Plaidoyer pour la fraternité
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Plaidoyer pour la fraternité
OFC 2015, n° 8 Abdennour Bidar, Plaidoyer pour la fraternité, Albin Michel, 2015, 109 p. Péguy, on s’en souvient, aimait à faire processionner les trois vertus théologales, la foi, l’espérance et la charité, laissant à la petite espérance le soin d’entraîner derrière elle ses deux sœurs. De la même manière, Abdennour Bidar compte sur la fraternité pour réactiver la devise républicaine. Des trois valeurs sœurs qui la constituent, c’est elle qui a le plus de génie. Il faut la faire passer en premier. « Fraternité, liberté, égalité » ! Si on ne veut pas que s’installe la guerre des libertés et le conflit des égaux, il faut nécessairement que les humains apprennent d’abord à se reconnaître frères. Chacun aujourd’hui se réclame de l’absolu de ses valeurs, mais c’est la fraternité universelle qui est « la valeur qui a le plus de valeur », déclare Abdennour Bidar dans cet émouvant plaidoyer écrit dans l’urgence pour que le sursaut de conscience du dimanche 11 janvier se transforme en mobilisation durable, « en régénération profonde de tout notre vivre-ensemble ». Bidar ne se laisse ni intimider par le cynisme des beaux esprits qui déjà rient de son idéalisme naïf, ni accabler par « l’anthropologie sinistre » des professeurs de réalité qui réduisent le rôle des lois politiques et économiques à la régulation de « la guerre de tous contre tous ». Normalien, agrégé et docteur en philosophie, Bidar est un héritier des Lumières qui sait ce qu’il doit à la République, jusqu’à oser dire : « Merci ma chère France, et que je sois toujours parmi tes fils reconnaissants. » Il n’en est pas moins un musulman qui, parce qu’il croit aux lumières d’une religion qui l’a fait « grandir spirituellement », se demande comment de l’islam dans lequel il est né a pu sortir le monstre terroriste que l’on sait. C’est pourquoi il ne veut pas se satisfaire du fameux « Pas d’amalgame ! », qui enferme les musulmans dans l’autodéfense et leur permet de se soustraire à cette autocritique dont par ailleurs les non-musulmans les croient incapables. Il s’agit au contraire d’arracher l’islam aux perversions et aux archaïsmes qui l’ont dénaturé et déculturé, tout en expulsant les vieux démons qui font trahir à la France sa vocation de pays de la fraternité. A cette double condition il est possible de « parier sur le principe que la France est une chance pour l’islam, et l’islam une chance pour la France », pour peu que celle-ci – son gouvernement et sa société – aide les musulmans à développer une relation intelligente, instruite, contemporaine, à leur foi et à la civilisation islamique » en leur donnant des lieux de savoir et de culture. Pour Abdennour Bidar, la laïcité à la française restera inopérante si elle ne fait pas fond sur « un sacré partageable » qui n’entre en concurrence ni avec les religions ni avec l’athéisme. Et il n’en est d’autre que la règle d’or humaniste en laquelle se rencontrent toutes les civilisations, toutes les religions et toutes les morales du monde : « Fais à autrui tout le bien que tu voudrais qu’il te fasse ». Il est urgent de retrouver la dignité politique et la priorité éducative de ce commandement de la fraternité universelle, le seul à pouvoir assurer « le réchauffement spirituel de la planète ». « Car sans la chaleur humaine de la fraternité, la liberté, l’égalité, la laïcité, la citoyenneté, etc., resteront à jamais des valeurs froides et nous continuerons d’errer à demi congelés de solitude sur l’immense banquise de la vie sociale. » (p.13) Abdennour Bidar, dont on sait qu’il est chargé de mission au ministère de l’Education nationale, conclut son plaidoyer par dix propositions pour une France fraternelle : 1. Créer un ministère de la fraternité. 2. Se mobiliser pour casser enfin la logique des ghettos. 3. Organiser des états généraux de la pensée de l’islam. 4. Centrer la morale à l’Ecole sur la culture et la fraternité. 5. Apprendre aux élèves à débattre sur les valeurs. 6. Instituer un service civique obligatoire. 7. Changer la culture du monde du travail. 8. Retrouver l’esprit des mouvements d’éducation populaire. 9. Relancer le débat sur l’idée d’un « revenu citoyen » minimal. 10. Créer des espaces de fraternité dans les quartiers et communes. A chacun d’apprécier la pertinence de ces propositions. Comme dit l’auteur, « rien n’est jamais garanti, mais, ajoute-t-il, je ferai plus confiance à un fraternel, croyant ou non, qu’à un homme qui se croirait autosuffisant, croyant ou non ». Bidar mérite la nôtre. Robert Scholtus 1