Les nouvelles stratégies des clubs de football professionnel face à

Transcription

Les nouvelles stratégies des clubs de football professionnel face à
Les nouvelles stratégies des clubs de football professionnel face à la guerre des talents
Revue internationale sur le travail et la société, Octobre 2005
Pierre Mirallès 1
Année
: 2005
Volume
:3
Numéro
:2
Pages
: 639-667
ISSN
: 1705-6616
Sujets
: stratégies, talents, guerre, marché du travail, régulations.
1
Pierre Mirallès, Directeur Général Adjoint de l'IDATE, Vice-Président de l'ANDCP Languedoc, Doctorant au
CREGO (Université Montpellier 2)
639
SOMMAIRE
Introduction et cadre théorique
1 : Les formes actuelles de la guerre des talents dans le football professionnel européen
1.1 : L’organisation du marché du travail dans le foot pro
1.2 : Les tendances lourdes : globalisation et segmentation du marché
1.3 : Les comportements induits par la guerre des talents
2 : Les nouvelles stratégies des clubs pour capter, protéger et exploiter les talents
2.1 : L’exploitation plus intensive de la ressource
2.2 : L’ouverture de nouveaux gisements de talents
2.3 : La mise en œuvre de nouvelles formules de rétention
2.4 : La recherche de nouvelles régulations
Conclusion
640
Introduction et cadre théorique
Dans ce qui suit, nous nous intéresserons principalement aux stratégies élaborées et
mises en œuvre par les clubs de football professionnels en vue de disposer des meilleurs
talents possibles pour constituer leur équipe « fanion » 2 . Ces stratégies occupent un rôle
central dans la vie des clubs si on veut bien considérer que :
ƒ
les résultats sportifs des clubs, en tout cas dans la durée, sont fortement corrélés aux
caractéristiques de leur effectif, et notamment à la combinaison des talents des joueurs
qu’ils emploient ;
ƒ
les résultats économiques des clubs, exprimés sous l’angle non de la profitabilité, mais
de l’envergure (ou de la richesse absolue), sont fortement corrélés à leurs résultats
sportifs.
Dans la relation entre le sportif et l’économique, l’ordre de causalité doit être envisagé
de façon dynamique et interactive, les phénomènes de progression dans la hiérarchie des clubs
étant souvent liés à la mise en place d’une « boucle de rétroaction positive ». La richesse des
clubs leur permet d’obtenir les meilleurs résultats sportifs grâce à la qualité de leur effectif, et
la permanence de bons résultats sportifs, due à un effectif de qualité, leur permet à moyen /
long terme d’accroître leur richesse en attirant sur eux des recettes plus importantes en
matière de droits TV, sponsoring, etc. etc... Symétriquement, si la qualité de l’effectif est à
l’origine des résultats sportifs, le prestige et le palmarès d’un club constituent des argument
puissants pour attirer des joueurs de talent, avec l’assurance d’évoluer parmi les meilleurs.
Ainsi, à court terme, le problème majeur d’un club de football professionnel peut
pratiquement se résumer à celui des choix à adopter pour s’attacher les services d’un nombre
suffisant de professionnels de haut niveau, choix effectué bien sûr sous contrainte financière,
c’est à dire dans le cadre d’un budget déterminé (et donc d’une ambition affichée). En
d’autres termes, ce problème apparaît comme celui de l’approvisionnement dans une
ressource spécifique : les talents sportifs dans la discipline considérée.
2
C’est le terme souvent employé pour désigner l’équipe « première », c’est à dire celle que le club aligne dans
les principales compétitions dans lesquelles il est engagé. Elle s’oppose à l’équipe « réserve », qui rassemble et
permet d’utiliser dans des compétitions secondaires les joueurs de l’effectif professionnel non sélectionnés dans
l’équipe première, ainsi qu’aux différentes équipes de jeunes du centre de formation attaché au club.
641
Cette ressource présente plusieurs caractéristiques qui peuvent l’assimiler à un actif
stratégique (au sens de la théorie des ressources, voir notamment Barney, 1991). Il s’agit de :
ƒ
la valeur élevée, qui provient en particulier de la spécificité de cette ressource au
regard de la demande;
ƒ
la rareté, qui en rend difficile l’accessibilité et qui réduit le nombre des concurrents
potentiels ;
ƒ
l’imitabilité et la substituabilité imparfaites, qui tiennent notamment à son caractère
tacite, à sa complexité ou encore à sa spécificité ;
Et en effet, les meilleurs talents sont fortement recherchés par les meilleurs clubs car ils
permettent de « faire la différence » dans les circonstances cruciales de la compétition. En
revanche, les joueurs de talent sont, à la différence d’autres ressources stratégiques, fortement
mobiles (transférables), ce qui fait que les avantages compétitifs qu’ils procurent n’ont aucun
caractère durable.
Ceci étant admis, l’objet des pages qui suivent est de décrire comment, en fonction
notamment des comportements de la ressource recherchée (les joueurs de talent), les
organisations sportives sont amenées à adopter certaines postures stratégiques. Car les acteurs
ne restent pas passifs : les joueurs poursuivent leurs propres objectifs, et sont aptes à tirer
profit des opportunités et en particulier de la situation de monopole relatif dont ils jouissent.
Les clubs cherchent quant à eux à s’affranchir le plus possible des contraintes liées à la rareté
et à la mobilité des joueurs. Nous examinerons donc comment évolue le marché du travail
dans ce contexte, et dans quelle mesure la guerre des talents, c’est à dire l’exacerbation de la
concurrence entre clubs pour l’acquisition des meilleurs joueurs, vient perturber les
orientations établies et contraindre les clubs à approfondir leur stratégie de référence ou au
contraire à la transformer.
642
Ressource
humaine facteur
stratégique
Parcours de
carrière des
personnes clés
Guerre des
talents
Nouvelles
stratégies RH
Compétition
entre
organisations
Fixation de buts
organisationnels
Schéma n°1 : La guerre des talents comme forme de l’interaction entre les parcours de
carrière et les buts organisationnels, et créatrice de comportements stratégiques
La stratégie des organisations particulières que sont les clubs pro, et notamment leur
stratégie d'acquisition et de captation des talents, n'est pas séparable des stratégies
individuelles des joueurs professionnels, c'est à dire des porteurs de talents. On reconnaît là
un des aspects du paradigme des "carrières nomades" tel qu'il a été développé par des auteurs
comme Arthur et Rousseau (1996), Miles et Snow (1996), ou encore Cadin (2003). Pour
Miles et Snow, "les carrières ne sont pas seulement déterminées par les structures dans
lesquelles elles s’effectuent ; elles peuvent aussi devenir des déterminants des structures.
Poussant le raisonnement encore plus loin, Weick (1996) avance l’hypothèse que si les
carrières deviennent plus erratiques, ce n’est pas seulement un effet secondaire ou indésirable
de l’évolution économique, mais qu'il s'agit d'une condition de développement des formes
d’organisation pertinentes dans un "environnement faible" (c’est à dire faiblement déterminé
par des facteurs externes comme par exemple la technologie). Pour lui, "la carrière nomade
(boundaryless carreer) conduit à accumuler des expériences susceptibles de constituer des
ressources (ou knowings) pour les boundaryless organizations". Dans le cas du sport
professionnel, ces knowings accumulés relèvent principalement de deux catégories :
l'expérience acquise, en tant qu'elle est incorporée dans les compétences des athlètes en raison
643
des compétitions auxquelles ils ont participé et leur permet de faire face à des situations
particulièrement exigeantes, et le crédit de carrière ou la réputation, c'est à dire la promesse de
hautes performances à venir. Bien sûr ce crédit est d'abord constitué par les performances
passées en tant qu'elles permettent de préjuger de performances futures, et il possède à ce titre
la propriété de s'accumuler (Latour, 1993), mais il peut aussi être le fruit d'un pari raisonnable
de l'organisation (qu’en termes financiers on appellerait une option), surtout en début de
carrière, lorsque le joueur ne peut prétendre aligner un palmarès.
Etape de carrière
Tranche d’âge
Enjeu majeur
Apprenti / Stagiaire
16 – 19 ans
Accès au métier
Espoir
20 – 24 ans
Confirmation du potentiel
Joueur confirmé
25 – 31 ans
Valorisation maximum
Joueur vieillissant
32 – 35 ans
Reconversion
Schéma n°2 : Les étapes de carrière du joueur professionnel
Outre sa spécificité, le talent présente pour son détenteur une caractéristique
supplémentaire très particulière : il s’agit d’une ressource incorporée dans l’agent lui-même.
Ce qui induit deux conséquences essentielles. Tout d’abord le talent est sujet au phénomène
du vieillissement. C’est particulièrement net et rapide pour le talent sportif, mais c’est vrai en
fait de tout talent dans la mesure où il s’appuie toujours sur des ressources physiques.
Deuxièmement, le talent se développe par apprentissage et exposition à des situations
compétitives. Celles-ci lui permettent d’actualiser progressivement la totalité d’un potentiel au
départ latent, mais aussi de mettre en place des habiletés dites de « compensation » car elles
permettent, dans une certaine mesure et pour un certain temps, de compenser l’usure liée au
vieillissement. La combinaison de ces deux phénomènes a pour effet de constituer un cycle du
talent comportant, après la phase préliminaire de formation au métier, une phase initiale de
montée en puissance, une phase de maturité, puis une phase de sénescence conduisant à l’arrêt
de la carrière. Ainsi, même en négligeant les accidents de carrière, il apparaît que les
ressources (et donc le pouvoir de négociation et les attentes) de la personne ne sont pas stables
644
dans le temps, et que le cycle temporel du talent doit faire l’objet d’une gestion stratégique par
l’individu talentueux.
Si les clubs sportifs s'organisent en fonction des exigences des joueurs, celles-ci se
matérialisent dans un acte privilégié, qui est la conclusion d’un contrat. Ici encore, le point clé
est à chercher dans la spécificité (Williamson,1975, 1985) de l’actif que constitue le talent
sportif. Les paramètres fondamentaux de l’engagement des acteurs sont alors la valeur et la
durée du contrat, car ce sont ceux qui expriment le plus radicalement les attentes et les marges
de négociation des parties au contrat : plus ou moins d’argent contre plus ou moins de temps.
Or, à long terme, l’objectif des clubs est d’assurer une certaine continuité de leurs
performances sportives, ce qui implique notamment : 1/ de pouvoir se séparer des joueurs
jugés en perte de vitesse ; 2/ de disposer d’un « vivier » de joueurs à potentiel. Par conséquent
l’effectif optimum d’un club à la recherche de la performance durable ne sera pas uniquement
composé des meilleurs pratiquants à un moment donné, mais aussi de ceux qui sont
susceptibles de le devenir et de ceux qui sont sur le point de décliner. Le cycle du talent, qui
se manifeste pour les joueurs par la succession des étapes de carrière, peut être vu par les
clubs comme un paramètre clef de la gestion de leur effectif, où l’essentiel sera de faire
cohabiter harmonieusement plusieurs générations d'individus talentueux, mais situés à des
stades successifs de leur développement.
Performance avérée
+
PILIERS
STARS
Potentiel
-
+
POIDS MORTS
ESPOIRS
645
-
Schéma n°3 : Du cycle du talent à la composition type d’un effectif professionnel (inspiré
de Ference, cité par Peretti, 2004)
646
2/ Les formes actuelles de la guerre des talents dans le foot pro européen
2.1 – L’organisation du marché du travail dans le football professionnel
Pour qui découvre le marché du travail dans le football professionnel, celui-ci apparaît
marqué par des pratiques singulières.
Un phénomène frappant est que le terme de marché y prend un sens particulièrement cru
et concret. Les mouvements de joueurs entre clubs ont lieu deux fois par an, à l’intersaison
d’été et lors de la « trêve d’hiver ». A ces deux moments de l’année, les clubs « font
leur marché » et cherchent à engager parmi les joueurs qu’ils convoitent ceux qui se trouvent
en fin de contrat ou pour lesquels des clauses libératoires (possibilité de rompre le contrat
avant terme sous certaines conditions, notamment financières) sont susceptibles d’être
activées. Réciproquement, les clubs qui entendent renouveler, ou simplement réduire leur
effectif, mettent sur le marché les joueurs qu’ils ne souhaitent pas conserver en leur attribuant
un « bon de sortie ». Il est donc fréquent que les deux catégories de clubs, clubs acheteurs et
clubs vendeurs (qui peuvent bien sûr être les mêmes) signalent publiquement leurs intentions,
ainsi d’ailleurs que les joueurs qui souhaitent changer de club. La transaction (le « transfert »)
se conduit à trois parties : acheteur, vendeur et joueur, et fait intervenir le règlement d’une
« indemnité de mutation » sauf dans le cas où le joueur est libre de droits, c’est à dire qu’il se
trouve en fin de contrat. Pour bien fonctionner, ce triangle nécessite en fait l’intervention d’un
quatrième personnage : l’agent du joueur. Son rôle est d’abord de défendre et représenter les
intérêts du joueur, dont il est en quelque sorte le conseiller de carrière. Mais il est aussi de
faire en sorte que la transaction arrive à son terme, en activant si nécessaire la concurrence
entre clubs acheteurs. Comme sa rémunération est le plus souvent indexée sur la valeur du
contrat finalement conclu, il n’est pas difficile de se représenter où va l’intérêt de l’agent, ni
les risques de commissions occultes et autres manipulations qu’engendre le système. On
imagine aussi aisément que, l’opération devant nécessairement se réaliser durant le bref laps
de temps du mercato, cette négociation à trois ou quatre ressemble bien souvent à une partie
de poker menteur… L’analogie avec le fonctionnement de la Bourse ne semble pas illégitime
: le mercato fait intervenir des investisseurs (les clubs), des opérateurs (les agents), et des
valeurs (les joueurs), la principale différence étant qu’ici les valeurs ont la possibilité de
647
choisir leurs investisseurs, en tout cas dans une certaine mesure… et que le montant des
transactions n’est pas souvent public ! Néanmoins, comme à la Bourse, le système est
réglementé par la profession elle-même : les agents doivent être agréés par les Fédérations ;
les engagements qui n’auraient pas respecté le calendrier officiel, fait intervenir des clauses
illégales, ou encore lésé le club vendeur (par exemple par non paiement d’une indemnité due),
ne sont pas homologués par la Ligue professionnelle (ou la Confédération en cas de transfert
international). Dans ce cas, le joueur ne serait pas autorisé à exercer dans son nouveau club,
en tout cas pas avant le règlement du litige 3 .
Bien entendu, un tel système n’est possible que du fait de l’existence d’entraves à la
mobilité des joueurs, entraves dont le contenu et l’étendue ont fortement évolué au cours des
dernières années. Aux débuts du football professionnel (depuis 1931 pour la France), ces
entraves étaient absolues puisque les joueurs étaient tenus de signer des contrats « à vie »
(c’est à dire jusqu’à l’âge de 35 ans) avec leur « club d’origine », c’est à dire celui qui leur
faisait signer le premier contrat professionnel. Dans un tel contexte, les mutations de joueurs
étaient rares, et entièrement livrées au bon vouloir des présidents de clubs. Le souci de ne pas
laisser à un club concurrent du championnat national l’usage d’un talent reconnu avait pour
conséquence de privilégier les transferts internationaux. Mais là aussi des limites précises
étaient fixées : le nombre de joueurs étrangers engagés dans un club (ou plus précisément
figurant sur une feuille de match) se voyait borné à deux joueurs. Même dans ces conditions,
ces transferts étaient sources de litige entre clubs et joueurs, ceux-ci étant rarement consultés
avant la décision de mutation, et leurs désirs étant rarement pris en compte dans les faits.
Cette situation a duré, du moins en France, jusqu’en 1969, année qui vit l’officialisation du
contrat « à temps » c’est à dire conclu systématiquement pour une durée déterminée. On sait
que les tentatives de remise en cause par les clubs pro de ce dispositif ont été à l’origine de la
fameuse grève des joueurs de 1973, qui s’est conclue 4 par la signature de la « Charte du
football professionnel », sorte de convention collective définissant le cadre des relations
d’emploi dans la profession. La généralisation du contrat à temps posait dans des termes
nouveaux la question du management des talents dans le foot pro, en modifiant l’équilibre des
pouvoirs de négociation entre clubs et joueurs dans la conclusion des contrats. Mais un
obstacle de taille à la totale mobilité des joueurs demeurait encore avec le système des
3
Cf. notamment le cas du transfert illicite du défenseur Philippe Mexès de l’AJ Auxerre à l’AS Roma à
l’intersaison 2004, privant temporairement le joueur de compétitions internationales.
4
Négociations menées à l’époque sous la houlette d’un jeune haut fonctionnaire nommé Philippe Séguin.
648
indemnités de transfert. C’est cet obstacle qui a été levé avec le fameux arrêt Bosman (du nom
d'un joueur belge évoluant à l'époque au Standard de Liège). Cet arrêt, rendu le 15 décembre
1995 par la Cour de Justice des Communautés européennes, comprend en réalité deux
décisions :
•
Les joueurs en fin de contrat sont libres de droit et peuvent offrir leurs services aux
clubs qu’ils désirent sans que leur club d’origine puisse exiger une indemnité de
transfert. Ceci en vertu du principe de libre circulation des travailleurs entre Etats
membres de l’Union.
ƒ
Les joueurs ressortissants de l’Union européenne peuvent désormais circuler librement
en Europe et ne sont plus concernés par la règle limitant à trois le nombre d’étrangers
par club. Ceci en vertu du principe de non discrimination entre nationaux et non
nationaux pour les ressortissants de l’Union.
2.2 – Les tendances lourdes : globalisation et segmentation du marché
Avec la chute de ces deux obstacles majeurs à la mobilité des joueurs, le marché est
devenu désormais libre et globalisé à l’échelon européen. Les joueurs circulent largement
entre pays de l’Union au gré des opportunités d’emploi, et les championnats nationaux
accordent une place croissante à des joueurs étrangers, comme le montrent ces chiffres
reproduits dans le Rapport Denis (2004) :
% d’étrangers parmi les
% d’étrangers parmi les
joueurs évoluant en D1 en
joueurs évoluant en D1
2000/2001
en 1995/1996
Allemagne
43% (33% hors UE)
27%
Angleterre
48% (31% hors UE)
34%
Espagne
33% (26% hors UE)
27%
France
31% (23% hors UE)
18%
Italie
33% (24% hors UE)
17%
Schéma °4 : Tableau n°4 : La globalisation du marché du travail dans le foot pro européen
(Source : Eurostaf)
649
Et cette étape n’est encore que transitoire. L’Union européenne a noué à Cotonou un
accord de coopération avec les pays dits ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) prévoyant
l’interdiction de la discrimination en raison de la nationalité s’agissant des conditions de
travail. Cet accord vient s’ajouter à l’accord d’association conclu avec les pays d’Europe
centrale et orientale, qui contient des dispositions similaires. On voit donc qu’à l’exception
notoire du continent américain 5 , c’est à l’échelle planétaire que désormais se joue la
concurrence entre clubs européens pour la recherche des meilleurs talents.
Globalisé, le marché des joueurs est aussi segmenté. Analysant les conditions d’emploi,
des économistes (Bourg et Gouguet, 2001) distinguent un marché primaire, celui occupé par
les meilleurs talents, sur lequel l’ajustement se fait par le prix eu égard à la rareté de l’offre et
sa rigidité dans la courte période, et un marché secondaire qui, quant à lui rassemblerait le
reste des joueurs, plus ou moins substituables, donc en concurrence entre eux ainsi qu’avec
les jeunes issus des centres de formation et les joueurs de certains pays à faible niveau de vie :
Afrique, Europe de l’Est... La variable d’ajustement serait dans ce cas la quantité, ce qui
contribuerait à faire pression sur les salaires de ces joueurs et à précariser leur statut (durée de
carrière plus courte, chômage de déqualification se traduisant par le passage en division
inférieure, etc.). Si la rareté de l’offre de talents exceptionnels suffit à elle seule à expliquer
l’existence du marché primaire, il faudrait aussi « préciser les raisons pour lesquelles
l’existence d’un secteur secondaire concurrentiel ne suffit pas à résorber le chômage » (Perrot,
1998). Or l’explication fournie par les économistes à celle du marché secondaire n’est ni
claire ni convaincante. Car, pour incomparables qu’ils soient avec les revenus des stars, les
salaires de la masse des joueurs professionnels restent néanmoins très enviables et eux aussi
fortement orientés à la hausse : la masse salariale des clubs de L1 est passée de 21,7 M€ en
1981 à 208 M€ en 1999 alors que le nombre de clubs diminuait de 20 à 18, ce qui représente
une augmentation annuelle variant entre 10 et 30% (Andreff et Nys, 2002). Ce qui veut dire
en réalité que ce soi-disant marché secondaire est en fait lui aussi rationné, et peut donc
s’analyser comme un marché primaire vis-à-vis d’autres marchés subordonnés…
5
D’où le fameux trafic des faux-passeports communautaires ayant fleuri ces dernières années au bénéfice de
joueurs latino-américains, argentins et brésiliens notamment.
650
En fait, plus que de dualisme du marché, il semblerait préférable de parler de
hiérarchisation et de segmentation. Car, plus que deux, on peut distinguer plusieurs strates de
joueurs professionnels en exercice : les stars dont parlent nos auteurs, l’élite qui exerce
régulièrement dans le championnat de L1, et la masse des joueurs professionnels qui exercent
dans les divisions inférieures (L2, Division Nationale). A ces trois strates relativement stables,
il convient de rajouter dans l’analyse la population des jeunes présents dans les centres de
formation, voire la foule anonyme des joueurs amateurs qui ambitionnent de « passer pro ». A
l’intérieur de chaque strate, il faudrait encore distinguer selon les postes occupés : les
attaquants sont mieux traités que les joueurs de milieu de terrain, eux-mêmes privilégiés par
rapport aux défenseurs. Encore plus important dans la détermination du statut des joueurs est
le niveau des attentes placées en eux par les clubs, mais aussi par le public, la presse, voire par
ses pairs. Ces attentes dépendent bien sûr de leur prestation visible sur le terrain, mais aussi
d’éléments plus difficiles à fonder et à mesurer comme la promesse de performances futures
ou les bénéfices escomptés de l’image véhiculée par les joueurs. Compte tenu de la
multiplicité de ces critères, le simple examen des salaires pratiqués au sein d’un même club
pro suffit à nous convaincre de l’extraordinaire dispersion et individualisation des
rémunérations. C’est pourquoi, selon nous, à la notion de dualisme devrait être substituée
celle de classement (ranking), plus conforme à la réalité d’une industrie massivement
employeuse de talents, car le talent est avant tout facteur de différentiation et créateur de
hiérarchies (Mirallès, 2004) : les deux catégories théoriques du marché dual ne sont alors que
les deux extrêmes d’un axe continu sur lequel se mesurent et se classent les talents. Mais le
fait essentiel est qu’à la segmentation des conditions d’emploi des joueurs répond la
segmentation du pouvoir de marché des clubs. Mesurée à raison des budgets des clubs et des
salaires des joueurs, la correspondance entre l’élite des clubs et l’élite des joueurs saute aux
yeux :
RANG CLUB
RECETTES (M€)
1
Manchester United
251
2
Juventus Turin
218
3
Milan AC
200
4
Real Madrid
193
5
Bayern Munich
163
6
Inter Milan
162
7
Arsenal
150
651
8
Liverpool
149
9
Newcastle United
139
10
Chelsea
134
11
AS Roma
132
12
Borussia Dortmund
124
13
Barcelone
123
14
Schalke 04
119
15
Tottenham
96
16
Leeds United
92
17
Lazio Rome
89
18
Celtic Glasgow
87
19
Olympique Lyonnais
84
20
Valence
81
Shéma n°5 : Le classement des 20 clubs les plus riches d’Europe en 2003 (Source : Deloitte,
cité par France Football, 05/03/2004)
JOUEUR
CLUB
REVENUS
DONT
SALAIRE 6
Beckham
Real Madrid
22,4
6,4
Ronaldo
Real Madrid
16,5
6,4
Zidane
Real Madrid
14,0
6,4
Vieri
Inter Milan
11,1
6,5
Del Piero
Juventus Turin
10,1
4,2
10,0
4,0
Ronaldinho Barcelone
Raul
Real Madrid
9,3
6,4
Owen
Liverpool
9,1
4,8
Kahn
Bayern Munich
8,8
5,0
Figo
Real Madrid
8,5
6,4
Nakata
Bologne
8,4
2,8
Henry
Arsenal
8,4
4,3
Campbell
Arsenal
8,1
7,3
6
La diiférence peut comprendre des primes, mais est surtout constituée par les contrats de sponsoring personnels
des joueurs.
652
Keane
Manchester United
7,7
6,6
Vieira
Arsenal
7,2
5,8
Totti
AS Roma
7,1
5,5
Kluivert
Barcelone
6,9
5,8
Ballack
Bayern Munich
6,7
4,0
Ferdinand
Manchester United
6,2
5,1
Maldini
Milan AC
6,2
3,5
Schéma n°6 : Les 20 joueurs les mieux payés du monde en 2003 (en M€ annuels - Source :
France Football du 04/05/2004)
Ainsi, à une seule exception près, celle de Nakata 7 , tous les joueurs du top 20 jouent
dans les clubs du top 20. Ce phénomène peut s’interpréter de différentes manières, reflétant
chacune un aspect de la réalité. On peut considérer que seuls les clubs les plus huppés ont les
moyens de s’offrir les joueurs les plus chers, susceptibles d’attirer le public et de maximiser
les retombées commerciales de leur investissement. On peut – tout aussi légitimement –
penser que les meilleurs joueurs vont avoir tendance à se concentrer dans les clubs qui leur
permettront d’exprimer le mieux leur talent, en leur offrant l’accès aux compétitions les plus
relevées et à l’environnement le plus favorable. Dans le sport pro, le système de compétition
hiérarchise les clubs. « Cette hiérarchie explique le dualisme du marché des joueurs. La
différentiation des tailles des clubs (budget, palmarès) hiérarchise leur pouvoir sur le marché.
En longue période, on trouve une forte corrélation entre classement et budget du club »
(Bourg, 1989).
2.3 – Les comportements induits par la guerre des talents
7
Joueur japonais évoluant à Bologne. Son statut de seul joueur japonais de classe mondiale lui vaut de
concentrer sur sa personne un niveau important de contrats publicitaires des firmes nippones.
653
La globalisation du marché, accompagnée dès la fin des années 1980 par un afflux de
capital économique dans la profession en raison de la surenchère des chaînes de télévision, a
produit plusieurs effets : augmentation du pouvoir de négociation des meilleurs talents et
augmentation de la concurrence entre clubs pour l’accès à ces talents. Mais aussi compétition
accrue pour l’entrée dans la profession et pour le maintien en activité, et donc exacerbation de
la segmentation du marché. Ce contexte de concurrence extrême a eu pour conséquence de
générer de la part des clubs comme des joueurs des pratiques opportunistes, voire prédatrices
dans certains cas limites. Trois d’entre elles méritent un examen particulier : il s’agit de
l’inflation des rémunérations, de l’instabilité des contrats et du pillage des centres de
formation.
L’inflation des rémunérations a déjà été évoquée plus haut. Elle a largement profité
aux joueurs dans leur ensemble (voir tableau 4), qui se sont momentanément trouvé en
position de force dans la négociation avec leurs clubs. Les bénéfices de cette situation ont
néanmoins été répartis de façon très inégalitaire, et les écarts entre le bas (les joueurs
stagiaires en centre de formation, rémunérés aux minima conventionnels fixés par la Charte)
et le haut de l’échelle (les vedettes internationales, voir tableau 3) ont considérablement
augmenté. Une autre conséquence sur le comportement des joueurs aura été paradoxalement
d’introduire de nouveaux obstacles, de nature plus psychologique, à la mobilité de certains
d’entre eux. En effet, si les salaires élevés constituent explicitement des politiques de
rétention, celles-ci, appliquées sans distinction, ont pour effet aussi de retenir des joueurs dont
le talent peut être sur le déclin, ou qui connaissent une période de contre-performances. Ceuxci, même laissés de côté et appelés par leurs entraîneurs à « cirer le banc de touche », ne sont
guère disposés à rebondir dans d’autres clubs, conscients qu’ils ne retrouveront pas des
conditions aussi avantageuses. Un autre des résultats de l’inflation des salaires aura été de
fragiliser l’équilibre économique des clubs en accroissant le poids relatif de la masse salariale
dans l’ensemble des charges, et en gonflant considérablement l’endettement de certains clubs
(et notamment les plus grands d’entre eux) par l’augmentation galopante du montant des
transferts qui a accompagné l’inflation salariale.
SAISON
1996 – 1997
MASSE SALARIALE
8 923
EVOLUTION
10,7%
654
1997 – 1998
12 354
38,5%
1998 – 1999
15 178
22,9%
1999 – 2000
17 993
18,5%
2000 – 2001
23 011
27,9%
2001 - 2002
24 500
8,5%
Schéma n°7 : Evolution des salaires chargés d’un club moyen de L1 (en M€ - Source : LFP,
citeé par Rapport Denis, 2004)
Une autre conséquence importante de la situation créée (ou plutôt révélée) par l’arrêt
Bosman aura été de fragiliser la stabilité et la fiabilité des contrats de travail, le plus
souvent au bénéfice des joueurs. En supprimant les principales entraves à la mobilité, on
pouvait naturellement s’attendre à une augmentation considérable du nombre de mutations
interclubs. On cite souvent le cas de joueurs qui se sont fait une spécialité de changer
fréquemment de club, avant la fin de leurs contrats. Cette hyper-mobilité frappe notamment
les vedettes, extrêmement convoitées et sollicitées : à 20 ans en 1999, Ronaldo avait évolué
dans 4 clubs différents, Mido dans 5 clubs, etc. Mais le phénomène le plus massif aura été
probablement l’introduction d’une négociation permanente entre les clubs et les joueurs, se
traduisant par des révisions extrêmement fréquentes des conditions contractuelles, comme le
montrent les statistiques publiées par la LFP, qui font ressortir que le nombre d’avenants aux
contrats sur une saison est finalement supérieur au nombre même de contrats, ce qui signifie
donc que les contrats sont révisés plus d’une fois par an en moyenne.
Un autre phénomène qui a défrayé la chronique, surtout en France, ces dernières
années, est celui qui a été désigné par certains des protagonistes sous l’expression de « pillage
des centres de formation ». La loi du 16 juillet 1984 avait rendu systématique la présence de
centres de formation dans chaque club 8 employant des joueurs professionnels. La visée de
cette mesure était principalement de faire face à la pénurie chronique de joueurs de haut
niveau dans les championnats de France, et de créer les conditions d’émergence d’une élite
capable d’assurer la relève des sélections nationales. On sait que les résultats de cette
politique furent couronnés de succès avec la victoire de l’équipe de France au Mondial 1998,
8
Cette disposition a été considérablement assouplie depuis avec la loi du 28 décembre 1999, qui a supprimé
cette obligation et mis en place un système d’agrément des centres de formation, faisant ainsi de cette activité un
métier à part entière.
655
équipe qui a été célébrée par certains comme le fleuron de la « formation à la française ».
Cependant, dès avant cet évènement mémorable, plusieurs grands clubs européens s’étaient
intéressés aux jeunes talents présents dans les centres de formation. Profitant de la négligence
des dirigeants, certains de voir « leurs jeunes » intégrer naturellement leur club formateur, ces
clubs avaient fait signer des contrats professionnels à plusieurs stagiaires ou apprentis détectés
comme particulièrement prometteurs. A cet égard, on se souvient notamment des cas de M.
Silvestre et O. Dabo (devenus depuis internationaux), débauchés simultanément de Rennes
par le grand Milan AC, affaire qui à l’époque (1996) avait fait grand bruit. Ces pratiques sont
désignées par les économistes sous le terme de « braconnage » : une firme bénéficie
gratuitement des efforts de formation faits par une autre en débauchant ses salariés. Le résultat
de telles pratiques est naturellement de décourager les efforts de formation, et par conséquent
risque de déstabiliser le système de formation dans son ensemble. On lutte en général contre
ce type de comportements en imposant des règles collectives (obligations de formation), mais
ces règles étant nationales se heurtent aux pratiques prédatrices des non-nationaux, ou encore
par le dédit-formation (Stankiewicz, 1999). Nous reviendrons plus loin sur ces points.
3/ Les nouvelles stratégies des clubs pour capter, protéger et exploiter les talents
3.1 – L’exploitation plus intensive de la ressource
Lorsqu'une ressource est perçue comme en voie de raréfaction, et par conséquent
devient l'enjeu de convoitises accrues et de surenchères, les organisations cherchent à
exploiter mieux ou davantage les ressources dont ils disposent.
Comme le sport ne connaît pas à proprement parler de gains de productivité et que les
effets de la technologie ne jouent que sur les canaux de diffusion du spectacle sportif et non
sur le spectacle en lui-même, c'est donc le nombre de rencontres que les organisateurs de
spectacles sportifs vont chercher à multiplier car, comme le fait remarquer Plane (2004), c'est
"le talent et le temps disponible" qui sont les deux facteurs clés de la réussite dans ce type
d'activité. C'est ainsi que les compétitions officielles s'allongent pour offrir plus de spectacles
sportifs avec les mêmes acteurs (clubs et joueurs) : les formules en "poules" sont préférées
aux formules à élimination directe dans les compétitions majeures comme la Ligue des
Champions, en attendant l'arrivée dans le football des play-off et play-down, formules venues
656
du basket-ball et que le rugby a dores et déjà adoptées. En témoignent aussi la multiplication
des matches de gala et des tournées de prestige à l'étranger, dont certains clubs comme
Manchester United et le Real Madrid se sont fait une spécialité, parfois au détriment de leurs
résultats sportifs. Mais cette utilisation du temps disponible pour de nouveaux matches
connaît une limite physiologique : faute de respecter des périodes suffisantes de récupération,
les joueurs sont sujets à blessure ou à épuisement, ce qui a pour effet de réduire leurs
performances ou de les rendre indisponibles. Comme c'est le cas pour toutes les ressources
renouvelables, l'impératif d'exploitation entre alors en conflit avec l'impératif de
renouvellement et de protection de la ressource. C'est pourquoi les conflits, latents ou ouverts,
sur la question du calendrier des compétitions ont tendance à se multiplier ces dernières
années entre joueurs, clubs et organisateurs de compétitions. Dans la dernière période, les
compétitions en sélections nationales sont plus particulièrement dans le collimateur des clubs
car, outre qu'elles ne donnent pas lieu à dédommagement 9 de ceux-ci par les fédérations qui
ponctionnent à cette occasion les meilleurs joueurs, elles ont tendance par leur multiplication
à consommer une part croissante du "capital santé" de ces mêmes joueurs, au détriment de
leur performance en club. Mais l'arbitrage n'est guère simple car dans le même temps, c'est en
grande partie le statut d'international qui confère une valeur exceptionnelle à ces joueurs, et
permet d’espérer attirer un vaste public et de réaliser une bonne opération financière à la
revente.
Une autre façon de mieux exploiter le capital joueurs est de diversifier les ressources
qu'ils sont en mesure de générer en dehors du spectacle sportif stricto sensu. Nous ne
développerons pas ce point qui sort quelque peu de notre sujet, et concerne davantage la
stratégie générale des clubs. Il nous suffira ici de mentionner la multiplication des recettes
issues de ce qu'on a coutume d'appeler les "produits dérivés" (vente de maillots ou d'articles
divers utilisant le nom ou l'image des joueurs vedettes) voire de l'utilisation directe des
joueurs à des fins publicitaires ou promotionnelles. Ces pratiques conduisent à de véritables
coproductions (ou au moins à des opérations de co-branding) entre clubs et joueurs car ceuxci ont bien sûr leurs sponsors personnels.
3.2 – L’exploration de nouveaux gisements de talents
9
A la différence d’autres sports comme le rugby.
657
Face au risque ressenti de pénurie relative d’une ressource, les consommateurs de cette
ressource partent bien sûr en quête de nouveaux gisements ou de ressources de substitution.
Ce comportement très général est bien sûr largement adopté par les clubs de football, avec
bien sûr des spécificités dues aux caractéristiques de la ressource « footballeur de haut
niveau ». Les traits dominants de cette quête peuvent se résumer dans l’expression (pour
parodier Coubertin…) : plus profond, plus loin, plus tôt.
ƒ
Plus profond signifie que, tel le mineur qui creuse encore davantage les entrailles du
sol, les clubs vont vouloir exploiter plus à fond leur environnement. Les nouveaux
talents seront recherchés dans les clubs de division inférieure et plus simplement chez
les « égaux » ou dans les centre de formation reconnus. Ils seront aussi traqués dans
certains clubs amateurs réputés pour leur qualité, et dans les structures publiques
(sections sport-études des lycées par exemple). A la limite, des clubs sont tentés de se
débarrasser de leurs propres centres de formation, surtout lorsque ceux-ci n’ont pas le
rendement suffisant en termes d’éclosion de jeunes espoirs, et de s’orienter vers des
accords de partenariats avec des clubs moins huppés mais plus efficaces, en
s’impliquant (notamment financièrement) dans leur démarche de détection / sélection,
sous réserve d’exercer une sorte de droit de préemption sur les talents ainsi
découverts. Cette politique semble notamment suivie avec une certaine constance
depuis quelques années par l’Olympique de Marseille.
ƒ
Plus loin, cela veut dire que les clubs ne se contentent plus d’importer des joueurs
issus des « nouveaux pays producteurs » que sont les états africains et (de plus en
plus) l’extrême orient, ils s’implantent désormais dans ces pays. Non contents de
remplir leurs centres de formation de jeunes talents originaires de ces nations, grâce
notamment au réservoir et aux filières que constituent les familles africaines
immigrées en France, de nombreux clubs s’emploient dores et déjà à créer dans ces
pays des « académies » de football, à l’image de leurs centres de formation. Ceux-ci
sont alors appelés à devenir le lieu de concentration et de perfectionnement des
meilleurs parmi les centaines de jeunes étrangers qui auront été préalablement testés
dans leurs pays durant plusieurs années. Telle est semble-t-il la voie dans laquelle
s’engage en particulier le FC Nantes Atlantique, suivant en cela l’exemple célèbre de
l’Ajax d’Amsterdam. Cette voie trouve son complément public dans la politique de
658
naturalisation des meilleurs jeunes sportifs, c’est à dire ceux qui sont jugés aptes à
rejoindre à plus ou moins brève échéance les équipes nationales. Il faut noter que cette
politique est à double tranchant, lorsque les pays du Sud l’utilisent également à leur
profit, en naturalisant à leur tour des champions parfois négligés par leur fédération
d’origine 10 .
ƒ
Plus tôt, c’est la tendance que partagent aujourd'hui tous les sports à aller détecter, et
surtout capter des talents de plus en plus jeunes, et à les faire entrer dans la carrière
avant même qu’ils n’aient confirmé toutes leurs qualités. Une telle démarche n’est
possible qu’à la condition que son taux de succès soit suffisant, c’est à dire que l’on
soit capable d’estimer avec assez de fiabilité le potentiel d’évolution des jeunes dans
les tranches d’âge considérées. C’est loin d’être évident lorsqu’on touche des
adolescents de 12 à 14 ans, même si les techniques de mesure du potentiel
physiologique ont considérablement progressé, car celui-ci n’est pas un prédicteur
suffisant de la performance future. Une autre condition de cette approche est que son
coût soit le plus faible possible, compte tenu du taux d’échec prévisible. Ce coût peut
être faible en raison de l’origine sociale (donc des exigences des familles) des jeunes
recrutés. A cet égard, le football pourrait redevenir un sport de prédilection pour les
enfants de familles modestes à qui il ouvre des perspectives de promotion sociale,
alors qu’il avait progressivement attiré de nombreux pratiquants issus de toutes les
catégories sociales en raison de la valorisation croissante du statut de sportif
professionnel, au point d’être devenu le parfait décalque de la composition sociale de
la société française (Faure et Suaud, 1999). Ce coût peut aussi être nul ou quasi nul
pour le club recruteur lorsque les jeunes sont issus des centres fédéraux de
préformation, où leur sélection initiale et leur parcours auront été pris en charge par la
Fédération. En effet, anticipant les difficultés de recrutement à venir pour le football
français, la FFF met progressivement en place des centres dits de préformation,
spécifiquement conçus pour les adolescents entre 12 et 14 ans détectés au sein des
clubs amateurs ou du système éducatif public. Si certains auteurs (Wahl et Lanfranchi,
1995) ont vu la formation fédérale et spécialement l’INF comme « centre de formation
des clubs pauvres », la réalité de la compétition entre clubs pour s’arracher les jeunes
10
Chacun a ici en tête la naturalisation par la France du libérien Rio Mavuba (Girondins de Bordeaux) dès le
début des sélections du Mondial 2006, et la naturalisation par la Tunisie du brésilien Santos à la veille de la
Coupe d’Afrique des nations 2003.
659
issus des centres de préformation, et la hausse consécutive du montant des ANS
(accords de non-sollicitation) ont démenti cette prévision…
3.3 – La mise en œuvre de nouvelles formules de rétention
Prenant acte de la disparition avec l’arrêt Bosman des dispositifs traditionnels de
rétention des joueurs, de nombreux clubs n’ont pas tardé à expérimenter de nouvelles
formules contractuelles. Parmi celles-ci, trois d’entre elles nous paraissent mériter un examen
particulier.
Tout d’abord, l’allongement de la durée des contrats a paradoxalement constitué une
réponse spontanée des clubs à l’inflation des salaires. Ceci peut s’expliquer assez facilement
si on considère que pour le club qui engage un joueur le salaire est fixé au départ sur une base
forfaitaire et qu’il est difficile pour le joueur de prévoir ou négocier a priori les conditions de
réactualisation de sa rémunération. En contrepartie de hausses substantielles de salaires
concédées aux joueurs, les clubs leur ont donc fait signer des contrats de longue durée (4 ans
ou plus), assorties de clauses de résiliation 11 exceptionnellement élevées (plusieurs dizaines
de millions d’euros) dans le but de réaliser une opération financière à la revente du joueur. De
tels comportements ont eu pour effet de rendre spéculatif le marché des joueurs, avec
plusieurs conséquences :
ƒ
L’augmentation considérable du risque financier lié à l’investissement dans le capital
joueur. En effet cet investissement peut être perdu en totalité ou en partie en cas de
retournement du marché des transferts (ce qui est le cas depuis 2001 suite à la crise
économique des médias et au plafonnement, voire la baisse, des droits TV), ou encore
en raison d’une blessure rendant le joueur indisponible pour une longue période
(plusieurs dizaines de M€ ont été ainsi perdus par le Milan AC du fait de la grave
blessure de la vedette argentine Redondo achetée à prix d’or au Real Madrid).
ƒ
L’augmentation du risque sportif (comportant aussi des conséquences financières) si le
joueur ne confirme pas sur le terrain les espoirs placés en lui. Outre les tentations de
comportements opportunistes évoquées plus haut, il apparaît souvent qu’une telle
11
Ces clauses libératoires s’analysent bien sûr comme des « otages » au sens de la théorie des contrats.
660
situation engendre des frustrations chez le joueur qui est alors laissé de côté ou utilisé
à une place qui ne correspond pas à l’expression optimale de son talent. Cette
frustration peut contaminer alors le groupe et contribuer à dégrader la performance
collective.
ƒ
Enfin, faire signer aux joueurs des contrats de longue durée pour pouvoir les rompre
avant terme et donc réclamer au club acheteur le paiement des indemnités de
résiliation, a pour conséquence de laisser penser aux joueurs que la durée du contrat
est par essence une clause discutable. Ainsi, en prétendant lutter contre l’instabilité des
contrats, les clubs ont en quelque sorte officialisée celle-ci, et rendu de fait les contrats
re-négociables à tout moment.
Pour ces raisons, les clubs ont été amenés à réfléchir à des dispositions permettant de
concilier la mobilité du joueur et le maintien de la relation contractuelle. Une des formules qui
semblent se développer ces dernières années est le prêt de joueur durant une ou plusieurs
saisons. Les motifs qui justifient le prêt d’un joueur sont de plusieurs ordres. En premier lieu,
il peut s’agir d’un problème de sureffectif temporaire. Par exemple, tel club ayant constitué
son effectif en fonction de sa qualification dans une coupe d’Europe (dont le niveau
d’exigence est tel qu’elle nécessite pratiquement de disposer de l'équivalent de deux équipes
complètes de très haut niveau) peut n’être pas qualifié la saison suivante, et donc éprouver le
besoin d’alléger sa masse salariale pour cette saison là. Deuxièmement, il peut s’agir d’un pur
problème de casting. Pour préserver les équilibres de son équipe, un entraîneur est à certains
moments susceptible de se passer des services d’un joueur pourtant de grand talent : on a
affaire alors à une forme de contradiction entre performance individuelle et performance
collective. Dans ce cas, le club prêteur ne cherche pas nécessairement à ne plus porter la
charge du salaire du joueur, mais surtout à préserver (voire augmenter) le potentiel du joueur,
et naturellement sa valeur de revente, en faisant en sorte que le joueur continue d’être exposé
en haute compétition. Il est évident que le prêt se réalise préférentiellement au bénéfice de
clubs qui ne se trouvent pas en compétition directe avec le club prêteur, c’est pourquoi le prêt
est souvent international 12 .
12
Les aléas des compétitions européennes peuvent néanmoins faire en sorte qu’un joueur prêté se retrouve à un
certain moment en position d’adversaire de son club prêteur. Tel a été notamment le cas de F. Morientes, prêté à
l’AS Monaco par le Real Madrid durant la saison 2003-2004.
661
Enfin, une autre manière de retenir les joueurs dans un club consiste à jouer davantage
sur des éléments affectifs allant dans le sens de l’attachement du joueur au club qui
l’emploie. Traditionnellement, cet attachement était pensé sous les termes de « l’amour du
maillot », c’est à dire du partage de valeurs communautaires, forme sportive de l’implication
organisationnelle. Il est de fait que ces valeurs ont longtemps revêtu une tonalité
particulièrement intense dans l’univers sportif, pour plusieurs raisons que les sociologues ont
bien analysé : d’une part le champion sportif est vécu par le public comme l’ambassadeur de
la communauté dont il porte les couleurs, d’autre part la fusion dans le « collectif » répond à
un profond besoin de sécurité et d’identification chez le sportif. Cependant, dans un contexte
d’hyper-mobilité et de multiplication des engagements de courte durée, l’appel aux vertus
communautaires trouve vite ses limites. Les clubs ont donc été amenés à enrichir et à
personnaliser considérablement la « proposition de valeur » faite aux meilleurs talents. Pour
ce faire, les moyens peuvent être extrêmement variés, et sont fortement dépendants à la fois
des ressources du club et des penchants personnels du joueur, c’est pourquoi il est
pratiquement impossible d’établir une typologie précise des procédés mis en œuvre, qui
relèvent pour la plupart de ce que nous avons désignés ailleurs sous l’appellation de
cocooning.
3.4 – La recherche de nouvelles régulations
Encadrée par les lois nationales ou communautaires, régie par la profession et les
structures, parallèles ou emboîtées, dont elle s’est dotée au fil du temps, fédérations
nationales, confédérations continentales ou mondiales, ligues professionnelles, cercle des
clubs les plus riches du monde (G14) etc., l'organisation du football professionnel donne
l’image d’une industrie fortement régulée. Cependant, la multiplicité des instances de
coordination ne va pas sans générer incohérences ou contradictions. Ainsi, les ligues
professionnelles, qui rassemblent dans chaque pays les clubs pro, bien qu’affiliées aux
fédérations nationales de football, disposent d'une large autonomie et ont créé leurs propres
règles internes, différentes d’un pays à l’autre. C’est notamment le cas pour ce qui concerne la
négociation et la redistribution des droits TV issus des compétitions nationales, la mise à
disposition des joueurs dans les sélections nationales, ou encore les règles comptables et
l’accès aux marchés financiers. C’est pourquoi l’aspiration à l’émergence de règles
partagées au plan continental se fait de plus en pressante en Europe. Plus encore que dans
toute autre industrie, la régulation a pour objet de définir et de faire respecter les conditions
662
d’une concurrence équitable. Or, sur un marché du travail marqué par la guerre des talents et
les surenchères salariales qu’elle occasionne, assurer une concurrence équitable entre clubs
européens passe par deux sortes de mesures 13 : celles qui règlent l’accès à la ressource rare
que constituent les talents, et celles qui visent à assurer une redistribution des revenus en vue
de décourager les pratiques prédatrices ou de limiter leurs effets.
S’agissant du premier point, on a vu plus haut que le sport professionnel a
traditionnellement traité ce problème en introduisant des barrières à la mobilité des joueurs,
favorisant de ce fait la détection des jeunes talents et la prise en compte par les clubs de la
carrière des joueurs. On a vu également que l’arrêt Bosman a liquidé ce qui restait de ces
dispositifs traditionnels, et créé les conditions d’une mobilité internationale sans entrave pour
les joueurs. Cependant, la tentation reste forte de revenir à des pratiques restrictives. Arguant
notamment de la disparition progressive des styles nationaux en matière de jeu, et des dangers
que cette standardisation fait courir à l’intérêt du spectacle sportif, certains ont mis en avant la
proposition d’introduire dans les compétitions européennes la règle du « 6+5 », c’est à dire
limitant à 5 joueurs étrangers (sur les 11 joueurs présents sur le terrain) la composition des
équipes. Mais, trop voisine dans l’esprit des dispositions anciennes battues en brèche par
l’arrêt Bosman, cette règle nous semble avoir très peu de chance d’être adoptée.
Plus sérieuse en revanche apparaît la perspective de création au plan européen d’une
ligue professionnelle « fermée », selon le modèle des ligues américaines, dont l’archétype est
la NBA (National Basket-Ball Association). En effet, si les compétitions européennes de
football sont marquées par la tradition de l’élite « ouverte » (ce sont les résultats sportifs de
chaque saison qui déterminent les clubs qui ont accès aux compétitions continentales comme
la Ligue des Champions), ce n’est pas le cas aux Etats-Unis, où les clubs professionnels
constituent une ligue fermée disposant du monopole de l’organisation des rencontres sportives
mettant en jeu des joueurs professionnels. De ce fait, pour lutter contre l’inflation salariale et
rétablir des formes équitables d’accès aux meilleurs talents, les ligues US tendent à
réduire la concurrence entre clubs en réglementant strictement l’embauche : règles de nonsollicitation de joueurs sous contrat, et surtout répartition équilibrée des nouveaux joueurs
entrant dans la profession par le système de la rookie draft. Dans ce système, les joueurs
13
Nous mettons de côté ici les mesures générales qui relèvent directement des Etats et échappent à l’initiative et
au contrôle de la profession, comme notamment la question de l’inégalité des règles financières, fiscales et
sociales entre pays européens. Sur ces points, on consultera avec profit le rapport Denis (2004).
663
entrants sont classés en fonction de leur potentiel, estimé par un panel d’experts indépendants
des clubs, puis c’est dans l’ordre inverse du classement sportif des clubs que s’effectuent
successivement les options d’embauche. Ainsi, c’est le club a priori le plus faible qui dispose
d’un droit de préemption sur les meilleurs espoirs.
D’autres règles sont susceptibles d’être mises en œuvre, dont la visée est
principalement de redistribuer les revenus ou les charges des clubs à l’intérieur des ligues
professionnelles pour limiter les inégalités d’accès aux talents. Nous nous limiterons ici à
l’examen de deux d’entre elles, qui ont un impact direct en termes de management des talents.
La première est le fameux salary cap, c’est à dire l’introduction d’un plafond salarial. Ce
plafond n’est bien entendu pas individuel, mais concerne la masse salariale globale du club, et
nécessite donc pour sa mise place l’existence d’une instance de contrôle collective
indépendante des clubs. C’est effectivement le rôle que joue, au sein du football professionnel
français, la fameuse DNCG (Direction Nationale du Contrôle de Gestion) mise en place par la
LFP, qui peut, notamment sur la base de critères d’endettement ou de niveau de charges,
contrôler les recrutements des clubs. Cette mesure oblige les clubs à faire des arbitrages
délicats entre recruter des joueurs chers et disposer de l’effectif suffisant pour faire face aux
exigences des compétitions dans lesquelles il est engagé, ainsi qu’aux risques de blessure ou
d’indisponibilité des joueurs clés. En fait, le salary cap, lorsqu’il a été mis en place, a eu pour
effet de limiter la progression des salaires des joueurs, suscitant de ce fait d’énergiques
oppositions, comme le montre par exemple la grève des joueurs de la NHL (National Hockey
League) qui paralyse le championnat américain de hockey sur glace depuis le début de la
saison 2004-2005. En outre, les différences de réglementation d’un pays à l’autre favorisent
évidemment, au moins à court terme, les clubs qui ne sont pas soumis à des mesures
contraignantes. C’est une des raisons pour lesquelles le système du salary cap, bien que
périodiquement évoqué dans les instances dirigeantes du football européen, semble très
difficile à mettre en œuvre dans la pratique à l’échelle .
C’est pourquoi d’autres règles sont rendues nécessaires, parmi lesquelles celle de
l’indemnisation du club formateur semble à ce jour la plus consensuelle. A une époque où
il était relativement facile pour les clubs formateurs de financer leur démarche de détection /
sélection et d’apprentissage (démarche qui effectivement bénéficie à l’ensemble de la
profession en assurant un renouvellement régulier de la ressource, et peut donc être
considérée comme une externalité positive) grâce à la revente de jeunes talents à des clubs
664
plus riches et plus prestigieux, il n’était pas nécessaire de mettre en place d’autres dispositifs
pour favoriser la formation. On a vu plus haut que l’évolution du marché tend à rendre plus
aléatoires les revenus tirés de la revente de jeunes joueurs, même si celle-ci demeure une
source de revenus encore significative pour certains clubs. Par ailleurs, l’obligation faite à tout
club professionnel de créer et de faire fonctionner un centre de formation, introduite en France
par la loi du 16 juillet 1984, a constitué une aubaine pour les autres clubs européens, en
favorisant la constitution gratuite d’un vivier de jeunes espoirs dans lequel ceux-ci pouvaient
librement venir « braconner » (voir plus haut). C’est pourquoi l’obligation de formation
imposée arbitrairement à tous les clubs est probablement en voie de disparaître au profit d’une
mesure à caractère strictement financier : l’indemnité de formation. Celle-ci consiste, pour le
club qui embauche un jeune joueur (de moins de 24 ans si l'on suit les règles actuelles
édictées par la FIFA) en une obligation de payer au club formateur une indemnité forfaitaire.
Bien entendu, le montant et le mode de calcul de cette indemnité sont l’objet d’âpres débats
au sein des instances professionnelles compte tenu des enjeux économiques qui lui sont
attachés 14 . Dans son principe, cette indemnité de formation n’est pas sans rappeler les clauses
de dédit-formation pratiquées dans certaines professions, la différence majeure étant que
dans le monde du football, l’indemnité de formation est payée par l’employeur et non par le
salarié. Ce fait semble indiquer que le recrutement de jeunes talents par un club autre que
celui qui les a détectés est vécu par la profession comme un « braconnage » et non comme un
« hold-up » : c’est le club recruteur qui est supposé tirer bénéfice de l’opération, davantage
que le joueur.
Conclusion
Finalement, quelles conclusions générales tirer de ces analyses? L'examen de
l'évolution du marché du travail dans le foot pro nous a conduit au constat que la globalisation
du marché avait pour effet de renforcer symétriquement le pouvoir de négociation des
meilleurs talents et la position concurrentielle des clubs capables de les attirer. Le stade ultime
de ce processus, tel qu'on s'en approche dans d'autres sports et notamment le basket-ball aux
Etats-Unis, est paradoxalement celui d'une relative stabilité des effectifs dans les clubs les
14
Le coût moyen de formation d’un jeune footballeur dans le centre de formation d’un club français était estimé
en 2003 à 300 k€ environ.
665
plus riches, et au contraire d'un renouvellement extrême des effectifs d'une saison sur l'autre
dans la plupart des autres clubs. Dans un tel contexte de dualité, les armes qui peuvent faire la
différence entre les clubs au sein d'une même catégorie ne sont plus relatives à la surface
financière, mais à la capacité à se doter d'un effectif cohérent et performant au regard des
objectifs de performance poursuivis, et aussi la capacité à attirer et mobiliser les talents par
des stimulations autres que financières. C'est pourquoi les managers et entraîneurs de haut
niveau seront à l'avenir de plus en plus recherchés et… managés à leur tour comme des
talents! C'est d'ailleurs déjà le cas dans plusieurs clubs quelque peu avant-gardistes sous cet
angle comme par exemple Chelsea ou l'A.S. Monaco, qui ont d'abord recruté des entraîneurs
exceptionnels avant de constituer leur effectif de joueurs autour d'eux et sous leurs
instructions.
Au-delà du monde sportif, mais en restant dans l'univers des industries et des métiers
talent sensitive, ces réflexions conduisent à supposer que les modèles stratégiques pour attirer
et s'attacher les talents sont en réalité peu nombreux, et que les quatre types "idéaux" du club
formateur, tremplin, prestige ou identitaire, sont largement transposables et lourds
d'applications pratiques dans de nombreux secteurs. D’autant plus qu’un modèle nouveau
semble se dessiner dans le football professionnel, qui pourrait faire converger encore
davantage les stratégies de ressources humaines des clubs et celles des entreprises du « monde
réel ». Il s’agit bien sûr des stratégies d’alliances, sinon d’intégration « verticale », entre clubs
de statuts, d’ambitions, et souvent de pays différents, pour détecter, capter, former et faire
circuler (progresser, rebondir, recycler) les mêmes talents et les conserver tout au long de leur
parcours de carrière, associés à une même « entité de gestion ». Jeunes adolescents
prometteurs recrutés en Afrique, formés à Cannes, faisant leurs premières armes dans le
« grand bain » à Saint-Etienne, propulsés pour les meilleurs d’entre eux à Arsenal pour y
disputer les coupes d’Europe, et, après une brillante carrière professionnelle, se recycler
comme scout parcourant le continent Noir à la recherche de nouveaux talents… Image d’un
futur possible, recréant à l’échelle planétaire le lien historique entre le joueur et l’association
sportive dont il défend les couleurs.
666
BIBLIOGRAPHIE
•
Andreff W. et Nys J.F., Economie du sport, PUF, 2002
•
Arthur M.B., et Rousseau D.M., The boundaryless carreer : a new employment
principle for a new organizational era, Oxford University Press, 1996
•
Barney J., “Firm resources and Sustained Competitive Advantage”, Journal of
Management vol.17, 1991
•
Besseire des Horts C.H., Vers une gestion stratégique des ressources humaines,
Editions d’Organisation, 1988
•
Bourg J.F. et Gouguet J.J., Economie du sport, La Découverte & Syros, 2001
•
Brousseau E., L’économie des contrats, PUF, 1993
•
Cadin L., Bender A.F. et de Saint-Giniez V., Carrières nomades, Vuibert, 2003
•
Faure J.M.et Suaud C., Le football professionnel à la française, PUF, 1999
•
Gazier B., Les stratégies des ressources humaines, La Découverte, 1993
•
Joffre P. (dir.), La théorie des coûts de transaction, Vuibert, 2001
•
Latour B., Le métier de chercheur : regard d’un anthropologue, INRA éditions, 2001
•
March J. G. et Simon H. , Organizations, New York, Wiley & Sons; traduction
française : Dunod, 1964
•
Ménard P., L’économie des organisations, Editions La Découverte, 1990
667
•
Miles R.E. et Snow C.C., Twenty-first Century Carreers, in Arthur et Rousseau (op.
cit.), 1996
•
Ministère des Sports : Sur certains aspects du sport professionnel en France (Rapport
Denis), 2003
•
Mintzberg H., Le management : voyage au centre des organisations, Editions
d’organisation, 2004
•
Mirallès P., Le management des talents : une autre façon de viser la performance en
univers incertain, à paraître
•
Peretti J.M., Gestion des ressources humaines, Vuibert, 2004
•
Plane J.M., Confiance et management, Observer pour Agir n°3, 2004
•
Wahl A.et Lanfranchi P., Les footballeurs professionnels (des années trente à nos
jours), Hachette, 1995
•
Stankiewicz F., Economie des ressources humaines, Editions La Découverte & Syros,
1999
•
Thévenet M. et Neveu J.P., L’implication au travail, Vuibert, 2002
•
Thiétart R.A. et coll., Méthodes de recherche en management, Dunod, 2003
•
Weick K.E., Enactment and the boundaryless carrer : organizing as we work, in
Arthur et Rousseau (op. cit.), 1996
•
Williamson O.E., Markets and Hierarchies, Free Press (NY),1975
•
Williamson O.E., “Strategizing, Economizing, and Economic Organization”, Strategic
Management Journal vol. 12, 1991
668