Archives - Association des archivistes du Québec

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Archives - Association des archivistes du Québec
AVANT-PROPOS
Un regard sur le
monde archivistique
Particularismes et similitudes
Jacques Grimard
L
es éditeurs de la revue Archives nous invitent, dans ce numéro, à porter le
regard au delà de nos frontières et nous offrent une belle série d’articles sur les systèmes et pratiques archivistiques de cinq pays avec lesquels les archivistes nord-américains francophones du Québec et du Canada ont l’occasion d’entretenir des rapports
professionnels ponctuels ou suivis. Ce sont : la Belgique, la France, l’Italie, la Suisse et
la Tunisie. Un survol rapide des tables de matières de la revue pour la dernière décennie nous indique que la revue a régulièrement fait appel à des collaborateurs de l’extérieur qui ont su nous faire part de leurs points de vue sur différents aspects de la
théorie ou de la pratique archivistique. Mais, à notre connaissance, c’est la première
fois que les éditeurs, dont il faut ici saluer l’initiative, réunissent des textes qui nous
permettent de comprendre l’archivistique telle qu’elle se vit dans cinq régions différentes qui, au surplus, nous sont culturellement familières ; qu’ils nous offrent l’opportunité d’en voir les particularismes et d’en reconnaître les lignes de force et les points
communs.
Six auteurs, chefs de file parmi les plus expérimentés dans leurs milieux professionnels respectifs, tracent d’abord un portrait sommaire de leurs pays, nous parlent de géographie, de démographie, d’économie, de culture, d’histoire et de systèmes
politiques et nous laissent, en somme, entrevoir les particularités de l’environnement
dans lequel baignent et évoluent leurs différents systèmes archivistiques. Ils abordent
par la suite le cadre juridique, le domaine des lois, règlements, décrets et autres ordonnances qui régissent leur gestion des archives et leurs pratiques archivistiques. Puis,
avant d’en dresser un bilan, ils présentent leur univers archivistique : les éléments de
leurs divers systèmes ou de leurs réseaux d’institutions et de services, depuis leurs
institutions nationales d’archives jusqu’aux écoles ou programmes de formation, en
passant par les instances régionales, locales ou spécialisées d’archives publiques et
privées ou par les associations professionnelles ; les difficultés et les défis auxquels ils
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sont confrontés et les grands chantiers de réflexion et de travail qui les mobilisent.
Leur regard nous est d’autant plus précieux que ces divers collaborateurs connaissent
bien leur milieu, dans lequel ils jouent souvent un rôle de premier plan, et qu’ils sont
capables à la fois d’en présenter un tableau nuancé et instructif et d’en considérer les
forces et faiblesses d’un œil critique. Leurs propos et leurs analyses nous sont d’autant
plus utiles qu’ils sont susceptibles de nous aider à apprécier notre propre réalité et
qu’ils comportent, à cet égard, plusieurs observations riches d’enseignement.
Ce qui frappe à la première lecture de ces textes, c’est probablement la diversité. Voici cinq pays différents par le climat, la géographie, la démographie et le cadre
politique. Les lecteurs de la partie septentrionale de l’Amérique du Nord, qui constituent le gros du lectorat de la revue Archives, savent bien après tout qu’atterrir à
Bruxelles en février n’est pas nécessairement pas la même chose que de toucher, à
pareille date, le sol de la côte est tunisienne ! Mais plus sérieusement et au delà de ces
triviales considérations d’ordre climatique, d’autres différences ressortent et influencent sans doute plus directement l’évolution des systèmes archivistiques. Qu’on pense,
par exemple, non seulement à la diversité géographique mais au fonctionnement particulièrement décentralisé de la Suisse par rapport à la longue tradition de centralisation qui caractérise les institutions politiques et l’administration française. Qu’on songe
à l’homogénéité linguistique de l’Italie et de la France modernes par rapport au
multilinguisme qui prévaut en Suisse et au bilinguisme de la Belgique et de la Tunisie.
Autre facteur non négligeable : l’histoire. Voici en effet cinq pays dont les frontières et
les systèmes politiques actuels remontent à tout au plus deux siècles. Deux siècles
précédés d’une longue évolution multimillénaire au cours de laquelle des peuples et
des ethnies différentes se sont taillé des territoires, se sont donné leurs propres institutions politiques, se sont fait la guerre, ont pratiqué des échanges commerciaux, se sont
mutuellement influencés au plan culturel et se sont retrouvés, au gré des alliances, des
conquêtes territoriales et des défaites militaires, intégrés à de vastes empires ou à des
régimes politiques étrangers, voire ennemis. Les archives des cinq pays présentées ici
gardent trace de cette riche aventure humaine. À cet égard, on lira avec intérêt les
rappels historiques de Maria Barbara Bertini sur l’Italie et de Bessem Khouaja sur la
Tunisie. Qui plus est, l’évolution récente des cinq systèmes archivistiques nationaux
auxquels nous introduisent les auteurs reflète et témoigne du cheminement de l’organisation politique et du développement des institutions administratives, judiciaires ou
autres propres à chacun des pays dont il est question. Les propos de Rolande Depoortere
sur le « système archivistique national » belge et ceux de Barbara Roth-Lochner et
François Burgy sur la « fureur du particularisme » et plus particulièrement sur
l’« Organisation des archives en Suisse » mettent bien en lumière ce rapport étroit
entre archives et sociétés. Les considérations de Bruno Galland et de Maria Barbara
Bertini et Louis Fournier sur l’émergence d’instances régionales d’archives en France et
en Italie sont également intéressantes à cet égard. Tout comme d’ailleurs les réflexions
de Mme Depoortere et de Bessem Khouaja qui laissent bien entrevoir les différences
entre, d’une part, le système archivistique belge en voie d’adaptation à la décentralisation poussée du régime et des institutions politiques nationaux et, d’autre part, les
infrastructures archivistiques tunisiennes qui, par comparaison, apparaissent comme
un modèle de centralisation.
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Au-delà de cette diversité et des particularités, les textes réunis ici font cependant ressortir des parentés, des similitudes, voire des convergences. Qu’ils exercent
leur profession à l’ouest, au centre, au nord, au sud de l’Europe ou encore au nord de
l’Afrique, nos collègues sont confrontés essentiellement aux mêmes défis. Ce sont surtout :
1. Le sous-financement des archives qu’identifient plus particulièrement Mme
Bertini et Louis Fournier à propos de l’Italie mais qu’évoquent aussi Rolande
Depoortere et Bruno Galland à travers leurs commentaires sur les difficultés à recruter du personnel et à se doter de bâtiments d’archives appropriés ; une problématique où les lecteurs québécois de la revue Archives se
retrouveront, leur gouvernement investissant bien peu dans les infrastructures archivistiques au regard des dépenses qu’il effectue dans les secteurs
culturels voisins, comme le patrimoine, les bibliothèques et les musées.
2. La difficulté à se doter d’infrastructures de préservation, y compris et
surtout de bâtiments, appropriées et essentielles au maintien à long terme,
à la communication à travers le temps, de l’authenticité et de la fiabilité des
témoignages documentaires laissés par les générations précédentes et de
ceux qu’entendent transmettre nos contemporains. Ici les besoins semblent
se faire plus pressants en Italie, en France et en Tunisie où des archives,
qu’au nord de l’Amérique nous qualifierions d’anciennes, ne sont pas
adéquatement protégées.
3. La complexe et coûteuse gestion des documents et/ou des archives électroniques et numériques qui commandent des interventions professionnelles
dès leur conception et dont l’organisation intellectuelle et la communication exigent des approches, des procédés et des méthodes innovateurs, des
expertises nouvelles et multiples ainsi que des infrastructures technologiques sophistiquées. Les réalités évoquées à ce sujet par Bruno Galland pour
la France, par Bessem Khouaja pour la Tunisie et par François Burgy et
Barbara Roch-Lochner pour la Suisse rejoignent les préoccupations de la
communauté archivistique internationale et reprennent plusieurs des questionnements soulevés dans la littérature professionnelle et scientifique.
4. L’impérative nécessité de rendre accessibles et de donner accès aux contenus des archives à une époque où les sociétés démocratiques exigent plus,
beaucoup plus, de transparence de la part de leurs gouvernants et adoptent
des Politiques de gestion intégrée et ouverte de l’information après s’être
donné des lois d’accès à l’information et de protection des renseignements
personnels ; où les technologies de l’information et des communications
(TIC) offrent des possibilités illimitées en matière de circulation et d’exploitation des contenus informationnels et de valorisation des archives ellesmêmes et des services archivistiques ; où les clientèles des services et institutions d’archives se sont diversifiées et élargies pour inclure le grand public,
les administrateurs ainsi que les chercheurs professionnels de tous horizons
disciplinaires. Ici, les réflexions de nos collègues suisses sur la «diffusion»
des archives et leurs propos en première partie de leur «Bilan, préoccupations et perspectives» constituent de beaux sujets de méditation non seule-
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ment sur la dimension politique de la problématique d’accès aux archives
mais aussi sur la fonction des archives au sein de nos sociétés.
5. Le développement et le renouvellement de la profession qu’évoquent par
plusieurs biais la plupart des auteurs. Jean-Pierre Defrance dresse un bel
état de la formation offerte par le Bureau des métiers et de la formation de
la direction des Archives de France. Les pages que nous offrent tous ces
collaborateurs sur les associations professionnelles et les institutions de formation et de recherche dans leurs pays respectifs rendent également compte
du niveau d’organisation, de cohérence et de professionnalisation de la profession. Elles traduisent une riche diversité et font état de traditions et
d’acquis qui commandent l’admiration et le respect. Elles donnent aussi la
mesure du chemin à parcourir et des efforts à consentir pour harmoniser
les pratiques là où il sera nécessaire de le faire, pour mettre en marche des
initiatives de coopération et de concertation entre ces divers systèmes d’archives lorsque la situation le commandera et pour favoriser l’émergence
d’une profession forte, reconnue et appréciée par les sociétés qu’elle a pour
mission de servir.
On reconnaîtra dans ces cinq points certaines problématiques avec lesquelles
les archivistes canadiens et québécois sont particulièrement familiers. Entre autres
choses, le financement des systèmes d’archives, l’organisation et la préservation des
archives numériques et la communication et la valorisation des archives mobilisent
également les esprits de ce côté-ci de l’Atlantique. En plus d’enrichir leur connaissance
de l’archivistique telle que pratiquée en Belgique, en France, en Suisse, en Italie et en
Tunisie, les lecteurs trouveront ici de quoi alimenter leurs propres réflexions et leurs
débats professionnels sur ces grandes questions.
Jacques Grimard
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École de bibliothéconomie et des sciences de l’information. Université
de Montréal
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