QUIRIGUA, AUTEL DU ZOOMORPHE P (AUTEL P

Transcription

QUIRIGUA, AUTEL DU ZOOMORPHE P (AUTEL P
Jean-Michel Hoppan,
C.N.R.S. / laboratoire "Structure et dynamique des langues" (SeDyL/UMR8202)
automne 2016
Notice sur les inscriptions d'un fragment de stèle provenant possiblement de Aguateca
Petén (Guatemala), maya classique, 817 AD
1
2
3
4
5
Photographie du Musée Ethnographique de Genève
Redessiné d'après photographie
d'Alexandre Solcà
Conservé au Musée Ethnographique de Genève (Suisse), ce fragment de stèle en pierre
calcaire porte sur le devant les restes d'un décor gravé qui figurait un homme debout,
richement paré. Par l’intermédiaire d’un collectionneur qui indiqua sans plus de précisions
qu’il proviendrait du département guatémaltèque de El Petén, ce monument fut acquis par le
musée en juin 1978 et l’analyse générale de son style conduisit alors à le désigner sous le nom
de "Stèle A du Site Q" 1. Des détails de la parure du personnage 2 permettent toutefois de
rapprocher cette stèle de la Stèle 7 de Aguateca (voir annexe 1) et de conjecturer qu'il provient
peut-être du même site.
Dans la partie gauche du décor, cinq glyphes disposés en colonne (désignés de 1 à 5
dans le dessin ci-dessus) font face à ce personnage.
1
Le dit "Site Q" est un site hypothétique qui initialement fut identifié comme étant El Perú, site archéologique
qui se trouve effectivement dans le Petén. Ensuite, ce Site Q s’est cependant avéré comprendre aussi des
monuments provenant d’autres sites vassaux de l’ancien royaume de Kaan.
2
On observera en particulier les médaillons à l'effigie de la divinité T1017/SSJ (syllabogramme de valeur tsu et
logogramme de valeur TSUK « partage(r) »), que le personnage porte sur chaque épaule et en guise de pectoral,
ainsi que son ornement d'oreille à la longue perle cylindrique orientée vers l'arrière et la partie supérieure de sa
coiffe, sorte de couronne ornée de "rosettes" de type T627/XGF et surmontée par un syllabogramme de valeur to
T44/33A (dans lequel se dresse un pendentif tripartite inversé).
1
L'altération de la pierre ne permet de lire clairement que les trois premiers de ces
glyphes. L'état de détérioration du cinquième est tout particulièrement avancé.
Dans le souci de fournir au lecteur la base de l’identification de chaque graphème dans
les catalogues de signes de l’écriture maya les plus usités, les transcriptions ici proposées sont
d’abord effectuées "glyphe par glyphe", selon la codification de J.E.S. Thompson 1962 3 ainsi
que (au-dessous) selon la nouvelle codification de Martha Macri 2003/2009 4, de façon à ce
que ces systèmes se complètent pour une meilleure codification. Chacune de ces
transcriptions codifiées permet d’aboutir à une transcription des sons ou "translittération
brute" (en gras), servant de base à une "transcription finale" ou lecture en maya classique (en
italique). L’ensemble de ces lectures est finalement réuni dans un énoncé, dont l’analyse
juxtalinéaire permet la traduction en français. Les "translittérations brutes" correspondent à
celles que l’on donne en annexes 4 et 5 de notre ouvrage de 2014 5 et les "translittérations
finales" sont d’autre part obtenues des précédentes en se conformant au paradigme proposé en
1998 et 2000 par Stephen Houston, John Robertson et David Stuart pour la réalisation des
longueurs de voyelles en fonction de leurs constructions phonétiques synharmoniques ou bien
dysharmoniques 6.
Ainsi qu’il est d’usage dans les codifications au "glyphe par glyphe", un point (.)
correspond à une liaison horizontale entre deux signes à l’intérieur d’un glyphe ; deux (:) à
une liaison verticale ; des parenthèses autour d’une unité de code à un signe (ou groupe de
signes) incrusté à l’intérieur d’un autre par le procédé graphique dit de l’"infixation". Des
minuscules grasses correspondent à une translittération phonétique et des majuscules grasses à
une translittération logographique. Un point d’interrogation signale une lecture demeurant
hypothétique et un point d’exclamation un signe trop détérioré pour être identifiable, tandis
que l’abréviation Var désigne des variantes graphiques non répertoriées de signes inventoriés.
Superficiellement érodé tout en restant parfaitement lisible, le premier glyphe de l’inscription
gravée sur la "Stèle de Genève / Stèle A du Site Q" est celui d’une date dans le cycle
divinatoire de 260 jours (dit aussi tzolkin), unissant le nombre 13 au (2)0ème signe Ahau et
correspondant ainsi au nom du dernier jour d’un de ces cycles (qui, combinés au Plus Petit
Commun Multiple avec ceux de l’année "solaire" de 365 jours appelée haab, donnent les
dates élémentaires du calendrier maya dans le cycle de 52 années haab valant 73 tzolkin soit
18.980 jours).
3
J. Eric S. THOMPSON, A Catalog of Maya Hieroglyphs, 1962, Norman : University of Oklahoma Press. Les
chiffres mayas de type "point-barre" y sont codifiés en équivalents romains, selon le catalogue antérieur de
Zimmermann (Günter ZIMMERMANN, "Die Hieroglyphen der Maya Handschriften", Abandlung aus dem
Gebiet der Auslandskunde, Band 62, Serie B, Vol. 34, 1956, Hambourg : Hamburg Universität), et ne sont par
conséquent pas précédés dans les transcriptions par la mention T ou Z.
4
Martha J. MACRI & Matthew G. LOOPER, The New Catalog of Maya Hieroglyphs, Vol.1 – The Classic
Period Inscriptions, 2003, Norman : University of Oklahoma Press.
Martha J. MACRI & Gabrielle VAIL, The New Catalog of Maya Hieroglyphs, Vol.2 – The Codical Texts, 2009,
Norman : University of Oklahoma Press.
5
Jean-Michel HOPPAN, Parlons maya classique. Déchiffrement de l’écriture glyphique (Mexique, Guatemala,
Belize, Honduras), 2014, Paris : L’Harmattan.
6
Stephen HOUSTON, John ROBERTSON & David STUART, "Disharmony in Maya Hieroglyphic Writing:
Linguistic Change and Continuity in Classic Society", Anatomía de una civilización: Aproximaciones
interdisciplinarias a la cultura maya:275-96 (Andrés Ciudad Ruiz ed.), 1998, Sociedad española de Estudios
Mayas.
Stephen HOUSTON, John ROBERTSON & David STUART, "The Language of Classic Maya Inscriptions",
Current Anthropology, Vol. 41, n°3:321-56, 2000, The Wenner-Gren Foundation for Anthrolopogical Research.
2
Glyphe 1
T : XIII.T533:T125
M : 013.ZZ1(AM1)
’UXLAJUN/’OXLAJUN-’AJAW
uxlajuun/oxlajuun-ajaw
Seconde partie de la date, le deuxième glyphe est celui du nom du même jour dans le haab de
365 jours, unissant le nombre 3 au nom Xul du 6ème "mois (de 20 jours)" (ou « vingtaine »
uinal) de l’année en cours. Ce nom est celui du quatrième jour de ce "mois", et 104ème de
l’année.
Glyphe 2
T : III.T758Var:T116
M : 003.APE:1S2
’UX/’OX-TSIKIN-ni
ux/o(o)x-tsikin
Le troisième glyphe précise que cette date dans le cycle de 52 ans intervient, dans le décompte
du temps, au cours d’une 7ème année de compte de 360 jours ou tun.
Glyphe 3
T : T1.VII:T548:T142
M : HE6.007:XH2(:33K)
’u-HUK-HAB(/TUN/TUM-ma?)
u-huk-ha(a)b(/tu(u)n/tuum?)
Bien que le quatrième glyphe soit dans un état de détérioration nettement plus avancé que
ceux qui le précèdent, il est possible d’y reconnaître une forme transitive du verbe chok
« répandre », fléchie à la 3ème personne 7.
Glyphe 4
T : T1.T710:T130
M : HE6.MZS:2S2
’u-CHOK-wa
u-chokoow
7
Selon un certain nombre d’évidences épigraphiques comme iconiques, l’action rituelle de « répandre »
correspondait à une cérémonie divinatoire, effectuée par les dirigeants à l’approche de périodes cruciales dans le
calendrier, en particulier au jour d’arrivée des katun ou « vingtaines de tun » (périodes de 7.200 jours) écoulés
depuis le début de la chronologie maya. Ce "rituel d’aspersion" consistait à répandre dans des récipients des
gouttes (d’encens ch’aaj ou bien, selon une autre hypothèse, des graines), et/ou y placer des feuilles de papier,
que le dirigeant maculait de son sang. Ceci était ensuite brûlé et aurait été alors "interrogé", afin d’établir les
pronostics pour la période à venir.
3
L’état d’altération du cinquième et dernier glyphe visible de cette inscription est tel qu’il est
impossible d’en établir une transcription certaine, bien que l’on puisse parvenir à distinguer
qu’il était composé d’un signe principal probablement céphalomorphe, précédé par au moins
un signe introducteur (comprenant deux petits cercles séparés par un élément en forme de
croissant) et qui surmonte un "suffixe" de forme ovale.
Glyphe 5
T : !.!:!
M : !.!:!
?-?-?
?(-?)
Cela dit, le peu de vestiges subsistant de ce glyphe permet de le rapprocher possiblement du
dernier glyphe de l’élément 7 de la "série B" de l’Escalier Hiéroglyphique de La Corona (voir
annexe 2). Malheureusement, l’inscription s’arrête également là et ne donne pas plus
d’informations sur ce titre HUK-’a-’AJAW-le, d’un dirigeant qui a effectué un "rituel
d’aspersion au feu" en un jour [9.13.18;16.4] 13 Kan 2 Kankin, correspondant au 2/11/710
dans le calendrier grégorien 8. On notera toutefois que, comme Aguateca (et d’autres sites du
royaume de Dos Pilas, au sud du Petén dans le Petexbatún), La Corona était une cité vassale
de Kaan dans le Petén, dont les monuments avaient été initialement considérés comme
appartenant au "Site Q". Aussi est-il tout à fait admissible que de semblables glyphes titulaires
puissent être trouvés à la fois à La Corona et à Aguateca.
D’où l’énoncé suivant :
uxlajuun/oxlajuun-ajaw
13-Ahau
u-chok-oow[
3A-répandre-tr.[
ux/o(o)x-tsikin
3-Xul
ch'aaj]
goutte(r)]
u-huk-ha(a)b(/tu(u)n/tuum?)-Ø
3A-7-tun/année (de compte)-3B
(huk-ajaw-le[l])?
(7-seigneur-abst.)?
L’analyse juxtalinéaire de cet énoncé conduit à la traduction littérale suivante :
« [Le] 13 Ahau 3 Xul (= 9.19.6;17.0, correspondant au 30/4/817 9), c’est le 7e tun (du katun) et
…, ("celui des 7 règnes")?, a répandu du liquide (= effectué le rituel d'aspersion). »
La Stèle 7 de Aguateca représente le 5ème et dernier roi connu de Dos Pilas à Aguateca (Tan
Te' K'inich), à l'occasion de la deuxième célébration de "fin de katun" de son règne le
9.18.0;0.0 11 Ahau 18 Mac, correspondant au 9/10/790 dans le calendrier grégorien. Il paraît
peu vraisemblable que ce souverain, intronisé le 9.16.19;0.14 5 Ix 12 Pop (correspondant au
10/2/770 dans le calendrier grégorien) et dont on ne connaît plus de mention après 802, ait
8
Cette équivalence est calculée d’après la dernière version de la corrélation dite de Goodman-MartinezThompson (constante "584.283", faisant correspondre le jour initial de la chronologie maya au 11 août 3113
avant J.-C.) ; Cette corrélation est aujourd’hui la plus largement admise par la communauté mayaniste.
9
Cette équivalence est également calculée d’après la dernière version de la corrélation de Goodman-MartinezThompson (constante "584.283").
4
encore régné en 817. Aussi le personnage figuré sur la "Stèle de Genève" fut peut-être plus
probablement le 6ème roi de Dos Pilas à Aguateca (ou l'un de ses successeurs), représenté en
train de célébrer le dit "rituel d'aspersion" pour établir les pronostics de l'année de compte à
venir dans une « vingtaine (de jours) » (8e tun du katun en cours). D’une façon qui n’est
d’autre part pas sans rappeler la mention du rituel d’aspersion sur l’Élément 7 de la "série B"
de l’Escalier Hiéroglyphique de La Corona (où la date choisie intervient dans la dernière
« vingtaine » d’un katun), la date ici choisie est "numérologiquement parlante" et intervient à
l’accomplissement (13 Ahau) d’un dernier cycle divinatoire avant le début du katun à venir,
tandis que le nombre de jours écoulés depuis le début de l’année (104) est égal à la fois à deux
tiers de celui d’un tzolkin et à celui des années dans un double cycle de 52 ans.
Liste des abréviations juxtalinéaires :
-
3A = préfixe ergatif de la 3e personne
3B = suffixe absolutif de la 3e personne
abst. = suffixe abstractif
tr. = suffixe de transitivité
5
Annexe 1 :
Stèle 7 de Aguateca (Petén, Guatemala)
d’après Ian GRAHAM, Archaeological Explorations in El Peten, Guatemala, 1967, La Nouvelle-Orléans :
Middle American Research Institute of Tulane University, Pub. 33, Fig.17.
Nord (face antérieure)
6
Annexe 2 :
Élément 7 de la "série B" de l’Escalier Hiéroglyphique de La Corona (Petén, Guatemala)
(/ Panneau Glyphique 8 de l’Escalier Hiéroglyphique 2 du "Site Q")
d’après Ian GRAHAM
7