Compte rendu du symposium international d`histoire de la pensée

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Compte rendu du symposium international d`histoire de la pensée
Revue scientifique sur la conception et l'aménagement de l'espace
Federico Ferretti
Compte rendu du symposium international d'histoire de la
pensée géographique « Langages et visions du paysage et du
territoire »
Miraflores de la Sierra, Madrid, février 2009
Report of the International Symposium on History of Geographical Thought "Languages and
visions of landscape and territory"
Publié le 26/06/2009 sur Projet de Paysage - www.projetsdepaysage.fr
Le groupe de travail d'histoire de la pensée géographique de l'Association des géographes
espagnols (AGE), en collaboration avec la commission sur l'histoire de la géographie de
l'Union géographique internationale (UGI) ont organisé un symposium international
(correspondant au 4e colloque du dit groupe de travail) consacré à la thématique des
langages et visions du paysage et du territoire, qui a eu lieu du 5 au 8 février 2009 à
Miraflores de la Sierra, près de Madrid.
Dans le scénario suggestif de la Sierra de Guadarrama, une cinquantaine de professeurs,
chercheurs et doctorants ont travaillé autour de la thématique proposée. Les six séances de
travail ont à peine suffi à contenir les riches débats qui ont suivi les communications.
Comme à chaque séance il y avait deux réunions, on a choisi de ne rendre compte que des
communications auxquelles nous avons participé. On tâchera néanmoins de suivre les
principales lignes directrices des travaux.
Dans la séance plénière introductive, Vincent Berdoulay (université de Pau) a fait le point
sur l'activité de la commission d'histoire de la géographie et sur ses tentatives de porter la
voix des géographes dans les centres de décision, notamment ceux des organismes
internationaux pour la culture et l'environnement tels que l'Unesco. Son intervention a porté
sur l'assertion que la géographie, depuis le « tournant vidalien », a développé la capacité
d'étudier les « tendances lourdes » dans les relations homme-milieu en commençant
l'investigation des temps longs et des permanences. Au-delà de celles-ci est possible l'action
présente des sociétés humaines sur le territoire, dans le jeu des « possibilités ». Ensuite,
Berdoulay a abordé la question des enjeux iconographiques dans cette dynamique, en la
liant au débat sur les « lieux de mémoire ». L'image peut opérer d'un côté pour une fixation
ou pour une « institutionnalisation » de la mémoire, mais de l'autre côté elle peut devenir le
moteur de l'imagination : le paysage n'est pas seulement une projection de la société, mais
le créateur potentiel des « possibilités » nouvelles.
La thématique des « lieux de mémoire », en référence à l'oeuvre homonyme dirigée par
Pierre Nora 1 , a été en effet le principal problème analysé dans la première séance. Jacobo
García Álvarez (université Carlos III de Madrid) a abordé de façon plus approfondie les
intérêts et les critiques que le travail a suscités chez les géographes. Il a remarqué que
parmi les cent six auteurs concernés, seulement deux peuvent être considérés à juste titre
comme des géographes : Armand Frémont et Marcel Roncayolo. Néanmoins l'enjeu de
localiser l'histoire comporte plusieurs problèmes qui sont propres à la géographie,
notamment celui du rôle des lieux de mémoire importants en fonction du présent. C'est le
cas, par exemple, des géographes qui, depuis David Harvey, ont étudié les lieux de «
contre-mémoire ».
Nicolas Verdier (CNRS, équipe E.H.GO) a dressé à ce propos une histoire des relations
disciplinaires entre histoire et géographie en France dans les dernières décennies à la
lumière des concepts de mémoire et de lieux de mémoire. Les deux disciplines, à partir des
années 1940 et 1950, se sont éloignées, tout en gardant des liens institutionnels. Verdier
considère l'oeuvre dirigée par Nora comme le signal d'une rupture ouverte de leur
traditionnelle « alliance ». Dans les Lieux de Mémoire on ne trouve pas, en effet,
l'introduction géographique classique qui a caractérisé plusieurs travaux historiques depuis
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l'Histoire de la France d'Ernest Lavisse. C'est à partir de là que les deux disciplines ont
commencé à se distinguer par des usages dissemblables de la mémoire et des lieux. Si d'un
côté certains historiens pratiquent l'idée des lieux sans attaches topographiques, de l'autre
côté chez les géographes se répand l'idée de morphogenèse, c'est-à-dire des processus qui
ont donné origine aux lieux plus que celle de la « magie » de la survivance.
Paloma Puente-Lozano (université Carlos III de Madrid) a abordé le problème des lieux de
mémoire dans les géographies postmodernes, en partant du livre de Fredric Jameson
Postmodernism or the cultural logic of late capitalism . L'individu postmoderne se trouve
perdu dans les labyrinthes du monde actuel, qui en compliquent toute représentation
spatiale et temporelle. C'est dans ce cadre que la géographie doit opérer sa critique des
paysages urbains contemporains.
Dans la deuxième séance, un débat a été consacré à la construction des « lieux de mémoire
» d'après les représentations cartographiques. Jean-Yves Puyo (université de Pau) a analysé
la construction du paysage espagnol dans la cartographie napoléonienne, à travers l'exemple
des travaux des ingénieurs géographes français pendant la guerre d'Espagne de 1808 à
1813. L'oeuvre du Bureau topographique de l'Espagne est une source de grande valeur
parce qu'elle ne comprend pas uniquement des levés plus précis que ceux qui avaient été
produits auparavant par les cartographes espagnols, mais aussi des manuscrits qui ajoutent
beaucoup d'informations complémentaires. Il s'agit notamment de la première
représentation du paysage ibérique à travers les nouvelles techniques cartographiques que
l'armée napoléonienne venait de diffuser dans toute l'Europe.
Christian Germanaz (université de la Réunion) a présenté une série de trois cartes
historiques de l'île de la Réunion considérées comme de véritables marqueurs pour
appréhender l'invention du paysage et du territoire réunionnais. Ces cartes constituent les
étapes du « défrichement » conceptuel d'un territoire que l'on était encore en train de
découvrir. La première, dite de Flacourt et datée de la deuxième moitié du XVIIe siècle
comme la suivante, dite « Vulcain et tous ses cyclopes », relèvent encore d'une vision dite
paysagère, tandis que la troisième, la « nouvelle carte de l'île de Bourbon » (1818), illustre
déjà la transition vers les langages de la cartographie topographique contemporaine.
Gilles Palsky (université Paris 1, équipe E.H.GO) a exposé son étude de l'emploi du motif
iconographique que l'on pourrait appeler « Tableau de la hauteur des montagnes », entre le
XVIIIe et le XIXe siècle. À la suite des travaux d'Humboldt, qui recueille les hauteurs en
série, des profils altimétriques commencent à paraître vers 1806 dans les oeuvres
d'écrivains comme J. W. von Goethe, d'artistes comme le Suisse Christian von Mechel,
mais surtout dans les atlas de géographie, comme les Sechs Karten von Europa de Carl
Ritter. Il s'agit notamment d'une étape dans le processus de représentation de la dimension
verticale que les savants européens accomplissent dans les siècles concernés.
À la fin de la séance, la communication de Guilhem Labinal (université Paris 1, équipe
E.H.GO) a ramené le débat au présent en abordant la critique de la construction des
territoires chez les médias grand public. Il a analysé la rhétorique spécifique et médiatique
employée par des magazines géographiques largement diffusés comme Géo , le National
Geographic ou l'émission télévisée Ushuaia . Le but de l'intervention a été de démontrer
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que si d'une part ces medias contribuent à diffuser des connaissances scientifiques, d'autre
part ils sont souvent très critiquables à cause de leur souci de spectacularisation qui sacrifie
la démarche scientifique aux exigences du marché.
Dans la troisième séance Nicolás Ortega Cantero (université Autónoma de Madrid) a
analysé le parcours de construction géographique du paysage de la Castille entre 1876 et
1936, dans le cadre de l'intérêt porté par beaucoup d'institutions culturelles réformistes
(telles que la Institución Libre de Enseñanza) pour la constitution du paysage national.
Géographes comme Élisée Reclus, philosophes comme José Ortega y Gasset, espagnols et
étrangers ont tous contribué à la définition de cet enjeu paysager.
Manuel Mollá Ruiz-Gomez (université Autónoma de Madrid) a abordé la question des
études et des représentations de la sierra de Guadarrama dans les premières décennies du
XXe siècle, notamment dans l'oeuvre de ceux, parmi ses explorateurs, qu'on appelle « le
groupe des Allemands ». Leur rôle a été décisif pour répandre la connaissance de la sierra
chez les habitants de Madrid, qui maintenant identifient ces lieux comme une partie
importante de leur culture et comme lieux de loisirs.
Francisco Alonso Otero (université Autónoma de Madrid) a analysé ensuite les processus
de construction d'un véritable paysage culturel autour du vieux « chemin de Santiago » et
les modifications qui se sont succédé pendant sa permanence historique.
Dans la quatrième séance, Joao Carlos García (université de Porto) a analysé, en tant que
lieu de mémoire, la traversé du fleuve Duero parmi la ville de Porto et son faubourg de
Gaia. Ce lieu a été le théâtre d'un célèbre combat entre absolutistes et libéraux pendant la
guerre civile portugaise de 1833-1834. La victoire des libéraux a donné une identité précise
à ce lieu de mémoire, en inspirant en même temps un nouveau cycle de gravures, cartes et
descriptions qui ont été les sources principales de la recherche.
Gábor Sonkoly (université de Budapest) a exposé la question du paysage historique urbain
de Budapest avec les instruments de la géographie culturelle, notamment les travaux des
géographes hongrois. L'intervention souligne le décalage entre les limites administratives
qui bornent les sites classés par l'Unesco comme « vues » du patrimoine culturel mondial et
celles que les différentes études des géographes ont envisagées.
Bénédicte Tratnjek (université Paris 4) a exposé ses recherches sur les paysages urbains des
villes en guerre. Si d'un côté les médias construisent chez le public l'idée d'un véritable
paysage urbain de guerre à travers des images fort touchantes, d'un autre côté la géographie
doit envisager les enjeux de la reconstruction urbaine à travers le travail « de terrain » et la
conceptualisation. Ces enjeux ne sont pas seulement les actions militaires et les blessures
matérielles, mais les stratégies de survivance des habitants et la définition de lieux de
mémoire qui relèvent de l'identité ou bien de l'altérité. L'intervenante a rendu compte
notamment de son expérience à Mitrovica, Beyrouth et Abidjan.
Hélène Douence (université de Pau) a envisagé le processus de patrimonialisation des
vignobles locaux en tant qu'agents de la construction identitaire d'un territoire, notamment à
propos du Sud-ouest de la France. Ici les vignobles participent de la valorisation du
territoire en se proposant comme des « hauts lieux » pour le tourisme de citadins, mais
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aussi pour la définition de l'identité régionale. Dans les transformations actuelles, l'analyse
de ces processus permet d'envisager le paysage en tant que projet.
Dans la cinquième session Marie-Vic Ozouf-Marignier (EHESS, Paris) a examiné l'usage
de la métaphore médicale dans le champ de l'aménagement des territoires en France et en
Europe. L'emploi des métaphores anatomiques est très ancien en géographie, mais c'est
depuis les années 1940-1950 que, dans les langages de la géographie et de l'aménagement,
le territoire est défini comme s'il s'agissait d'un organisme malade, en parlant de congestion,
asphyxie, sclérose, paralyse, etc. Après avoir analysé l'affirmation presque institutionnelle
de ce vocabulaire, la communication a souligné l'affirmation récente, dans les définitions
des territoires, de métaphores nouvelles qui peuvent venir des vocabulaires de l'ingénierie,
du cinéma ou de l'entreprise.
Marie-Claire Robic (CNRS, équipe E.H.GO) a proposé une étude du « géographe de plein
vent », c'est-à-dire - d'après la définition de Lucien Febvre - du géographe moderne qui se
pose en figure mixte entre le géographe qui travaille en « cabinet » et celui qui travaille sur
le «terrain ». En partant de l'ancienne opposition de ces figures, représentées d'un côté par
Humboldt et de l'autre côte par Cuvier, l'intervention a abordé la figure de Paul Vidal de La
Blache en tant qu'exemple de la nouvelle démarche à la charnière entre XIXe et XXe siècle.
C'est en analysant l'oeuvre vidalienne de construction du paysage français qu'on peut
constater la présence des deux méthodes, notamment en comparant son Tableau de la
géographie de la France à ses Carnets de voyage. Les textes édités et inédits, en effet, se
croisent en démontrant l'importance que Vidal accordait à l'observation directe.
Guy Mercier (université de Laval, Québec) a communiqué à son tour sur l'oeuvre de Vidal
de La Blache, en la liant à la démarche qu'il appelle du « romantisme scientifique ». C'est à
ce romantisme qu'on doit rattacher l'idée de paysage telle que l'a développée Vidal et qui,
de quelque façon que ce soit, concerne encore notre époque.
Jean-Louis Yengue (université de Tours) a enfin présenté des cas d'études signifiants de
l'application des Systèmes d'information géographique (SIG) à la représentation et à
l'interprétation du paysage.
Dans la sixième séance María Luisa Ramírez López (université de Cordoue) a analysé les
images des villes andalouses dressées par Gustave Doré pour les différentes éditions du
Voyage en Espagne de Charles Davilliers (parues en France chez Hachette depuis 1862,
d'abord dans Tour du Monde et ensuite dans un volume à part).
Juan Ojeda et Buenaventura Delgado (université Pablo de Olavide de Séville) ont analysé
de nombreuses représentations littéraires et picturales des paysages ruraux andalous chez
des auteurs contemporains.
Agnés du Vachat (ENSP, Versailles) a proposé une galerie de représentations de l'Espagne
réalisées par des géographes et des voyageurs français pendant l'âge moderne.
Enfin, le rédacteur du présent compte rendu a communiqué les résultats de ses recherches
sur l'idée de paysage chez Élisée Reclus, notamment à propos de ses correspondances de
travail avec les éditeurs Hetzel et Hachette.
Dans la séance conclusive, les organisateurs Ortega-Cantero et Garcia-Álvarez ont rappelé
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que le prochain symposium de la commission sur l'histoire de la géographie de l'UGI aura
lieu en Israël, en juillet 2010, sur le thème « Géographie, civilisation et identité culturelle
en perspective historique ».
Des réunions supplémentaires étaient aussi prévues. Dans la première, Eduardo Martinez de
Pisón (université Autónoma de Madrid), professeur de géographie physique, a illustré d'une
façon approfondie l'histoire et les problèmes de la fondation du futur parc national de la
sierra de Guadarrama, en démontrant l'importance des disciplines géographiques face aux
défis environnementaux qui touchent toute une communauté. Dans la deuxième, Maria
Dolors García Ramon (université de Barcelone) et Perla Zusmán (université de Buenos
Aires) ont présenté leur dernier livre : Una mirada catalana a l'África. Viatgers et viatgeres
dels segles XIX i XX (1859-1936) . L'originalité de ce regard catalan réside en deux
caractéristiques : d'une part, il ne s'agit pas d'un regard uniquement masculin, d'autre part,
les nationalités des auteurs ne représentent aucune des principales puissances coloniales
européennes de l'époque.
Les journées du colloque ont été enrichies ultérieurement par deux excursions, la première
à la sierra de Guadarrama et la deuxième à la ville de Tolède.
Tous les participants ont souligné la parfaite organisation mise en oeuvre par les hôtes
espagnols, permettant ainsi aux intervenants de bien travailler dans un environnement
agréable.
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Notes
1. Nora, P. (sous la dir. de), Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1984-1992.
Federico Ferretti
Doctorant en géographie.
Université de Bologne - Département des disciplines historiques et Paris 1 Sorbonne-Panthéon,
UMR 8504 Géographie-Cités.
Courriel : [email protected]
Bibliographie

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