Faire des SES avec Star Wars

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Faire des SES avec Star Wars
Star wars et l’impact du progrès technique sur l’emploi
« Si les droïds étaient intelligents, on ne serait plus là ni toi, ni moi », Obiwan s’adressant à
Dexter, épisode 2
L’une des erreurs économiques les plus couramment admises, et qui fait quasiment
l’unanimité chez les non économistes, concerne l’impact négatif du progrès technique sur l’emploi.
Or, on constate souvent que le chômage concerne plus les pays et les secteurs moins concernés par
le progrès technique. Comment expliquer ce paradoxe ? Au-delà de l’aspect quantitatif, il permet
aussi une évolution de la structure des emplois et de leur qualification.
Dans un premier temps, il semble évident que le progrès technique détruit des
emplois. L’introduction de nouvelles machines plus productives a en effet pour conséquence de
réduire le nombre d’emplois nécessaires à la réalisation du volume de production désiré. Des
révoltes ouvrières ont ainsi eu lieu contre l’introduction de machines dans le processus productif ;
les plus célèbres sont celles des canuts lyonnais au 19ème siècle, ou encore des luddites en GrandeBretagne. Cette thèse est la « théorie technologique du chômage » : pour un niveau donné de la
production, une augmentation de la productivité telle que l’engendre le progrès technique réduit
l’emploi disponible.
Mais en même temps, de nouvelles machines sont aussi directement génératrices d’emplois.
Ainsi, il faut des travailleurs pour construire ces machines, pour les entretenir et les réparer.
Cependant, ces nouveaux emplois ne peuvent être suffisants pour compenser les emplois
directement détruits. Il n’empêche que la plupart des économistes pensent que le progrès technique
est globalement créateur d’emplois. En effet, si le progrès technique prend la forme d’une
innovation de produit, il permet l’apparition de nouveaux produits plus performants. De nouveaux
marchés se créent, générateur de nouveaux emplois. S’il prend la forme d’innovations de procédés,
les gains de productivité induits peuvent entraîner une augmentation de la demande vers de
nouveaux produits, elle aussi génératrice de production, et donc d’emplois.
Cette théorie, dite « du déversement », a été présentée par Alfred Sauvy dans La machine et le
chômage. Selon elle, le progrès technique, lorsqu’il est introduit dans un secteur d’activité ou une
branche, détruit des emplois dans ce secteur – on parle de substitution capital/travail : les
« machines » remplacent les hommes. C’est l’effet direct, qui est négatif. Cependant, si le progrès
technique correspond à une innovation de procédé, il permet des gains de productivité. Or, la
répartition des gains de productivité va permettre l’accroissement de la demande, cette demande ne
se portant pas nécessairement vers les produits du secteur dans lequel le progrès technique a été
introduit. Par exemple, des gains de productivité dans le secteur primaire (l’agriculture) ont
historiquement permis une diminution des prix des produits agricoles ; cela a « libéré » du pouvoir
d’achat pour les consommateurs, qui ont pu porter leur demande vers un nouveau secteur. La
production augmentera donc dans ce nouveau secteur, ce qui sera source de création d’emplois. On
parle de « déversement » car les emplois détruits sont plus que compensés par les emplois créés (le
solde est positif).
Historiquement, cette théorie est vérifiée. En effet, le progrès technique est d’abord apparu
dans le secteur primaire, ce qui a détruit des emplois dans ce secteur, et en a créé dans le secteur
secondaire –l’industrie-, vers où la demande s’est dirigée. Puis, le progrès technique s’est
développé dans le secondaire, ce qui a entraîné selon le même processus un accroissement des
emplois dans le tertiaire (ce que l’on appelle la tertiarisation des emplois). Ainsi, aujourd’hui, la
part des emplois agricoles dans le total des emplois est passée est inférieure à 4%, alors que les
emplois tertiaires représentent quasiment les trois quarts des emplois ; c’est la conséquence directe
du progrès technique, qui a permis le déversement des emplois du primaire et du secondaire dans le
tertiaire.
Renaud Chartoire
Faire des SES avec Star Wars
Contact : chartoire @aol.com
Cette présentation est un préalable nécessaire pour développer une idée qui, en tant que fan
de Star wars, est difficile à admettre : Obiwan Kenobi n’est pas infaillible, et la Force, qui est
présente en lui, semble le quitter lorsqu’il s’engage dans des discussions ayant un contenu
économique.
Lorsqu’il rencontre Dexter, un ami à lui qui tient un bar sur Coruscant afin d’en savoir plus
sur le dard ayant tué la chasseuse de prime ayant cherché à supprimer Padmé au début de l’épisode
2, il apprend que cette flèche provient de Kamino, alors même que les droïds archivistes du Temple
Jedi ne l’avaient pas découvert. Cela amène Dexter à se moquer de ces droïds, et à lui rappeler qu’il
y a une différence entre « connaissance » et « savoir ». Clairement, Dexter veut lui montrer la
supériorité de l’esprit vivant –nous n’osons écrire « humain » puisque c’est un alien qui
s’exprime !- sur la machine, supériorité qu’Obiwan retrouvera peu de temps après sur Kamino
lorsque Lama Su, premier ministre de la planète, lui annoncera que ses « clones sont dotés d’une
pensée créative. Vous constaterez qu’ils sont immensément supérieurs aux droïds ». Tout cela
amène Obiwan à déclarer que ce n’est finalement pas si mal que les droïds soient intrinsèquement
inférieurs aux êtres vivants –quand bien même R2D2 et Z6PO soient là pour nous rappeler toute
l’humanité qui peut exister chez des droïds (même si Z6PO s’offusque en disant à R2D2 dans
l’épisode 2 : « tu m’as l’air de réfléchir un peu trop pour un mécano ! »), car, « si les droïds étaient
intelligents, on ne serait plus là ni toi, ni moi », dit-il en s’adressant à Dexter. Cette phrase peut être
lue sous deux angles : l’un très pessimiste, estimant que si les machines en avaient la capacité, ils
viendraient à bout de la liberté et de l’existence même des êtres vivants, comme un film comme
Matrix peut nous l’illustrer ; l’autre plus commun, Obiwan s’exprimant là comme un travailleur
s’adressant à un autre travailleur –Dexter-, et craignant pour son emploi que les machines ne soient
un jour capables de le remplacer… ce qui nous ramène aux peurs historiques autour du
développement du machinisme, peur qui, rappelons-le, ne sont pas statistiquement fondées… et
reposent donc sur une erreur d’analyse, dont Obiwan se fait ici l’interprète.
Le plus amusant, dans ces scènes, finalement, que ce soit dans le bar avec Dexter ou sur
Kamino avec Lama Su, ce n’est pas la naïveté d’Obiwan… mais plutôt le fait que son interlocuteur
soit un personnage… en images de synthèse, c’est-à-dire la création d’une machine ! Il y a là un
paradoxe confondant de voir un pur produit de la technologie parler de « sagesse » et de
« supériorité » des êtres vivants sur les droïds, c’est-à-dire tenir un discours antinomique avec son
existence même !
Renaud Chartoire
Faire des SES avec Star Wars
Contact : chartoire @aol.com