01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14 15 Deux heures en train
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01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14 15 Deux heures en train
Bonjour 01 02 03 Matin matin petit matin perdu dans le grand matin Bonjour petit matin du jour. 04 05 06 07 Bonjour de plume et de poil et poutre et paille. Bonjour de sac et de corde et d’amour et d’eau fraîche. 08 09 10 11 Bonjour du pain et du vin. Bonjour de l’herbe et du vent et nuit et jour et le diable et son train. 12 13 14 15 Bonjour les baguettes du soleil battent sur le tambour des routes de fer et de feu de paille et de poutre 16 et d’amour et d’eau fraîche. Jean-François Chabrun (1920 - 1997) Poète, résistant, journaliste, écrivain et critique d'art. Deux heures en train 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14 15 En deux heures de train je repasse le film de ma vie Deux minutes par année en moyenne Une demi-heure pour l'enfance une autre pour la prison L'amour, les livres, l'errance se partagent le reste La main de ma compagne fond peu à peu dans la mienne et sa tête sur mon épaule est aussi légère qu'une colombe À notre arrivée j'aurai la cinquantaine et il me restera à vivre une heure environ Abdellatif Laâbi - L'Étreinte du monde, 1993 http://clicnet.swarthmore.edu/litterature/moderne/laabi/heure.html Liste de choses qui peuvent être utiles à un poète 25 26 Des choses qui sont en plus dans l’univers Des choses qui sont hors de l’univers 01 02 Des choses qui ne sont pas loin d’ici Des choses inaccessibles hors-jeu 27 28 Des choses dont la majesté est sublime Des choses qui ressemblent à rien 03 04 Des choses qui peuvent être parlées clairement Des choses en schizolangouie 29 30 Des choses qui devraient faire pleurer Et puis rire et pleurer de rire en doux fourire 05 06 Des choses perdues dans le Sahara Des choses en vent des déserts 31 32 Des choses qui sont inutiles Des choses très inutiles 07 08 Des choses qui veulent rien dire Et puis tout dire en même temps 33 34 Des choses dont la solitude fait peur Des choses dont la solitude émeut 09 10 Des choses qui sont plus exquises que d’autres Plus exquises et plus sublimes que d’autres 35 36 Des choses comme des fleurs mais qui ne le sont pas Des choses comme des papillons déguisés en fleurs 11 12 Des choses qui on l’air honnête sans aucun doute Des choses qui nous font des clins de zœil 37 38 Des choses pleines de trous Des choses en forme de cercles volants 13 14 Des choses qui sont sur un piédestal Des choses qui font des pieds de nez 39 40 Des choses sans détours Des choses sans contours 15 16 Des choses qui donnent de l’espoir Et encore de l’espoir et encore de l’espoir 41 42 Des choses qui vous endorment Des choses qui vous caressent 17 18 Des choses qui sont meilleures qu’elles en ont l’air Des choses pourries et moisies 43 44 Des choses qui refusent d’être appréhendées Des choses qui s’envolent si on les touche 19 20 Des choses qui sont enterrées dans le sol Enfouies au cœur de la terre ou de l’homme 45 46 Des choses qui prétendent être des choses Et puis bien d’autres choses 21 22 Des choses qui devraient être cueillies aujourd’hui Ou demain s’il ne pleut pas 23 24 Des choses qui sont pas croyables Des choses qui sont pas croyables Raymond Federman (né en 1928) Coups de pompes, 2007 À http://www.federman.com/ on lit (en anglais ) : Romancier / Poète / Critique / Traducteur … Photo : http://www.raymondfederman.blogspot.com/ - 23 mai 2009 Chanson d’automne 1 2 3 4 5 6 Les sanglots longs Des violons De l'automne Blessent mon cœur D'une langueur Monotone. 7 8 9 10 11 12 Tout suffocant Et blême, quand Sonne l'heure, Je me souviens Des jours anciens Et je pleure; 13 14 15 16 17 18 Et je m'en vais Au vent mauvais Qui m'emporte Deça, delà Pareil à la Feuille morte. De soi-même 1 2 3 4 5 6 7 8 Plus ne suis ce que j'ai été, Et ne le saurais jamais être. Mon beau printemps et mon été Ont fait le saut par la fenêtre. Amour, tu as été mon maître, Je t'ai servi sur tous les Dieux. Ah si je pouvais deux fois naître, Comme je te servirais mieux ! Clément MAROT (1497-1544) Épigrammes Paul VERLAINE (1844-1896), Poèmes saturniens, 1866 Pourquoi je vis Rythmes du soir 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 Pourquoi que je vis Pourquoi que je vis Pour la jambe jaune D'une femme blonde Appuyée au mur Sous le plein soleil Pour la voile ronde D'un pointu du port Pour l'ombre des stores Le café glacé Qu'on boit dans un tube Pour toucher le sable Voir le fond de l'eau Qui devient si bleu Qui descend si bas Avec les poissons Les calmes poissons Ils paissent le fond Volent au-dessus Des algues cheveux Comme zoizeaux lents Comme zoizeaux bleus Pourquoi que je vis Parce que c'est joli 1 2 3 4 Voici que le dahlia, la tulipe et les roses Parmi les lourds bassins, les bronzes et les marbres Des grands parcs où l'Amour folâtre sous les arbres Chantent dans les soirs bleus ; monotones et roses 5 6 7 8 Chantent dans les soirs bleus la gaîté des parterres, Où danse un clair de lune aux pieds d'argent obliques, Où le vent de scherzos quasi mélancoliques Trouble le rêve lent des oiseaux solitaires, 9 10 11 12 Voici que le dahlia, la tulipe et les roses, Et le lys cristallin épris du crépuscule, Blêmissent tristement au soleil qui recule, Emportant la douleur des bêtes et des choses ; 13 14 15 16 Voici que le dahlia, comme un amour qui saigne, Attend d'un clair matin les baisers frais et roses, Et voici que le lys, la tulipe et les roses Pleurent les souvenirs dont mon âme se baigne. Montréal, 1897 Boris Vian (1920-1959) 1952 Émile Nelligan (1879-1941) L'âme du poète L'enfance 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 Qu'ils étaient doux ces jours de mon enfance Où toujours gai, sans soucis, sans chagrin, je coulai ma douce existence, Sans songer au lendemain. Que me servait que tant de connaissances A mon esprit vinssent donner l'essor, On n'a pas besoin des sciences, Lorsque l'on vit dans l'âge d'or ! Mon cœur encore tendre et novice, Ne connaissait pas la noirceur, De la vie en cueillant les fleurs, 12 13 14 15 16 17 18 Je n'en sentais pas les épines, Et mes caresses enfantines Étaient pures et sans aigreurs. Croyais-je, exempt de toute peine Que, dans notre vaste univers, Tous les maux sortis des enfers, Avaient établi leur domaine ? 19 20 21 22 23 24 Nous sommes loin de l'heureux temps Règne de Saturne et de Rhée, Où les vertus, les fléaux des méchants, Sur la terre étaient adorées, Car dans ces heureuses contrées Les hommes étaient des enfants. 1822 Gérard de Nerval (1808-1855) Poésies de jeunesse Beau papillon près du sol 1 2 3 4 Beau papillon près du sol, à l'attentive nature montrant les enluminures de son livre de vol. 5 6 7 8 Un autre se ferme au bord de la fleur qu'on respire - : ce n'est pas le moment de lire. Et tant d'autres encor, 9 10 11 12 de menus bleus, s'éparpillent, flottants et voletants, comme de bleues brindilles d'une lettre d'amour au vent, 13 14 15 16 d'une lettre déchirée qu'on était en train de faire pendant que la destinataire hésitait à l'entrée. Rainer Maria Rilke (1875-1926) Les Quatrains Valaisans, n° 36 Chanson du vitrier 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 Hommage à la vie Comme c'est beau ce qu'on peut voir comme ça à travers le sable à travers le verre à travers les carreaux tenez regardez par exemple comme c'est beau ce bûcheron là-bas au loin qui abat un arbre pour faire des planches pour le menuisier qui doit faire un grand lit pour la petite marchande de fleurs qui va se marier avec l'allumeur de réverbères qui allume tous les soirs les lumières pour que le cordonnier puisse voir clair en réparant les souliers du cireur qui brosse ceux du rémouleur qui affûte les ciseaux du coiffeur qui coupe le ch'veu au marchand d'oiseaux qui donne ses oiseaux à tout le monde pour que tout le monde soit de bonne humeur. Jacques Prévert (1900-1977) Histoires 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 C'est beau d'avoir élu Domicile vivant Et de loger le temps Dans un cœur continu, Et d'avoir vu ses mains Se poser sur le monde Comme sur une pomme Dans son petit jardin, D'avoir aimé la terre, La lune et le soleil Comme des familiers Qui n'ont pas leurs pareils, Et d'avoir confié Le monde à sa mémoire Comme un clair cavalier A sa monture noire, D'avoir donné visage A ces mots : femme, enfants, Et servir de rivage A d'errants continents Et d'avoir atteint l'âme A petits coups de rame Pour ne l'effaroucher D'une brusque approchée. C'est beau d'avoir connu L'ombre sous le feuillage Et d'avoir senti l'âge Ramper sur le corps nu, Accompagné la peine Du sang noir dans nos veines Et doré son silence De l'étoile Patience Et d'avoir tout ces mots Qui bougent dans la tête, De choisir les moins beaux Pour leur faire un peu fête, D'avoir senti la vie, Hâtive et mal aimée, De l'avoir enfermée Dans cette poésie. Jules Supervielle (1884-1960) Oublieuse mémoire Le bonheur n'a pas filé ! Le bonheur 1 Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite. Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite. Il va filer. 2 Si tu veux le rattraper, cours-y vite, cours-y vite. Si tu veux le rattraper, cours-y vite. Il va filer. 3 Dans l’ache et le serpolet, cours-y vite, cours-y vite, dans l’ache et le serpolet, cours-y vite. Il va filer. 4 Sur les cornes du bélier, cours-y vite, cours-y vite, sur les cornes du bélier, cours-y vite. Il va filer. 5 Sur le flot du sourcelet, cours-y vite, cours-y vite, sur le flot du sourcelet, cours-y vite. Il va filer. 6 De pommier en cerisier, cours-y vite, cours-y vite, de pommier en cerisier, cours-y vite. Il va filer. 7 Saute par-dessus la haie, cours-y vite, cours-y vite. Saute par-dessus la haie, cours-y vite ! Il a filé ! Paul FORT (1872 - 1963) Ballades du beau hasard 1 2 3 4 5 6 Quand le bonheur a filé, Dans le ru Ou sur le pré, Quand le bonheur a filé, J'ai couru, L'ai rattrapé. 7 8 9 10 11 12 Quand le bonheur m'a souri, Dans le soir, Tout près de lui, Quand le bonheur m'a souri, Plein d'espoir Je n'ai pas fui. 13 14 15 16 17 18 Quand le bonheur m'a parlé Doucement, J'ai écouté, Quand le bonheur m'a parlé, Gentiment L'ai invité. 19 20 21 22 23 24 Quand le bonheur m'a suivi Dans mes pas, Joyeux, ravi, Quand le bonheurm'a suivi, Par le bras, Je l'ai saisi. 25 26 27 28 29 30 Quand le bonheur est entré, Tout heureux Il s'est chauffé, Quand le bonheur est entré, Pour nous deux Il a chanté. 31 32 33 34 35 36 Quand le bonheur est resté, Quelques jours, L'ai regardé, Quand le bonheur est resté, Pour toujours Je l'ai gardé! Dominique SIMONET (1941) Ballades du beau hasard Après la pluie 1 2 3 4 IL a plu. Les feuilles s’égouttent. Le ciel est bleu. Le soleil luit. Le vent passe à tout petit bruit. Les fleurs des prés embaument toutes. 5 6 7 8 Les vitres ont des perles d’eau Rondes et pleines de lumière, Qui fondent lentement derrière La mousseline des rideaux. 9 10 11 12 La lune, ce soir, dans les mares Mirera son visage bleu, Quand des étoiles, peu à peu Paraîtront les floraisons rares. 13 14 15 16 La terre n’est plus qu’une odeur Qui monte vers l’azur tranquille, Fraîche maintenant comme une île, Purifiée et sans ardeur. 17 18 19 20 L’herbe est humide au bord des routes, Où les arbres font un ciel vert Qui frissonne comme la mer. Il a plu. Les feuilles s’égouttent. Albert Lozeau (1878 - 1924) Le Miroir des jours