L`ART - Abalo Awesso

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L`ART - Abalo Awesso
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L’art
L’ART
Introduction
Du mot grec « technè », l’art désigne étymologiquement le talent, le savoir-faire ou encore
l’habileté. A l’origine, la notion d’art désignait donc les beaux-arts, les arts et métiers, les
productions artisanales, etc. De nos jours, il est difficile d’établir une distinction nette entre l’art
et la technique ou l’artisanat. Et pourtant, l’art se veut une activité spécifique, ayant des règles et
une finalité propres. La question fondamentale qui se pose à la réflexion philosophique et qui
détermine toutes les autres problématiques de l’art est celle de la spécificité de l’art dans
l’échelle des autre productions de l’homme. Qu’est-ce qui différencie l’art des autres productions
techniques ? Comment peut-on identifier une œuvre d’art ? On pourrait répondre à cette
question, en considérant le beau comme trait caractéristique de l’art. Or, pour qu’un élément
puisse caractériser fondamentalement une production, il faut qu’il ait une certaine objectivité, ce
qui n’est pas le cas de la beauté artistique qui est souvent dépendante du goût. D’où la deuxième
difficulté : peut-on dégager une norme universelle pour définir le goût, ou faudrait-il au contraire
admettre que le goût est relatif aux multiples sensibilités des hommes ?
Dans le cadre de ce cours, nous essayerons de comprendre la notion d’art en nous appuyant sur
les trois problématiques mentionnées plus haut, à savoir : la spécificité de l’art, le problème de la
portée de l’art et le rapport entre l’œuvre d’art et la réalité.
I. LE PROBLÈME DE LA SPÉCIFICITÉ DE L’ART
Si l’art désigne un savoir-faire, comment le distinguer des autres activités qui nécessitent elles
aussi du savoir-faire ou de l’habilité ? Existe-t-il des critères permettant de spécifier l’art comme
une activité à part entière, ayant un contenu et une finalité propres ?
I. 1. Art et production
A l’origine, le mot technique désigne ce qui est produit par l’homme, par opposition à ce qui est
naturel. La notion de technique regroupe tout ce qui relève des beaux-arts et des arts et métiers.
Qu’est-ce qu’il y a donc de plus dans l’art que le métier ? Quelles que soient l’époque et la
civilisation, l’art est dépendant de la technique : l’impressionnisme, par exemple, est né au
moment de l’invention de la peinture ; un artiste en Afrique développera un art par rapport au
matériel qu’il possède, ce qui, sans doute, le différenciera d’un artiste vietnamien, etc. Le niveau
de technicité d’une civilisation influe d’une manière ou d’une autre sur sa création artistique. La
valeur de l’art grec ou de l’art égyptien est déterminée par le niveau d’évolution de ces deux
civilisations. C’est à ce propos que Walter Benjamin a pu écrire que « les Grecs se trouvaient
contraints, de par la situation même de leur technique, de créer un art de "valeurs éternelle" »
(BENJAMIN Walter, Écrits français, Gallimard, p. 36.). L’évolution de la technique a souvent
occasionné de profondes mutations dans le sens donné à l’art. Par exemple, l’apparition de la
photographie a changé le sens de la peinture. Même à revendiquer la beauté comme élément
distinctif de l’art, on pourra toujours répliquer que l’art n’a pas le monopole du beau. La
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technique a de plus en plus une visée esthétique quand elle raffine la forme de ses produits
(l’avion « concorde », le design des portables, les voitures de sport, etc.). Cette beauté apparaît
parfois dans des situations précises : une voiture qui prend un virage dans les montagnes suisses,
un train qui surplombe un viaduc, un avion au décollage, un pont de lianes en Afrique, un
tombeau sculpté par Michel-Ange, autant de productions qui sont à la fois objets esthétiques,
porteuses d’information et appareils, etc. Le seuil qui distingue l’art des autres métiers reste
fragile. La technique est nécessaire aux arts ; et l’art, d’une manière ou d’une autre, parvient
toujours à s’inviter dans la production technique.
I. 2. De la maîtrise de la technique à l’imprévisibilité de l’art
Si la technique est omniprésente dans la vie de l’homme, si, comme le dit Lévi-Strauss, l’homme
fut d’abord Homo Faber avant d’être Homo Sapiens, en revanche, l’art doit être investi comme
une des activités qui a su se différencier de toute production technique. Ceci a été démontré dans
la théorie de l’art pour l’art : l’œuvre d’art est une fin en soi. On le voit en peinture où l’art prend
forme dans la nature morte pour se libérer progressivement de ses fonctions sacrée et sociale et
s’affirmer finalement en faisant triompher l’acte du peintre en tant que tel. On pourrait nuancer
ce propos en évoquant Vinci qui disait que la perspective est « la bride et le gouvernail de la
peinture », pour signifier que l’originalité de l’artiste ne saurait exclure l’influence de la
technique en jeu. Toutefois, nous devons concéder que l’art finit par dépasser les conditions
parfois trop rigides de la technique lorsqu’il s’impose par son imprévisibilité, aussi bien dans la
forme que dans les couleurs. L’artisan maîtrise son œuvre jusqu’au bout, alors que l’œuvre d’art
parvient toujours à échapper à son initiateur. Il faut donc avouer qu’il y a quelque chose dans
l’art qui transcende (dépasse) les conditions techniques de sa réalisation. L’œuvre d’art est
essentiellement libre. L’idée de départ de l’artiste ne se réalise jamais totalement. L’art échappe
à l’artiste.
I. 3. La liberté de l’œuvre d’art
Les considérations énoncées dans la section précédente se trouvent confortées lorsqu’on observe
l’œuvre d’art une fois en dehors des mains de l’artiste. L’artiste est un homme et donc un être
fini, limité dans le temps et dans l’espace. Mais son œuvre est infinie, au sens où elle acquiert
des sens qui diffèrent très souvent de l’orientation initiale ; et l’œuvre reste universelle. Une fois
que l’artiste y a mis la touche finale, l’œuvre d’art continue de se refaire lorsqu’elle est livrée au
public. Une symphonie de Mozart peut être interprétée ou une pièce de théâtre (par exemple les
Précieuses ridicules de Molière) être mise en scène sans que l’œuvre initiale soit pour autant
forcément trahie. La célèbre chanson de Michael Jackson, « We are the World », à travers
laquelle l’artiste avait mobilisé le monde entier pour sensibiliser sur la famine en Éthiopie, a été
réenregistrée lors du récent séisme qui a ravagé Haïti. L’artiste est mort, mais l’œuvre continue
de vivre, elle acquiert de nouveaux sens et conquiert de nouveaux territoires, comme si elle
transcendait les conditions et les voies trop étriquées du temps et de l’espace. L’interprétation, le
regard, la lecture poursuivent l’œuvre en l’enrichissant d’une variété de sens. Dans le domaine
plus précis de la littérature, on dit souvent que toute lecture est réécriture, et parfois, la trame que
décrit l’auteur peut donner lieu à des sens nouveaux, sans trahir la valeur de l’œuvre. C’est
d’ailleurs à juste titre que Paul Valéry pouvait écrire qu’« il n’y a pas vrai sens d’un texte », ce
qui signifie qu’une œuvre d’art ne saurait être analysée à partir d’une intention de son auteur, ni
au prisme d’une vérité quelconque.
Si le technicien ou l’artisan peuvent conférer une vision fixe à leurs productions, en revanche,
l’œuvre d’art renaît sans cesse une fois aux mains du public.
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II. LE BEAU ET LE ROLE DE L’ART
Lorsqu’on a déterminé les points spécifiques de l’art, on ne peut manquer de s’interroger sur sa
finalité. Une telle démarche a l’intérêt d’insister sur la valeur de l’art, tout en mettant en exergue
les différents problèmes que soulève l’activité artistique en lien avec les projets qu’elle se fixe.
Si l’art vise essentiellement le beau, le jugement du goût, est-il objectif ou relatif ? Mais au-delà
sa visée purement esthétique, que nous apporte l’art dans notre vie ? Telles sont, en substance,
les questions auxquelles les sections suivantes envisagent de se consacrer.
II. 1. Le beau et le problème du jugement du goût
Le premier objet qu’on attribue à l’art est le beau. L’art, dit-on, a une visée esthétique. Mais,
qu’est-ce que le beau ? On parle de belles musiques, de belles peintures, de beaux paysages, etc.
Qu’est-ce que la beauté et en quoi peut-on définir l’art par le beau ? Les dictionnaires nous
définissent le beau comme « ce qui éveille un sentiment de grandeur, d’admiration, de noblesse,
de plaisir ». A priori, la beauté est dans les choses elles-mêmes. En ce sens on peut affirmer que
la beauté est objective. Elle relèverait de la juste proportion, de l’harmonie des formes, des
couleurs de la perfection. Les œuvres d’art refléteraient cette la beauté qui séduit le publique et
fait « exulter de joie ». Mais on parle aussi de belles touches, de belles actions, ce qui montre
bien que la beauté peut être d’ordre moral, donc intérieure ; elle n’est donc pas nécessairement
dans les choses. La beauté peut être relative, c’est-à-dire dépendante de notre subjectivité, de
notre jugement. La beauté, serait-elle donc à la fois objective et subjective ?
En y réfléchissant de plus près, on pourrait dire que la beauté est une relation entre les choses et
nous, entre ce qu’il y a de plus profond en nous et ce qu’il y a de plus essentiel dans les choses.
Le beau est ce qui, derrière la forme et à travers elle, surgit d’au-delà de ce qui est matériel. La
beauté serait donc quelque chose qui est de l’ordre de l’esprit, c’est la manifestation extérieure
de l’intérieur, l’extériorisation de l’intérieur de l’œuvre d’art et l’intérieur de l’homme. C’est à
juste titre que St Thomas d’Aquin a pu écrire que la beauté est objet d’intelligence, de
connaissance intuitive. Certes, la beauté est accessible aux sens et elle les met dans un état de
bien-être et de satisfaction. Mais l’art est l’incarnation d’une idée dans un matériau, et, en ce
sens, c’est l’intelligence qui peut contempler cette idée, faisant ainsi ressortir ce qu’il y a de plus
grand dans une œuvre d’art. La beauté artistique procure la joie, qu’il faut différencier d’un
simple plaisir. La beauté est source de joie et elle nous enchante. Le plaisir est chargé de
signification sensible, alors que la joie a quelque chose de « spirituel ». La joie convient mieux
pour définir cette émotion si particulière et intense qui naît de la perception de la beauté.
II. 2. Le jugement de goût chez Kant
Comme nous venons de le voir dans la section précédente, la dimension esthétique de l’art pose
incontestablement le problème du jugement de goût. Le philosophe allemand Emmanuel Kant
s’est particulière intéressé à cette question. Kant définit la conception du beau à travers quatre
éléments, à savoir, la qualité (esthétique), la quantité (il est universel), la relation (une finalité
sans fin) et la modalité (il est nécessaire).
« Le beau est l’objet d’un jugement de goût désintéressé ». Le beau n’est pas dans l’objet mais
dans la manière dont l’objet nous affecte. C’est un plaisir désintéressé qui se distingue à la fois
de l’agréable et du bien. Le beau procure une satisfaction libre, qui n’est pas liée à ce qu’est
l’objet en lui-même et qui n’est donc pas lié à la faculté de désirer.
« Le beau est ce qui plait universellement sans concept », c’est-à-dire sans qu’il ait besoin d’être
expliqué rationnellement. Le beau plait sans qu’on puisse justifier ce plaisir par des concepts ou
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la pensée. Et qui plus est, le jugement de goût se veut valable pour tout le monde. Le sujet
ressent la beauté avec une telle évidence qu’il exige une reconnaissance universelle sans qu’il
puisse en rendre compte par une démarche démonstrative ou rationnelle.
« La beauté est la forme de la finalité d’un objet en tant qu’elle y est perçue sans la
représentation d’une fin ». La beauté atteint une finalité qu’elle ne cherche pas. Le jugement de
goût n’obéit pas à des canons, à des règles de beauté. Il ne faut pas faire intervenir dans le
jugement des critères extérieurs à l’œuvre d’art, des critères moraux, politiques, économiques,
etc.
« Le beau est ce qui est reconnu sans concept comme l’objet d’une satisfaction nécessaire ».
Cette définition détermine le goût selon la modalité, c’est-à-dire selon une nécessité exemplaire
ou commune. On passe ici de la formule « cette musique me plait » à la formule « cette musique
est belle ». Quand un objet artistique me satisfait, je ne peux « faire autrement qu’estimer que ce
objet doit contenir un principe de satisfaction pour tous » (KANT, Critique de la faculté de
juger, § 40). Le goût a donc un caractère public ou plutôt intersubjectif, sans lequel, tout homme
pourrait, selon Arendt « toujours soupçonner son propre goût » (ARENDT, La crise de la
culture, Gallimard, 1972, p. 283).
II. 3. Le rôle de l’art dans la vie de l’homme
Au-delà de sa valeur purement esthétique, l’art s’interroge aussi sur la condition humaine et sur
certains aspects de l’existence humaine. L’art a d’autres buts dont personne ne saurait nier
l’importance et la pertinence dans la société.
D’abord, l’art a une fonction documentaire. Il constitue une précieuse contribution à la mémoire
de l’humanité. Il conserve les traces qui restent et qui révèlent à la postérité l’apparence (traits
physiques, vêtements, activités quotidiennes, etc.) et la conception du monde (exemple de l’art
dans les civilisations de l’Afrique Noire). L’art est un véhicule de la culture. Quand on étudie
une culture, on prête une grande attention à son art qui constitue une sorte de miroir de cette
culture. L’artiste, malgré son originalité, est toujours aussi un écho de son temps. Évoquant l’art
de l’Afrique Noire, Laude écrivait que « les différences de statut des artistes sont corrélatives à
une situation politique et sociale » Jean LAUDE, Les arts de l’Afrique Noire). Mme de Staël ou
Stendal considéraient justement le roman comme un miroir que l’on promène le long d’un
chemin.
L’art a une fonction d’évasion ou de métamorphose. Il permet à l’homme de fuir la laideur des
lieux de vie ou de travail, ou encore l’injustice du quotidien, pour retrouver un monde beau qui
rend la vie agréable. Schopenhauer considérait que dans la musique, l’homme retrouve une
certaine consolation, qui le soustrait de l’ennui et de la souffrance qui rythment toute vie. Mais
l’art a aussi une dimension verticale, au sens où il élève l’homme vers quelque chose qui le
transcende. Malraux disait que l’art peut être un « supplément d’âme », comparable à la religion
(Bergson).
L’art a aussi une fonction d’engagement. L’art peut porter des idées politiques, religieuses ou
idéologiques. Il n’est pour s’en convaincre que de se rapporter à La Résistance et ses poètes de
Pierre Seghers, au « Guernica » de Picasso. L’art est engagé dans la totalité de l’existence
humaine.
L’art a une fonction de sublimation et cathartique (confère le cours sur la conscience et
l’inconscient).
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III. L’ART ET LA RÉALITÉ
Le problème du jugement du goût et les considérations sur la valeur concrète de l’art deviennent
davantage lisibles lorsqu’on les rapporte à la question du rapport entre l’art et la réalité. Quel lien
peut-on établir entre l’art et la nature ou la réalité. L’art est-il une représentation qui imite la
nature, ou alors consiste-t-il dans une pure création qui fait abstraction de tout objet réel ? Mais
l’œuvre d’art, ne nous porte-t-elle pas au-delà de la simple confrontation imitation/création ? Ne
nous apprend-elle pas à voir à la réalité autrement ?
III. 1. L’art comme imitation de la nature (Aristote)
Parce que l’art est une représentation, il apparaître d’abord comme une imitation de la nature,
c’est-à-dire qu’il consisterait dans l’habileté à reproduire avec une parfaite fidélité les objets de
la nature. Cette idée était déjà admise et défendue par certains savants grecs. Platon considérait
l’art comme une imitation de la nature. Sans rejeter l’art en tant que tel, Platon émet des réserves
contre les formes d’art qui produisent des images illusoires, des faux-semblants, des simulacres.
L’art imite de façon trompeuse ce qu’il imite. Aristote reprend le propos de son Maître, mais
contre ce dernier, il affirme que l’imitation est naturelle aux hommes. Et à travers l’art, l’homme
représente l’harmonie inhérente à la nature. On retrouve cette idée chez Vinci qui considère que
la meilleure peinture est celle qui imite le mieux la nature ou l’objet réel. S’insurgeant contre les
artistes peintres qui prétendent corriger les œuvre de la nature il affirmait ceci : « La peinture la
plus digne d’éloges est celle quia le plus de ressemblance avec ce qu’elle imite » (Léonard de
VINCI, Traité de la peinture).
III. 2. L’art comme création et comme symbole
Considérer l’art comme imitation de la nature implique une certaine rivalité entre la production
artistique et les œuvres de la nature. L’art, en tant que produit de l’homme, a sans doute une
importance qui devient crédible lorsque ses œuvres se démarquant d’une « simple » imitation de
la nature. C’est précisément pour montrer la spécificité de l’art que Hegel critique les pensées
qui considèrent l’art comme une imitation de la nature. Il montre que l’art comme imitation
témoigne plutôt d’une habileté sans intérêt, d’une pratique sans finalité valable. Rivaliser avec la
nature est une entreprise vouée à l’échec : l’art ne s’adresse qu’à une infime partie de nos sens, et
il ne peut traduire la richesse de la réalité. « D’une manière générale, il faut dire que l’art, quand
il se borne à imiter, ne peut rivaliser avec la nature, et qu’il ressemble à un ver qui en rampant
s’efforce d’imiter un éléphant » (HEGEL, Esthétique, PUF, p. 13). Au fond, Hegel veut monter
que l’art a une valeur de création et de stylisation qui dépasse de loin une simple imitation. En
tant que matérialisation sensible d’une idée, l’art a une dimension essentielle qu’est le style.
L’art est une création qui symbolise, c’est-à-dire une création susceptible de renvoyer à une
multitude de représentations. En mettant l’idée dans le sensible ou la raison dans le réel, l’œuvre
d’art a une dimension spirituelle que ne saurait revendiquer les œuvres de la nature. L’art comme
création et œuvre de génie transcenderait-il la réalité, l’art, serait-il l’incarnation d’idées qui nous
inviteraient à voir la réalité autrement ?
III. 3. L’art : une autre vision de la réalité ?
Parce qu’il est une création et non pas une simple imitation, l’art constitue un monde à part
entière qui s’impose finalement au public. L’art nous apprend à voir le monde autrement. Si l’art
renonce à une simple imitation de la nature, il ne nous éloigne pas pour autant de la réalité. L’art
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nous révèle le monde sous un jour nouveau. C’est tout le sens de cette affirmation de Francastel :
« le but de l’art n’est pas de constituer un double maniable de l’univers ; il est, à la fois, de
l’explorer et de l’informer d’une manière nouvelle » (FRANCASTEL, Art et technique,
Gallimard, 1956, p. 12). Proust affirmait à ce sujet que « grâce à l’art, au lieu de voir un seul
monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, et, autant qu’il y a d’artistes originaux, autant
nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres (…) » (PROUST, Le
monde retrouvé, Gallimard, 1954, p. 258). L’art apparaît comme un éducateur de l’homme. Il
nous apprend à voir le monde autrement, il constitue une sorte de fenêtre qui ouvre sur des
réalités toujours nouvelles, qui s’enrichissent à travers le temps et l’espace. Il nous fait voir et
revoir ce que notre humaine condition ne nous permet pas de voir naturellement. C’est ainsi
qu’un tableau de Van Gogh ou de Monet nous apparaîtra toujours nouveau, nous rapportant à des
mondes toujours nouveaux et, sans doute, toujours plus beaux.
III. 4. Quelques problèmes liés à l’art
On pourrait relever quelques problèmes liés à l’art. D’abord notons que l’art échappe aussi bien
au créateur qu’au spectateur : il est souvent difficile de conceptualiser une œuvre d’art à travers
un discours. L’œuvre ne fait pas toujours l’unité avec les autres et nombreux sont les artistes qui
se retrouvent incompris. L’art contemporain, par exemple, semble trop abstrait, et difficilement
accessible à un public peu cultivé : l’art, serait-il parfois trop élitiste ?
Un autre problème qui mérite d’être évoqué est celui de l’expérience artistique ou de la rencontre
avec l’art. Si dans certaines sociétés comme en Afrique, en Asie ou en Amérique latine l’art reste
encore la « chose du monde la mieux partagée », en revanche, dans les sociétés occidentales,
l’art perd son caractère d’universalité au sens où il devient de moins en moins accessible au
grand public. Il excite une rupture entre les artistes et le grand public ou le public « populaire ».
Peu de gens peuvent se rendre aux expositions d’œuvres artistiques. Les concerts de musique
classique et les scènes de théâtre sont très chers donc seulement accessibles à une petite
minorité ; les musées sont, pour la plupart et les plus célèbres, sont situés dans les « centresvilles », à proximité de la population nantie. Souvent, les expositions des musées sont fonction
des goûts du public bourgeois qui constitue la classe dominante détentrice du « capital culturel ».
Il faut toutefois le préciser, ces problèmes ne sont pas imputables à l’art en tant que tel. C’est
plutôt l’orientation des politiques et les mentalités qui devraient être révisées. On pourrait dire
que l’art est victime de la société, de plus en plus sectorisée, fragmentée, voire communautarisée.
Plus que jamais, la problématique des conditions de partage de la « richesse » artistique devient
un enjeu majeur.
Conclusion
Au-delà de ces problèmes, l’art demeure est une activité qui ennoblit l’âme, au sens où il permet
à l’homme de s’élever au-dessus des accidents pour contempler ce qu’il y a d’essentiel. La
contemplation esthétique est la rencontre de deux singularités, à savoir, l’œuvre toujours
originale et le spectateur toujours différent des autres. Toute œuvre d’art a toujours un secret, elle
revendique un style qu’elle parvient souvent à arracher à l’artiste lui-même. L’art instruit, il
constitue une représentation qui dépasse de loin une imitation de la nature, au sens où,
finalement, il nous apprend à voir cette nature de manière toujours renouvelée. Au-delà même de
tout ce que l’art peut nous apporter, il constitue pour lui même sa propre finalité, en tant que
liberté infinie et beauté insaisissable.