QuEL AvENIR LES fEmmES ?
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QuEL AvENIR LES fEmmES ?
Esmeralda de Belgique et Assita Kanko se livrent à une joute pleine d’élégance sur un sujet plus que jamais d’actualité : le statut encore malmené de la femme. AU LENDEMAIN DE LA DéFAITE De HILLARY CLINTON ET D’UNE CAMPAGNE PRéSIDENTIELLE AMéRICAINE éMAILLéE D’INCIDENTS SEXISTES ENTRE AUTRES, ESMERALDA DE BELGIQUE ET ASSITA KANKO PLAIDENT POUR UN FéMINISME FORT ET SANS TABOU P H OTO R O N A L D D E R S I N Quel avenir « Nous n’avons toujours pas réussi à briser ce plafond de verre plus haut et plus dur. Mais un jour, quelqu’un le fera. » Dans le discours qu’elle a prononcé le mercredi 9 novembre à New York, Hillary Clinton reconnaissait sa défaite à l’élection présidentielle américaine tout en adressant un message d’espoir aux femmes. « A toutes les petites filles qui regardent… Ne doutez jamais de votre valeur et de votre puissance, vous méritez toutes les opportunités du monde. » Au-delà du douloureux échec de la candidate démocrate, la campagne, criblée de provocations de Donald Trump, a montré que le chemin de l’égalité est encore long pour le « sexe faible ». Deux ambassadrices du féminisme en Belgique, au tempérament bien trempé et à l’expérience internationale, analysent cette réalité pour Paris Match. Fille cadette de Léopold III et demi-sœur du roi Albert, Esmeralda de Belgique est journaliste, écrivain et femme de terrain. Auteure de plusieurs ouvrages, elle a rédigé en 2014 un recueil d’entretiens de femmes Prix Nobel de la Paix qu’elle est allée rencontrer. Politique (MR) élue à Ixelles, auteure, conférencière et chroniqueuse au Standaard, Assita Kanko travaille dans une entreprise belge active à l’international et siège au conseil d’administration de la Coopération technique belge. Dans « Parce que tu es une fille. Histoire d’une vie excisée », elle témoigne des mutilations génitales féminines qu’elle a subies elle-même au Burkina Faso, son pays d’origine. Dans « La Deuxième Moitié. Plaidoyer pour un nouveau féminisme », elle passe au crible une série de thématiques qui touchent à la condition actuelle de la femme. pour les femmes ? « Nous avons besoin des hommes aussi pour avancer » E MM A N U E L L E J O W A R E N C O N T R E E S M E R A L D A D E B E L G I Q U E E T A S S I TA K A N K O Paris Match. Vous attendiez-vous à la défaite – cuisante en dépit d’un vote populaire favorable – de Hillary Clinton ? Il est ardu d’aborder ce vaste sujet en quelques lignes, mais dans quelle mesure ledit « plafond de verre » a-t-il selon vous joué un rôle dans ce échec ? Assita Kanko. Cette victoire n’est pas réellement une surprise, même si je fais partie de ceux qui ont espéré jusqu’à la dernière minute un vote contre le sexisme, le racisme et la xénophobie. La victoire de Donald Trump est celle d’une conception rétrograde du rôle de la femme dans la société, mais c’est aussi l’expression d’une douleur qui vient de la rue. Un cri qui rappelle l’urgence du besoin de changement. Il faut changer la politique et la mettre au service du citoyen. Il faut aussi que les femmes gardent le courage de continuer à briguer des postes de pouvoir. Nous vivons à une époque où le sexisme le plus outrageant ne choque plus. On a vu ce que le monde est prêt à tolérer chez un homme et à exiger d’une femme. Clinton devait être irréprochable. Il est évident qu’on n’en demandait pas tant à Trump. Doubles standards. Les femmes et les hommes ne sont pas égaux face au regard de la rue. Ils ne le sont pas non plus devant les objectifs des caméras de télévision. A la télé, on a souvent entendu Trump alors qu’on voyait Clinton mais sans entendre sa voix. Ce travers est souvent observé dans les reportages des journaux télévisés, où le message des femmes est réduit au silence alors que celui des hommes est amplifié. Mais ce n’est pas là la seule leçon à tirer des mécanismes de la défaite de Clinton. Il y a en effet une frustration et une fatigue nourries par l’establishment et elle en faisait partie. Esmeralda de Belgique. On a visiblement assisté à un vote de rejet de cet establishment et de l’élite politicienne à laquelle Hillary Clinton appartient. C’est 76 PA R I S MATC H DU 17 au 2 3 nov e mb re 2016 un vote de colère, tout comme lors du Brexit. Trump a d’ailleurs abondamment utilisé le parallèle. Hillary n’a jamais été très populaire. On lui reproche ses liens avec les multinationales, ses volte-face politiques et même les frasques de son mari, ce qui est tout de même un comble ! Ceci dit, l’idéologie et le programme de nombreux candidats républicains à cette élection – et pas seulement Trump – reflétaient une image sexiste des femmes, stéréotypée, très réductrice. Une partie de l’électorat conservateur n’est sans doute pas prêt à accorder aux femmes leur place aux commandes du pays. C’est une occasion manquée, tout comme l’échec des femmes candidates à l’élection au poste de secrétaire général des Nations unies. Elles étaient pourtant très Esmeralda. Il en va de même en Angleterre. Des journalistes féminines dénoncent des députés : pour avoir une interview ou un scoop, il faut souvent donner quelque chose en échange… Le sexisme et l’image stéréotypée des femmes demeurent. Pendant la campagne pour nommer le nouveau Premier ministre, deux femmes s’affrontaient : Theresa May et Angela Leadsom. Des hommes politiques ont loué la deuxième en disant qu’ayant des enfants, elle était une « femme normale avec les pieds sur terre » ! Assita. Ces « affaires Baupin » et « Sapin », j’en ai parlé lors d’un voyage à Lomé et en Bolivie avec des hommes de là-bas qui en étaient bouche bée. Je suis choquée mais pas surprise, vu l’ambiance d’impunité générale. Beaucoup d’hommes politiques ont des comportements de voyous. La concentration d’hommes au pouvoir n’aide pas les femmes qui, elles, ne sont que tolérées dans ces milieux. Plus il y aura une répartition équilibrée du pouvoir, moins il y aura du sexisme de ce type. Les 11 et 12 juillet, j’étais à Londres et j’ai pu suivre de près l’ambiance avec l’arrivée de Theresa May au pouvoir. Une femme Première ministre. Il nous en faudra bientôt aussi une en Belgique. Les « affaires Baupin » et « Sapin » ne sont pas si loin de nous. En Belgique aussi, on souffre du sexisme politique, je l’ai vécu. Et on le voit dans d’autres sphères, comme lors des manifestations syndicales. L’impunité liée à la violence conjugale, le sexisme, ce sont des problèmes de base. Il y a le sexisme de rue et le sexisme caché. On en est encore au stade où dénoncer est difficile pour la victime. C’est un tabou. Lorsqu’on le dénonce, on se sent trahie, y compris par certaines qui trouvent qu’on manque d’humour. Trop de femmes redoutent d’être mises au ban. « On a vu ce que le monde est prêt à tolérer chez un homme et à exiger d’une femme. Clinton devait être irréprochable. On n’en demandait pas tant à Trump ! » (Assita Kanko) qualifiées et soutenues par de nombreux médias… Le plafond de verre demeure présent au sein des institutions internationales et des grandes compagnies. Il laisse apparaître quelques fissures, mais résiste quand même ! Vous rappelez indirectement « l’affaire Clinton-Lewinsky ». Dans un autre regis tre, la question du harcèlement sexuel semble rester une constante en politique. On se souvient bien sûr de l’affaire DSK, ou, pour prendre un exemple plus proche, de « l’affaire Denis Baupin » en France (le député écologiste accusé par plusieurs femmes de harcèlement, NDLR), ou du cas de cette journaliste qui s’est fait « tirer la ficelle du string » par le ministre français des Finances Michel Sapin. La peur de dénoncer ce sexisme est-elle encore liée, au moins en partie, à la crainte d’être assimilée à la vieille image des pasionarias qui brûlaient leur soutien-gorge et revendiquaient la perte d’une certaine féminité cliché ? Esmeralda. Une chose est sûre, lorsque j’évoque sur Twitter les causes écologiques qui me tiennent à cœur, cela ne provoque pas de tollé de protestations. Mais lorsque j’aborde des thématiques féministes, je reçois des réactions en série ! Le film « Suffragette » est une excellente illustration des débuts de la révolution féministe, mais nous avons besoin des hommes aussi pour avancer. De plus en plus d’hommes politiques et de stars se mettent en avant pour la défense des femmes. Mon fils, Leopoldo, qui a 15 ans seulement, fait partie de ces féministes ! Assita. Lors d’un voyage en Guinée et au Burkina Faso, j’ai vu Alexandre De Croo oser aborder des sujets difficiles. C’est un vrai féministe, il ne fait pas du féminisme de salon qui consiste à dénoncer des sujets confortables. Dans le milieu politique, je citerais aussi quelqu’un comme Etienne Vermeersch en Flandre (philosophe, ancien vicerecteur de l’Université de Gand, il est l’un des initiateurs des lois sur l’euthanasie et l’avortement en Belgique, NDLR) ou le journaliste français Franz-Olivier Giesbert, dont l’histoire de l’enfance brisée par la violence conjugale m’a bouleversée. On peut les compter, ils ne sont pas assez nombreux. Assita. Si ça continue, au rythme où vont les choses aujourd’hui, je serai dans une maison de repos quand le féminisme ne sera plus d’actualité ! Si on accélère le mouvement, on va augmenter le potentiel des femmes à responsabilités et stimuler la croissance économique. Sinon, le jour où le féminisme n’aura plus sa raison d’être n’est pas le jour où on aura atteint les 50 %. Car même quand il y a 50 % de femmes au Parlement, ces 50 % de femmes ne détiennent pas 50 % du pouvoir ! C’est une question d’équilibre et de respect. Et les hommes doivent surprise d’apprendre récemment, lors d’un reportage autour d’un documentaire que nous préparons avec l’émission « C’est du Belge » dans le parc national de Virunga dirigé par Emmanuel de Merode en RDC, qu’un nombre croissant de femmes posent leur candidature pour devenir gardes. Elles commandent même des hommes, ce qui est significatif dans une société très patriarcale, une vraie révolution. Mais il reste tant de postes à conquérir. Les étudiantes sont plus nombreuses que les étudiants en médecine dans la plupart des pays. Et puis, au moment où elles sortent de l’université, dès qu’il faut trouver des postes de compétences, la courbe retombe complètement. En politique, les femmes occupent encore trop souvent des postes ou portefeuilles « genrés », considérés comme typiquement féminins : l’Enseignement, l’Education, les Affaires sociales, l’Enfance, la Santé… Assita. Un jour, je serai ministre d’un truc bien moderne et pas cliché, pas à l’Enfance et aux familles, mais je veux bien la Défense ou l’Intérieur, par exemple ! Il y a en politique un aspect du sexisme qui atteint ces niveaux-là. On laisse aux femmes ce qui est social, les soins en général. Cet état de fait se prolonge et se traduit aussi au niveau de la masse salariale évidemment. En outre, ce sont les hommes qui font l’histoire depuis des siècles et qui Quand le féminisme ne sera-t-il plus donc parlent encore à notre place. nécessaire ? Le jour où il y aura au Mais je suis heureuse de voir de moins 50 % de femmes chefs d’entre- Esmeralda de Belgique : « En Angleterre, des journalistes féminines plus en plus de femmes s’imposer. prise, d’Etat, scientifiques de renom ? dénoncent des députés : pour avoir une interview ou un scoop, il faut Comme le Dr Caroline Pauwels, Assita. Il n’y a, en tout cas, pas souvent donner quelque chose en échange. » qui vient de remporter le poste encore suffisamment de femmes dans de recteur de la VUB. Ma fille de les milieux politiques ou économiques. 9 ans est déjà féministe elle aussi, elle aussi jouer leur rôle dans l’éducation des 41 % des députés sont des femmes, mais se bat pour que toutes aient accès au enfants. Il faut que les femmes puissent se elles ne détiennent pas assez de pouvoir terrain de foot à l’école ! construire autrement. Le monde compte Certaines femmes de pouvoir ont pu dans les partis et dans les gouvernements, toujours plus d’institutrices en matertémoigner, aux yeux d’observateurs ni dans le top management des entrenelle que d’enseignantes à l’université. sexistes sans doute, d’une forme de « masLe nombre de jeunes filles qui s’inscrivent prises. Le forum économique de Davos culinisation » dans leurs attitudes, comme dans des facultés scientifiques est encore comptait seulement 18 % de femmes en Angela Merkel ou Hillary Clinton. Se trop faible, même si les choses évoluent 2016. Le combat ne fait que commencer ! sont-elles à votre avis transformées par la là aussi. Votre fille, Esmeralda, a opté Esmeralda. Au G7, Angela Merkel est force des choses, ou est-ce lié à une dynapour ce type de carrière : elle a entamé la seule femme. Maintenant nous avons mique militante qui impose cette « masen Angleterre un cursus universitaire en Theresa May, mais c’est évidemment culinisation » de surface ? biologie. beaucoup trop faible. En termes poliEsmeralda. Leurs parcours ont été Esmeralda. Il existe peu de femmes tiques, les choses évoluent mais très lenrecteurs d’université ou réalisateurs, par douloureux. Il faut avoir la peau dure. tement. Le pouvoir économique reste à exemple. Mais cela va changer. Dans un Elles arrivent dans des cercles typiconquérir. Trop peu de femmes sont à la autre domaine, j’ai été agréablement (Suite page 78) tête d’entreprises. pa r i s ma t ch .co m 77 quement masculins, doivent faire leurs preuves plus que d’autres, faire mieux et plus. J’ai toujours pensé que les femmes étaient meilleures pour discuter dans les pourparlers de paix. Et malgré ça, en politique, on constate que ces femmes peuvent être des guerrières, comme Thatcher. En outre, au Brésil, il y a eu certainement beaucoup de sexisme dans la procédure de destitution de Dilma Roussef. Assita. Toutes les femmes ne sont pas condamnées à avoir la voix douce ! A l’époque, il fallait batailler beaucoup plus pour arriver là où une Margaret Thatcher est arrivée. Elle a dû opposer une grosse résistance à cette réalité de l’époque. Aujourd’hui, dire que quelqu’un est masculin ou féminin relève beaucoup plus du jugement. On s’autocensure, pas seulement dans les cercles de pouvoir, mais aussi dans la rue. Vous est-il arrivé quant à vous de vous autocensurer, en termes de présentation ? Assita. Lorsqu’on vous accuse de promotion canapé ou qu’on vous traite comme si vous ne méritiez pas l’ambition que vous avez, comme si vous manquiez d’intelligence – juste parce que vous êtes une femme jeune et pas trop moche –, vous êtes tentée parfois d’adopter une allure beaucoup plus neutre. Mais je n’ai pas cédé à cette tentation de gommer ma féminité. Vais-je commencer à porter les cheveux plats et à m’habiller de gris pour répondre à ces « critères » ? Non. Je pense que c’est ça, la définition du nouveau féminisme : « On reste soimême et on veut le respect. » Si on veut faire un brushing tous les jours et si on a envie d’avoir la voix autoritaire, eh bien on le fait ! Et j’estime que ça ne fait pas de moi une pétasse. La grosse voix, c’est juste moi, affirmant mon autorité. On a le droit d’avoir tout ça sans avoir à se déguiser en homme. Esmeralda. Et puis, on peut être forte en termes de look et montrer aussi des fragilités. J’ai en tête cette image de Simone Veil dans les documentaires d’époque où on la voyait subir des attaques horribles de la part de députés alors qu’elle essayait de faire passer la loi pour l’avortement en France. Elle était épuisée et a pleuré dans l’enceinte du Parlement. Le sexisme dont elle a fait l’objet est une image qui reste. Racontez-nous un cas de sexisme manifeste que vous avez personnellement vécu. 78 PA R I S MATC H DU 17 au 2 3 nov e mb re 2016 Esmeralda. Lorsque j’ai commencé à écrire des articles après mes études à l’Université Saint-Louis, un journal satirique belge avait affirmé qu’ils étaient rédigés par l’historien Jo Gérard ! Assita. On m’a demandé souvent également si j’écrivais mes chroniques moi-même… Vous voyez, il reste du pain sur la planche. Esmeralda, vous avez effectué il y a quelques mois un périple au Brésil et, avant cela, vous êtes allée tourner un documentaire en RDC. Vous préparez par ailleurs un recueil de portraits de femmes d’horizons variés. Assita, vous étiez il y a peu en Afrique, où vous vous rendez souvent pour votre travail, et avant cela, entre autres, en Bolivie, où vous avez abordé le droit des femmes et le sexisme. Quels sont les points communs entre les femmes que vous avez rencontrées dans ces divers univers ? Esmeralda. Dans le monde, des millions de fillettes et jeunes femmes Sur certains sites web de cliniques privées, en Belgique notamment, on trouve une rubrique « reconstruction de l’hymen » pour la chirurgie dite intime, et parfois la mention « nous ne pratiquons pas l’excision ». Comme s’il s’agissait de questions banales désormais. Le fait même d’évoquer l’excision, même à la négative, peut surprendre pour une activité qui n’est pas légale. Esmeralda. Il y a des gens qui font beaucoup d’argent avec ces procédés, notamment au Liban et ailleurs. Des médecins qui se sont spécialisés dans les reconstructions de ce type pour que les femmes puissent faire un beau mariage. Assita. Clairement. Ils doivent au minimum citer l’article de loi qui l’interdit. Je connais le cas d’un homme qui est allé demander à un médecin une circoncision pour son fils et une excision pour sa fille, comme s’il allait acheter du pain à la boulangerie. Il y a beaucoup d’hymenoplasties, j’en ai parlé avec des médecins à Bruxelles et à Gand, notamment le Dr Marleen Temmerman. C’est une demande fréquente en Belgique. Des Bruxelloises qui ont eu une vie amoureuse, parmi celles qui prétendent porter le voile librement, se font reconstruire l’hymen. Donc, leur vagin appartient à leur famille et à celle du futur mari « issu de la communauté », qui n’est pas forcément quelqu’un qu’elles ont choisi, mais à qui elles vont devoir rendre des comptes. « J’ai toujours pensé que les femmes étaient meilleures pour discuter dans les pourparlers de paix » (Esmeralda de Belgique) subissent des mariages forcés, sont victimes de crimes d’honneur ou sont excisées en raison de traditions ou de bénéfices économiques. En Amérique du Sud, les femmes sont malheureusement souvent responsables du machisme de leurs fils. Et elles ont encore, là-bas comme ailleurs, beaucoup trop de tâches ménagères sur leurs épaules. Assita. Partout dans le monde, il existe encore des différences salariales, de la violence domestique, des mariages forcés et des viols. Et beaucoup d’impunité. La question de l’excision a mobilisé une partie de vos recherches, Assita. C’est l’un de vos premiers combats. Assita. En début d’année, deux gynécologues se sont exprimés dans une publication importante pour dire qu’il fallait accepter l’excision, je cite, « minimaliste ». En juillet, The Economist a également défendu la même idée. C’est comparable au fait de ne pas réagir contre les tribunaux qui appliquent la charia. L’abandon d’une population de femmes et de fillettes innocentes. Assita, vous êtes issue d’une famille musulmane et avez régulièrement relayé les informations sur les extrémismes. Vous restez particulièrement sensible à la question de l’enlèvement des jeunes filles par le groupe terroriste Boko Haram. Quelle est votre position sur la question du voile ? Assita. Je trouve triste que certains confondent le voile avec une question de style, alors que c’est une forme de domination. J’en parle par expérience, même si j’ai de eu la chance : mes parents étaient un peu fainéants en matière de religion, ils m’ont donc éduquée davantage dans la laïcité, la notion de responsabilisation individuelle et de bon sens. J’ai bien vu que le voile n’était pas une figure de style, mais une obligation qui vous place dans une position où votre corps ne vous appartient pas totalement. Ceux qui affirment qu’il s’agit d’un libre choix, je les défie de me montrer qu’il ne se passe rien quand, du jour au lendemain dans leur quartier, les femmes cessent de le porter. C’est beaucoup plus facile d’être en Belgique, et d’utiliser la liberté d’expression que les gens ont réussi à obtenir ici, que de défendre la liberté des femmes en Afghanistan ou en Iran. Vous rejetez donc toute idée d’une « tendance » sociétale dans le voile, d’une forme de retour aux sources ? Le port de la barbe ou de la djellabah par les hommes peut traduire une authenticité retrouvée. Assita. Oui, mais quand vous aban- bon lui semble. Je trouve que l’école est un endroit qui doit rester laïque même si, en Belgique, on préfère le mot « neutralité » à « laïcité ». Récemment, la Cour de justice de l’Union européenne a tranché en disant que les entreprises pouvaient décider qu’on ne porte pas de signes religieux en leur sein. J’ai été stupéfaite d’ailleurs de constater que l’Etat belge avait plaidé en faveur d’une plaignante, donc du port du voile, ce qui est à mes yeux inacceptable. Esmeralda. Pour ma part, ce qui me fait un peu peur, je le constate en Angleterre, c’est que quand ce principe d’interdiction est appliqué dans certaines écoles, des familles décident d’éduquer leurs enfants dans des instituts religieux très inquiétant qu’il faut recadrer. La situation des femmes voilées en Belgique, et plus généralement en Occident, est devenue compliquée, éprouvante, douloureuse dans certains cas. Certaines se plaignent d’ostracisme à leur égard – regards méprisants ou méfiants, interpellations agressives. Le New York Times a abordé en septembre cette thématique à travers des témoignages recueillis en Belgique et en France notamment. Quelle est votre analyse d’un phénomène qui relève à la fois d’une montée du racisme, en l’espèce de l’islamophobie, mais aussi du statut de la femme dans la société ? Esmeralda. La situation et la vie donnez votre barbe ou votre djellabah, il ne se passe rien, tout le monde s’en fout. quotidienne des femmes voilées est En revanche, le jour où vous enlevez devenue compliquée non seulement en votre voile ou votre burqa, vous pouvez Belgique, mais dans toute l’Euêtre tuée. Statistiquement, rope. L’amalgame et la peur c’est quand même majoritaiqui se sont installés à la suite rement les femmes qui se font des attentats a généré en effet violer, lapider… En Europe, beaucoup de racisme et d’islades jeunes filles ont été tuées mophobie. Et les femmes voipour des questions d’honneur. lées sont des boucs émissaires J’en parle dans mon deuxième de ce phénomène, car on les livre. Le 16 juillet dernier, une identifie plus facilement. Au jeune fille a été étranglée par travers des polémiques autour son frère au Pakistan. Une de du voile ou du burkini, j’ai le plus. Esmeralda. Une femme a sentiment qu’il s’agit toujours été brûlée vive il y a quelques de tenter d’exercer un contrôle mois parce qu’elle n’a pas sur les femmes et leur corps. accepté le mariage au Pakistan. De la part des extrémistes reliIl y a des attaques à l’acide… gieux comme de la part des Assita. Récemment, l’audéfenseurs de la laïcité à tout torité religieuse qui conseille le prix. Pour moi, une femme Assita Kanko : « La définition du nouveau féminisme : “On reste soi-même et on Parlement pakistanais a décidé doit pouvoir décider si elle veut le respect”. Et j’estime que ça ne fait pas de moi une pétasse. » de proposer à celui-ci une soluadopte le voile ou non. Nous tion contre les violences domestiques. spécialisés – il y en a de plus en plus ne devons pas, sous prétexte que le voile Cette solution, c’est de donner le droit en Angleterre. Certaines écoles musulest un symbole de la négation des droits à l’homme de battre « légèrement » sa manes, privées, ne suivent absolument des femmes et de leur soumission, décifemme ! Et ce pour les raisons suivantes : pas le curriculum d’autres écoles et proder à leur place. Le débat est complexe si elle ne prend pas une douche après posent un enseignement complètement et très politisé de part et d’autre, mais la relation sexuelle ou après avoir eu différent… Et les enfants se retrouvent il ne faut pas omettre l’aspect humain ses règles, si elle donne de l’argent à un isolés du reste du monde. et respecter les choix personnels s’ils ne Assita. Ces écoles spécialisées tiers sans l’autorisation de son mari ou portent pas atteinte à la liberté ou à la enseignent même des règles de la si elle ne porte pas le voile. Donc, allez sécurité d’autrui. Assita. Je suis contre l’obligation charia. La Grande-Bretagne est chamme convaincre que c’est un choix libre… Sur le port du voile dans les écoles et admipour les femmes de se couvrir le visage pionne d’Europe dans les tribunaux de nistrations, Assita, avez-vous une position et/ou le corps. Porter ce symbole relila charia… J’ai une amie, la Dr Machteld propre ou adoptez-vous celle du mouveZee, qui a fait sa thèse sur ce sujet. Ce gieux qui est bien plus qu’une question ment libéral dont vous faites partie ? système parallèle existe et il ne faut pas de mode n’est pas un geste anodin, c’est Assita. J’ai une position propre. Elle le nier. Les femmes doivent aller se jusun acte de soumission parce qu’elles sont est pratique : les enfants doivent grandir tifier là-bas lorsqu’elles veulent divorcer, nées femmes. Ce n’est pas pour autant avec le sens critique et dans les écoles ou par exemple. Non seulement elles sont qu’il faut agresser une femme dans la rue dans les entreprises, on devrait avoir une lésées, mais elles doivent en plus payer parce qu’elle est voilée. Mais le débat sur règle de neutralité de manière générale. ceux qui les dominent ! Il y a des gens le fond est indispensable et devrait être Aucun symbole religieux visible. Et cela qui quittent le continent – ils viennent de mené sans tabou. n (Remerciements à Vlora, make-up artist englobe toutes les religions. Il faut oser Belgique ou des Pays-Bas, entre autres – de L’Académie, qui a contribué à la trancher au niveau national, sans perpour rejoindre l’Angleterre et ces tribupréparation du shooting) mettre à chaque école de faire comme naux de la charia. C’est un phénomène pa r i s ma t ch .co m 79