Les outils évolués de conception d`automatismes existent

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Les outils évolués de conception d`automatismes existent
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F orum
JOURNÉE DU CLUB AUTOMATION
Les outils évolués de conception
d’automatismes existent, mais
trop peu s’y intéressent…
▼
Une journée organisée dernièrement par le Club Automation a permis de faire le point sur l’évolution des outils et méthodes
pour les automaticiens. Celle-ci s’est intéressée aux industries de pointe, les mieux placées pour déployer les dernières technologies. Si les univers du nucléaire ou des transports n’hésitent pas à recourir aux techniques d’avant-garde de développement et de validation des projets, une industrie plus classique telle que l’industrie automobile s’appuie surtout sur des outils
standard. Mais la demande est là. Aux fournisseurs de matériels et logiciels de suivre.
A
une époque pas si éloignée
(disons il y a une quinzaine
d’années), le monde des automatismes s’est trouvé à la croisée des chemins. On n’était pas loin de penser qu’il allait suivre l’évolution de l’univers
de l’informatique où l’on voyait une séparation de plus en plus nette entre les
constructeurs de matériels d’un côté, et les
éditeurs d’outils de développement logiciel
de l’autre. On voyait en effet poindre des éditeurs d’ateliers logiciels universels (Sygral avec
Gral, Eurilor avec Cadepa, CJ International avec Isagraf, voire Geoide avec K-Sys, etc.), des éditeurs
de simulation de partie opérative (Prosyst,
pour n’en citer qu’un), des éditeurs de logiciels de supervision, etc. On commençait à
penser que le temps allait se gâter pour les
constructeurs d’automates programmables,
d’autant que la menace des PC commençait
à se préciser. On sait ce qu’il en est advenu.
Les constructeurs d’automate ont repris la
main et, à part peut-être en supervision, le
marché n’a semblé autant verrouillé.
Dans ce contexte, il fallait au Club Automation
une sacrée dose d’optimisme pour oser organiser une journée sur les méthodes et outils
pour l’automatisation. Parce que dans ce
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domaine, on ne peut pas dire que l’on croule sous les annonces. Cette journée, le Club l’a
organisée au printemps dernier avec présent
à l’esprit ce qui est sa ligne de conduite
depuis toujours : faire partager les expériences entre utilisateurs.
Aux constructeurs de développer
des solutions
La première intervention est celle qui a sans
doute le plus retenu l’attention : il faut dire
qu’elle touchait l’univers de l’automobile,
qui a de tout temps été le premier marché de
l’automate programmable. Le plus “moteur”
aussi. Laurent Mauguy, responsable qualité
Automatisme chez PSA a expliqué la politique de la société en matière d’outils numériques. On connaît le contexte : d’une part,
le temps de développement des nouveaux
projets est de plus en plus court et d’autre
part les automatismes de production doivent
être de plus en plus fiables parce que les arrêts
de production sont de moins en moins tolérés.A en croire M. Mauguy, les développeurs
Les automatismes actuels
sont très largement opérationnels.Mais les exigences
des industriels sont de plus
en plus fortes :il faut réduire les coûts de développement,les coûts de mise en
service,les coûts dus aux
arrêts machines.Des outils
permettent de progresser sur
tous ces points mais leur
utilisation est loin d’être
généralisée…
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en automatismes sont loin d’avoir atteint le
niveau de certains de leurs homologues en
informatique. La non-qualité reste présente
en programmation, en schématique, en documentation et même au niveau des fonctions
d’automatismes à réaliser (oubli de fonctions).Ajouté à cela, les données ne sont pas
cohérentes (il y a des barrières entre les univers de la mécanique, de l’électricité et de la
pneumatique, par exemple) et surtout, elles
nécessitent plusieurs saisies, avec plusieurs
outils différents (d’où des pertes de temps et
des risques d’erreurs). « Résultat, constate
M. Mauguy, il reste toujours aussi difficile de réutiliser
un développement, les coûts d’étude ne baissent pas et les
délais ne diminuent pas.Pour éviter de se retrouver dans une
situation critique,une rupture est nécessaire ».
Le constat est sévère mais fort heureusement
des solutions existent. C’est le cas de la simulation de partie opérative, qui consiste à créer
un modèle logiciel de l’environnement de
l’automate afin de s’assurer a priori que le
programme automate est opérationnel, sans
avoir pour cela à passer beaucoup de temps
à réaliser des mises au pont sur le site. PSA
est depuis longtemps convaincu de l’intérêt
de la simulation de partie opérative et il utilise d’ailleurs les outils SIMAC de Schneider
(suite au rachat par celui-ci de la société Prosyst) et ControlBuild_Validation de TNI-Software. PSA regrette que tous les fournisseurs
de biens d’équipements n’aient pas encore
sauté le pas. Qu’à cela ne tienne, le constructeur automobile va imposer de plus en plus
l’utilisation de cet outil. Et formule un vœu :
que la simulation de partie opérative soit
intégrée dans les ateliers logiciels des
constructeurs d’automatismes.
Dans un registre un peu différent, PSA utilise
également des outils spécialisés pour mettre
au point les installations et, une fois celles-ci
réalisées, améliorer les performances et diagnostiquer précisément les causes des problèmes éventuels. Ces outils, tels que les cartes
Aidiag/Aidmap de Prosyst/Schneider ou Codyscop+ d’Uptime System,consistent à “espionner”
le bus interne des automates afin de dresser
un chronogramme précis des mouvements.
Là aussi, une intégration dans les ateliers logiciels des constructeurs d’automates est vivement souhaitée. Quant aux fournisseurs de
biens d’équipements, ils sont “cordialement
invités” à s’y mettre afin de démontrer qu’ils
ont bien atteint leurs objectifs…
Le contrôle des logiciels d’automatismes est
également une préoccupation. PSA impose
des référentiels de programmation à ses fournisseurs mais elle reconnaît que cela a ses
limites car le résultat dépend du programmeur et que souvent les programmeurs
te) mais le code généré était illisible.
1996 voit le démarrage du projet Spirale en partenariat avec TNI et qui utilise notamment l’outil de spécification SPEX et le logiciel de simulation
MAXSIm de cette société, l’idée étant
de construire et d’animer une application de manière graphique, avec des
objets multifacettes (programme,
schéma, documentation, etc.). Ces
développements ont été exportés vers
des automates Schneider et Siemens. Ce
projet est ensuite prolongé à partir de
Demain,la conception des automatismes industriels fera peut-être appel à des
techniques utilisées dans le génie logiciel ou à celles mises en œuvre dans les auto- 2002 avec le concept OI-Pro, en parmatismes pour applications embarquées.A la journée du Club Automation,plu- tenariat avec Schneider (et toujours avec
sieurs intervenants ont émis le souhait que l’automaticien sorte de son ghetto.
TNI), qui aboutit à de nouvelles applications pilote en 2004. Ces applicachangent de poste. Le constructeur automo- tions confirment la faisabilité de la démarche
bile a développé l’outil Logistest de contrô- mais elles confirment aussi qu’il faut pourle de programmes en partenariat avec Siemens suivre les développements pour obtenir un
et étudie l’outil “Qualimétrie” en coopération travail abouti. En fait, il n’y a plus de réel obsavec Novalis. Là aussi, à terme, le souhait est tacle technique pour aller plus loin, mais pluque ces outils soient intégrés dans les ateliers tôt des obstacles “politiques” : « Il faut que les
logiciels des constructeurs d’automates.
constructeurs d’automatismes s’impliquent davantage,que
Malgré ces avancées, il reste beaucoup à fai- les outils tiers que nous utilisons soient supportés par leurs
re : « Nous continuons à décrire les besoins fonctionnels plateformes logicielles.A terme,il faudra aussi que tous les
sur papier,nous continuons d’écrire du code,nous “refai- outils utilisés puissent être reliés et qu’ils soient cohérents
sons sans réutiliser”,le départ d’un automaticien est tou- et non redondants avec les outils numériques de description
jours une perte de maîtrise des règles de l’art », consta- de process de Dextus et Tecnomatix que nous utilisons par
te M. Mauguy.Alors, le but ultime de PSA en ailleurs », conclut M. Mauguy. Il faudra aussi
matière d’automatismes, c’est la conception que la mentalité de l’automaticien continue
assistée et automatisée, réalisée à l’aide d’ob- d’évoluer, qu’il s’intéresse davantage au trajets et avec génération automatique de code vail de spécification, sachant qu’il aura des
automate. Et ce vœu ne date pas d’hier. Dès outils pour l’aider à générer son code auto1991, elle engageait une réflexion avec la mate. Bref, on n’est pas rendu, comme le
société Geoide et son outil de conception objet souligne Mickael Proisy (St Louis Sucre) :
K-Sys (qui a été racheté par Siemens par la sui- « Quand nous recrutons des automaticiens,nous consta-
La simulation de partie opérative
Les logiciels de simulation de partie opérative ont pour but de simuler le comportement d’une installation telle que la voit l’automate, c’est-à-dire au niveau
des capteurs et des actionneurs. Ils présentent de nombreux intérêts. Voici
quelques points listés par Frédéric Pé de Assystem Services :
➜ Possibilité de tester de manière exhaustive le comportement des automates
et superviseurs dans différents modes de fonctionnement (notamment en
mode dégradé), sans danger pour l’installation
➜ Le test se fait en plate-forme, hors site, sans avoir besoin de l’installation :
ceci réduit le temps de démarrage et d’intervention lors de l’installation sur le
site (et donc les coûts qui leur sont liés)
➜ La simulation permet de répéter plusieurs fois les mêmes essais (par
exemple avant et après une modification de l’automate) et de comparer les
résultats dans le but de vérifier une non régression du programme
➜ Elle permet de faire des essais plus risqués et plus complets afin d’optimiser
et/ou fiabiliser le système de contrôle/commande
➜ La simulation permet de former les opérateurs et agents de maintenance
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tons que très peu sont capables de faire de l’analyse fonctionnelle, tout simplement parce que celle-ci n’est pas
incluse dans leur formation ».
Des solutions standard
et pérennes
Cette intervention a suscité pas mal de débats.
Gérard Morel (Université de Nancy) voit dans les
travaux de PSA un prolongement des travaux
sur le projet PTA (Poste de Travail de l’Automaticien) auquel il a participé il y a une quinzaine d’années. Il s’interroge sur les raisons
qui ont poussé PSA à ne pas coopérer avec le
milieu universitaire, et de s’appuyer plutôt
sur les constructeurs et éditeurs de logiciels.
Réponse de M. Mauguy : « Nous formulons un
besoin à nos fournisseurs, nous voulons des outils opérationnels,à large diffusion,pérennisés.C’est à nos fournisseurs d’aller voir ce que peuvent leur apporter les laboratoires universitaires ». Pourtant, les fournisseurs,
M. Mauguy l’a souligné à plusieurs reprises
lors de son intervention, ne s’impliquent pas
assez. Pour Dominique Thibot (Siemens), il n’y
a pas de réserve de fond de leur part, mais
comme « PSA veut des outils standard et à large diffusion, les constructeurs font des études de marché avant
de se lancer.Et avant de se lancer dans un projet d’envergure,il faut qu’ils aient perçu une demande ».
Bertrand Ricque (Sagem) suggère de s’intéresser davantage aux pratiques des informaticiens,
parce qu’en matière de langages,« il est clair qu’il
y a plus d’évolutions du côté de l’Ada ou du C++ que des
langages de l’IEC-1131 utilisés par les automaticiens ».
Michel Galinier (AFIS) conseille quant à lui à
PSA d’aller voir un peu ce qui se passe du côté
d’Airbus ou de la RATP (conduite de métros),
où la génération automatique de code est une
réalité, avec des compilateurs certifiés, et où
des techniques permettent de s’assurer que le
code généré répond bien aux spécifications
fonctionnelles listées dans le cahier des charges
(la méthode formelle B, par exemple). « Nous
avons regardé cela de près,répond M.Mauguy.Mais ces
applications sont très différentes des nôtres! Les projets sont
rares et ils s’étalent sur plusieurs années. C’est strictement
l’inverse pour nous.Mais si Airbus ou la RATP font évoluer
leurs outils pour les rendre accessibles et faciles à mettre en
œuvre,nous sommes preneurs! ».Marc Frouin (TNI Software) pense que les choses évoluent dans le
bons sens :« Nous travaillons aussi bien avec PSA qu’Airbus. C’est vrai que les besoins sont très différents. Malgré
tout,nous constatons qu’un certain nombre de convergences
sont en route,qui devraient simplifier à terme la solution des
problèmes industriels ».
Simuler, encore et toujours
Les problèmes d’automatismes propres à l’industrie automobile sont très largement transposables à d’autres industries. Le Club Automation s’efforce aussi d’attirer l’attention sur
des industries plus pointues, qui ont développé leurs propres solutions. C’était le cas
lors de cette même journée où, à côté de
l’intervention de PSA,on a pu voir des inter-
ventions d’EDF,Alstom (véhicules de transport)
et Clearsy (réalisation d’un modèle fonctionnel formel d’un véhicule militaire) par
exemple. Dans tous ces cas, une démarche
de développement très structurée a été mise
en place, avec de très nombreux tests de validation de la conformité d’une application
par rapport aux spécifications fonctionnelles.
Des modélisations et des simulations très
poussées participent à la validation des projets. Avec des outils pas forcément très
connus. Par exemple, EDF utilise l’outil
Dymola de la société suédoise Dynasim. Un
outil jugé très performant mais qui impose
des contraintes, comme le souligne Dominique Galara (EDF) : « Le langage Modelica suppose un changement de culture par rapport aux langages
informatiques classiques. Il faut plus de rigueur dans
la description du modèle mathématique,le déverminage
du code généré est plus difficile car le code généré,algorithmique,est très différent du code source mathématique ». « Si vous n’aviez pas les contraintes de la
sûreté inhérent aux centrales nucléaires, estimez-vous
que le jeu en vaut la chandelle », interroge
M. Ricque (Sagem). En fait, la question ne se
pose pas réellement, puisqu’il y a justement les problèmes de sûreté. « Mais maintenant que les investissements ont été réalisés, nous en
faisons profiter d’autres unités d’EDF, en particulier
les centrales thermiques », indique François Cheriaux (EDF).
Jean-François Peyrucat
Ils ont dit…
Mickael Proisy - St Louis Sucre
« Aujourd’hui, l’automaticien joue avec les bits. Tant qu’il restera comme ça et qu’il ne prendra pas une dimension systèmes,
on n’en sortira pas… ».
Jean-Marc Faure - ENS Cachan
« Il faut que l’enseignement en automatique intègre la notion
systèmes et prenne en compte l’arrivée des outils de simulation.
Il faut aussi que les fournisseurs et les utilisateurs s’impliquent
réellement. On voit l’importance que prend l’ingénierie systèmes dans certains pays. Il faut que l’on s’y mette, c’est une
question de vie ou de mort ».
Cédric Bernard - Schneider Electric
« Les constructeurs ont beaucoup de mal à convaincre les
industriels à utiliser les dernières générations d’outils et
méthodes. Et ce pour une raison simple : c’est que ces outils ne
s’adressent pas à une seule personne ou un seul service mais à
plusieurs. Et lorsque beaucoup de gens sont impliqués, il est
plus difficile de convaincre, d’avoir l’adhésion de l’ensemble, de
dégager des perspectives de gains et d’améliorations. Les outils
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collaboratifs permettront d’aller plus loin dans ce genre d’approche ».
Gérard Morel – Université de Nancy
« En tant qu’universitaire, j’ai participé à la réalisation de pas mal
d’outils que l’on trouve aujourd’hui sur le marché. Mais il serait
impossible de faire aujourd’hui ce que l’on a fait à l’époque, où il
suffisait d’avoir une idée et d’aller voir l’Adepa ou l’ADI pour la
financer et la développer. Aujourd’hui, si on veut avancer, il faut
aller dans un programme européen. C’est beaucoup plus difficile !
La barre est placée beaucoup trop haut et du coup rien ne se passe : les jeunes, les enseignants chercheurs sont découragés. Et
quand bien même ils arriveraient à mener un projet, leur travail
ne serait pas reconnu… ».
Jean-Pierre Douche – St Gobain Glass
« Le président de St Gobain a participé à une mission de
réflexion pour développer des projets en faveur de l’industrie.
Au niveau de certains décideurs, il y a une prise de conscience
qu’il faut faire bouger les choses. Tout espoir n’est pas perdu ! ».
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