Saint Benoît-joseph Labre dans la la Pâque de Jésus

Transcription

Saint Benoît-joseph Labre dans la la Pâque de Jésus
SAINT BENOÎT-JOSEPH LABRE
DANS LA PÂQUE DE JÉSUS-CHRIST
ABBÉ BERNARD HINGREZ.
ANIMATEUR EN 1983 DE L’ANNÉE SAINT BENOÎT-JOSEPH LABRE.
ABBÉ BERNARD HINGREZ - DIOCÈSE D’ARRAS - 1922-2011.
ABBE BERNARD HINGREZ
MGR JULES HARLÉ
DERRIÈRE CHEZ LUI COULE UN RUISSEAU
Pour Benoît-joseph, la
liturgie était le rythme
essentiel de l’existence. “
(Agnès de la Gorce)
D
errière chez lui coule un ruisseau. Derrière chez lui passe
une route. Et devant la maison, au bas d’une prairie, sur
la droite il est un puits ; sur la gauche, une grange. D’ici
le regard porte sur le clocher ; mais la côte est rude qui
conduit à l’église d’Amettes.
Voilà l’espace accordé à la contemplation de l’enfant Benoît-Joseph
Labre.
Il est vain de lire dans ce paysage quelque intention providentielle.
Mais la prière d’un pèlerin commence parfois par un regard sur les
choses familières. Et pour peu qu’il soit sensible à certaines vibrations
spirituelles, sa méditation sans cesse le fait passer de Benoît-joseph
Labre à Jésus-Christ.
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Par son saint serviteur,
Dieu continue de
toucher le coeur de ses
enfants blessés. “
(Abbé Raymond Martel)
ROME-ÉGLISE SANTA MARIA DEI MONTI
Etait-ce dans la grange ou le
grenier de la ferme d’Amettes
? Etait-ce à Béthanie ou à
Capharnaüm ? Quand il est dit :
« Jésus était à la maison »… c’est
toujours le lieu de l’intimité.
Les points d’eau sont fidèles, et
le puits de Jacob est toujours
disponible. Mais il est venu celui
qui fait jaillir la source en vie
éternelle. L’ermite Benoît-Joseph
boira l’eau des fontaines ou des
fossés. Son cœur goûtera la
fraîcheur des sources invisibles.
Bienheureuse solitude sur le
sentier qui grimpe d’Amettes, à
travers champs, vers « la Capelette
», une stèle de pierre portant une
statue de Marie. Bienheureuse
solitude sur les routes de l’Europe,
sur les sentiers des Apennins. Un
chapelet autour du cou, un autre
à la main, Benoît va, priant, vers
Notre-Dame de Lorette. « Jésus
s’en alla dans un lieu désert, et là
il priait. »
« Ne prenez rien pour la route »,
ni les envoyés en mission, ni les
envoyés en solitude. La béatitude
de pauvreté convient aux uns et
aux autres.
« Allez, je vous envoie ». Les
Apôtres proclament la Bonne
Nouvelle. Benoît Labre en est
le témoin muet. Parfois vous
aimeriez saisir quelque chose
de son aventure spirituelle, mais
il vous échappe : longuement
prosterné devant le SaintSacrement, vous sentez qu’il
bascule du côté de Dieu ; ou,
contraint de renoncer au cloître
des Chartreux, au cloître des
Trappistes, il fuit vers ailleurs,
toujours en avant de lui-même.
« Je m’élance pour tâcher de le
saisir, ayant été moi-même saisi
par Jésus-Christ. »
Derrière chez lui coule un
ruisseau. Non ! Désormais
devant lui « les fleuves d’eau vive.
» Devant lui la route fléchée vers
le Royaume.
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POINTS DE REPÈRE
I
l s’agit en ces pages
d’une
esquisse
sur la spiritualité
de Saint Benoît
Labre. Cependant certains
lecteurs aimeront se rappeler
quelques points de repère. Le
pays natal de Benoît Labre,
Amettes, se situe en Artois,
dans l’actuel diocèse d’Arras. Il
était du diocèse de Boulogne
S/Mer avant la Révolution. Né
le 26 mars 1748, il meurt à
Rome le 16 avril 1783. Nous
fêtons le deuxième centenaire
de sa naissance au ciel. D’une
famille de quinze enfants,
dont les parents exploitent une
ferme de quelque 30 hectares,
Benoît-Joseph, l’aîné, fait des
études plus longues que la
plupart des jeunes paysans,
grâce à deux oncles prêtres,
le curé d’Erin, le curé de
Conteville. Le 12 août 1769, ce
jeune homme de 21 ans quitte
définitivement ses parents,
pour un second séjour chez
les Chartreux de Neuvillesous-Montreuil, pour une
seconde tentative à la Trappe
de Soligny et un séjour à la
Trappe de Sept-Fons. « Dieu
vous veut ailleurs ». BenoîtJoseph prend définitivement la
route, ermite-pèlerin, à travers
l’Europe. Le Pape Léon XIII l’a
canonisé le 8 décembre 1881.
Tous les biographes ont noté
avec quel relief Benoît Labre
se détache de son époque. Au
siècle de la raison, écrivait
Daniel Rops, Dieu suscite « le
déraisonnable Benoît Labre ».
C’est par sa vie même qu’il est
signe de contradiction.
L’actualité redécouvre la
marche et la démarche
spirituelle de Benoît Labre.
Joseph Folliet a écrit à son
sujet : « vagabond, douloureux,
miséreux, méprisé, tout ce qu’il
faut pour un bon patron de la
route ».
Dom
Doyère,
moine
bénédictin de Wisques,
spécialiste de l’érémitisme
aux XVIIe et XVIIIe siècles,
reconnaît en Benoît Labre un
ermite-pèlerin « survenant au
déclin extrême de l’institution
érémitique et … quasi détaché
d’elle ». En outre, il voit en
lui « l’incarnation des valeurs
capables de retenir l’attention
des jeunes d’aujourd’hui ».
C’est
Dieu
qui
conduisait à Rome,
Mettant un bourdon
dans sa main, ce
Saint qui ne fut qu’un
pauvre
homme,
hirondelle de grand
chemin”.
( Germain Nouveau)
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LITURGIE DE LA ROUTE
I
l est une jubilante liturgie
de la route. Cet homme est
plus à l’aise sur la route que
dans la stalle du moine pour
scander les versets d’un psaume
et crier sa prière spontanée. Son
lointain émule, ami de Verlaine,
Germain Nouveau, l’appelle «
Hirondelle de grand chemin ».
Ce qui autorise ce ton
enthousiaste, c’est la lecture que
nous faisons, après coup, de la
vie de Saint Benoît-joseph Labre.
Mais la jubilante liturgie de la
route est aussi une extraordinaire
pénitence. Des témoins de son
incessant pèlerinage ont éprouvé
de la pitié pour ce pauvre.
Qui laissa tout, son coin de terre,
Sa cellule solitaire
Et la soupe du monastère…
(Germain Nouveau)
Assurément son aventure est
déraisonnable.
Cependant
Benoît-Joseph fait corps avec la
route. On ne le voit bien qu’en
chemin, se détachant sur un fond
d’austérité, tel un Jean-Baptiste
surgissant du désert. BenoîtJoseph a besoin de la route,
comme un menuisier de son
établi. Elle est son équilibre. Elle
a des vertus que les pèlerins de
naguère et de maintenant savent
découvrir. Puissent-ils nous
apprendre la route et nous faire
part de leurs expériences !
Des mouvements de « marcheurs
» ont vu le jour ces dernières
décennies. Certains aiment la
nature et la vie saine. Plusieurs
ont une référence spirituelle : le
scoutisme, la route vers Chartres,
des pèlerinages vers Lourdes ou
quelque sanctuaire…
Des traces de pas sur la poussière,
dans le sable ou la neige,
deviennent langage. Comment
écrire de la sorte la prière et la
quête de Dieu ? La première
expérience d’un chemin en
solitude est souvent traduite ainsi
: « la marche, par son rythme lent
et répétitif, soutient la prière ».
Chez Benoît labre, la route est une
expérience quasi quotidienne.
Elle est rude, comme un psaume
« mimé », animé par tout l’être.
A la chapelle aussi, les moines
s’engagent dans une liturgie qui
est un « travail » : sur le livre où
s’inscrit le psaume en plain chant,
l’intonation forme un dessin
mélodique fort allègre ; les voix
escaladent quelques lignes de la
portée musicale « sic incipitur,
sic flectitur et sic mediatur… »
Puis il faut tenir, sans baisser d’un
demi-ton, respecter la teneur,
donner vie aux accents. C’est un
effort d’une fidélité quotidienne.
Or l’office intervient souvent au
milieu des travaux des champs,
qui sont une forme de prière
silencieuse. Benoît Labre qui n’est
plus un moine, inscrit le psaume
de louange ou de pénitence sur
la poussière ou dans la boue de
la route. Il lui faut tenir. Les
ampoules aux pieds, ça brûle et
ça saigne.
Paradoxalement la route a, pour
lui, des vertus curatives. Le
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frère infirmier et un médecin
ne parviennent pas à le guérir
en l’abbaye de Sept-Fons. On le
juge trop faible pour supporter
une règle trop rigoureuse. Il s’en
remet à la rude ascèse de la route.
« J’avais encore de la fièvre quand
j’ai quitté le monastère, écrit-il à ses
parents, elle ne l’a abandonné que
le quatrième jour de marche ! »
Peut-on le confondre avec
les vagabonds, faux ermites,
mendiants ? Il n’a rien d’un
gyrovague qui s’en remet à sa
bonne étoile. Il façonne sa route
avec ténacité. Il lui donne un
but. C’est à Einsiedeln, auprès de
Notre-Dame des Ermites qu’il
veut se rendre ; à Assise, à Lorette,
à Rome… L’Européen, Benoît
Labre ne gaspille pas son temps
de pèlerin. Comme le moine
s’incline profondément, à la fin
du psaume, pour le « Gloria Patri
», ou médite en silence quelques
versets de la Bible, Benoît-Joseph
vient se prosterner devant le
Saint-Sacrement, des heures, ou
toute la journée ; il contemple
une statue de la Vierge Marie ou,
sur la croix, le Christ couronné
d’épines.
Puis il reprend sa route. Une
certitude s’impose à lui : Dieu le
conduit. Il l’affirme à ses parents
dans les deux lettres qu’il leur
adresse : « Je me réjouis beaucoup
de ce que le Tout-Puissant me
conduit. » « C’est par ordre de la
Providence que j’ai entrepris le
voyage que je fais. »
Désormais sa vie devient liturgie.
Ce qui se passe dans le mystère
chrétien s’inscrit dans le cœur
Quand tout est perdu,
il reste Dieu, et Dieu
seul suffira. S’il n’a pas
de place, il n’aura pas
de place! Il s’effacera
doucement,
perdra
toutes attaches, tout
attachement à lui
même, s’attachera à
Dieu seul, il en deviendra
transparent”.
(Dom Pierre Doyère,
moine de l’Abbaye
Saint-Paul de Wisques)
de Benoît : c’est ainsi qu’en la Santa Casa de son
cher sanctuaire Notre-Dame de Lorette il médite
l’Annonciation, avec le même frémissement de joie
que s’il se trouvait à Nazareth. Dans la basilique
Sainte-Marie-Majeure, il célèbre Noël avec la même
joie que s’il se glissait parmi les bergers de Bethléem.
Il éprouve une infinie tendresse pour l’humanité de
Notre-Seigneur, comme S. François d’Assise. On sait
que l’ermite-pèlerin veut dépendre humblement de
ses confesseurs. Il est entendu avec un prêtre qu’il ira
méditer la Nativité à Sainte-Marie-Majeure. Soudain
Benoît se ravise : il demande la permission d’ajouter
une méditation sue la Passion de Jésus. Voilà la note
sensible de la spiritualité de S. Benoît Labre, fasciné
par le mystère pascal : au cœur de la Pâque se tient
la croix de Jésus-Christ.
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SAINT
BENOÎT-JOSEPH LABRE
ET L’EUCHARISTIE
C
’est un homme en pèlerinage vers
l’événement pascal. On ne peut dissocier
Jeudi-Saint, Vendredi-Saint, Dimanche
de Pâques.
Même dans la mort, Benoît-joseph Labre
en témoigne : il meurt au soir du Mercredi Saint
16 avril 1783. Au soir du Jeudi-Saint, en raison de
la foule et de la rumeur qui se répand dans la ville
de Rome (E morto il santo), on transporte son
corps en l’église Sainte-Marie-des-Monts. Naguère
il y passait le Jeudi-Saint en adoration. Et c’est un
corps souple qui est inhumé dans l’église le soir du
dimanche de Pâques.
Y avait-il des préalables à cet amour de l’Eucharistie,
1753 : Benoît-joseph a cinq ans – Mgr Partzde-Pressy institue l’Adoration dans le diocèse de
Boulogne ; 1765 : Benoît-joseph a quinze ans – le
Pape Clément XIII étend à toute l’Eglise la pratique
des Quarante-Heures.
Il convient de noter comme un événement
prophétique ce qu’il advient à un garçon de 19
ans le Mardi Gras 2 mars 1767 : Benoît-joseph
quitte le presbytère de Conteville, le matin. On
va faire des courses au bourg voisin Saint-Polsur-Ternoise. Benoît-joseph se rend à l’église où
le Saint-Sacrement est exposé pour les QuaranteHeures. Le midi : « Benoît-joseph, tu viens manger
? » - Non. L’après-midi, même refus. Après les
Vêpres et le salut, Benoît-joseph revient vers le
presbytère de l’oncle, pour l’unique repas de la
journée. Contempler Jésus-Hostie toute la journée,
telle sera la fréquente liturgie de l’ermite-pèlerin.
Assurément le seigneur a pris l’initiative de parler
au cœur de Benoît-joseph.
Il est bien établi que l’adoration ne remplace pas
pour Benoît-joseph la communion. A une époque
où le Jansénisme a éloigné les fidèles, Benoît-joseph
allait tous les mois à la communion et même plus
fréquemment encore. C’était l’Eucharistie qui le
tenait constamment dans un « ailleurs ». C’était un
question de mouvement, un « mouvement vers » :
Jésus inaugurait l’Eucharistie comme une sorte de
pèlerinage vers Jérusalem pendant la Pâque juive.
Saint Luc nous dit : « Quand il fut sauvé du monde,
Jésus prit résolument la route de Jérusalem. » On
nous permet de traduire : « Il durcit sa face. Il
affermit son visage vers Jérusalem. » Avec la hâte de
celui qui répond à une invitation du Christ, Benoît
Labre passe d’une église de Rome à une autre. Il
connaît les jours où l’on expose le Saint-Sacrement.
Il se hâte vers Jésus-Christ. Les gens l’appellent « le
pauvre des Quarante-Heures ».
Dom Pierre Doyère a noté qu’au désert, « au
témoignage de S. Basile, les ermites emportaient
parfois en cellule après la synaxe dominicale le Pain
Consacré pour communier en semaine. Mais le geste
ne s’accompagne alors d’aucun… besoin d’un têteà-tête ou d’une présence ». Il en va tout autrement
pour Benoît-joseph Labre et Charles de Foucauld.
Deux attitudes sont particulièrement révélatrices
du dynamisme de la démarche intérieure et de
l’impatience à rencontrer le Seigneur. Un petit
cortège quitte une église de Moulins le matin après
les Messes : précédé d’un enfant de chœur, un prêtre
va porter la communion à des malades. Un pauvre,
le cœur en fête, suit la procession, Benoît-joseph
Labre. Parfois, au petit matin, le sacristain d’une
basilique trouve un homme à genoux devant les
portes fermées. Benoît-joseph, tendu de tout son
être vers Jésus-Christ.
Liturgie singulière, spontanée, du pèlerin de l’absolu.
Voyant qu’il se transfigure pendant une adoration,
quelqu’un dit : « il brûle ». Et, sur son passage, dans
une rue de Rome, une voix murmure : « heureux qui
sait ce que tu vois ! »
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C’était l’Eucharistie qui le tenait constamment dans un ailleurs. C’était
un question de mouvement, un mouvement vers” .
(Abbé Bernard Hingrez)
SAINT
BENOÎT-JOSEPH LABRE
ET LA CROIX
L
’admirable c’est que ce pèlerin ne connaît
pas les demi-mesures. Jésus est la voie.
Benoît va se confondre avec la route. Jésus
est Pain vivant. Benoît en devient l’icône
sur une voie ardente. Jésus porte la croix : Benoît
deviendra quelque Simon de Cyrène… Mieux, il
est l’icône de Jésus-Christ sur une incessante via
dolorosa.
Que d’épreuves, au départ déjà ! La traversée du
désert, les tentations, les scrupules de l’enfant et de
l’adolescent, la nuit qui s’abat soudain sur un novice
pourtant heureux d’être accepté à la Chartreuse de
Neuville-sous-Montreuil, puis à la Trappe de SeptFons. Ce sont là des épines de la couronne, non des
moins acérées.
Curieusement, ce n’est pas le mépris qui l’offense,
c’est la louange. Un moine zélé fait d’abord réciter
l’angélus à des mendiants dont il garnira ensuite
l’écuelle. Benoît-Joseph prie comme un ange. Le
moine veut lui réserver un traitement de faveur
à l’intérieur du couvent. Le pauvre s’enfuit… ou
encore l’un de ses confesseurs semble le tenir en
haute estime. Benoît s’adresse à un autre prêtre. Par
contre, ce qui nous fait horreur, Benoît l’accepte.
On s’attend ici à quelque outrance. Les poux !
C’est le lot des vagabonds et de bien des pauvres.
Benoît-Joseph accepte ce cilice vivant. Il demeure
immobile dans son incessante oraison. Puis, il y a le
régime de misère : une assiette de soupe, les écorces
d’oranges amères… Il y a les coups, les mauvais
traitements infligés par les enfants, les soupçons,
l’emprisonnement à la place des coupables… « Le
serviteur qui souffre » ne profère aucune plainte.
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De tels excès, tout de même, ne faut-il pas s’indigner
? C’est en juin 1872 que le Père Marconi voit venir
en l’église Saint-Ignace du Collège romain, un
homme « dont la vue, au premier abord, était
désagréable et rebutante : les jambes à demi nues,
les reins ceints d’un assez mauvais cordon, la tête
fort négligée, mal couvert, mal enveloppé dans
un manteau usé et déchiré… » Mais il découvre
en ce vagabond un mystique extraordinaire, une
âme noble. « A-t-il donc étudié la théologie ? » Le
pèlerin répond : « Mon Père, je ne suis qu’un pauvre
ignorant ! » Etrange ignorant, en vérité, qui parfois
lit dans le cœur de son confesseur : « Il découvrait
mes plus secrètes pensées ; il m’en a plusieurs fois
rendu compte à moi-même » écrit le Père Marconi.
Benoît Labre est engagé sur le chemin de la Passion,
en cette dernière Semaine Sainte 1783. C’est la
réponse d’amour qu’il donne à Jésus-Christ dans
cette liturgie de la croix. Et la liturgie appelle un
travail de tout l’être. Certains se contentent de faire
lointainement mémoire de la fête, et de chanter sans
trop se compromettre :
Sancta Mater istud agas
Crucifixi fige plagas
Cordi meo valide!
“ Rien, mais je suis transporté “.
Les plaies du Crucifié marquées dans notre cœur :
nous n’y pensons pas! Pour avoir aimé Jésus en croix,
François d’Assise portait les stigmates. Benoît Labre
est devenu l’icône de Jésus-Christ. Le cœur est pris
et tout le corps : voyez ces gestes d’amoureux ! Il
pose ses lèvres sur le mur d’une église où se trouve
peint un Ecce Homo. Ce n’est pas in extremis, dans
la dernière semaine, qu’il devient fou de la croix. Il
l’a aimée dès sa jeunesse. Il l’a portée : des paysans
l’ont vu traîner deux branches d’arbres reliées l’une
à l’autre. « Que celui qui veut me suivre, prenne sa
croix… » Benoît prend toujours l’Evangile au sérieux. Quand il est à Rome, le vendredi et le dimanche, il suit le chemin de croix organisé par une
confrérie dans les ruines du Colisée. Il réclame la
croix comme une faveur. Un professeur du Collège
romain témoigne : lui-même est entré en l’église
Saint-Ignace pour faire sa visite au Saint-Sacrement,
à 13 heures. Benoît se croit seul dans le sanctuaire. Il
regarde un tableau qui représente le Christ portant
sa croix. Saint-Ignace, près de lui, fait signe à Jésus…
Benoît intervient à voix haute : « Pas à Ignace qui est
saint ! A moi cette croix ! »
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Tantôt Benoît est en marche entre
deux sanctuaires, tantôt il se prosterne ; or les genoux de Benoît
sont tuméfiés. On le constatera
lors de la toilette funèbre. C’est
donc sur ces plaies qu’il pesait,
quand il se prosternait longuement en l’église Saint-Praxède
devant la colonne de la flagellation, et quand il montait, marche
à marche, « la « Scala Sancta ». Il
ira jusqu’au bout. Comme il ne
peut plus se traîner, il demande
un bâton. La nuit, le gardien de
l’hospice Saint-Martin l’entend
murmurer « Miserere ! » Quel
pécheur est-il donc ? Se sent-il,
selon l’expression de Dom Pierre
Doyère, « une misère nue devant
la majesté de l’unique Présence
? » Sans doute entre-t-il dans
cette expérience mystique qui ne
le prive ni de l’espérance ni de
la joie. « Benoît, si l’on te disait
que tu es damné ? » demande
quelqu’un. Il répond : « J’aurais
confiance ». Mais sa relation à
Dieu passe par la croix de Jésus,
au pied de laquelle il se sent
solidaire de tous les pécheurs du
monde. Alors le cri du « miserere
» lui appartient. Et le sanglot des
litanies des saints : « peccatores,
te rogamus audi nos ». Quels
crucifix Benoît Labre a-t-il contemplés dans les sanctuaires de
l’Europe ? La croix romane, à la
voûte du chœur, où l’on voit un
Christ en tunique ? Plutôt la croix
de la période gothique, proche de
l’assemblée, où le Christ meurt
couronné d’épines. Ainsi le Dévot
Christ de Perpignan ou des toiles
de Vélasquez ou d’une Ecole
Espagnole… Une « liturgie » de
la croix, chez Benoît, peut guider
notre méditation du Golgotha.
A Lunel, une religieuse porte, au
bout de son chapelet, un Christ
couronné d’épines. Benoît Labre
le fixe avec tant d’intérêt que
la sœur détache la croix et la
lui donne. Le pèlerin l’emporte,
ravi. A Rome, il répond au Père
Almerici : c’est la Passion qu’il
médite le plus souvent. Quand il
applique son esprit à la couronne
d’épines, il est transporté - sans
savoir comment – à la contemplation de la Trinité.
Mais que sait-il de la Trinité ?
« Rien, mais je suis transporté ».
On demeure sans voix devant
cette tendresse de Benoît pour
l’humanité souffrante de Jésus, et
ce cheminement mystique vers
Dieu, Trinité d’Amour !
C’est la réponse
d’amour qu’il donne
à Jésus-Christ dans
cette liturgie de la
croix. Et la liturgie
appelle un travail de
tout l’être. .”
Le Mercredi-Saint 16 avril 1783,
voici l’heure de rejoindre le
Royaume. Il entend, le matin,
l’Evangile de la Passion, en
l’église Notre-Dame-des-Monts,
qu’il aime tant. Pris de malaise,
il sort, chancelle et tombe. Le
boucher Zaccarelli l’emmène
chez lui et l’allonge sur une paillasse. -« N’avez-vous rien qui
vous inquiète ? » - « Grâce à Dieu,
rien ! » - Le soir, à 20 heures,
quand les cloches invitent Rome
à chanter le Salve Regina, quand
les gamins se répandent dans les
rues, criant : « Le saint est mort »,
Benoît semble le Christ détaché
de la croix. Déjà les Pénitents de
Notre-Dame-des-Neiges préparent « le linceul blanc ».
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SAINT
BENOÎT-JOSEPH LABRE
ET LA PÂQUE
B
enoît Labre, tu auras part avec le Christ
! La foule qui te contemple sent que les
mots sont trop fragiles pour tenter de dire
la rencontre. Les yeux regardent ce corps
qui reste souple jusqu’au soir de Pâque. Mais on
évoquera les antiennes qui annonceront le psaume
de joie.
A la famille Sori de Lorette, qui l’an passé, l’invitait
à revenir
pour la Pâque 1783, Benoît disait : «
Il faut que j’aille dans ma patrie ». Et lui, le discret,
plusieurs témoins l’ont vu, pendant le Carême 1783,
faire quelques pas vers un point de l’église SainteMarie-des-Monts. Il fixait le sol. Il s’étonnait. Là, le
soir même de Pâque, il allait être inhumé, comme
un évêque dans sa cathédrale ! Le psaume disait :
il a tenu ; il est passé de l’angoisse à la paix, de la
crainte à la joie. Il a cherché Dieu. Il a rencontré
Dieu. Plus d’un, venu réciter sur la dépouille du
pauvre un « De profundis » s’est surpris à dire : «
Gloria Patri »…
On ne peut encore deviner l’extraordinaire fécondité
de cette vie. Un vagabond de 35 ans provoque « un
tremblement de terre spirituel » à Rome et dans
le monde, lors de sa naissance au ciel et de sa
canonisation !
Les vocations à Amettes et ailleurs, le goût de la
marche et de la prière, la société Saint-Labre à Paris,
le syndicalisme chrétien, la JOC française, les abris
pour clochards, la lumière sur la route des pèlerins
du monde, car il mérite bien d’être leur patron…
Et tout ce qui demeure le secret des cœurs… Nous
savons bien que tout cela est fruit de la liturgie
pascale de 1783.
Une page, parmi bien d’autres, mérite de clore ces
quelques notes. « Jérusalem, livre de vie », parle
aux moines et aux moniales ; mais libre à chacun
d’y puiser ceci : « la prière fera de toi une liturgie…
Souviens-toi que, baptisé en Christ, tu as vraiment
revêtu le Christ et que ton être tout entier est
devenu un chant à la louange de sa gloire. Revêts
ce vêtement et habite cet habit à la double lumière
du Christ qui te recouvre et de l’esprit qui t’envahit.
Sois ainsi le Corps du Christ et le temple de l’Esprit
à la gloire du Père ».
Voici le deuxième centenaire de la mort de S. Benoît
Labre. L’Europe se souvient. Il est bon de retrouver
les sanctuaires, les chemins, les pays marqués par
son passage. Les sanctuaires de Rome, SainteMarie-des-Monts, méritent un pèlerinage. Et le
village natal, Amettes, dans le Pas-de-Calais. La
maison de famille demeure ouverte, jour et nuit, à
tout chercheur de Dieu.
Derrière chez lui passe une route, coule un ruisseau.
Depuis la splendide aventure du petit paysan dans
la sainteté de Dieu, devant chez lui se dresse une
croix. En avril, à voir de loin la prairie et çà et là des
pommiers, on dirait que l’arbre de la croix, lui aussi,
est en fleurs.
Boulogne-sur-Mer.
Abbé Bernard Hingrez
Animateur en 1983 de l’année Saint
Benoît-joseph Labre.
b
L’abbé Bernard Hingrez, est décédé le mercredi 6
juillet 2011 à la maison de retraite Saint Antoine de
Desvres (Pas de Calais)dans sa 89ème année.
Né le 4 novembre 1922 à Montreuil sur Mer ; ordonné
le 17 juillet 1949 ; Prof. Petit séminaire de Maquetra
à Boulogne sur Mer en 1949 ; secrétaire de Rédaction
« Eglise d’Arras » en 1963 et dir. Adjoint du Centre
diocésain des Vocations en 1964 ; supèrieur du petit
Séminaire de Maquetra Boulogne sur Mer en 1966 et
direc. Centre diocés. des Vocations; curé d’Ambleteuse
en 1977 ; et curé de St-Nicolas à Boulogne sur Mer
en 1982
12 • Les Amis de saint Benoît Labre http://www.amis-benoit-labre.net/
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Aujourd’hui l’aventure continue…. L’attrait de sa vie anime encore
le cœur de millions de chrétiens et les valeurs, de charité, de
recherche de Dieu dans l’amour et la solidarité qu’il nous enseigne
restent d’actualité.
Saurons-nous rester dignes de son message en nous mettant en
route pour bâtir un monde d’amour et de Paix ?
Didier NOËL
14 • Les Amis de saint Benoît Labre http://www.amis-benoit-labre.net/

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