La dette immobiLière, une opportunité alternative d`investissement
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La dette immobiLière, une opportunité alternative d`investissement
No 65. 3e trimestre 2013 Finance immobilière La dette immobilière, une opportunité alternative d’investissement par Bertrand Carrez Directeur des Financements structurés, La Française REM En quoi consiste ce support d’investissement de plus en plus prisé en France et en Europe ? En quoi est-il attractif et sous quelle forme se présente-t-il ? Décryptage d’un produit qui donne accès à une exposition immobilière indirecte au risque bien maîtrisé. D epuis peu, on assiste en Europe, dont en France, à un développement réel et visible de la classe d’actifs « dette immobilière » comme support d’investissement alternatif, au carrefour entre l’immobilier physique et les produits de taux (Fixed Income). Le contexte de l’émergence de ce nouveau type de produit est bien connu : ajoutée aux effets de la crise financière, l’augmentation de la pression réglementaire sur les banques, pourvoyeuses traditionnelles de financement immobilier professionnel, limite durablement leurs capacités bilancielles. Elles sont donc engagées à développer des stratégies de type Originate to distribute, qui passent par le transfert à de nouveaux investisseurs d’une part non négligeable des engagements de financement. En parallèle, les investisseurs institutionnels, dont les assureurs, sont à la recherche de nouveaux supports d’investissement offrant, pour un risque restant mesuré, un rendement additionnel qui compense, au moins partiellement, le faible niveau actuel des taux d’intérêt. Cette tendance paraît bien réelle et structurelle en Europe, même si les stades de développement du financement immobilier par des investisseurs dits « alternatifs » restent encore assez différenciés selon les régions économiques, le monde anglo-saxon ayant engagé cette désintermédiation bancaire depuis de nombreuses années. 1. Special Purpose Vehicle ou entité ad hoc. Le financement immobilier français aujourd’hui Le marché français du financement immobilier est naturellement assez fluctuant dans la durée, selon l’activité économique, en général, et celle du marché immobilier physique. Mais il se nourrit aussi beaucoup du segment du refinancement de la dette arrivant à maturité, très demandeur aujourd’hui, en héritage pour une part de la forte dynamique du marché avant la crise financière. Les volumes restent difficiles à mesurer précisément, mais l’on peut estimer qu’il se consomme entre 5 à 10 milliards d’euros de financement immobilier professionnel en France, par an, en cette période d’économie pour le moins en berne, ce qui reste significatif. Ces financements sont généralement de deux types : uconsentis directement à une foncière (équivalent domestique d’un REIT), avec ainsi un recours de fait sur son bilan au-delà de l’actif (ou du portefeuille d’actifs) donné en garantie ; uou consenti à une SPV1, constituée par l’investisseur pour les besoins de l’opération, en vue notamment d’organiser une étanchéité par rapport à ses autres actifs. 43 44 IEIF Réflexions Immobilières Finance immobilière Si les banques restent largement majoritaires dans l’« origination » des opérations, l’on voit aujourd’hui se développer deux formats de participation à l’opération aux côtés de la banque arrangeuse pour les investisseurs institutionnels : direct sur leur propre bilan (l’assureur faisant exception au monopole bancaire), mais avec la limite d’un encadrement réglementaire contraignant et la nécessité d’intégrer la gestion ; uLes financements sont par ailleurs surveillés de près, à la faveur notamment de covenants financiers (LTV3, ICR4, etc.) permettant de s’assurer de la bonne exécution du Business Plan de l’investisseur immobilier emprunteur et de réagir préventivement en cas de décalage observé. uen uLe package de garanties couvre classiquement l’actif sous-jacent ainsi que les revenus qu’il génère (loyers), avec la sécurité de l’enregistrement de l’opération par un notaire. uet, plus largement, via des plate-formes de gestion collective, qui agissent comme agrégateurs d’investisseurs en leur offrant le sourcing, la gestion et surtout la mutualisation sur un portefeuille de créances diversifié. Enfin, le cadre juridique général est aujourd’hui comparable avec celui de juridictions anglo-saxonnes, en termes d’équilibre des droits et obligations entre les parties (Borrowers versus Lenders5). Partenaires plus que concurrents. Notons qu’acteurs bancaires et investisseurs s’apprécient davantage en qualité de partenaires naturels que de concurrents, les intérêts de ces deux catégories d’intervenants se rejoignant assez largement dans le nouveau contexte établi. Et précisons enfin que l’on observe déjà un début de segmentation du marché, notamment sur le critère « typologie de profil de risque et Expected Return1 associé », avec l’émergence d’acteurs spécialisés positionnés sur un segment particulier (la Senior Stretchted par exemple). De sérieux atouts Tout d’abord, le marché français de la dette immobilière repose mécaniquement sur celui de l’actif physique, dont la taille et la profondeur sont reconnues. Ces caractéristiques permettent à ce marché d’offrir de la diversité, notamment en termes de classe d’actifs immobiliers, ainsi qu’une bonne liquidité, facteur apprécié des investisseurs dans l’environnement du moment. Par ailleurs, ce marché est à risque dispersé sur de nombreux secteurs économiques, présentant ainsi une moindre exposition aux effets de cycle, ce qui participe indirectement à sa moindre volatilité relative (comparé au marché de Londres, par exemple). Pour quelle performance relative ? La dette immobilière est, par nature, un produit à taux variable, offrant ainsi implicitement une couverture contre le risque d’inflation. L’index de taux standard est l’Euribor 3 mois, afin de faire correspondre la périodicité du service de la dette avec celle de perception de ses revenus par l’emprunteur (loyers généralement en base trimestrielle). Le spread, ou écart de taux, est naturellement variable selon le profil de risque, avec, comme indiqué ci-dessus, un marché de plus en plus segmenté. À titre indicatif, est donnée ci-après (tableau 1) la matrice de spread établie par La Française Real Estate Managers pour les besoins de son fonds de dette immobilière, en vue de comparer les pricing6 de ses investissements. Sur le segment principal (en volume de besoins), on observe soit une exposition senior sécurisée, où la fourchette actuelle de spread est de l’ordre de 200 à 300 points de base, soit un rendement d’environ + 200 points de base par rapport au taux domestique dit « sans risque » (State Bond ou obligation d’État). Ce produit bénéficie par ailleurs d’un traitement réglementaire comparativement favorable, avec un SCR7 estimé inférieur à 10 %. Opérations sécurisées. À un second niveau, les structures de financement qui y sont pratiquées restent assez défensives (pour le segment dette senior), avec des leviers, un profil d’amortissement et une maturité apportant une très bonne protection au prêteur (risque économique limité à celui de la liquidité du crédit, c’est-à-dire son refinancement à maturité). L’exigence d’un hedge de taux2 participe également à sécuriser l’opération. À travers le prisme de la performance, son arbitrage s’effectue contre d’autres produits de type Fixed Income8 (obligations corporate, obligations souveraines, etc.), notamment en appréciant la prime d’illiquidité contenue dans le spread. Cet arbitrage intervient moins fréquemment contre de l’immobilier physique (la typologie de risque/rendement n’est pas la même), même si cette nouvelle classe d’actifs 1. Rendement escompté. 2. Couverture de taux. 3. Loan to Value. 4. Interest Cover Ratio ou ratio de couverture des frais financiers. 5. Emprunteurs versus prêteurs. 6. Niveaux de prix. 7. Solvency Capital Requirement, capital cible nécessaire pour absorber le choc provoqué par une sinistralité exceptionnelle. 8 Titres à revenu fixe. No 65. 3e trimestre 2013 Finance immobilière tableau 1 Matrice de spread en pb au-dessus de l’Euribor 3 mois – Risques+ Dette + Risques– LTV Typologie sous-jacents immobiliers Senior Stretched Senior Subordonnée 0 %-60 % 0 %-75 % 60 %-75 % Garanties 1er rang 1er rang 2e rang Core 200-250 250-350 400-600 Core+ 250-300 300-400 500-700 Value Added 300-400 350-500 > 800 > 400 500-700 > 1 000 Opportunistic Expertise La Française REM Fonds de dette immobilière Source : La Française REM. apporte à certains investisseurs un outil de monitoring de leur ratio d’exposition immobilière (directe et indirecte). Avec quelle structure d’investissement ? uCe véhicule est juridiquement accessible en direct à des investisseurs non domestiques, mais la pratique les voit généralement passer par un fonds nourricier à vocation paneuropéenne (un FIS [fonds d’investissement spécialisé] luxembourgeois par exemple), lui-même investisseur « en miroir » dans les véhicules locaux dédiés aux différentes juridictions couvertes. Fort degré de maîtrise. La taille cible de la plupart En France, sauf exceptions encadrées (assureurs), le monopole bancaire interdit à tout acteur non bancaire de faire du crédit à titre régulier. Aussi, l’investissement en titres de créance s’opère par le biais d’un FCT, fonds commun de titrisation, dont l’objet social est d’acquérir des créances déjà nées. À l’usage, ce véhicule, qui ne dispose pas de personnalité morale, s’avère très souple et adapté au modèle des fonds de dette. Il est assimilable à un outil de copropriété visant à agréger des investisseurs en leur offrant une exposition sur le produit de créance sous-jacent dans un cadre mutualisé (critère de dispersion). Ses coûts de fonctionnement propres restent limités, la dilution de rendement conséquente étant ainsi marginale. de ce type de fonds varie entre 300 et 600 millions d’euros, montants permettant d’offrir une bonne granularité/dispersion de risque aux investisseurs, tout en gardant un fort degré de maîtrise des emprunts ou prêts investis (à la souscription comme durant leur vie). En cela, le modèle se distingue clairement des produits de type CMBS1, reposant notamment sur une approche statistique du risque et, par ailleurs, généralement tranchés. uLe FCT est géré par une société de gestion, agréée En synthèse, investir en créances immobilières ou hypothécaires en France revient à s’ouvrir un accès à une exposition immobilière indirecte sur un marché profond, diversifié et relativement résilient. Un tel investissement bénéficie d’amortisseurs de risque très protecteurs, au travers de structures de financement aujourd’hui très par l’Autorité des marchés financiers pour ce programme d’activité (dette immobilière), qui en assure la représentation. Un dépositaire et une société de gestion déléguée assurent l’accompagnement et le contrôle de la bonne conformité des opérations, dans le but premier de sécuriser les investisseurs. Une passerelle vers l’immobilier physique 1. Commercial Mortgage Backed Securities, ou titrisation de crédits hypothécaires. 45 46 IEIF Réflexions Immobilières Finance immobilière défensives. Parallèlement, sa consommation de capital réglementaire est optimisée. dans la mesure du possible, dans un contexte d’alignement d’intérêts. Tous ces facteurs ont pour traduction mécanique celle d’un ROE1 comparativement attractif, à la faveur d’un marché clairement favorable à l’offre (retrait des banques). Le choix du partenaire gérant est déterminant, notamment sur le critère de son accès et de sa connaissance du marché immobilier sous-jacent et, Un telle démarche peut également s’avérer être une passerelle naturelle pour envisager, dans un second temps, un engagement sur le marché de l’immobilier physique, après une phase d’apprentissage via la dette.y 1. Return on Equity ou rentabilité des capitaux propres.