Les maisons de retraite, un luxe pour les Français

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Les maisons de retraite, un luxe pour les Français
Les maisons de retraite, un luxe pour les Français ?
Une place dans une maison de retraite publique ou associative coûte aujourd’hui en moyenne 1 857
€ par mois au résident, soit 61 € par jour. En Île-de-France, la facture grimpe à 2 242 € en moyenne.
Tel est le principal constat de l’Observatoire 2011 des établissements d’hébergement pour personnes
âgées dépendantes (Ehpad). Il est issu d’une étude réalisée par le cabinet d’audit KPMG auprès de
323 établissements publics et privés à but non lucratif.
Elle sera rendue publique jeudi 7 février et ne manquera pas de relancer le débat sur le coût des
établissements médicalisés pour personnes âgées alors que la pension de retraite des femmes, qui
représentent la majorité des pensionnaires, est en moyenne de 900 € par mois. « Tous les jours, je
reçois des lettres de résidents ou de familles qui n’arrivent plus à faire face », confiait fin janvier lors
de ses vœux à la presse Michèle Delaunay, la ministre déléguée aux personnes âgées qui,
récemment, a jeté un pavé dans la mare avec sa proposition d’encadrer certains tarifs dans les
établissements privés.
COMMENT EST FIXÉ LE TARIF DANS UNE MAISON DE RETRAITE ?
Il existe trois tarifs : soins, dépendance, hébergement. Le tarif soins (de 25 à 30 % des coûts de
l’établissement) vise notamment à rémunérer le personnel infirmier et soignant. Il est pris en charge
par l’assurance-maladie. Le tarif dépendance (de 10 à 15 %) couvre les frais liés à l’assistance des
personnes en perte d’autonomie. Il est financé principalement par les conseils généraux via
l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Mais il reste à la charge du résident un ticket
modérateur (talon APA) qui varie entre 4 et 6 € par jour. Enfin, le tarif hébergement (60 %) est
entièrement payé par le résident. Pour les personnes démunies, il est possible de recourir à l’aide
social.
QUEL EST LE MONTANT DU RESTE À CHARGE POUR LE RÉSIDENT ?
L’étude de KPMG confirme l’importance des sommes à débourser dans un établissement public ou
associatif. Mais la facture est en général bien plus lourde dans le privé à but lucratif, où elle dépasse
souvent 2 000 € par mois, voire bien davantage en Île-de-France ou dans certaines villes du sud. En
2009, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) estimait que le reste à charge,
tous établissements confondus, était compris entre 1 500 € et 2 900 €.
« Pour la grande majorité des familles, c’est insupportable. Beaucoup de personnes âgées sont
obligées de vendre leur maison, de toucher à leur patrimoine ou, en dernier recours, de faire appel à
leurs enfants ou petits-enfants », estime Joëlle Le Gall, présidente de la Fédération nationale des
associations de personnes âgées et de leurs familles (Fnapaef).
EXISTE-T-IL DES « FRAIS CACHÉS » ?
Fin janvier, dans une interview au Parisien, Michèle Delaunay plaidait pour davantage de
transparence en annonçant son intention de créer un site Internet qui détaillera tous les prix dans les
établissements. « Les familles sont perdues et se font rouler sur les frais cachés », affirmait la
ministre.
La formule a fait grincer des dents dans le secteur. « Nous ne cachons rien. Tous ces frais sont au
choix du résident et très contrôlés par la répression des fraudes », indique Florence Arnaïz-Maumé,
déléguée générale du Synerpa, le syndicat des établissements privés lucratifs. Ce débat concerne
certaines prestations qui ne sont pas comprises dans le tarif d’hébergement : coiffeur, accès à la
télévision, au téléphone ou à Internet, produits de toilette, lavage d’une partie du linge… Autant de
dépenses supplémentaires qui, selon l’Igas, « alourdissent sensiblement » le coût du séjour.
En principe, ces prestations doivent être clairement affichées mais des familles se plaignent d’un
manque de lisibilité dans les factures. « Il y a sans doute quelques abus à corriger. Certains résidents,
par exemple, disent qu’on leur facture les protections contre l’incontinence alors que, normalement,
elles sont incluses dans le tarif dépendance », souligne Claudy Jarry, président de la Fédération des
associations de directeurs d’établissements pour personnes âgées (Fnadepa).
COMMENT SE FAIT LA RÉPARTITION PUBLIC-PRIVÉ ?
Aujourd’hui, plus de 80 % des maisons de retraite en France sont publiques (54 %) ou associatives
sans but lucratif (28 %). Seulement un établissement sur cinq appartient donc à un groupe privé
lucratif. Mais ce constat doit être un peu nuancé : ces dernières années, c’est le secteur privé lucratif
qui a créé la très grande majorité des nouvelles places dans les Ehpad, sous l’œil inquiet de certains
élus. « Dans mon département, sur les 18 maisons de retraite en construction, 17 appartiennent au
secteur privé. Ce n’est pas raisonnable ! » avait ainsi dénoncé, fin 2010, Jean Leonetti, député (UMP)
des Alpes-Maritimes et alors président de la Fédération hospitalière de France (FHF). « Ce qui se
passe à Paris ou à Nice n’est pas représentatif de l’ensemble de la France. Le privé est aussi présent
dans beaucoup de zones rurales et adapte ses tarifs aux classes moyennes », répond Florence ArnaïzMaumé.
PEUT-ON ENCADRER LES TARIFS ?
En fait, les tarifs « hébergement » sont déjà très encadrés. Pour les établissements publics et
associatifs, ils sont fixés chaque année par les conseils généraux. Pour le privé lucratif, le principe est
le suivant : quand un nouvel établissement ouvre ses portes, il est libre de fixer ses prix. Mais
ensuite, une fois que le résident a signé son contrat de séjour, son tarif est encadré par un taux
annuel fixé par le ministère des Finances.
En revanche, après le départ du résident, la maison de retraite est de nouveau libre d’augmenter son
tarif lorsqu’elle reloue la chambre à un nouvel arrivant. C’est donc sur ces tarifs à la relocation que
pourrait intervenir le gouvernement. « C’est une piste de travail parmi d’autres », indique-t-on au
ministère des personnes âgées.
LES MAISONS DE RETRAITE SONT-ELLES TROP CHÈRES ?
Pour les familles concernées, la réponse sera assurément affirmative. Les professionnels du secteur,
eux, répondent qu’il est difficile de faire baisser les coûts de manière sensible dans ces
établissements où de 70 à 80 % des coûts de fonctionnement sont liés aux dépenses de personnel
qui, de l’avis général, est déjà en nombre insuffisant.
« Une maison de retraite coûte de dix à vingt fois moins cher que l’hôpital ou la clinique. Mais,
quand une personne est hospitalisée, elle ne se plaint jamais du coût qui est pris en charge par la
collectivité », indique Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au service des
personnes âgées. Un constat partagé par Annabelle Malnou, chargée de mission à la FHF.
« À l’hôpital, un patient paie 10 % de la facture et l’assurance-maladie 90 %. En maison de retraite,
un résident paie 60 % du coût total », précise-t-elle. Pour les professionnels, le « véritable enjeu » est
la réforme de l’aide à l’autonomie dont François Hollande a annoncé la présentation à la fin de cette
année. « Les Français ont raison de dénoncer ces restes à charge scandaleux. Mais la priorité est
d’avoir une réforme qui permettra de dégager des moyens nouveaux et conséquents pour faire face
à la perte d’autonomie, que ce soit dans les établissements ou au domicile », affirme Pascal
Champvert.
PIERRE BIENVAULT La-croix.com 6/02/2013