Le bien-être animal, voulu par tous mais défini selon des sensibilités

Transcription

Le bien-être animal, voulu par tous mais défini selon des sensibilités
Filière Ovine et Caprine n°22 – octobre 2007
16
Le bien-être animal, voulu par
tous mais défini selon des
sensibilités différentes
Présentation Philippe Vandiest – Ficow
Source : INRA ‘Productions Animales’
N° spécial ‘Bien-être animal’ Février 2007
Le bien-être animal est aujourd’hui au cœur de
nombreuses discussions.
Certaines ont lieu dans le cadre de la rédaction de
cahiers des charges pour des productions de qualité
différenciée, d’autres dans des confrontations
d’opinions, notamment sur la productivité en
agriculture, d’autres encore dans des débats relatifs
à la protection animale.
Ces discussions sont souvent centrées sur l’animal,
sur les pratiques d’élevage, sur les souhaits de la
société. Rarement sur l’éleveur qui partage son
quotidien avec les animaux. Elles sont empreintes de
la sensibilité des intervenants qui dicte la définition
qu’ils ont du bien-être animal.
Le bien-être, un concept difficile à définir
Chacun s’accorde à reconnaître que les animaux
éprouvent des sensibilités, communes ou spécifiques.
Celles-ci ont généré différentes lois relatives à la
protection des animaux. La quantification de ces
sensibilités est difficile et rend de la sorte difficile aussi
de définir de façon générale la notion de bien-être
animal. Parmi les tentatives, nous pouvons citer celle de
Hughes qui le définit comme un état d’harmonie entre
l’animal et son environnement, aboutissant à une
complète santé mentale et physique et celle de Duncan
(2005) qui le considère comme un état mental issu de
l’absence d’émotions négatives (peur, frustration,
douleur, faim, soif, …) et vraisemblablement de la
présence d’émotions positives (confort, plaisir, …).
Trois définitions du bien-être ont été cernées dans les
travaux sur le sujet.
- Les organismes interprofessionnels de la viande et
du lait le définissent comme atteint en l’absence de
blessure, de maladie et de douleur manifeste. Ils
n’évaluent pas le bien-être, mais mesurent son
inverse : une contrainte imposée aux animaux
entraîne-t-elle ou non une augmentation de la
mortalité, de la morbidité ou des traumatismes ? En
-
l’absence de signe, le
bien-être est considéré
comme respecté.
- Les instituts de recherche
définissent le bien-être
comme l’absence de
souffrance et considèrent que souffrance il y a si
l’animal ne parvient pas à mobiliser ses ressources
physiologiques et/ou mentales pour faire face aux
contraintes qui lui sont imposées. L’évaluation de la
souffrance fait appel à des indicateurs biologiques et
comportementaux. Le concept d’absence de
souffrance ne remet pas en cause les contraintes
imposées à l’animal ni le mode de production
auquel il est soumis.
Les éthologistes définissent le bien-être animal
comme l’état permettant l’expression de
comportements
naturels
et
la
réalisation
d’aspirations. Cet état ne peut être atteint qu’en
adaptant l’environnement des animaux à leurs
comportements naturels et non en imposant aux
animaux des contraintes environnementales dans
leur conduite d’élevage. Atteindre cet état
nécessiterait donc de concilier un dispositif
d’élevage qui apporterait liberté de mouvement et
d’expression aux animaux et efficacité et sécurité de
travail à l’éleveur. Cela ne semble possible que si
seule est permise l’expression de comportements
naturels positifs et que sont exclus des
comportements hostiles comme la fuite et
l’affrontement notamment.
Evaluer et quantifier le bien-être
Les recherches menées dans le domaine du bien-être
animal ont conduit à son évaluation par le biais
d’indicateurs. Ainsi, le Farm Animal Welfare Council a
établi en 1992 une liste de cinq principes à respecter
pour atteindre le bien-être :
- l’absence de faim et de soif ;
- le confort physique ;
- la bonne santé et l’absence de blessure et de
douleur ;
- la possibilité d’exprimer le comportement normal
de l’espèce ;
- l’absence de peur et de détresse.
Ces principes sont indépendants et leur non respect
mène à des symptômes spécifiques, telle la maigreur
dans le cas d’une faim prolongée. Ils sont repris dans les
diverses législations européennes relatives à la
protection des animaux.
Quantifier un degré de mal-être ou de bien-être peut être
fait par le biais d’indicateurs comportementaux,
17
Filière Ovine et Caprine n°22, octobre 2007
physiologiques, zootechniques et sanitaires. Ces deux
derniers sont souvent avancés par les éleveurs pour
justifier de leur bonne conduite mais ne suffisent pas au
grand public. Les volailles élevées en batterie sont
saines, grossissent vite et ont un bon indice de
consommation. Mais sont-elles heureuses ? Peuventelles exprimer des comportements naturels ?
Bien-être et production animale, deux objectifs
distincts mais conciliables
Si des efforts doivent être consentis par les éleveurs en
matière de bien-être des animaux, et ils l’ont déjà été à
maintes reprises, le grand public doit aussi accepter que
l’agriculture se doit d’être productive pour le nourrir. Il
est impensable que tous les porcs et les volailles soient
élevés en plein air ou que la finition des ruminants soit
aussi performante en prairie qu’en stabulation. Le
consommateur ne veut-il pas une viande tendre et d’un
bon rendement viande/os ?
Bien-être animal et production sont deux objectifs
distincts, non opposables mais conciliables dans la
limite d’une définition du bien-être pour certains
critères.
Réduire le stress à l’abattage, inclure des critères de
sélection relatifs au bien-être dans les schémas de
sélection, comme la résistance aux troubles locomoteurs
chez la volaille ou aux mammites chez la vache laitière,
ne peuvent qu’améliorer l’image de l’élevage auprès du
grand public. Mais celui-ci doit aussi comprendre que la
demande du marché en œufs, en viande de volaille ou
en produits laitiers nécessite des animaux hautement
productifs, et donc sensibles aux troubles locomoteurs
pour les volailles et aux mammites pour les vaches.
Lorsqu’on parle du bien-être animal, les élevages
intensifs sont toujours montrés du doigt car leur objectif
est la productivité et celle-ci se fait généralement au
dépend d’un bien-être. Les élevages extensifs mettent
cependant aussi parfois à mal le bien-être des animaux.
Aussi, le taux de mortalité des animaux, dont
notamment celui des jeunes agneaux, est plus élevé
lorsqu’ils sont menés sur parcours, de par les conditions
climatiques parfois mauvaises et les prédateurs. Leur
approvisionnement alimentaire n’est pas toujours
optimal, nécessite parfois de longs déplacements et est
source de parasitisme. La réponse de l’éleveur aux
problèmes sanitaires des animaux est plus lente, de par
une visualisation moins précoce des problèmes et de la
difficulté de rassembler les animaux.
Le bien-être animal, une préoccupation légitime de
l’éleveur
L’éleveur est à la source du bien-être animal. S’il n’en
maîtrise pas toutes les composantes, notamment les
conditions d’abattage et de transport vers le lieu
d’abattage, il est responsable de celles qui émaillent le
séjour de l’animal sur son exploitation.
Sa sensibilité est souvent différente de celle du grand
public car l’élevage est son quotidien. Il en connaît
toutes les facettes, contrairement au grand public. Lui
seul connaît le caractère de ses animaux, les difficultés
pour les manipuler, le danger qu’ils peuvent représenter
ou les blessures qu’ils peuvent occasionner. Il doit
concilier efficacité de travail avec bien-être animal,
mais s’affirme toujours regardant au bien-être de ses
animaux, selon une sensibilité dépendant de son profil.
Diverses enquêtes réalisées en France ont mené leurs
auteurs à répartir les éleveurs selon plusieurs profils
d’appréciation du bien-être animal.
Quatre profils d’éleveur selon la proximité avec
l’animal
Eleveur pour l’animal : l’éleveur aime les animaux et
n’aurait pu concevoir sa vie sans en posséder. Il a des
relations
affectives
pour
eux,
les
connaît
individuellement et à des préférences pour certains
d’entre eux. Il aime passer du temps auprès de ses
animaux.
Il estime légitime les attentes de la société en matière de
bien-être et ne se sent pas concerné ou mis en
accusation.
Eleveur avec l’animal : l’éleveur pratique son métier
dans une continuité familiale. Il aime les animaux, sans
pour cela s’attacher à eux pris individuellement, et voit
des aspects positifs à son métier et des contraintes. Il
aime la technique et cherche à éviter de devoir passer
trop de temps auprès de ses animaux (équipement).
Il estime que le travail des éleveurs est respectueux des
animaux et qu’il est important de le communiquer au
grand public. Il est ouvert à une évolution pour
répondre aux attentes de la société.
Eleveur malgré l’animal : l’éleveur pratique son métier
dans une continuité familiale. Son orientation est
davantage économique que passionnelle. Le contact
avec les animaux n’est pas recherché et n’est pas fait
Filière Ovine et Caprine n°22 – octobre 2007
avec plaisir. Il est considéré comme une obligation
technique.
Il apprécie les attentes de la société dans la mesure où
elles rencontrent son choix d’élevage : légitimes ou
illégitimes.
Eleveur pour la technique : l’éleveur aime son métier
pour ses aspects techniques et n’estime pas essentielle la
relation avec l’animal. Satisfaire à leurs besoins
physiologiques est l’essentiel de sa préoccupation.
Il s’estime agressé par les remarques et demandes de la
société en matière de bien-être ; ils les juge parfois
incompatibles avec la gestion économique.
Deux profils d’éleveur selon la participation à des
démarches de qualité différenciée avec des exigences
en matière de bien-être
Eleveur non impliqué ou impliqué dans des démarches
limitées : l’éleveur associe le bien-être des animaux à la
satisfaction de leurs besoins physiologiques et aux
performances zootechniques et économiques de son
exploitation.
Il estime que sa production souffre d’une mauvaise
image dans l’opinion publique.
Eleveur impliqué dans des démarches exigeantes :
l’éleveur met en avant des notions de liberté, de confort
et d’expression de comportements naturels pour les
animaux. Il met l’éthique de son activité en évidence.
Il estime que ses produits et que son mode de
production ont une bonne image auprès de l’opinion
publique.
Un profil d’éleveur en matière de respect de l’animal
L’éleveur atteste que l’animal est un être sensible qui
peut souffrir. Il affirme le plus souvent que son bien-être
est en relation direct avec les performances
zootechniques et économiques de son exploitation et
qu’il est donc incontournable d’y prendre garde. Cette
affirmation est présentée comme une norme indiscutable
18
de bien-être et est présentée comme une preuve de bienêtre.
L’éleveur estime nécessaire un minimum de
réglementation pour protéger les animaux des mauvais
traitements. Sa notion de bien-être et donc son
appréciation des législations allant au-delà d’un
minimum reconnu comme normal dépend de son
approche de l’animal :
- l’animal est un être instrumentalisé : l’éleveur porte
attention aux fonctions de reproduction de l’animal
et à ses besoins physiologiques essentiellement. Il
détient souvent de grands effectifs ou des effectifs
restant peu longtemps sur l’exploitation. Il répond
au profil « éleveur malgré l’animal » ou « éleveur
pour la technique ».
- l’animal est un être communiquant : l’éleveur
développe des relations d’échange avec ses animaux
de par ses interventions fréquentes (manipulations),
relations qui le sécurisent de ses animaux. Il détient
souvent de faibles effectifs et donc le plus souvent
des animaux de grande taille restant longtemps sur
l’exploitation. Il répond au profil « éleveur avec
l’animal ».
- l’animal est un être affectif : l’éleveur a une relation
affective et d’attachement pour ses animaux. Il
répond au profil « éleveur pour l’animal ».
Le bien-être animal, une préoccupation morale …
mais des oubliés
Dans son intervention dans l’ouvrage source du présent
article, R. Larrère écrit :
« Dès
que
l’on
considère que le plaisir est un bien et la souffrance un
mal, le champ de la considération morale doit être
étendu à tous les êtres sensibles. Ce fut d’ailleurs le
point de vue de Jeremy Bentham (1789), dans une note
mainte fois citée par les défenseurs de la cause animale,
qui affirmait : ‘La question n’est pas peuvent-ils
raisonner ? Ni peuvent-ils parler ? Mais peuvent-ils
souffrir ?’ ».
Si chacun s’accorde aujourd’hui à reconnaître aux
animaux des sensibilités, chacun devrait aussi
reconnaître n’avoir de la sensibilité que pour certaines
espèces animales, généralement celles de grandes tailles
ou celles qui manifestent une sensibilité envers
l’homme.
Les animaux ne sont pas égaux entre eux aux yeux de
l’homme et de sa sensibilité au bien-être animal. Le
bien-être considère toutes les étapes de la vie, y compris
l’ultime, la mise à mort et les moments qui la précède.
La mouche sur un ruban de glu, les petits rongeurs
empoisonnés par la ‘mort aux rats’, la moule dans la
casserole ou l’huître sous la dent du consommateur sont
de ceux dont la mort cruelle laisse l’homme indifférent.