Fascicule 1 - Canadian Association of Second Language Teachers

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Fascicule 1 - Canadian Association of Second Language Teachers
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La langue en jeu
dans les classes communicatives
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de français langue seconde
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Fascicule 1 : l’apprentissage
de la langue seconde
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Birgit Harley
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Professeure honoraire
Institut d’études pédagogiques de l’Ontario
Université de Toronto
L’ACPLS tient à remercier Birgit Harley, auteure de cette ressource pédagogique, qui nous permet
d’en reproduire ici un exemplaire pour le bénéfice des enseignants de FLS. Cet ouvrage est la
propriété intellectuelle de Mme Harley et son utilisation n’engage nullement l’ACPLS.
© Birgit Harley, 2013
REMERCIEMENTS
Je tiens tout d’abord à remercier vivement tous les enseignants et enseignantes qui m’ont accueillie avec
bonne volonté dans leurs salles de classe pour étudier, avec mes coéquipiers de recherche, l’acquisition du
français par leurs élèves. Sans leur coopération généreuse, ces fascicules n’auraient pu être produits.
Envers mes collègues à l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario, j’aimerais exprimer ma gratitude
chaleureuse pour leur appui soutenu. J’ai bénéficié surtout de la collaboration avec Sharon Lapkin dans
l’enseignement d’un cours sur la pédagogie de la langue française; Merrill Swain m’a initiée à l’étude
fascinante de l’acquisition de la langue seconde en salle de classe; et Alice Adler m’a aidée maintes fois
à trouver des ressources pertinentes. En faisant mes recherches, j’ai eu le plaisir de travailler avec des cochercheurs doués dont les contributions se retrouvent dans plusieurs activités de classe suggérées dans
ces fascicules. Joan Howard et Brigitte Roberge ont contribué au développement des activités lexicales
associées à la lecture (pages 31 à 34);
Doug Hart m’a aidée à construire le questionnaire sur le
vocabulaire (pages 41 à 43); Gladys Jean a développé le test de l’analyse de mots dont quelques exemples
sont tirés (pages 44 à 45); Gisèle Corbeil, Lynda Mackay et Rebecca Ullmann ont contribué à la création
du matériel visant les temps du passé (pages 102 à 104); et dans le domaine du genre grammatical, Yvette
Michaud et Joan Howard ont collaboré à la production des activités suggérées aux pages 64 à 66.
Je désire exprimer ma reconnaissance à ceux et celles qui ont lu des versions préliminaires de différentes
parties de ces textes et qui m’ont donné de précieux conseils.
Sharon Lapkin a fait plusieurs
recommandations bien motivées, Roy Lyster a fait des suggestions très utiles à propos du genre
grammatical, et Miles Turnbull m’a fait part de ses réactions perspicaces au fascicule Être et avoir. John
Erskine a manié adroitement sa plume rédactrice.
Je tiens aussi à remercier Elizabeth Stapells qui a su transformer des ébauches d’idées en dessins
divertissants, Bill Kimber qui a fourni les illustrations qui apparaissent aux pages 63, 64, 70, et 103, et
Nicole Keating qui a apporté des améliorations au niveau textuel.
Enfin, je voudrais reconnaitre avec gratitude la contribution de CASLT/ACPLS à la publication de ces
fascicules. En dépit de son agenda très chargé, Marc Delisle a pris soin de mettre au point le texte final
et d’en faire la mise en page.
La langue en jeu © Birgit Harley, 2013
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FASCICULE 1 :
L'APPRENTISSAGE DE LA LANGUE SECONDE
Six principes
Au cours de ces fascicules, six principes, qui sous-tendent l’apprentissage d’une langue seconde,
servent de base théorique à l’analyse de l’apprentissage des élèves dans des domaines
spécifiques du français.
1. Dans leurs efforts pour comprendre une nouvelle langue, les élèves motivés se
servent activement de tous les moyens disponibles
L’apprentissage d’une langue demande la participation active de la part de l’élève. Ce principe
s’applique non seulement au développement des compétences verbales et écrites dans la langue
seconde, mais aussi au développement des compétences réceptives. Afin de comprendre, les
élèves doivent s’engager activement à donner du sens à la langue reçue en utilisant le contexte et
les connaissances qu’ils ont déjà acquises de la nature de la langue et du monde.
Le fait que les élèves peuvent comprendre le message dans un certain contexte ne veut pas
nécessairement dire qu’ils aient identifié tous les liens pertinents entre les formes et leurs
significations. Il se peut qu’ils aient employé la stratégie utile de déduire le sens global du
message à partir de quelques indices présents dans le discours ou dans l’environnement externe.
Lors d’une étude d’une classe d’immersion à la maternelle, par exemple, on a trouvé un enfant
qui interprétait la question quotidienne de l’enseignante, « Quel temps fait-il? » tout simplement
comme une directive : « Look outside! » (Weber et Tardif, 1991).
Une autre stratégie communicative qu’utilisent les élèves novices consiste à identifier, puis
extraire des expressions globales du flot langagier qu’ils entendent. Ils se mettent ensuite à
produire ces blocs de langue dans des contextes appropriés sans pouvoir les diviser en mots
individuels.
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« What does that French word shpakabab mean? »
Leur approche lexicale envers la langue relève de la mémoire et se montre en accord avec ce
qu’on a trouvé dans d’autres études de jeunes apprenants, soit dans la langue maternelle ou dans
une langue seconde.
2. Pour apprendre une langue, il faut de l’attention
Il est évident que les apprenants inattentifs ont peu de chances d’avancer dans n’importe quel
programme scolaire, sans parler de la situation où ils se trouvent en face d’une nouvelle langue.
Parmi les nombreux facteurs qui empêcheront les élèves de s’appliquer à l’apprentissage, on peut
compter le manque d’intérêt, la fatigue, le bruit, la distraction par les camarades de classe, les
demandes de tâches excessivement difficiles et les instructions incompréhensibles. Les
recherches ont mené à la conclusion qu’en pratique, l’attention est essentielle à l’acquisition
d’une langue. En plus, selon Schmidt (2001, p. 29), pour apprendre, il faut faire attention aux
éléments propres à la langue, et non seulement au sens global, ce qui justifie les pratiques
d’enseignement qui dirigent l’attention des élèves vers les traits qu’ils risqueraient autrement de
ne pas remarquer. Selon Schmidt, ce qui requiert l’attention, ce sont les éléments de la langue
elle-même plutôt que les règles pédagogiques.
3. Les erreurs font partie intégrante de l’apprentissage d’une langue
Naturellement, les élèves n’arrivent pas toujours à faire les liens corrects entre les formes et leurs
significations : il est fort probable qu’ils fassent des erreurs et qu’ils n’utilisent pas certaines
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formes. Le fait d’articuler une forme particulière dans un contexte particulier de la langue
seconde n’indique pas nécessairement que l’élève ait maitrisé l’emploi de cette forme dans
d’autres contextes, ni qu’il ou elle ait bien compris l’étendue de sa valeur sémantique. L’élève ne
commence pas par comprendre à fond et ensuite seulement à parler. Les deux aspects se
développent en même temps. Donc les erreurs font partie intégrante de l’apprentissage d’une
langue, et la tâche de constater pourquoi telle ou telle erreur s’est produite est très importante
pour la personne qui cherche à aider l’élève à l’éliminer.
Le rôle de la complexité linguistique
Une des raisons pour le manque de liens et les faux liens entre les formes et leurs significations,
qui caractérisent le parler des apprenants et des apprenantes d’une langue seconde, est la
complexité propre à la langue elle-même. Au niveau débutant, par exemple, les élèves ne savent
peut-être identifier et produire qu’une seule forme simple et répandue de chaque verbe (par ex.,
prend, dit, va en français). L’élève qui se rend compte ensuite qu’on peut exprimer le passé en
ajoutant a devant la racine du verbe et –é après (par ex., mange > a mangé) risque d’appliquer
systématiquement cette règle à un verbe irrégulier tel que courir, ce qui donne l’erreur *il a
couré 1. Dans les recherches qui portent sur l’acquisition de la langue seconde, on appelle cette
sorte d’erreur une « surgénéralisation ». Elle indique que l’élève s’est emparé d’une règle
générale dans la langue seconde, mais qu’il ou elle n’en connaît pas encore les limites. Comme
nous le verrons dans les fascicules, les complexités propres à la langue française nous aideront à
expliquer un grand nombre de problèmes rencontrés par les élèves.
Le rôle de la langue maternelle
La langue maternelle de l’élève est une autre source majeure bien connue d’erreurs. Lorsque
l’élève dit « Je m’excuse, mais est-ce que tu peux me dire le temps? », il est évident que le temps
a été lié dans la tête de l’élève au sens du mot anglais time. L’élève suppose que le mot temps est
l’équivalent exact de time en anglais, alors qu’en réalité les significations de ces deux mots ne se
chevauchent que partiellement. Ce phénomène bien connu est appelé « le transfert langagier ».
1
Un astérisque placé devant un mot ou une expression dans le texte indique que c’est une erreur en français.
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Le transfert de la langue maternelle peut mener à l’erreur dans n’importe quel domaine de la
langue seconde, surtout en prononciation, mais aussi en grammaire, en vocabulaire et dans des
aspects plus étendus du discours. Toutefois, l’influence de la langue première n’est pas toujours
désavantageuse. Elle sert aussi de source fructueuse d’intuitions justes concernant la structure et
le vocabulaire d’une langue seconde, surtout quand il s’agit de langues étroitement liées comme
le français et l’anglais.
Une combinaison de sources d’erreurs
Chaque erreur commise par l’élève peut avoir plus d’une source. Une seule erreur peut être
provoquée à la fois par la complexité de la langue seconde et par l’influence de la langue
maternelle. Une surcharge d’opérations cognitives peut aussi causer l’erreur. Quand on parle
spontanément dans une langue seconde, par exemple, il faut intégrer plusieurs sous-habiletés à la
fois. Même si les élèves ont les connaissances requises, ils ne sont pas toujours en mesure de les
utiliser correctement sous la pression de la communication. C’est le cas, par exemple, quand on
ne leur donne pas assez de temps pour planifier ce qu’ils veulent dire ou comment ils vont le
dire, ou quand l’attention des élèves est accaparée par du contenu nouveau et difficile relatif à la
matière enseignée.
Le contexte de l’apprentissage
Le contexte dans lequel la langue est utilisée peut, en même temps, prolonger l’incidence de
certaines erreurs. Dans une salle de classe où les élèves sont entourés par des locuteurs et
locutrices de la même langue première et où ils ont peu accès aux natifs de la langue seconde, il
se peut que certaines erreurs soient vues par les élèves comme une norme acceptable. Les élèves
risquent de retenir à la longue des usages fautifs, mais mutuellement compréhensibles de
vocabulaire en français qu’ils prennent pour les équivalents exacts de mots anglais (par ex., le
temps).
L’évaluation diagnostique à partir des erreurs et les lacunes
Les erreurs que font les élèves fournissent des informations utiles pour l’enseignement; elles
servent de fenêtres à travers lesquelles on peut examiner l’état courant de « l’interlangue » (le
système linguistique en train de se développer) de chaque élève. L’évaluation diagnostique − qui
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n’est cependant pas infaillible − constitue un premier pas nécessaire dans la planification de
moyens efficaces pour augmenter les connaissances et les habiletés actuelles des élèves.
Les erreurs qui se manifestent ne sont pas les seuls indices d’ennuis. Il importe aussi de
déterminer quelles structures, significations, et mots ne se produisent pas, et d’observer si les
élèves attachent véritablement le sens correct aux formes qu’ils utilisent. Le message voulu par
l’élève est quelquefois assez différent de son énoncé qui semble à première vue correct.
En ce qui concerne les informations diagnostiques de ce genre, comment pourrait-on aider les
élèves à réviser continuellement leur compréhension et à faire des progrès dans la langue
seconde? Cette question primordiale n’a pas de réponse simple. Il y a quand même des besoins
généraux d’apprentissage que l’on peut identifier.
4. Les élèves ont besoin d’une expérience riche dans la langue seconde et de
rétroactions qui leur permettront de prendre conscience des éléments spécifiques
de la langue et de les assimiler.
Une expérience riche dans la langue seconde est la condition sine qua non de l’apprentissage de
cette langue. Il est clair, en même temps, que les élèves doivent être exposés à des données
langagières pertinentes pour construire mentalement un plan exact de la langue seconde. Ils
devront être exposés fréquemment à un langage oral et écrit qui leur permettra de « prendre
conscience » (Schmidt, 2001) des formes requises et de faire des liens appropriés entre les
formes et les fonctions. Dans le contexte de la salle de classe, ces conditions vont au-delà de la
simple exposition des élèves à un langage contextualisé et compréhensible, bien qu’ils en aient
certainement grand besoin. Comme nous l’avons déjà constaté, pour atteindre une
compréhension globale de la langue en contexte, les élèves pourront s’appuyer sur des indices
contextuels et sur le vécu, sans nécessairement faire attention aux détails grammaticaux et sans
comprendre à fond le sens de tous les mots. Les éléments de la langue nouvelle qui ne sont pas
essentiels à la communication du message, qui sont trop subtils ou qui ne s’accordent pas avec la
langue maternelle, ne vont pas se mettre en relief (Harley, 1993). Il y a plus de chances d’attirer
l’attention des élèves sur les éléments grammaticaux si ces éléments ressortent d’une façon ou
d’une autre.
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Du point de vue pédagogique, dans cette série de fascicules, nous favorisons les efforts pour
conscientiser les élèves à l’égard des distinctions pertinentes en français, en soutenant l’intérêt et
la motivation et en évitant de rendre l’apprentissage trop abstrait vu l’âge et les capacités des
élèves. Puisqu’il est évident que la langue maternelle joue un rôle significatif dans les erreurs
commises, il sera utile aussi de considérer les moyens d’attirer l’attention des élèves sur les
différences entre le français et l’anglais qui continuent de leur poser des problèmes.
Réflexion
La régularité dans la langue est une question de degré. En tant que données pertinentes, lesquelles parmi
les règles suivantes voudriez-vous communiquer aux élèves, et à quel niveau? Quels sont le pour et le
contre de chaque règle en termes de fiabilité (combien d’exceptions y a-t-il?), d’étendue (combien
d’exemples sont couverts par la règle, et celle-ci se rapporte-t-elle à l’oral autant qu’à l’écrit?), et de
niveau d’abstraction (quelle terminologie faut-il utiliser en l’énonçant?)?
(a) Les noms qui se terminent par –e sont généralement féminins.
(b) Les noms qui se terminent par –eau sont généralement masculins.
(c) Dans une phrase déclarative, le pronom personnel objet se met devant le verbe.
(d) Pour former un verbe à l’imparfait, prenez la forme de la première personne du
pluriel au présent, enlevez la terminaison –ons et ajoutez les terminaisons suivantes :
-ais, -ais, -ait, -ions, -iez, -aient.
(e) On crée d’habitude les adverbes en ajoutant –ment à la forme féminine de l’adjectif
correspondant.
(f) Les formes verbales à la 1re ou la 2e personne du singulier ne se terminent jamais par
–t.
(g) Pour dire l’heure, il faut utiliser il est, non pas c’est.
(h) Les dates commencent par le.
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Il est entendu que les enseignants et enseignantes devraient connaître suffisamment la grammaire
de la langue qu’ils enseignent afin, au moins, de fournir des informations précises aux élèves
lorsque ceux-ci présentent des demandes à cet égard. La capacité des élèves eux-mêmes à
profiter d’une règle explicite dépend de plusieurs facteurs, y compris l’âge et la maturité de
l’élève, ainsi que la nature de la règle elle-même − son niveau d’abstraction, sa justesse, sa clarté
et sa compréhensibilité. Il ne sert à rien de se rappeler une règle si elle ne mène pas à un usage
correct lors de la communication.
« Les règles de la route »
En général, les élèves comprennent mieux une règle simple qui ne fait pas ou fait peu appel à une
terminologie abstraite. Mais une règle approximative comme celle apparaissant à l’alinéa (a) de
l’encadré intitulé Réflexions, ci-dessus, manque de fiabilité; elle n’est qu’une généralisation
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grossière qui comporte de nombreuses exceptions, et risque d’engendrer la confusion plutôt que
l’éclaircissement. 2 Il faut noter aussi que cette règle et la plupart des autres règles
susmentionnées sont orientées vers la langue écrite et vers des aspects formels de la langue; les
élèves ont besoin aussi d’une aide qui vise l’emploi à l’oral, qui va au-delà de la forme et qui
traite des liens entre les formes et leurs significations.
5. Le savoir n’est pas la même chose que le savoir-faire : la pratique
communicative est essentielle
Un bon nombre de recherches menées en salle de classe ont démontré que les élèves exposés à
un enseignement analytique de la grammaire de la langue seconde apprennent plus que ceux et
celles qui ne reçoivent pas un tel traitement (voir, par ex., Doughty et Williams, 1998; Norris et
Ortega, 2000). Ces études, dont plusieurs ont eu lieu dans des classes d’immersion française
(Harley, 1998, Lyster, 2007), témoignent de l’utilité d’un processus explicite d’apprentissage qui
implique la conscience de ce qu’on apprend. Toutefois, les disparités entre les processus utilisés
dans chacune de ces études pour mesurer les progrès des étudiants ne permettent pas de conclure
avec certitude que l’enseignement analytique a mené à une compétence implicite et automatique
comparable à celle d’un locuteur natif.
Comme les psychologues de l’apprentissage le soulignent depuis longtemps, le savoir n’est pas
la même chose que le savoir-faire. L’apprentissage d’une langue seconde demande beaucoup
d’occasions de pratiquer l’écoute, la lecture et la production de distinctions de forme et de
fonction qui risquent de ne pas être remarquées. Pour employer la langue d’une manière efficace,
les élèves auront besoin de maîtriser couramment beaucoup d’éléments obligatoires de la
grammaire. Dans le contexte de la salle de classe, cela implique bien plus qu’un apport de
données langagières axées sur la forme. Il est nécessaire aussi de créer de nombreux contextes
significatifs qui permettront aux élèves de rencontrer ces éléments linguistiques à maintes
reprises et de s’exprimer avec précision en parlant et, avec le temps, en écrivant. Cela suppose
2
Mieux vaut peut-être dire le contraire : les noms qui ne se terminent pas par –e sont généralement masculins!
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aussi la création de tâches communicatives d’une manière qui favorise d’abord l’interprétation et
ensuite la production fréquente et correcte de formes et de structures spécifiques.
En ce qui concerne la production orale, on a observé une inclination naturelle de la part des
enseignants et des enseignantes à venir à l’aide des élèves novices en prenant sur leurs propres
épaules la majeure partie du poids de l’interaction dans la salle de classe. Ainsi, les élèves n’ont
qu’à donner de brèves réponses d’un mot ou deux aux questions qu’on leur pose (Swain et
Carroll, 1987). Cette façon d’agir est bien utile au niveau débutant, mais au fur et à mesure que
les élèves deviennent plus capables et indépendants, il faudrait les encourager à s’engager dans
des conversations plus prolongées. Comme l’a signalé Swain (1998), la production des élèves au
cours d’activités collaboratives avec leurs pairs peut les amener non seulement à parler plus
couramment, mais aussi à se rendre compte de l’écart entre ce qu’ils disent et ce qu’ils
voudraient dire. En plus, soutient-elle, la production favorise l’essai de formes et constructions
nouvelles, ainsi que la réflexion sur le langage utilisé. Dans cette série de fascicules, nous
examinerons une variété d’activités de compréhension et de production vues à la lumière des
besoins particuliers d’apprentissage.
6. Les élèves ont besoin de rétroaction
L’enseignant ou l’enseignante peut mettre en valeur les éléments qui causent des problèmes en
corrigeant les erreurs orales et écrites des élèves au cours de la communication. Bien entendu,
cette technique réactive d’enseignement doit être employée avec délicatesse pour ne pas humilier
ni décourager les élèves de telle sorte qu’ils ne voudraient plus prendre les risques essentiels au
développement linguistique. Il y a quand même ceux et celles qui s’inquiètent à l’idée de corriger
des erreurs orales au cours d’une leçon, de peur que cela ne fasse que décourager les élèves. Ce
n’était pas le cas, cependant, dans les classes d’immersion au niveau élémentaire observées par
Lyster (1999). Les corrections dans des classes de 4e et 5e années s’inséraient facilement dans le
discours sans à-coups et sans décourager les élèves de s’exprimer en français.
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Réflexion
Personne ne va corriger toutes les erreurs des élèves, sans exception. Au moyen d’une échelle qui
varie de 1 (pas du tout important) à 5 (très important), indiquez quel niveau d’importance vous attachez à
la correction des erreurs dans chacune des situations suivantes.
(a) Une erreur se présente dans un élément que vous venez d’enseigner; (
)
(b) Une erreur se présente dans un élément que vous n’avez pas encore enseigné;( )
(c) Une erreur linguistique survient au cours d’une leçon axée sur la matière (immersion); (
)
(d) Une erreur rend obscur le sens voulu de l’apprenant; ( )
(e) L’élève fait une erreur en faisant une présentation orale devant la classe; ( )
(f) L’élève fait une erreur en écrivant devant la classe; ( )
(g) Une erreur formelle se répète souvent sans nuire à la communication du sens; ( )
(h) Vous êtes frustré par une erreur qui semble résister à votre rétroaction; ( )
(i) Une erreur se produit qui risque d’irriter les locuteurs natifs du français. ( )
Si on corrige une erreur simplement en reformulant l’énoncé fautif de l’élève et sans donner
d’indication claire qu’une erreur a été faite, il se peut que l’élève ne perçoive pas cette
reformulation comme une correction, mais simplement comme une autre manière de dire la
même chose, qui approuve ce qu’il ou elle a dit. Des moyens plus efficaces de fournir de la
rétroaction corrective au cours de l’interaction comporteraient donc ce que Lyster (1994a, 1999)
a appelé « la négociation de la forme », qui consiste, par exemple, à réagir à l’erreur avec une
question ou un indice partiel, ou à faire ressortir l’erreur en la répétant d’un ton interrogatif. De
telles techniques demandent aux élèves d’exercer un effort mental pour essayer d’améliorer ce
qu’ils viennent de dire en corrigeant immédiatement leur énoncé original. Cette sorte de
négociation présume que les élèves ont les connaissances nécessaires pour corriger eux-mêmes
leurs « fautes » (c’est à dire, des lapsus ou des oublis momentanés). Si les connaissances
manquent, l’enseignant ou l’enseignante a d’autres alternatives : par exemple, faire remarquer
l’erreur puis la reformuler, ou fournir sur place une courte explication. L’acte d’offrir à l’élève
l’occasion de répéter la version corrigée devrait l’aider à la retenir. De plus, si l’erreur est
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fréquente et répandue parmi les élèves, la planification d’une réaction plus soutenue en guise de
leçon sera indiquée.
Activité
Enregistrez vos interactions avec les élèves pendant un ou plusieurs cours. Écoutez ou visionnez
l’enregistrement pour déterminer quand et comment vous avez corrigé les erreurs de langue. Combien de
fois avez-vous reformulé tout simplement l’erreur de l’élève en passant? Combien de fois est-ce que votre
réaction a provoqué une autocorrection de sa part? Utilisez les catégories de Lyster, illustrées cidessous, pour analyser vos techniques de rétroaction. (Dans ces exemples, tirés de transcriptions de
classes d’immersion de 6e année [Swain et Carroll, 1987], E. représente l’élève et P, le professeur.)
La reformulation :
E Il y a des certaines choses
P Oui, certaines choses
L’indice métalinguistique :
E (lisant) Il était * une fois
P Fais la liaison
E Il‿était‿une fois
La demande de clarification :
E J’ai venu te prendre
P Pardon?
E Je suis venu
L’incitation :
E J’ai fait mon projet
P Ton projet sur quoi?
E starvation
P C’est quoi ça en français?
La répétition :
E A-vous l’intention…
P A-vous?
E Avez-vous
Conclusion
Ce bref examen de quelques aspects clefs de l’apprentissage de la langue seconde sert à préparer
le terrain pour les thèmes des fascicules de cette série.
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 Des activités analytiques devraient complémenter, et non pas diminuer, l’orientation
communicative expérientielle;
 Dans les domaines de la langue française qui demandent de l’attention analytique, il faut
s’occuper du sens autant que de la forme; et
 Les activités pédagogiques devraient être d’un intérêt intrinsèque en rapport avec le vécu
personnel des élèves.
Chaque enseignant et enseignante est appelé à évaluer la pertinence de démarches spécifiques, et
à prendre soin de ne pas accabler les jeunes élèves d’explications analytiques qui vont au-delà de
leur niveau de maturité.
Références
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acquisition. Cambridge : Cambridge University Press.
Harley, B. (1993). Instructional strategies and SLA in early French immersion. Studies in Second
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Doughty et J. Williams (Eds.), Focus on form in classroom second language acquisition (pp.
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Lyster, R. (1994). La négociation de la forme : stratégie analytique en classe d’immersion. La
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Lyster, R. (2007). Learning and teaching languages through content: A counterbalanced
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Lyster, R. (1999). La négociation de la forme : la suite... mais pas la fin. La Revue canadienne de
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Norris, J., et Ortega, L. (2000). Effectiveness of L2 instruction: A research synthesis and metaanalysis. Language Learning, 50, 417-528.
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Classroom treatment (pp. 190-263). Toronto : Modern Language Centre, OISE. [ED 291248]
Weber, S., et Tardif, C. (1991). Assessing L2 competency in early immersion classrooms. La
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