Grande guerre: à Rouen, un monument à la mémoire des forains

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Grande guerre: à Rouen, un monument à la mémoire des forains
Dépêches tsiganes
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Grande guerre: à Rouen, un monument à la mémoire des
forains morts pour la France
Date : 30 janvier 2014
C’est un monument massif et allégorique qui s’élève au coeur de Rouen, place du Boulingrin,
et dont Rouennais et passants ne connaissent pas toujours la signification. Neuf marches
mènent à deux lions imposants traînant un char portant une déesse représentant la Gloire ailée.
De son bras gauche, la statue féminine soutient un Poilu mourant et de son bras droit elle tend
une couronne de lauriers.
L’édifice d’inspiration antique prend la forme d’un hémicycle de 11 mètres flanqué de quatre
colonnes surmontées d’un fronton sur lequel figure l’inscription « AUX FORAINS MORTS
GLORIEUSEMENT 1914 POUR LA PATRIE 1918?.
Ce monument constitue donc un haut-lieu de l’histoire des voyageurs et forains dont
l’engagement dans la Grande guerre est souvent occulté. Il représente un épisode à part dans
la folie de construction de monuments aux morts qui a secoué les survivants de la boucherie de
1914-18 si bien décrite dans le film « La vie et rien d’autre » de Bertrand Tavernier (1989).
Car si la moindre petite commune française insistait pour avoir son monument aux morts,
faisant la fortune de sculpteurs plus ou moins talentueux, sans surprise les Forains durent
batailler ferme pour obtenir un monument à la mémoire de leurs disparus.
Peu après la Première guerre, des forains désireux de faire édifier un tel monument créèrent à
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Asnières un comité présidé par le directeur de cirque Alphonse Rancy (1861-1932), gendre du
grand dompteur Bidel. La mairie de Paris et celle de Neuilly refusèrent leur autorisation. Plus
accueillant, le roi des Belges, Albert 1er, proposa d’ériger le monument à Bruxelles, en
reconnaissance de l’importance de la culture foraine dans ce pays.
Mais le comité tenait à ce que le monument soit construit en France et choisit finalement la ville
de Rouen, où se déroule traditionnellement depuis des lustres en octobre/novembre la foire
Saint-Romain, l’un des grands rendez-vous de la culture foraine.
Ce n’est que le 27 novembre 1930, que la ville de Rouen donna l’autorisation d’implanter le
monument au cœur même de la foire, place du Boulingrin, devant le pavillon des gardeschampêtres et à proximité du mythique cirque du Boulingrin édifié en 1894.
La réalisation fut confiée à l’architecte Jean Dahmen, sur une maquette du sculpteur Maxime
Real del Sarte (1889-1954). L’inauguration du monument, le 15 novembre 1931 fut marquée
par de nombreuses festivités, le cortège, emmené par la Musique Municipale, était conduit par
le Maire, Georges Métayer et le député Paul Anquetil, suivis par des membres de nombreuses
sociétés savantes, philanthropiques ou patriotiques et d’amicales d’anciens combattants et par
des représentants des forains français et de l’Union Foraine Belge. Par cette inauguration, les
forains remettaient officiellement le monument à la Ville de Rouen.
La cérémonie eut lieu peu avant la mort d’Alphonse Rancy, en 1932, qui fut inhumé dans
l’ancien cimetière d’Asnière dans une tombe toujours visible et ornée de son buste et d’un
majestueux lion en bronze.
Les lions du monument rouennais ne connurent pas la même paix. Lors d’un bombardement
en 1942, une torpille décapita l’un d’entre eux. Après la guerre, la ville de Rouen, qui était en
charge du monument, le fit restaurer par le sculpteur Richard Dufour. A l’issue des travaux, en
1949, une nouvelle inscription fut apposée au pied de la statue: A NOS MORTS DE LA
GUERRE 1939-1945, SOLDATS, REQUIS, DéPORTéS, VICTIMES DE L’EXTERMINATION
ET DU NAZISME. Les morts de la Première guerre et les victimes de la seconde parmi les
voyageurs et forains purent ainsi être associés en un même lieu dans la mémoire collective.
Pourtant ce lieu symbolique de l’histoire des forains et de l’histoire de France fut menacé dans
les années 1970 par la modernisation parfois sauvage de la ville.
Signe des temps, le Cirque du Boulingrin, magnifique salle de spectacle qui pouvait recevoir
jusqu’à 3.000 spectateur, est fermé puis détruit en 1973. Nombreux sont ceux qui ne se
remettront jamais de la disparition de sa silhouette massive qui avait accueilli depuis 1894 des
spectacles forains et circassiens, les premières séances de cinématographes de Pathé,
Gaumont ou Omnia, des congrès politiques en présence de grandes figures comme Jean
Jaurès, des concerts de Duke Ellington ou Louis Armstrong…En lieu et place de ce lieu de
culture et d’histoire, on érigea…un parking symbole s’il en est des erreurs d’urbanisme des
années 1970.
A proximité, le monument aux morts des forains était lui aussi menacé par les projets
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d’élargissement du boulevard de l’Yser. La Ville décida donc son transfert de quelques mètres,
dans l’angle formé par le boulevard, la rue des Marronniers et la rampe Saint Hilaire.
Les travaux, confiés à l’entreprise Degrave, furent plus délicats que prévu et durèrent sept
mois, le monument étant en grande partie en béton et pesant plus de 600 tonnes.
Aujourd’hui le monument est fleuri à chaque inauguration de la foire Saint-Romain par la Reine
des Forains accompagnée d’une délégation de forains et d’élus. Il l’est également au moment
des commémorations des deux guerres mondiales.
Alors quand vous passez à Rouen, allez voir le monument et pensez aux voyageurs et forains
qui ont versé leur sang pour un pays qui a souvent manqué de reconnaissance à leur égard.
Isabelle Ligner
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