Les sources du sentiment d`appartenance national Aujourd`hui
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Les sources du sentiment d`appartenance national Aujourd`hui
Les sources du sentiment d'appartenance national Aujourd'hui encore, les citoyens sont abreuvés quotidiennement d'informations concernant les moindres faits et gestes de leurs dirigeants, les faits divers qui se sont produits dans leur pays, les exploits sportifs de leurs champions. (…) Cette focalisation des citoyens sur la politique de leur propre Etat (quel que soit son contenu) a joué un rôle essentiel dans le processus de différenciation des communautés nationales étatisées depuis le XIXe siècle. Dans le même ordre d'idées, nous devons être attentifs au fait que chaque Etat nation a développé une infrastructure communicationnelle ayant des caractéristiques propres. Plus les citoyens ont été confrontés dans leur vie quotidienne avec elle, plus ils se sont familiarisés avec son fonctionnement, plus cela a consolidé le sentiment d'appartenance nationale. Prenons l'exemple de l'enseignement. Quel que soit le contenu des programmes, le simple fait de créer une éducation « nationale », diffusant dans l'ensemble de la population vivant sur le territoire le même programme scolaire, la même langue, la même histoire, la même littérature, ne pouvait que favoriser chez les individus concernés le sentiment d'appartenir à une même communauté de référence. Mais d'autres instruments de la souveraineté nationale ont certainement aussi joué un rôle à ce niveau. Une étude sur l'histoire de la monnaie serait à cet égard très significative. Non seulement parce qu'elle matérialise une forme de solidarité économique entre tous les salariés travaillant sur le même territoire national, dont le niveau de vie dépend de la fluctuation du marché des changes, mais aussi sur le plan formel. La diffusion de la monnaie a fait pénétrer à la fois le capitalisme et l'Etat national dans la vie quotidienne de tous les citoyens : le nom de la monnaie (le franc, le deutschemark, etc.), les personnages illustres gravés sur les pièces ou imprimés sur les billets, les gestes (recompter sa monnaie, faire de la monnaie), tous ces « détails » contribuent à faire exister la nation dans l'esprit des citoyens. À tel point qu'aujourd'hui l'une des formes majeures du « dépaysement » pour le touriste qui quitte son pays tient souvent aux difficultés qu'il éprouve pour utiliser une monnaie qu'il ne connaît pas. Il ne s'agit là, naturellement, que d'un exemple parmi d'autres. Sur un plan plus général, on constate que la mise en oeuvre des principes qui caractérisent la citoyenneté a justifié l'intervention de plus en plus envahissante de la bureaucratie dans la vie quotidienne. Lorsque les élus du peuple adoptent une loi, l'administration doit faire en sorte qu'elle devienne effective pour tous les individus qui sont concernés. D'où l'importance considérable qu'a pris le travail d'identification administrative, destiné à assurer que chaque membre de la communauté nationale est « en règle », qu'aucun d'entre eux n'usurpe sa qualité d'« ayant droit ». Or, ce travail d'identification se déploie au niveau de tout l'espace national. Il ne peut pas reposer sur les formes d'identification qui dominaient dans les petites communautés rurales d'autrefois (interconnaissance, face à face, etc.). L'identification à distance que pratique l'administration nécessite que tous les individus dépendants d'un Etat national aient été, au préalable, saisis par l'écriture. Gerard Noiriel. Etat, nation, immigration, Belin 2001