Fragilité, ostéoporose et fracture du col du fémur Professeur Yves

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Fragilité, ostéoporose et fracture du col du fémur Professeur Yves
Fragilité, ostéoporose et fracture du col du fémur
Professeur Yves Rolland,
Gérontopôle de Toulouse,
Service de Médecine Interne et de Gérontologie Clinique (Pr Bruno Vellas), Pavillon Junot,
170 avenue de Casselardit. Chu Toulouse, Hôpital La Grave-Casselardit, 31300 Toulouse,
France
Le terme fragilité est utilisé par les médecins prenant en charge des personnes âgées pour
décrire un patient ayant un risque élevé d’entrée dans la dépendance, de co-morbidité,
d’entrée en institution et de mortalité. Ce terme traduit souvent la perception subjective par un
médecin d’un état de vulnérabilité de son patient. Bien que la réalité clinique du concept de
fragilité soit reconnue par l’ensemble de la communauté scientifique, il n’existe pas de
définition consensuelle de la fragilité. Quoi qu’il en soit, le point central définissant la
fragilité est un état de grande vulnérabilité d’un sujet âgé lorsqu’il est confronté à un stress.
Les causes semblent variées et d’importances diverses selon les individus. La fragilité serait
liée à de multiples déficiences (Figure 1), interagissant entre elles et conduisant à une
diminution des réserves physiologiques
.
Figure 1
Mécanismes
Immunité
Hormones
Nutrition
Fragilité
Ostéoporose
Sarcopénie
Perte de poids
Fatigue
Inactivité
Lenteur à la marche
Déclin cognitif
Tristesse
Conséquences
Co-morbidités
Dépendance
Chutes
Fractures
Entrée en institution
Décès
Typiquement, les patients fragiles présentent un manque de force, ils se fatiguent rapidement,
sont habituellement inactifs et se déplacent lentement. Ils ont peu d’appétit et ont perdu
récemment du poids. Leur moral est mauvais et leurs fonctions cognitives déclinent. Ces
symptômes existent à des degrés variables. Bien que souvent associée, la fragilité se distingue
des co-morbidités qui constituent surtout des facteurs précipitant le sujet fragile vers la
dépendance. En pratique, la notion de fragilité permet d’expliquer la tolérance très inégale
d’un sujet âgé à l’autre lorsqu’il est confronté à un stress. A âge égal et confronté au stress
d’une pneumopathie, d’un deuil, d’une chute ou d’une hospitalisation, le sujet fragile évoluera
de façon péjorative par rapport à un sujet âgé robuste.
La reconnaissance des domaines cliniques qui caractérisent le syndrome de fragilité a été le
sujet de plusieurs réunions d’experts. La diminution de la force, la sensation de fatigue, la
perte involontaire de poids, la lenteur et l’inactivité apparaissent comme les domaines clés
auxquels s’ajoutent selon les équipes, l’isolement social et les co-morbidités parmi lesquelles
la dépression et les déficiences cognitives sont évoquées. Bien que tous ces facteurs soient
reconnus comme déterminants du syndrome de fragilité, l’adoption d’une définition clinique
pratique reste difficile. En 2001, Linda Fried et al. ont proposé une approche opérationnelle
du phénotype de fragilité. Bien que non consensuels, la plupart des travaux actuels s’appuient
sur ces critères ou leur adaptation.
L’intérêt croissant pour le concept de fragilité est lié à son caractère. Si la fragilité est
hautement prédictive d’un certain nombre d’évènements péjoratifs, elle est également
accessible à des interventions. Le dépistage et la prise en charge précoce, et souvent simple de
la fragilité, permettent de prévenir l’entrée dans la dépendance. Une fois installée, la
dépendance est par contre rarement réversible malgré des interventions difficiles et coûteuses.
En l’absence de définition consensuelle, il est difficile de statuer sur la prévalence exacte du
syndrome de fragilité. En fonction des critères de fragilité adoptés, la prévalence du syndrome
de fragilité varie du simple ou triple. La prévalence de la fragilité dépend également des
caractéristiques de la population étudiée. Tous les travaux s’accordent pour souligner
l’importance du problème de santé publique représenté par la fragilité (Tableau 1).
Tableau 1
Nom de l’étude
Osteoporotic
Fractures in men
group
Comparaison
d’études
InChianty study
Precipiting Events
Project
Women’s Health
Initiative
Observational Study
Hispanic Established
Population
Epidemiological
Study of the Elderly
Canadian Study of
Health and Aging
EPIDOS study
Cardiovascular
Health Study
Population
Critères de fragilité
5993 hommes de 65
ans et plus vivant à
domicile
309 sujets de 70 ans
ou plus hospitalisés
en unité de
cardiologie
827 sujets de plus de
65 ans vivant à
domicile
754 sujets de plus de
70 ans vivant à
domicile
40 654 femmes âgées
de 65 à 79 ans vivant
à domicile
621 sujets âgés de
plus de 70 ans vivant
à domicile
Sarcopénie, fatigue, force,
inactivité et lenteur de marche
9008 sujet de 65 ans
et plus, vivant à
domicile
Activité physique, dépendance
et cognition
7574 femmes de plus
de 75 ans vivant à
domicile
5317 sujets de 65 ans
et plus vivant à
domicile
une IADL anormale ou plus
Fragiles
(%)
4
références
Cawthon et al.
2007
Fried et al. versus
Rockwood et al.
27
versus
63
Fried et al. adaptés
6,5
Ble et al, 2006
Fried et al. adaptés
25,7
Gill, et al. 2006
Fried et al. adaptés
16,3
Woods et al. 2005
Fried et al. adaptés
20
Otenbacher et al.
2005
4,4% des
plus de 85
ans sont
très
fragiles
32
Rockwood et al.
2004
Fried et al.
6,9
Purser et al. 2007
Nourhashémi et al.
2001
Fried et al. 2001
Prévalence du syndrome de fragilité en fonction des populations et critères adoptés dans
quelques études sur la fragilité.
Selon la traduction littérale du terme anglo-saxon « frail », le sujet fragile est également celui
« qui se casse facilement ». Exposé au stress d’une chute, le risque de fracture, et donc
d’entrée dans la dépendance, en institution, de co-morbidité et de décès est élevé. Le sujet
ostéoporotique semble donc être, au sens gériatrique, un sujet fragile. Paradoxalement, aucune
définition actuelle de la fragilité n’inclut la densité minérale osseuse (DMO). Différents
auteurs ont pourtant souligné l’association fréquente entre ostéoporose et fragilité.
L’ostéoporose semble être un bon marqueur de fragilité. Elle témoigne d’une vulnérabilité.
La fracture de hanche est la complication majeure à laquelle sont confrontés les sujets âgés et
constitue également un problème majeur de santé publique. Les sujets fragiles semblent
particulièrement exposés à cette complication qui peut être présagée quelques années
auparavant par une fracture dite « sentinelle » du poignet. L’incidence de la fracture de
hanche passe de 1,6 pour 1 000 à l’âge de 65 ans à 35,4 pour 1 000 à l’âge de 95 ans. La
mortalité se situe entre 35% à 12 mois et 10% à 2 ans en fonction des cohortes. Lorsqu’ils ne
décèdent pas, la majorité des patients ne récupère jamais leurs performances fonctionnelles
antérieures. La fracture de hanche expose le sujet âgé aux douleurs, à la dépression, à la
réduction des activités physiques, à la perte de poids et à l’hyper catabolisme. Au décours de
la fracture de hanche, le sujet âgé bascule souvent dans la dépendance.
L’idée selon laquelle le sujet fragile est un sujet particulièrement à risque de fracture de
hanche est récente. Pourtant, la fragilité et les mécanismes qui l’accompagnent, comme
l’inactivité, la baisse de la force, la perte de poids sont des conditions associées établies pour
précipiter l’installation de l’ostéoporose et favoriser la chute et la fracture. Indépendamment
de la DMO, des travaux récents montrent que la fragilité est un facteur de risque majeur de
chute (OR=2.41, 95CI%, 1 ,93-3,01) (Ensrud, 2007). Le nombre de chutes lui-même est un
facteur de risque majeur de fracture de hanche indépendamment de la DMO (Dargent-Molina,
1993). Etant à risque, à la fois d’ostéoporose et mais surtout de chute, le sujet fragile présente
donc toutes les conditions propices à la fracture de hanche. Ensrud et al. ont montré que leur
risque de fracture était augmenté comparativement à des sujets âgés du même âge non fragiles
(OR=1,70, 95CI%, 1,35-2,15) (Ensrud, 2007).
La compréhension des liens entre la fragilité, l’ostéoporose et la fracture de hanche est
importante car les approches thérapeutiques peuvent être différentes ou complémentaires.
L’efficacité, le coût et les effets indésirables d’une approche purement médicamenteuse visant
à augmenter la DMO, ou multidisciplinaire luttant contre les facteurs associés à la fragilité
(dénutrition, inactivité, faiblesse…), peuvent être très différents dans une population âgée
fragile ou robuste (Greenspan, 1998). Face à ces interrogations, il est par exemple nécessaire
de déterminer chez les personnes âgées, la part imputable à la diminution de la DMO dans la
survenue d’une fracture comparativement à d’autres facteurs de risque de fracture
(Greenspan, 1998) tels que les chutes et leurs multiples causes.
Actuellement, peu de sujets âgés bénéficient d’une approche diagnostique et thérapeutique de
destinée à l’estimation de leur risque de fracture de hanche. L’approche de l’ostéoporose par
le syndrome de fragilité permettrait d’encourager l’accès à l’exploration et au traitement de
l’ostéoporose mais aussi de faire bénéficier les sujets fragiles d’une approche thérapeutique
adaptée à leur condition de santé.
Le dépistage et la prise en charge des facteurs associés à la fragilité auraient certainement un
impact important sur le risque de fracture de hanche en limitant le risque de chute, de
dépendance et de diminution de la DMO osseuse et en majorant l’accès au diagnostic et au
traitement de l’ostéoporose.
L’objectif de cette prsentation est de rapporter les facteurs concourant à la fois au syndrome
de fragilité et majorant le risque de fracture de hanche du sujet âgé (figure 2).
Figure 2
Troubles de l’équilibre
Polymédication
Incontinence urinaire
Anémie
Déclin cognitif
Peur de tomber
Dénutrition
Faiblesse musculaire
Inactivité physique
Faibles performances fonctionnelles*
Vitamine D
Elévation des cytokines
proinflammatoires
Baisses des hormones (GH, IGF-I,
testostérone, oestrogènes)
Risque d’ostéoporose
Risque de chute
Humeur
Fatigue subjective
Diminution de l’endurance
Isolement social
Difficultés IADL
Athérosclérose
Douleur
Fragilité
* Short Physical Performance Battery (SPPB), vitesse de marche
proposés
consensuels
Facteurs habituels de fragilité, de chute et d’ostéoporose Le patient fragile est un sujet à haut
risque de fracture de hanche. Toutefois, il accède peu à l’organisation de mesures prévenant la
chute, ni à l’approche diagnostique et thérapeutique de l’ostéoporose. Le concept de fragilité
permet d’envisager une approche différente du risque de fracture de hanche des sujets âgés.
Des perspectives de prévention, d’organisation des soins semblent pertinents au sein de cette
population. Le modèle classique voulant que l’on traite individuellement chaque pathologie se
prête mal à la prise en charge du sujet fragile. L’approche thérapeutique de l’ostéoporose axée
sur la majoration de la DMO est nécessaire mais probablement insuffisante dans cette
population (NIH, 2001). L’objectif thérapeutique ne peut pas se limiter à l’augmentation de la
DMO. La prévention de la chute en améliorant la force, l’équilibre, le statut nutritionnel et la
cognition sont des moyens thérapeutiques qui devraient limiter l’incidence des fractures.
Des études supplémentaires, orientées vers le sujet fragile, permettraient de mieux
comprendre les effets de la prise en charge de la fragilité sur la fracture. En parallèle, la prise
en charge plus systématique de l’ostéoporose devrait limiter le risque d’une personne âgée de
devenir fragile ou de précipiter sa fragilité vers la dépendance.
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