Lettre ouverte aux curés de nos paroisses sur l`exclusion des

Transcription

Lettre ouverte aux curés de nos paroisses sur l`exclusion des
www.comitedelajupe.fr
13 octobre 2012
Lettre ouverte aux curés de nos paroisses
sur l’exclusion des femmes des fonctions liturgiques
Monsieur le curé, cher pasteur,
Dans certaines paroisses, peut-être la vôtre, les femmes ne sont plus appelées à servir à l’autel
comme enfant de chœur ou à distribuer la Communion, voire à lire les Écritures.
Nous, femmes et hommes nourris de l’Eucharistie, sommes blessés que le sacrement de la
communion de l’Église soit utilisé pour séparer et exclure. Nous souhaitons mieux faire
connaître le droit de l’Église en cette matière (cf. pages suivantes) et faire valoir des
arguments pastoraux qui ont peut-être été négligés.
Concernant les enfants de chœur ils semblent parfois comme engagés sans le savoir dans…
un « petit séminaire ». Nous préférons les voir comme des fidèles prenant une part plus
active et consciente à la liturgie, comme le désirait Paul VI. Par ailleurs, du point de vue des
normes ecclésiales en vigueur, la décision d’appeler ou non des filles au service de l’autel est
fondée uniquement sur des raisons pastorales. Nous vous invitons donc à considérer avec
bienveillance l’enjeu pastoral qu’est la manifestation publique de l’égale dignité des femmes
et des hommes reconnue par l’unique baptême. Cette égale dignité dans le baptême peut-elle
être sacrifiée à l’éventualité de susciter des vocations de prêtres ?
Concernant la lecture des Écritures et la distribution de la Communion, aucune norme de
l’Église ne permet d’en exclure les femmes. Nous encourageons donc les fidèles à venir vous
exprimer leurs besoins spirituels et leur préoccupation pour le bien de la communauté, hors de
toute revendication personnelle.
Nous croyons que les actions liturgiques sont une célébration de l’Église « sacrement d’unité,
c'est-à-dire peuple saint, rassemblé et ordonné sous l'autorité des Évêques ; c'est pourquoi
elles concernent le corps de l'Église tout entier, le manifestent et le réalisent » (canon 837). Ce
qui est manifesté aux fidèles et au monde par l’exclusion des femmes de ces fonctions
liturgiques ouvertes aux laïcs, témoigne-t-il de l’amour de Jésus-Christ ?
Nous souhaitons témoigner avec vous de la grâce du baptême et de la dignité des baptisés.
Dans cette espérance, nous vous prions de croire, monsieur le curé, cher pasteur, à notre
amitié dans le Christ et au respect pour votre ministère évangélique.
Le bureau du Comité de la Jupe
1/4
Communion et lectures : que dit le droit de l’Église ?
Selon le droit de l’Église, il est permis aux femmes, comme à tout laïc, d’être appelées à lire la Bible
ou à distribuer l’Eucharistiei. Il n’existe pas de droit personnel à exercer ces fonctions liturgiques mais
il n’existe pas non plus ici de distinction licite entre les fidèles sur la base du sexe : les femmes ne sont
pas des fidèles de seconde zone. En opposant un refus de principe à l’accès des femmes à ces
fonctions, le curé lèse l’égale dignité des femmes laïques.
Canon 208
« Entre tous les fidèles, du fait de leur régénération dans le Christ, il existe quant à la dignité et à
l'activité, une véritable égalité en vertu de laquelle tous coopèrent à l'édification du Corps du Christ,
selon la condition et la fonction propres de chacun. »
Canon 910
§ 1. « Les ministres ordinaires de la sainte communion sont l’Évêque, le prêtre et le diacre. »
§ 2. « Les ministres extraordinaires de la sainte communion sont l’acolyte et tout autre fidèle député
selon les dispositions du canon 230 »
Canon 230
§ 2. « Les laïcs peuvent, en vertu d’une députation temporaire, exercer, selon le droit, la fonction de
lecteur dans les actions liturgiques; de même, tous les laïcs peuvent exercer selon le droit, les fonctions
de commentateur, de chantre, ou encore d’autres fonctions. »
§ 3. « Là où le besoin de l’Église le demande par défaut de ministres, les laïcs peuvent aussi, même
s’ils ne sont ni lecteurs, ni acolytes, suppléer à certaines de leurs fonctions, à savoir […] distribuer la
sainte communion […] »
Congrégation pour le Culte divin, Lettre aux Présidents des Conférences des Évêques sur les
fonctions liturgiques exercées par des laïcs, 15 mars 1994, n° 3 :
« Le can. 230 § 2 du code de droit canon de 1983 [...] trouve [...] une large application dans le fait que
les femmes remplissent souvent la fonction de lecteur dans la liturgie, et peuvent être appelées à
distribuer la sainte communion, comme ministres extraordinaires de l’Eucharistie, ainsi qu’à exercer
d’autres fonctions, comme il est prévu au can. 230 § 3. »
Benoît XVI, Exhortation apostolique Verbum Domini, § 58, 30 septembre 2010 :
« […] la première et la seconde lectures, dans la Tradition latine, sont proclamées par le lecteur choisi,
homme ou femme. »
« […] le ministère du lectorat qui, comme tel dans le rite latin, est un ministère laïc. »
Les démarches des fidèles pour faire reconnaître leur dignité, peuvent s’appuyer sur :
Canon 212
§2 : « Les fidèles ont la liberté de faire connaître aux Pasteurs de l'Église leurs besoins surtout
spirituels, ainsi que leurs souhaits. »
§ 3 : « Selon le savoir, la compétence et le prestige dont ils jouissent, ils ont le droit et même parfois le
devoir de donner aux Pasteurs sacrés leur opinion sur ce qui touche le bien de l'Église et de la faire
connaître aux autres fidèles, restant sauves l'intégrité de la foi et des mœurs et la révérence due aux
pasteurs, et en tenant compte de l'utilité commune et de la dignité des personnes.
Can. 221
§ 1 : « Il appartient aux fidèles de revendiquer légitimement les droits dont ils jouissent dans l'Église et
de les défendre devant le for ecclésiastique compétent, selon le droit. »
2/4
Enfants de chœur : que disent les normes de l’Église ?
L’instruction Redemptionis Sacramentum (2004) énonce au n° 47 que « les filles ou les femmes
peuvent être admises à ce service de l’autel, au jugement de l’Évêque diocésain ; dans ce cas, il faut
suivre les normes établies à ce sujet ».
Les normes mentionnées sont la Responsio ad propositum dubium (1992) qui précise le canon 230 § 2
du Code de droit canonique (1983) ; la Lettre sur les fonctions liturgiques exercées par des laïcs
(1994) ; et la Lettre à un évêque [concernant le service des femmes à l’autel] (2001) ; auxquelles il
faut ajouter le début du n° 47 de l’instruction Redemptionis Sacramentum. Voici ces normes :
-
-
-
Il revient à chaque évêque diocésain, après avoir entendu l'avis de la Conférence épiscopale,
d'émettre un jugement prudentiel sur ce qu'il convient de faire pour un développement
harmonieux de la vie liturgique dans son propre diocèse et la réponse à des besoins
pastoraux locaux.
L’autorisation d’un évêque ne peut obliger un autre évêque.
L’autorisation doit être clairement expliquée aux fidèles du diocèse, à la lumière du canon 230
§ 2 (cette fonction, qu’elle soit exercée par un homme ou une femme, est une députation
temporaire qui n’est pas un droit mais une admission par les pasteurs).
Il fera observer que la norme du canon 230 § 2 trouve déjà une large application dans le fait
que les femmes remplissent souvent la fonction de lecteur dans la liturgie et peuvent aussi
être appelées à distribuer la sainte Communion, comme ministres extraordinaires de
l'Eucharistie ainsi qu'à exercer d'autres fonctions, comme il est prévu par le canon 230 § 3.
Il faut garder à l’esprit que le service à l’autel de jeunes garçons a permis un développement
encourageant des vocations presbytérales et qu’il faut donc continuer à en favoriser
l'existence, ce qui interdit à l’évêque d’imposer aux prêtres l’admission de filles au service
de l’autel et interdit d’exclure les garçons du service de l’autel.
Concernant l’éveil des vocations parmi les garçons servants d’autel, notons qu’il n’entraîne pas une
impossibilité juridique et qu’il n’est pas un argument théologique pour l’exclusion des filles mais
seulement un argument pastoral à prendre en compte dans la décision de permettre aux filles le service
de l’autel : « On ne doit pas oublierii » ; « On sait queiii ».
Prenons donc en compte cet argument pastoral en remarquant que le bienheureux Jean-Paul II parle
d’autres vocations éveillées au service de l’autel :
« J'ai parlé de l'amitié avec Jésus. Comme je serais content si de cette amitié naissait quelque chose de
plus ! Comme il serait beau que certains d'entre vous puissent découvrir la vocation sacerdotale !
Jésus-Christ a un besoin urgent de jeunes qui se mettent à sa disposition avec générosité et sans
réserve. En outre, le Seigneur ne pourrait-il pas appeler l'une ou l'autre d'entre vous, jeunes filles, à
embrasser la vie consacrée pour servir l'Eglise et vos frères ? Et pour ceux qui voudront se marier
aussi, le service de l'autel enseigne qu'une union authentique doit toujours inclure la disponibilité au
service réciproque et gratuitiv. »
Et plus encore, parmi les raisons pastorales qui poussent les évêques et les curés à autoriser les
filles à servir à l’autel, nous aimons croire qu’il y a la raison suivante : reconnaitre publiquement
l’égale dignité des femmes et des hommes, leur égal baptême et leur égal accès à toutes les fonctions
liturgiques ouvertes au titre de leur baptême. La manifestation de cette égale dignité dans le
baptême passe avant l’éventualité de susciter des vocations de prêtres.
Ensuite, cet argument de l’éveil aux vocations presbytérales pourra aussi être pesé avec les grandes
orientations de la pastorale des vocations en France. Pensons par exemple à l’abandon général des
« petits séminaires » et au choix de candidats mûrs, éprouvés, qui auront développé notamment des
relations saines et équilibrées avec les femmes (qui forment la grande majorité des fidèles des
paroisses et l’essentiel des cadres).
3/4
A ce sujet on peut s’interroger sur les conséquences, pour des garçons enfants de chœur qui
deviendraient prêtres, d’une pratique d’exclusion des femmes apprise dès le plus jeune âge dans une
fonction laïque. C’est en effet un argument pastoral courant : « quand les filles viennent les garçons
partent ». Quand cela arrive ce ne sont pourtant pas les filles qui les excluent. Il faut peut-être se
demander pourquoi ces garçons valorisent un service dans la mesure où il exclut les filles. Peut-être
que ces garçons là ne sont pas les futurs prêtres dont nous avons besoin ou peut-être leur a-t-on laissé
croire que le service de l’autel était au fond moins un service qu’un privilège, qui perd de sa valeur
quand tout le monde peut y accéder.
On pourra aussi considérer la remise à l’honneur par l’ecclésiologie contemporaine d’une conception
plus traditionnelle de la vocation au ministère presbytéral : basée non pas d’abord sur le désir d’un
candidat et sur les « germes de vocations » mais sur l’appel de l’Église locale exprimé par l’évêquev.
Par ailleurs, il faut rappeler que le service de l’autel n’est pas une suppléance du prêtre, n’est pas un
degré dans le clergé et n’est pas en soi une préparation au ministère presbytéralvi. Ce ministère a au
contraire été renouvelé en 1972 à la suite du Concile pour favoriser la participation plus active et plus
consciente du Peuple de Dieu dans la liturgie et pour distinguer plus clairement les ministères
ordonnés et les ministères des laïcsvii.
En n’y admettant que des hommes à l’image du ministère presbytéral, on court le risque pastoral de
rétablir les « ordres mineurs » supprimés par Paul VI, de recléricaliser ce ministère des laïcs, de
produire des « clercs », comme on dit encore parfois. On risque aussi de laisser croire aux garçons que
ce n’est pas leur baptême qui les fait accéder à ce service mais leur sexe ; ou de leur laisser croire
qu’au fond seuls les garçons sont pleinement baptisés, ce que le choix des vêtements révèle assez bien
dans les paroisses où les garçons sont seuls servants d’autel et portent l’aube blanche des baptisésviii
tandis que les filles envoyées à d’autres tâches portent une cape blanche, quand ce n’est pas un fichu
de couleur, qui rappelle d’abord leur sexe.
Notes
i
Seuls les ministères d’acolyte et de lecteur institués par un rite liturgique de manière stable sont réservés
aux laïcs hommes (cf. Canon 231 §1). En France et en de nombreux pays, ces « ministères institués » n’existent
pas en pratique sauf pour les futurs prêtres. A ceux qui voudraient lier ces ministères à celui du prêtre pour
mieux en exclure les femmes, rappelons que ces ministères institués ne sont pourtant pas en soi une étape vers le
presbytérat. En effet, ils ont été explicitement rénovés par le pape Paul VI (Ministeria Quaedam, 1972) pour
favoriser la pleine participation des laïcs aux célébrations liturgiques d’une manière qui valorise le sacerdoce du
Peuple de Dieu tout en distinguant bien les ministères propres aux clercs de ceux qu’on peut confier à des laïcs.
Depuis lors, ces ministères ne sont plus des « ordres mineurs ». Ils ont été rénovés pour les laïcs. Ils n’ont pas de
lien organique avec le sacrement de l’ordre (réservé aux hommes) qui expliquerait leur interdiction aux femmes.
Seule la coutume de l’Église a été invoquée brièvement à l’époque pour justifier cette exclusion, sans aucun
argument théologique et sans cohérence avec le reste du texte. Dernièrement Benoît XVI a clairement employé
le mot de « ministère laïc » en évoquant « le ministère du lectorat qui, comme tel dans le rite latin, est un
ministère laïc » (Verbum Domini, § 58).
ii
Instruction Redemptionis Sacramentum (2004) n° 47.
iii
Lettre sur les fonctions liturgiques exercées par des laïcs (1994) n° 2.
iv
« Le service particulier des “servants d’autel” » (2001).
v
Sur ce sujet voir notamment : LEGRAND Hervé, « La vocation au ministère ordonné », in LAURET Bernard
et REFOULE François (éd.), Initiation à la pratique de la théologie. Tome III : Dogmatique 2, Paris : Cerf,
1993, pp. 246-250. [Notamment la note : « peut-on parler de vocation d’enfants ? »]
vi
Même si les candidats au presbytérat et au diaconat doivent recevoir les ministères institués de Lecteur et
d’Acolyte afin de se préparer à leurs futures fonctions de la Parole et de l'Autel. Cf. Lettre apostolique Ministeria
Quaedam (1972), n° 13.
vii
Cf. Lettre apostolique Ministeria Quaedam (1972), introduction.
viii
« Le service particulier des “servants d’autel” » (2001)
4/4