son
revolver, l’approcha de la tête du banquier puis appuya sur la détente. L’eau gicla sur son
visage mais celui-ci ne réagit pas. Matthias appuya une seconde fois sans plus de réaction.
— Ne t’en fait pas pour ta femme et tes gamines, Patrick. Moi non plus, je n’ai pas d’amis.
Encore moins des gens capables d’égorger des ados en pleine fleur de l’âge. Elles doivent
dormir du sommeil du juste à l’heure qu’il est chez belle-maman, à moins qu’elles n’aient fait
le mur pour aller se faire tripoter par des petits cons boutonneux, mais ça, c’est la vie !
Il retira les menottes qui entravaient les poignets et les chevilles du banquier et les fourra
dans la poche intérieure de sa veste. Puis il fouilla dans la petite boite sur la table basse, prit
un morceau de shit et quelques feuilles à rouler qu’il glissa dans la poche de son pantalon.
Sur l’écran, deux naines étaient en train de se faire démonter par des géants blacks à la
queue démesurée. Matthias prit une feuille de journal, l’enflamma et la jeta sur la table
basse. L’alcool prit aussitôt feu avec un bruit délicieux. La moquette commença à dégager
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une épaisse fumée. Le banquier toussa un peu mais ne bougea pas. Matthias remonta les
escaliers en laissant la porte de la cave ouverte pour créer un appel d’air puis il sortit de la
maison et referma le verrou derrière lui avec le passe-partout qui ne le quittait jamais.
L’incendie se propagerait vite. Les boites d’œufs feraient rapidement leur besogne et les
secours n’arriveraient jamais à temps. Un décès brutal. Une mort idiote et indolore. Un
stupide accident, diront les enquêteurs et les journaux locaux.
Un de moins, pensa Matthias en savourant d’avance la petite soirée joint-dvd qu’il allait se
faire en rentrant.
Le repos du guerrier avant la prochaine fois.
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