Rencontres sur Internet : l`amour en révolution

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Rencontres sur Internet : l`amour en révolution
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Le Cercle Psy | Éditions Sciences Humaines | France 2005. Portrait d'une société > France 2005. Portrait d'une société.
Rencontres sur Internet : l'amour en révolution
Pascal Lardellier
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come to Jamespot
Envoyer à un ami
Phénomène en pleine explosion, les rencontres en ligne révèlent la difficulté contemporaine à trouver l'âme sœur. Elles font également franchir un pas à la Sommaire du magazine
mise à distance du corps, caractéristique de nos sociétés contemporaines. Derrière ses aspects ludiques, ce nouveau marivaudage pose en outre une question fondamentale : qu'est-ce qu'une relation ?
SCIENCES HUMAINES RECRUTE
UN CHEF DE PROJET /
DÉVELOPPEUR WEB
Match.com, Meetic, Netclub, Amoureux.com..., les sites de rencontres (SDR) sur
Internet et autres plates-formes de discussion en ligne sont un véritable phénomène de société, rassemblant d'ores et déjà des millions de singles cherchant l'âme sœur,
mais aussi des aventures. Comment, en quelques années, Internet est-il devenu un
véritable eldorado pour toutes ces personnes en quête d'amour ? Quels sont les codes qui régissent la rencontre en ligne, et que nous apprennent-ils sur ce qu'est
une relation aujourd'hui ?
Pour répondre à ces questions, nous avons mené une enquête (par questionnaires et entretiens) auprès d'utilisateurs de ces sites. Il faut néanmoins rappeler, au Hors-série N° 50 - Septembre Octobre 2005
France 2005. Portrait d'une
société
préalable, que les rencontres « à distance » ne sont pas nées avec Internet, mais s'inscrivent dans un contexte plus ancien et plus général de crise de la rencontre.
Le célibat, phénomène de société
La fin des années 1990 et le tournant des siècles ont confirmé une double révolution 7€50 : ajoutez à mon panier Exemplaire papier livré sous 72H (France métropolitaine)
dans les sociétés occidentales : d'une part, le nombre toujours croissant de Grands Dossiers
N° 23
Juin - juillet - août 2011
célibataires, deux fois plus nombreux qu'il y a trente ans (actuellement 12 millions Sommaire du Grand Dossier :
Dossier
environ en France). Ces singles ? selon l'expression désormais consacrée ? ont Éditorial
accédé à une étonnante visibilité médiatique et éditoriale, comme en témoigne le Une société de l'incertitude
phénomène Bridget Jones. D'autre part, Internet a formidablement réussi sa L'Europe sert de bouc émissaire
pénétration sociale pour inventer des usages et des possibles inattendus, et toucher Politique : une démobilisation toutes les sphères de la société, de l'économie aux loisirs, de la culture à la paradoxale
pédagogie.
Des partis critiqués mais toujours Il semblait donc logique que les célibataires investissent la formidable technologie incontournables
sociale que constitue Internet pour y créer de nouvelles manières de se rencontrer. Les multiples visages de
Car le nombre toujours croissant de célibataires traduit et trahit d'abord une difficulté l'antisémitisme
contemporaine à rencontrer l'âme sœur, même si beaucoup de facteurs disparates et Politique municipale : la complexes ont contribué à la lente évolution du couple traditionnel. Urbanisation, émancipation politique, économique et sexuelle de la femme, pression des discours médiatiques, tragique apparition du sida..., depuis la fin des années surenchère sécuritaire
Entre ville et campagne : un nouvel Mensuel N° 227
juin 2011
espace de vie
1950, les couples et la manière de vivre l'amour s'étaient déjà trouvés bouleversés à Patricia Loncle - Santé : l'État ne peut plus agir seul
plusieurs reprises, avant l'arrivée des nouveaux outils de communication : le Minitel d'abord, le téléphone portable ensuite, Internet enfin. Depuis, la montée en puissance Nouvelle armée, nouvelles du « contrôle social » (d'origine nord-américaine) des relations a encore complexifié missions
les processus classiques de séduction (la « drague macho » du latin lover est décrite Économie : pourquoi la France estet décriée comme pratique rétrograde, primaire, insultante). Et ce parfois jusqu'à la elle morose ?
juridicisation, avec la banalisation de la notion de harcèlement (moral et sexuel).
Pierre Cahuc - Notre système social a été dévoyé
http://www.scienceshumaines.com/index.php?id_article=14037&lg=fr
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Parallèlement à cette « glaciation » des rapports, les singles ont vu depuis quelques
années les spécialistes du marché de l'édition et des loisirs, les scénaristes de cinéma et de télévision, les publicitaires et les thérapeutes s'intéresser à eux, avec un empressement proportionnellement égal à la manne qu'ils représentent. A la fin des Bruno Amable - Le capitalisme
européen a perdu sa cohérence
Niveau de vie : vérités et idées reçues
années 1990, les conditions étaient réunies pour que la « greffe numérique » prenne.
Car la Toile doit s'envisager avant tout comme une gigantesque machine à produire Quand travail rime avec pauvreté
N° Spécial N° 13
mai-juin 2011
des contacts, à tisser des liens, à générer des relations. L'ordinateur produit Serge Paugam - L'assistance ne
peut constituer une solution à la désormais des aventures et des histoires d'amour, et les couples Internet se pauvreté
comptent déjà par milliers.
Territoires : le phénomène cluster
De nouveaux modes de rencontre
Elisabeth Waelbroeck-Rocha et
Si pendant longtemps on s'est marié en obéissant à des logiques de classes et de Marie Rodriguez - Quels sont les
secteurs porteurs ?
communautés, on privilégie aujourd'hui l'épanouissement personnel et professionnel, et des expériences relationnelles et amoureuses plurielles. Avant Une lutte des classes... sans
même la formation du couple, la première difficulté aujourd'hui, pour le célibataire, classes
c'est donc celle de la rencontre. Pour pallier cette crise, les agences matrimoniales 1990-2005 : réforme ou méforme ont longtemps rempli une fonction sociale aussi discrète qu'efficace. Mais dès les de l'école ?
années 1960, d'autres modes de rencontre ont parallèlement gagné leurs lettres de Daniel Bancel - La très noblesse. Moins impliquantes que les agences, moins onéreuses, préservant un controversée formation des confortable anonymat, les petites annonces (PA) ont fleuri dans les journaux et enseignants
Mensuel N° 226
Mai 2011
magazines à mesure que le célibat montait en puissance. Le Chasseur français, Le La famille inégale
Nouvel Observateur, Libération (et ses chéri(e)s) : ces trois institutions de la presse Liberté de procréation : une française, visant deux grands lectorats, qui, des villes et des champs, poursuivaient la révolution inachevée
même quête de l'âme soeur, ont contribué à ériger les PA en genre à part entière, Antidépresseurs : un choix d e v e n u u n r e n d e z-v o u s i n c o n t o u r n a b l e d e s c é l i b a t a i r e s , e t u n b a r o m è t r e collectif ?
sociologique, aussi.
Les retraités forment-ils un lobby ?
Il y eut ensuite, dans les années 1980, le Minitel (rose, entre autres), sulfureux, Les nouveaux migrants chinois
controversé, qui fut néanmoins une formidable expérimentation sociale, quinze ans À quoi sert le dialogue interreligieux ?
avant le boom d'Internet.
Associations de solidarité : les Le Net, une révolution sociale et relationnelle
motifs de l'engagement
Mais depuis la fin des années 1990, Internet, les SDR et les forums de discussions Les sept univers culturels des
métamorphosent les stratégies de séduction. La révolution est déjà quantitative, tant Français
le Net a connu un engouement incroyable pour interconnecter des millions de Quand les loisirs copient la fiction
personnes cherchant quelqu'un à aimer, et surtout constituer une incroyable Ce que la télévision dit de la France
internationale du célibat. Match.com, Meetic, Netclub, Amoureux.com, tels sont L'individu connecté
quelques-uns de ces SDR qui ont connu un essor incroyable, cotés en Bourse pour Rencontres sur Internet : l'amour en certains.
révolution
Sur les SDR, chacun devient son propre « cyberagent matrimonial ». Un pseudo, une Recherche : les sciences fiche de présentation, un court texte résumant la personnalité et la quête, une photo humaines face à la réforme
éventuellement, et voici le (ou la) célibataire prêt(e) à entrer dans le grand bal masqué du Net sentimental. Ensuite, on s'écrit des messages dans les boîtes aux lettres électroniques (la relation est alors asynchrone) ou on chatte en direct sur les platesformes de discussion (chatting forums). Chronophage, la pratique est si absorbante
que de nombreuses web-singles souffrent de Net-addiction, illustrant à l'envi ce que Lancer une recherche sur :
certains spécialistes décrivent comme la tyrannie du branchement (Dominique - amour
Wolton) ou l'obsession du lien.
- Internet
Révolution sociale et amoureuse, Internet constitue une révolution relationnelle, aussi, tant les timides peuvent oser là ce qu'ils ne se permettraient pas dans la vraie vie. Sur le Net, ils sont affranchis du regard d'autrui et libérés de la pesanteur de ces corps dont ils ne savaient que faire avant.
Désormais protégés par l'écran, l'anonymat du pseudo et l'absence des corps, bien loin des lieux de représentation sociale, les singles peuvent se permettre toutes les
audaces. Orgueil, timidité et quant-à-soi se trouvent évincés d'un coup de clic, irrémédiablement relégués au rang de scories relationnelles d'avant le « cyberworld ». Quitte à voir se généraliser le zapping relationnel et l'industrialisation
de la drague. Car on passe des un(e)s aux autres sans justification ni explication, et
le jeu des lettres en « copier-coller » permet de contacter des dizaines de personnes
en même temps.
Dès les pages d'accueil, les SDR proposent des modes de recherches très performants, accompagnés de listes d'amis, d'indésirables (black lists) et de coups
de coeur. Ce faisceau de facteurs entérine un nouvel âge relationnel, caractérisé par un réalisme et un pragmatisme qui tendent à évincer le danger, l'erreur, les http://www.scienceshumaines.com/index.php?id_article=14037&lg=fr
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errements. Et la logique sentimentale qui s'impose est ostensiblement
consumériste : réduction des risques de toutes sortes, catégorisation des termes de sous la direction de Martine
Fournier
la quête, tentative de mise en adéquation entre ses aspirations et les contours très (et souvent trop) précis du partenaire idéal, et du couple rêvé. Avec, souvent, cette illusion que l'on sélectionne au mieux celui (ou celle) à aimer, en fonction de multiples critères physiques, sociaux et moraux : il faut en fait avoir les bonnes croix dans les bonnes cases. On peut à bon droit parler de marketing amoureux.
Mais le contexte numérique est aussi le premier qui voit des inconnus devenir intimes, tomber amoureux virtuellement, se séduire sans se connaître, reconfigurant (si l'on peut dire) le statut social et philosophique de la relation.
Auparavant, la relation (a fortiori amoureuse) se fondait sur la rencontre des corps, en
première lecture (voir la thématique romantique du coup de foudre illustrée par Phèdre devant le bel Hippolyte). Et c'est alors que tout commençait. La Toile permet de faire les choses à l'envers, puisqu'on se découvre de l'intérieur.
Hommes et femmes, des attentes différentes
Le Net sentimental des SDR se fonde sur une série d'asymétries fondatrices. Parlant d'amour, une différence radicale oppose les hommes et les femmes quant aux attentes, source dès lors de bien des malentendus et d'autant de désillusions. La plupart des abonnées sont là car elles souhaitent une rencontre sérieuse, voire la rencontre qui changera leur vie. La thématique du prince charmant est omniprésente, et on trouve sur les SDR un suremploi féminin des majuscules absolutisant l'amour et les valeurs afférentes.
« Le public féminin a tendance à magnifier ses rencontres virtuelles. Ces femmes dissocient le sentiment amoureux du désir sexuel, et construisent l'image d'un autre proche d'un rêve qu'elles ont en elles. Le Net peut être un excellent moyen de fuir le corps (1). » Sur les SDR, les hommes, par contre, sont nombreux à rechercher des aventures rapides qui, éventuellement, déboucheront sur l'amour. Car presque toujours sont dissociés pour eux le sexe et la flamme. Et Internet est accessoirement devenu le premier vecteur des adultères numériques.
Télédrague, marivaudage et libertinage en ligne ont plus que jamais le vent en poupe, grâce aux SDR. Quelques décennies après les balbutiements du Minitel rose, voici revenue la mode de la sexualité orale, c'est-à-dire parlée. Ce nouvel érotisme se fonde sur l'échange épistolaire (puis rapidement téléphonique) de fantasmes entre des abonnés ayant déjà noué une relation virtuelle intime.
Plus qu'un épiphénomène, cette télésexualité ressortit encore à cette mise à distance généralisée, et à ce contrôle total que le (et surtout la) célibataire postmoderne souhaite exercer dans l'absolu. Car il est très sécurisant de maîtriser le désir d'autrui et de jouer ? voire de jouir ? de ce contrôle. Et ils sont nombreux à évoquer la toutepuissance découlant de la gestion de dizaines de relations amoureuses virtuelles menées simultanément.
Internet, lien social et lien amoureux
La Toile et son expansion actuelle produisent des effets sociaux et relationnels
considérables. Mais avant tout, le Réseau pose des questions sociologiques d'importance. Car Internet, ni plus ni moins, renouvelle les notions de lien social et de
relation, obligeant à les penser autrement.
Qu'est-ce qu'une relation ? Plus seulement un face-à-face, mais des liens qui
peuvent outrepasser la présence et le visage, pour trouver leur origine ailleurs, avant ceux-ci, pour exister sans eux. Les critères classiques et millénaires de définition de la relation ont bel et bien été bouleversés par l'irruption d'Internet.
Depuis quinze ans environ, les (N)TIC posent avec acuité une vraie question épistémologique, oeuvrant surtout à une révolution copernicienne puisque l'on assiste à un changement de perspective. La première des révolutions d'Internet réside en effet dans ce décentrement et cette désincarnation des rapports sociaux, qui continuent pour autant à s'engendrer, quoi qu'en pensent les contempteurs du Net. Or, les célibataires sont les premiers bénéficiaires de cette « métamorphose du social ». Ils la vivent intensément, avec des risques et des délices nouveaux liés aux spécificités du Web.
Internet est peut-être une nouvelle forme de ce que Gregory Bateson appelait une « structure qui relie ». Il s'agit d'une matrice sociale qui, à l'instar des rites ou des fêtes, génère du lien, et contribue à engendrer et produire la société dans l'épaisseur http://www.scienceshumaines.com/index.php?id_article=14037&lg=fr
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insondable et la profondeur intangible de ses arcanes. Les technologies sociales
d'une société hyperindividualiste produisent paradoxalement les conditions d'une nouvelle « connectivité », agrégeant des « solitudes collectives » (D. Wolton).
Gustave Flaubert affirmait que « ce ne sont pas les perles qui font le collier, mais le
fil ». Des célibataires au Net, et des perles au collier, finalement, la métaphore est limpide. Ils sont désormais peu de chose les uns sans les autres. Perles et fil de longue date, singles et Web très récemment. Signe des temps, assurément...
NOTES
1
[1] P. Leleu, Newbiz, n° 17, janvier 2002.
Pascal Lardellier
Professeur en sciences de l'information et de la communication à l'université de Bourgogne, il a publié récemment Les Nouveaux Rites. Du mariage gay aux
Oscars, Belin, 2005, et Le C?ur net. Célibat et amours sur le Web, Belin, 2004. Le
présent article développe certains des points théoriques de cet ouvrage.
Toujours plus de personnes seules
Proportion en % de ménages de une personne parmi l'ensemble des ménages.
En 1999, les ménages composés d'une seule personne (c'est-à-dire, pour l'Insee,
les personnes vivant seules dans leur appartement) représentaient 12,6 % de la population française, deux fois plus qu'en 1962. La moitié de ces personnes seules sont âgées de 60 ans ou plus. Avant 30 ans, une personne sur 6 vit seule, et on compte parmi elles autant d'hommes que de femmes. Entre 30 et 50 ans, la
solitude concerne seulement une personne sur 10, et deux fois plus les hommes
que les femmes. La parité est rétablie à partir de 51 ans, quand le nombre de personnes seules augmente fortement.
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