Le lycée autogéré de Saint

Transcription

Le lycée autogéré de Saint
Le lycée autogéré
de Saint-Nazaire
***
Quelqu’un fredonne un air des Têtes raides … Des "têtes brûlées", des têtes bien pleines,
des têtes en l’air, peuplent le lycée autogéré de Saint-Nazaire. L’école, ici, est un monde à
construire qui n’est pas donné d’avance. C’est l’espace des possibles.
Gabriel Cohn-Bendit écrit à Alain Savary,
alors ministre de l’Education. Sa lettre est
publiée, un mois après, dans le journal
Libération, le 20 juin 1981. Elle
commence par "Camarade Ministre" et
pose le problème de tous les jeunes qui ne
supportent pas le système scolaire tel qu’il
est — ou que le système scolaire ne peut
pas "supporter", c’est-à-dire porter,
soutenir. Gabriel Cohn-Bendit pense que
c’est aux pédagogues, avec l’appui des
hommes politiques, de chercher et
d’inventer
une
autre
forme
de
transmission du savoir, en précisant "nos
échecs et nos réussites seront profitables à
tous".
disciplinaires. Alors il est parti "zoner"
dans la rue, avec son chien et sa crête
punk.
Arrive le jour de la rentrée : il s’inscrit à
Saint-Nazaire. On lui a demandé quelle
était sa motivation. Il a senti un respect,
une écoute. Il a passé une année à se faire
plaisir… il a eu le bac à la fin de l’année, et
se rappelle avoir travaillé dix à vingt fois
plus que dans un lycée classique…
La réussite, ici, ne se mesure pas à
l’obtention d’un diplôme, mais au chemin
parcouru par l’élève pour apprendre et
comprendre. Le fonctionnement du lycée
ne repose pas sur la discipline ni sur
l’autorité des adultes. Il n’y a pas de
proviseur, pas de conseiller principal
d’éducation, pas de secrétaire, pas de
personnel d’entretien ni de restauration.
Les décisions sont partagées, sur le
principe
de
la
co-gestion,
pour
responsabiliser les jeunes mais aussi leur
redonner
confiance.
Participer
quotidiennement à la gestion du lycée
permet aussi à chacun de voir comment
être solidaire.
Il propose l’ouverture d’un lieu ou profs et
élèves pourront concevoir ensemble la vie
scolaire, de manière autogérée. Le
ministre le prend au mot : le lycée
autogéré de Saint-Nazaire est un lycée
général public qui ouvre ses portes en
1982 et qui accueille aujourd’hui 180
élèves.
Trouver le chemin pour comprendre
Juan nous livre son parcours personnel :
mauvais élève, en rupture sociale, il s’est
fait renvoyer de l’internat de son lycée
d’alors, en a eu assez des mesures
Il y a deux communautés : l’équipe
éducative et les élèves. Les deux
fonctionnent de concert, notamment à
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travers les assemblées générales et les
réunions de gestion. Mais profs et élèves
s’interrogent aussi ensemble sur ce qu’il
est pertinent d’apprendre, grâce à des
réunions
de
programmation
qui
permettent de définir le travail, le temps
imparti et la méthode d’apprentissage.
prise
de
l’établissement.
responsabilité
dans
Un groupe, chaque jour, est chargé de
faire les courses, un autre fait la cuisine en
musique, "charlotte" ou chapeau sur la
tête, c’est à l’avenant… La cantine, au
début de l’année, c’est l’impro : qui sait
faire un dessert, qui sait lire une recette ?
Qui connaît les proportions, parce que
faire à manger pour soi seul ou pour un
groupe, ce n’est pas pareil… Omelette et
baba au rhum, finalement chacun
mangera à sa faim.
Avec, en filigrane, un équilibre à respecter
entre les nécessités d’apprendre (surtout
dans les classes d’examen) et la capacité à
créer de nouveaux objets d’étude.
À Saint-Nazaire, on n’emploie pas le mot
"cours", mais "atelier". Il y a un "atelier
maths" où, attablés tous ensemble, profs
et élèves s’accordent pour aborder les
"statistiques". Chacun se construit son
chemin, qui ne correspond pas forcément
à l’image d’Epinal de l’élève. L’élève peut
prendre place dans ces ateliers en petits
groupes librement choisis, partir, revenir :
il a le droit d’errer pour retrouver le goût
d’apprendre, pour se remettre en route.
Des textes sont lus au cours d’un atelier
d’écriture : un autoportrait est déclamé, de
dos, par une lycéenne. Elle se retourne,
dépitée, pas contente d’elle. On l’écoute,
on se tait. Plus tard, elle dira avoir
"redécouvert une énergie de travail au
sein d’un groupe" et regrettera d’avoir
"glandé trois matinées". Un autre
s’exprime : "j’ai retrouvé la jouissance de
lire et d’écrire, merci à tous pour votre
écoute, pour cette tranquillité, cette
tendresse, ces moments de bonheur, j’ai
été touché par vos écrits qui ont fait écho
en moi."
On révise la racine carrée et le
dénominateur commun… et tout le monde
s’essaye au tableau. On ne distingue pas
un professeur qui donne un cours et des
élèves qui l’écoutent benoîtement. La
géométrie s’éprouve, grandeur nature,
accroupi par terre, et la séance se termine
par cette question : "Est-ce que tu es
capable d’expliquer ce que tu as compris
à quelqu’un d’autre ?".
Une lecture s’organise sur les docks, au
grand air : les jeunes s’exercent,
pratiquent le lancer de texte et le
repêchage de mots devant un pêcheur
médusé qui amarre une nasse à une bitte.
Parfois c’est studieux. Parfois laborieux.
On entend quelqu’un qui grignote, on
devine un autre qui fume. On discute
beaucoup, on s’épaule. La parole de
chacun circule, se prend, s’impose,
s’estompe.
S'élever
Réunion de gestion. Un membre de
l’équipe éducative dit : "Il faut pouvoir
compter les uns sur les autres, y a des
endroits particulièrement crades, dans
les couloirs du lycée, qui ne sont jamais
nettoyés ; et puis il faudrait aussi vider le
seau d’eau sale : il y en a qui croient en
l’Esprit saint ? Au fait, il est où, l’étendage
pour les serpillières ?". La réponse d’un
élève fuse : "on l’a utilisé pour suspendre
des photos humides qui sortaient du
labo…"
Dynamique de groupe
Le système scolaire classique ne leur a pas
renvoyé une image positive d’eux-mêmes,
ils ont donc des difficultés certes.
Néanmoins, les élèves se prennent en
charge, leur confiance en eux se
reconstruit peu à peu, au travers de la
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Ce que le lycée expérimental pose comme
questionnements, comme enjeux ? Un
enseignant répond : "Ce qu’on vise, c’est
qu’ils grandissent, qu’ils s’élèvent, qu’ils
deviennent des citoyens autonomes,
éclairés, responsables. Les autres écoles
ne se posent pas la question de comment
on arrive à former un citoyen, comment
on s’y prend ? Saint-Nazaire, n’est pas un
lycée marginal, l’expérience pourrait se
transposer plus largement, il en faudrait
un par département au moins."
Au centre de documentation du lycée ont
lieu les ultimes révisions. Puis, devant le
centre d’examen du baccalauréat à SaintNazaire, les jeunes attendent, plus ou
moins fébrilement, les résultats. Une jeune
fille est déçue parce qu’elle a "déjà tout
foiré l’an dernier" et elle en conclut : "c’est
chiant les familles !". Mais elle a envie
d’avoir le bac, alors elle reviendra l’année
prochaine. Ben Simra, quant à lui, dit
qu’en hébreu, son prénom signifie "fils de
joie" et qu’aujourd’hui, il est en phase avec
ce prénom…
Un autre enseignant fait un lapsus au
cours de l’interview : l’enseignant peut
être un "handicapeur" et non pas un
éducateur… Plus loin, il tente une
comparaison : "Se lancer dans l’inconnu,
pour le jeune enfant qui apprend à
marcher, ça déstabilise, ça remet en
cause la façon de voir le monde, mais
l’enfant est encouragé, et plus il marche,
plus il grandit."
Réapprendre à apprendre
Le lycée autogéré permet aux jeunes en
souffrance de se dégager pour un temps de
la pression, de se construire, de prendre le
temps de comprendre le monde. C’est bien
davantage une formation personnelle
qu’une boîte à bac.
"Le lycée, ça a changé ma vie, affirme une
lycéenne, on est considérés comme des
individus, ici, les relations entre élèves et
professeurs, et entre élèves, n’ont rien à
voir avec ailleurs."
La parabole du chemin, qui est aussi
important que le but, s’incarne bien à
Saint-Nazaire. Visiblement, les jeunes
aiment leur lycée qui, depuis plus de 25
ans, a traversé toutes les réformes de
l’Education nationale et a prouvé qu’on
pouvait apprendre autrement et même
réapprendre à apprendre. Une question
demeure : peut-on généraliser ce modèle ?
De retour, au lycée qui se vide, on s’attarde
un peu : "Quel est ton rêve ? " dit une
inscription sur un mur.
La "problématique" du bac
Au cours d’un séjour d’immersion pour
préparer le bac, on réfléchit à la fameuse
"problématique" dans une alternance
joyeuse faite de pique-nique-vaissellerévisions. Assis en tailleur sur la pelouse,
un prof qui ressemble à Darry Cowl
accompagne une élève de manière
bienveillante mais non prégnante. De
retour du séjour, les terminales retrouvent
les secondes et les premières autour de la
paella géante et pogottent ensemble sur le
beat de Satisfaction.
Edith Farine
Lycée expérimental
17, boulevard René-Coty
BP 272
44600 Saint-Nazaire
02 40 66 78 52
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Cet article est extrait de la revue mensuelle Silence
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