Modélisation de la distribution de carburants en stations
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Modélisation de la distribution de carburants en stations
Economic Focus Février 2003 L'analyse économique appliquée au droit Modélisation de la distribution de carburants en stations-service autoroutières françaises territoire français. L’avis du 10 mai 2000 du Conseil de la Concurrence va dans le même sens. Introduction Le marché de la distribution de carburants en stations-service sur autoroute est marqué par des caractéristiques fortes qui le distinguent de la référence fondamentale de la théorie économique qu’est le « marché parfait ». Ces caractéristiques constituent des imperfections de marché et peuvent apporter des éléments de réponse à des questions du type : pourquoi les prix des carburants sur autoroute semblent-ils évoluer différemment de ceux pratiqués en dehors des autoroutes ? Nous proposons dans la présente étude d’appliquer à ce marché la modélisation économique classique retenue sous la dénomination de « modèle du cercle ». Cette modélisation permet d’évaluer les conséquences des imperfections de marché sur le mécanisme de formation des prix des carburants distribués sur les autoroutes françaises. Il s’agit d’un exemple d’application pratique de la modélisation micro-économique à un marché particulier Quelle définition de marché pour la distribution de carburants sur autoroutes ? La présente analyse prend pour point de départ l’existence d’un marché de la distribution de carburants autoroutier distinct de celui hors autoroute. Ceci est conforme à l’analyse retenue jusqu’à présent par les autorités chargées du contrôle de la concurrence tant européennes que françaises. La Commission Européenne a, dans la décision du 9 février 2000 relative à la fusion TotalFina/Elf, défini un marché de la distribution de carburants en stations-service sur autoroutes sur le Le marché autoroutier n’est toutefois pas complètement homogène. Deux types de segments autoroutiers peuvent être identifiés : les segments proches des grandes agglomérations, souvent situés en dehors des barrières de péage, ce qui a tendance à favoriser les échanges de consommateurs entre les marchés hors et sur autoroutes. Ces segments sont appelés « zones poreuses ». Il est possible de constater que les niveaux de prix des carburants vendus en stations-service autoroutières en « zones poreuses » sont relativement proches de ceux des stations-service situées hors autoroute. les segments situés entre des barrières de péage, loin des grandes agglomérations, sur lesquels les sorties temporaires hors de l’autoroute sont moins aisées. Ces segments autoroutiers sont appelés « zones hermétiques ». Aux yeux des consommateurs, les prix des carburants dans ces « zones hermétiques » paraissent évoluer différemment des prix hors autoroute. Les prix des stationsservice successives étant affichés après chaque entrée d’autoroute, ils peuvent sembler alignés, à des niveaux parfois plus élevé qu’en dehors de l’autoroute. La suite de la présente note s’attache à fournir quelques éléments économiques pouvant aider à la compréhension du mécanisme de formation des prix sur autoroute. L’offre au sein de ces « zones hermétiques » présente les caractéristiques suivantes : Page 1 les points de vente sont fixes et régulièrement espacés le long d’un marché linéaire : ceci découle des contraintes définies par le dispositif de concession ; les positions concurrentielles des stationsservice sont symétriques, les enseignes concurrentes se succèdent, les stationsservice ont de structures de coûts semblables : les zones hermétiques sont symétriques et non influencées par des « effets de bord » ; les produits vendus sont homogènes , mais le consommateur est sensible à la distance qui le sépare d’une stationservice lorsqu’il éprouve le besoin de s’approvisionner en carburant ; 1 2 la concurrence s’exerce par les différences de prix entre stations-service voisines. Parmi les modèles classiques, le « modèle du 3 cercle » proposé par Stephen Salop , se fonde sur des hypothèses qui recoupent assez largement les caractéristiques du marché de la distribution de carburants dans ces « zones hermétiques ». Présentation du modèle du cercle Même dans un marché de produits homogènes, une différenciation spatiale peut être appréciée. Différents modèles économiques traduisent la différenciation spatiale. En 1929, Hotelling décrivit un modèle de différenciation spatiale dit de la « ville rectiligne ». Dans ce modèle, deux magasins placés sur la « Grand rue » de la ville se livrent concurrence par les prix. En 1979, l’économiste américain Salop, présenta le modèle dit de la « ville circulaire » que nous reprenons sous la terminologie de « modèle du cercle ». Imaginez une ligne droite suffisamment longue pour qu’on puisse négliger les extrémités. Une telle ligne peut-être représentée par un cercle. Placez sur ce cercle des points de vente également 1 répartis, par exemple tous les 40km à l’instar des stations-service réparties sur les autoroutes françaises en vertu du système de concession. Ces points de vente présentent une certaine symétrie, en particulier au niveau de leur structure de coûts. Tous les points de vente sont concurrents pour la vente d’un produit homogène. Les consommateurs, uniformément répartis le long du cercle et parfaitement informés, choisissent leur point de vente en fonction : (1) du prix du produit et (2) de leur aversion à parcourir plus de kilomètres que ce qu’ils souhaiteraient idéalement. Par produits vendus, ne sont considérés que les carburants. Ne rentrent en ligne de compte, ni les produits vendus en boutique (snack, presse,…) ni les services (réparation, lavage, …). 2 Pour un même carburant pris chez différents concurrents, seuls les additifs sont susceptibles de changer. 3 Monopolistic competition with outside goods, Stephen Salop, 1979, Bell Journal of Economics, Vol. 10 : 141 – 56. Discussion sur le choix du modèle Certaines caractéristiques de la modélisation proposée peuvent surprendre, en particulier la représentation circulaire du marché géographique et la possibilité de déplacements bidirectionnels pour les consommateurs, qui à première vue ne se retrouvent pas sur les segments autoroutiers examinés. Paradoxalement, la représentation circulaire du marché ne constitue pas une caractéristique essentielle du modèle. Cette représentation permet la prise en compte, de manière simplifiée, des hypothèses de répartition uniforme de la demande le long d’un marché linéaire, d’espacement régulier de points de vente fixes et de concurrence sans « effets de bord ». Elle équivaut donc à celle d’une ligne infinie qui intègre la symétrie des conditions d’offre et de demande, à l’instar des marchés locaux que constituent les « zones hermétiques ». Le caractère bidirectionnel du modèle ne remet pas non plus en cause sa pertinence dans le cas d’espèce car un automobiliste qui éprouve le besoin de s’arrêter raisonne par anticipation et choisit une station-service parmi les deux ou trois stations à venir. Il peut arbitrer par avance en comparant les prix de vente affichés à chaque nouvelle entrée de l’autoroute. Connaissant le positionnement préféré d’un arrêt (risque de panne sèche, pause, repas), le désagrément d’un arrêt anticipé dans une stationservice plus proche ou d’un arrêt retardé dans une station-service plus lointaine peut être représenté comme dans le «modèle du cercle» : l’aversion des consommateurs à s’éloigner d’un kilomètre de son point d’arrêt préféré est représentée par la valeur t ; cette aversion augmentant rapidement Page 2 avec l’éloignement du point préféré, le modèle représente le coût, pour l’automobiliste, d’un arrêt anticipé ou retardé par rapport à sa préférence, par la 2 quantité t.x ; la « désutilité » de chaque consommateur prend également en compte le prix à la pompe, car les automobilistes restent sensibles aux écarts de prix affichés par des stations-service voisines ; la « désutilité » croît naturellement avec p le prix du carburant ; au total, le « modèle du cercle » représente la « désutilité » d’un 2 consommateur sous la forme : p+t.x Par cette représentation des préférences des consommateurs, le «modèle du cercle» propose une modélisation conforme aux principales caractéristiques du marché de la distribution de carburants sur autoroute, qui intègre notamment les contraintes et les imperfections de marché qui découlent du système de concession et de la différenciation spatiale. Hypothèses du modèle du cercle Les points de vente sont symétriques dans leur structure de coût : chaque point de vente a un coût d’entrée fixe F et un coût variable d’exploitation c. Les points de vente sont tous autonomes et se livrent concurrence par les prix. Il s’agit d’une concurrence à la Bertrand : le point de vente le moins cher s’arroge toute la demande proche. Formellement la concurrence par les prix conduit à un mécanisme de marché tel que pour chaque point de vente k pris parmi les n points de vente : Schéma La figure suivante illustre le « modèle du cercle », en faisant apparaître 3 points de vente localement concurrents, numérotés i – 1, i et i+1, sur un total de n points de vente régulièrement espacés. De manière formelle, le modèle du cercle est bâti sur le jeu d’hypothèses suivantes : Le marché géographique est un cercle de périmètre 1. Les consommateurs sont répartis uniformément le long du cercle avec une densité 1 le long du cercle. L’aversion des consommateurs à parcourir une unité de distance supplémentaire vaut t. Cette aversion croît avec le carré de la distance supplémentaire parcourue. La désutilité de chaque consommateur 2 vaut : p+t.x où x est la distance parcourue, et p le prix du carburant à la pompe. L’information est parfaite : consommateurs et points de vente connaissent tous les prix. n points de vente sont répartis à intervalle régulier le long du cercle. Les clients potentiels des points de vente ont une préférence liée au prix le plus bas et à la proximité. A prix égal, un client entre les points de vente i – 1 et i choisira le point de vente le plus proche selon la distance à parcourir x et 1/n – x. Page 3 Mécanisme de formation du prix de marché Le décor étant planté, il ne reste plus qu’à observer le marché. Rappelons toutefois que le but assigné par la théorie économique à une entreprise est la maximisation de son profit. Lorsque cette maximisation a lieu dans un cadre concurrentiel, les stratégies des entreprises sont autonomes. Dans le cas d’espèce, chaque point de vente est autonome et choisit donc son niveau de prix dans le but de maximiser son propre profit : le point de vente i choisit le prix pi. Tout consommateur fonde son « choix de point de vente » sur la maximisation de sa fonction d’utilité. Les points où les fonctions d’utilité sont égales correspondent à des points d’indifférence. Pour les produits homogènes tels qu’ici considérés, l’égalité des fonctions d’utilité au point d’indifférence équivaut à l’égalité des fonctions de désutilité. La demande adressée au point de vente i résulte des achats effectués par des clients suffisamment proches de i pour que leur désutilité soit inférieure ou égale à la désutilité qu’ils auraient s’ils s’approvisionnaient chez le plus proche concurrent. La répartition des clients le long du cercle étant uniforme et égale à 1, le nombre de clients s’approvisionnant en i est donc égale à la somme des distances d’indifférence. La fonction de profit de chaque point de vente est égale au revenu des ventes de carburants diminués des coûts d’exploitation (dont on fait l’hypothèse qu’ils sont tous variables) et d’un coût fixe (correspondant à l’investissement initial nécessaire pour s’implanter sur le marché). Soit x la distance séparant le consommateur de i lorsqu’il est entre i-1 et i, soit y la distance à i d’un consommateur situé entre i et i+1. L’égalité des désutilités du consommateur associées aux achats dans les points de vente i et i-1 puis i et i+1 s’écrivent respectivement : De l’égalité des désutilités entre i et i-1 d’une part, puis entre i et i+1 d’autre part, découle la valeur de la distance d’indifférence. Soit x° la distance du consommateur au point de vente i, telle que tout consommateur est indifférent à aller s’approvisionner en i ou en i-1. Soit y° la même distance pour le choix entre i et i+1. La maximisation du profit du point de vente i conduit à un niveau de prix lié aux prix des deux concurrents les plus proches, aux coûts variables de la station et à une composante résultant de l’effet combiné de la structure du marché (2/n²) et des préférences des consommateurs (t). Les hypothèses de symétrie d’une part sur les coûts variables (suffisamment proches entre points de vente concurrents pour être considérés égaux) et d’autre part sur la répartition des n points de vente le long du cercle (chacun maximisant son profit comme indiqué ci-dessus) permettent de résoudre les n équations. Résultats La concurrence sur les prix à la Bertrand conduit à un équilibre en prix avec un unique prix de marché Page 4 pi = p, faisant apparaître une marge t/n² combinant les effets de la structure du marché et les préférences des consommateurs : Ce résultat appelle trois remarques : le prix d’équilibre est supérieur au coût marginal : p > c. Selon la théorie économique, dans un marché parfait, le prix d’équilibre devrait être égal au coût marginal : p = c. le prix d’équilibre varie « parallèlement » au coût marginal de distribution c. Les évolutions du prix d’équilibre reflètent donc entre autre celles du coût d’achat des produits raffinés (cotés sur la zone ARA : cotations Platt’s). la marge p – c = t / n² est parfaitement concurrentielle. Elle traduit deux imperfections du marché : (1) la différenciation spatiale des produits marquée par la composante t qui signe l’aversion à la distance des consommateurs ; (2) les contraintes que fait peser le système des concessions sur l’éloignement de deux stations-service concurrentes marquées par la composante 1/n². Ces premières conclusions – obtenues par une modélisation simple des imperfections du marché de la distribution de carburants sur les autoroutes françaises – montrent à quel point le mécanisme de formation concurrentielle des prix est spécifique au marché. Des études économétriques complémentaires pourraient permettre de valider ces conclusions. Conclusion Le modèle du cercle permet d’expliquer l’existence de prix plus élevés qu’en l’absence d’imperfections de marché. Ceux-ci résultent de l’effet combiné de deux imperfections du marché : la différenciation spatiale des produits qui dépend de l’aversion des consommateurs à parcourir une distance plus importante pour profiter de prix avantageux, les contraintes que fait peser le système de concession sur l’éloignement des stations-service concurrentes. En pratique, dans le cas du marché autoroutier, le système de concession n’autorise pas l’implantation de stations-service à n’importe quel endroit. Ce système conduit à un espacement régulier des stations-service voisines concurrentes. Dans notre modèle, les points de vente voisins sont d’autant plus espacés que le nombre n de concessions attribuées sur le cercle est faible. Ainsi, lorsque l’équilibre est atteint, la marge bénéficiaire des distributeurs p - c = t / n2 est d’autant plus élevée que (1) l’aversion t des consommateurs à effectuer un arrêt éloigné de leur point préféré est grande et que (2) l’espacement des points de vente voisins est important (ce qui revient à dire que le nombre n de concessions est faible). En d’autres termes, si le prix des carburants sur autoroute est élevé c’est que (1) la station-service est éloignée du point d’arrêt optimal pour faire le plein et en profiter pour changer bébé qui pleure depuis dix minutes ; et que (2) les stations-service sur autoroute sont trop éloignées les unes des autres, notamment en rase campagne. Microeconomix est un cabinet d'analyse économique appliquée au droit. Depuis sa création en 2002, Microeconomix s'est forgé une solide expérience dans les domaines du droit de la concurrence et de la régulation des industries de réseaux. En menant plus de quarante missions dans des secteurs variés, Microeconomix s'est imposé comme un cabinet de référence en matière d'expertise économique à l'appui des stratégies juridiques des entreprises et de leurs avocats. Microeconomix réunit autour de ses associés une équipe éprouvée de consultants ingénieurs et économistes hautement qualifiés, et enrichit ses prestations en sollicitant de manière spécifique aux besoins de ses clients, les compétences les plus pointues au cœur de son réseau d'experts partenaires. Microeconomix L'analyse économique appliquée au droit www.microeconomix.com Contact : Gildas de Muizon [email protected] Téléphone : +33 (0) 8 71 75 96 76 ©Microeconomix Février 2003 Page 5