LES MOTIVATIONS ET LES EFFETS D`UNE RETRAITE FAITE PAR

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LES MOTIVATIONS ET LES EFFETS D`UNE RETRAITE FAITE PAR
LES MOTIVATIONS ET LES EFFETS D’UNE RETRAITE FAITE PAR DES
PERSONNES AGEES DANS UN MONASTERE BENEDICTIN
Pierre Ouellette, Université de Moncton
Paul Heintzman, Université d’Ottawa
Raymond Carette, Abbaye Saint Benoît
S’inspirant largement de la théorie de la restauration de l’attention, cette étude
vise à identifier les motivations et les effets d’une retraite vécue par des personnes âgées
dans un monastère bénédictin. Aujourd’hui, la diversité des formes de retraite spirituelle
augmente constamment et plusieurs types de ressourcement sont possibles. Il y a des
retraites portant sur le yoga, sur la méditation, sur le silence et sur la croissance
personnelle. Située à Saint-Benoît-du-Lac (SBL) au Québec, l’Abbaye Saint Benoît est le
plus important monastère bénédictin au Canada. Il comprend une église ainsi qu’une
hôtellerie accueillant annuellement 2 500 hôtes. L’horaire comporte sept offices
monastiques. Le prix d’un séjour est rarement un obstacle; on suggère 40 $ par jour pour
le coucher et les trois repas. Selon la tradition bénédictine, les ateliers de réflexion ou
encore les conférences spirituelles sont rarement organisées. Cela a l’avantage d’offrir
aux hôtes le choix de plusieurs activités personnelles.
La théorie de la restauration de l’attention postule qu’un effort mental prolongé
produit une fatigue mentale nommée « attention dirigée » (Kaplan, 1995). Le remède à
l’attention dirigée consiste à la réorienter dans un environnement fortifiant, par exemple,
une forêt, un centre de plein air, un musée, etc. Les environnements fortifiants possèdent
quatre grandes propriétés que l’on nomme respectivement : 1) étant parti, 2)
environnement d’ampleur, 3) fascination et 4) compatibilité. Le facteur « étant parti » est
défini comme une transformation conceptuelle qui libère de l'activité mentale exigée par
l'attention dirigée. « L’environnement d'ampleur» est un environnement riche et logique
par lequel on est relié à un plus grand monde; il n’est pas nécessairement défini par la
grandeur physique. C’est surtout le facteur « fascination » qui permet l'attention non
dirigée, le renouvellement de l’intérêt et la restauration en profondeur. Enfin, le dernier
facteur, la « compatibilité », est un environnement qui incite à la réalisation de ses
intentions profondes ou encore à l’atteinte de ses buts personnels.
Cette théorie élégante a déjà fait l’objet de plusieurs recherches en psychologie
environnementale. Les résultats obtenus sont fort encourageants, en particulier dans les
domaines de la santé (Cimprich, 1993; Frumkin, 2001), du plein air (Altman & Wohlwill,
1983; Taylor, 1989), de l’habitation (Hartig, Korpela, Evans, & Garling, 1997), de
l’urbanisation (Herzog & Chernick, 2000; Kuo, 2001), du design des lieux de travail (R.
Kaplan, 1993; Tennessen & Cimprich, 1995), de la prise de décisions (S. Kaplan, 1991),
du jardinage (S. Kaplan, 1992) et des musées ou bibliothèques (Herzog, Black,
Fountaine, & Knotts, 1997; S. Kaplan, Bardwell, & Slakter, 1993; S. Kaplan & Talbot,
1983).
Bien que Kaplan et Kaplan (1996) expliquent surtout le phénomène de la
revitalisation du fonctionnement cognitif, la restauration de l’attention n’est pas sans
implications pour les diverses démarches de croissance spirituelle. En effet, certains
environnements fortifiants favorisent la réflexion et la quête de signification. Heintzman
(2002) invoque ce même concept de restauration pour expliquer les processus qui relient
le loisir et le bien-être spirituel. D’ailleurs, ses travaux subséquents confirment le mérite
de cette approche théorique (Heintzman, 2000; Heintzman & Mannell, 2003).
Méthode
L’échantillon. L’échantillon comprenait 188 hôtes, tous des hommes. L’âge
moyen se situe à 64,6 ans alors que la situation de famille se répartit principalement de la
façon suivante : divorcé (11,8 %), célibataire (28,3 %) et marié (45,5 %). En ce qui a trait
à la scolarité, 80,2 % ont complété des études post-secondaires, soit au niveau du CEGEP
(10,6 %), du certificat universitaire (10,6 %), du baccalauréat (23,4 %) ou encore de la
maîtrise/doctorat (35,6 %). L’ensemble des hôtes (69,4 %) dispose d’un revenu annuel
brut inférieur à 49 999 $ alors que 30,5 % bénéficient de revenus supérieurs à 50 000
dollars.
Le développement du questionnaire. Le questionnaire comprenait les questions
usuelles rattachées à l’âge, au niveau de scolarité et à la situation de famille. On y
retrouvait également des questions portant sur un ensemble de problèmes personnels
vécus au cours des derniers mois tels que l’épuisement professionnel, les difficultés
maritales, le décès d’un proche, etc. Les motivations ont été précédées de la question
suivante : « Il y a plusieurs raisons pourquoi les gens décident de faire une retraite.
Jusqu’à quel point les énoncés ci-dessous ont-ils été un facteur de votre décision de venir
au monastère faire une retraite ? : Contribue à ma spiritualité; Sentiment de paix; Avoir la
chance de réfléchir; Sentiment d’unité avec l’univers; Faire quelque chose de fascinant;
Faire quelque chose pour moi, etc. » L’expérience de retraite a été mesurée par la
participation à une quinzaine d’activités telles que les vigiles, la messe, les complies, la
méditation et la lecture spirituelle. Les effets positifs ou négatifs de la retraite ont été
déterminés par une quinzaine d’adjectifs, par exemple alerte, efficace, attentif, distrait.
Enfin, le niveau de satisfaction a été évalué par la question suivante : « Dans l’ensemble,
quel est le degré de satisfaction de votre expérience de retraite ? »
Analyse des données. Les données de cette enquête sont présentées surtout par le
biais de statistiques descriptives telles que fréquences, pourcentages, moyennes, etc.
Toutefois, certaines échelles de mesure ont été soumises à des analyses factorielles alors
que l’étude des effets de la retraite a été l’objet de régressions multiples.
Résultats et discussion
Les caractéristiques personnelles. La plupart des retraitants (57,8 %) arrivent seuls
au monastère et leur séjour est en moyenne d’une durée de 3,13 jours. La moyenne de
l’état de santé est 3,78 sur une échelle de 1 à 5. En ce qui a trait à l’occupation principale,
on remarque, entre autres, une proportion appréciable de retraités (56,9 %) et de
professionnels (10,1 %). En tête de liste des problèmes vécus par les hôtes au cours des
derniers mois, on retrouve l’angoisse face à la situation mondiale (M = 2,52) et la santé
personnelle (M = 2,24) suivie de près par le sentiment d’avoir trop à faire (M = 2,17). En
revanche, les inquiétudes les moins importantes sont les problèmes avec les enfants (M=
1,56) et la dépendance à l’alcool (M = 1,26).
Les motivations à faire une retraite. Les moyennes des motivations varient entre
4,55 (l’atmosphère de recueillement) à 2,53 (n’être responsable de personne). Le premier
facteur « réflexion et renouvellement » comprend huit énoncés tels que « trouver la
solution à un problème », « prendre des décisions importantes », « être loin des
responsabilités quotidiennes » et « me retirer du monde ». Le deuxième facteur « spirituel
» comporte cinq énoncés, par exemple « contribue à ma spiritualité », « approfondir ma
foi » et « sentir la présence de Dieu ». Le troisième facteur, « lien avec les autres»,
regroupe trois items dont « sentiment d’appartenance communautaire » et « fasciné par le
mode de vie des moines ». Enfin le dernier facteur, « réceptivité », contient également
trois éléments comme « vivre des moments de silence » et « la beauté des lieux ».
Les activités de la retraite. Parmi les activités les plus populaires, assister à la
messe (M = 4,51) est l’activité religieuse la plus importante, suivie par les vêpres (M =
4,09) et la méditation (M = 4,01). Une analyse factorielle révèle la présence de deux
facteurs regroupant des activités reliées à la prière personnelle ou communautaire.
Les effets de la retraite. Les effets de la retraite ont été mesurés à l'aide de certains
adjectifs positifs ou négatifs. Les moyennes varient considérablement, allant de 4,31 à
1,39. Ce sont tous les adjectifs positifs qui obtiennent les plus hautes moyennes, les
adjectifs négatifs étant nettement plus faibles. Parmi les adjectifs positifs importants, on
retrouve « détendu », « positif » et « reposé » tandis que les adjectifs négatifs sont «
tourmenté », « désorganisé » et « irritable ». Une analyse factorielle identifie trois
facteurs, à savoir « paix », « centré » et « angoisse ». Dans l’ensemble, le degré de
satisfaction est particulièrement élevé (M = 4, 60). De façon anecdotique, ce résultat est
tout à fait conforme aux nombreux témoignages de gratitude exprimés par les hôtes ayant
séjourné à SBL au cours des 75 dernières années.
Selon la méthode pas-à-pas, une régression multiple a été effectuée sur le niveau de
satisfaction ainsi que les trois effets de la retraite : 1) la paix, 2) être centré, 3) et
l’angoisse. Les variables indépendantes étaient les caractéristiques personnelles (âge,
santé, nombre d’années venant au monastère), les motivations (réflexion/renouvellement,
spirituel, lien avec les autres, la réceptivité), les problèmes personnels (travail, famille,
deuil/maladie) et les activités de la retraite (prière personnelle ou communale). Par
rapport à la satisfaction, les prédicteurs retenus sont : la prière communautaire, la santé et
2
la réceptivité (R 0,16). Sur « centrer », les variables explicatives sont le lien avec les
2
autres et un niveau d’âge moins élevée (R 0,20). Concernant la paix, les meilleurs
prédicteurs sont la réceptivité et le nombre moins élevé d’années venant au monastère (R
2
0,15). Quant à l’angoisse, les prédicteurs sont la réflexion/renouvellement, les
2
problèmes de famille, l’âge et un degré moindre de réceptivité (R 0,22). Même si, à leur
arrivée, la plupart ont un état d’esprit généralement positif, il n’en demeure pas moins
que plusieurs personnes âgées ont vécu, au cours des derniers mois, des problèmes
personnels alors que d’autres manifestent des signes évidents de fatigue mentale. Les
résultats de cette étude suggèrent fortement que le monastère constitue pour plusieurs
hôtes âgés un environnement restaurateur ou fortifiant.
Applications pratiques, réelles ou potentielles
Environ 75% des Canadiens reconnaissent qu’ils ont des besoins spirituels, 70%
soutiennent que la spiritualité est importante pour eux et 60% se définissent même
comme étant des personnes spirituelles (Bibby, 2002). D'autre part, les bénéfices du loisir
spirituel ont été évoqués par (McDonald & Schreyer, 1991) et confirmés par quelques
études (Heintzman, 2000; Heintzman, 2002), ce qui n’est pas sans implications. Par
exemple, les responsables des loisirs pourraient organiser des retraites dans les
monastères de toute allégeance ou même les organiser eux-mêmes sur place avec les
modifications qui s’imposent. Par extension, certaines activités récréatives pourraient
comprendre des dimensions spirituelles, entre autres, les activités de plein air ou les
voyages organisés à l’intention des aînés. D’ailleurs, le véritable loisir a toujours été un
synonyme de la contemplation. Déjà, Aristote soulignait que la plus haute forme de loisir
était justement la contemplation. Cette attitude contemplative voisine du spirituel est
étrangement familière avec certaines de nos définitions modernes du loisir qui mettent
l’accent sur des concepts tels que le flux, la perception de la liberté et la motivation
intrinsèque (Heintzman, 2003).
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ABSTRACTS
of Papers Presented at the
Eleventh Canadian Congress on Leisure Research
May 17 – 20, 2005
Hosted by
Department of Recreation and Tourism Management
Malaspina University-College
Nanaimo, B.C.
Abstracts compiled and edited by
Tom Delamere, Carleigh Randall, David Robinson
CCLR-11 Programme Committee
Tom Delamere
Dan McDonald
Carleigh Randall
Rick Rollins
and
David Robinson
Copyright © 2005 Canadian Association for Leisure Studies
ISBN 1-896886-01-9