01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14 15 Deux heures en train

Transcription

01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14 15 Deux heures en train
Bonjour
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Matin matin
petit matin perdu dans le grand matin
Bonjour petit matin du jour.
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Bonjour de plume et de poil
et poutre et paille.
Bonjour de sac et de corde
et d’amour et d’eau fraîche.
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Bonjour du pain et du vin.
Bonjour de l’herbe et du vent
et nuit et jour
et le diable et son train.
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Bonjour les baguettes du soleil
battent sur le tambour des routes
de fer et de feu
de paille et de poutre
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et d’amour et d’eau fraîche.
Jean-François Chabrun (1920 - 1997)
Poète, résistant, journaliste, écrivain et critique d'art.
Deux heures en train
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En deux heures de train
je repasse le film de ma vie
Deux minutes par année en moyenne
Une demi-heure pour l'enfance
une autre pour la prison
L'amour, les livres, l'errance
se partagent le reste
La main de ma compagne
fond peu à peu dans la mienne
et sa tête sur mon épaule
est aussi légère qu'une colombe
À notre arrivée
j'aurai la cinquantaine
et il me restera à vivre
une heure environ
Abdellatif Laâbi - L'Étreinte du monde, 1993
http://clicnet.swarthmore.edu/litterature/moderne/laabi/heure.html
Liste de choses qui peuvent être utiles à un poète
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Des choses qui sont en plus dans l’univers
Des choses qui sont hors de l’univers
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Des choses qui ne sont pas loin d’ici
Des choses inaccessibles hors-jeu
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Des choses dont la majesté est sublime
Des choses qui ressemblent à rien
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Des choses qui peuvent être parlées clairement
Des choses en schizolangouie
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Des choses qui devraient faire pleurer
Et puis rire et pleurer de rire en doux fourire
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Des choses perdues dans le Sahara
Des choses en vent des déserts
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Des choses qui sont inutiles
Des choses très inutiles
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Des choses qui veulent rien dire
Et puis tout dire en même temps
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Des choses dont la solitude fait peur
Des choses dont la solitude émeut
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Des choses qui sont plus exquises que d’autres
Plus exquises et plus sublimes que d’autres
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Des choses comme des fleurs mais qui ne le sont pas
Des choses comme des papillons déguisés en fleurs
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Des choses qui on l’air honnête sans aucun doute
Des choses qui nous font des clins de zœil
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Des choses pleines de trous
Des choses en forme de cercles volants
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Des choses qui sont sur un piédestal
Des choses qui font des pieds de nez
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Des choses sans détours
Des choses sans contours
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Des choses qui donnent de l’espoir
Et encore de l’espoir et encore de l’espoir
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Des choses qui vous endorment
Des choses qui vous caressent
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Des choses qui sont meilleures qu’elles en ont l’air
Des choses pourries et moisies
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Des choses qui refusent d’être appréhendées
Des choses qui s’envolent si on les touche
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Des choses qui sont enterrées dans le sol
Enfouies au cœur de la terre ou de l’homme
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Des choses qui prétendent être des choses
Et puis bien d’autres choses
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Des choses qui devraient être cueillies aujourd’hui
Ou demain s’il ne pleut pas
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Des choses qui sont pas croyables
Des choses qui sont pas croyables
Raymond Federman (né en 1928)
Coups de pompes, 2007
À http://www.federman.com/ on lit (en anglais ) : Romancier / Poète / Critique / Traducteur …
Photo : http://www.raymondfederman.blogspot.com/ - 23 mai 2009
Chanson d’automne
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Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon cœur
D'une langueur
Monotone.
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Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l'heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure;
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Et je m'en vais
Au vent mauvais
Qui m'emporte
Deça, delà
Pareil à la
Feuille morte.
De soi-même
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Plus ne suis ce que j'ai été,
Et ne le saurais jamais être.
Mon beau printemps et mon été
Ont fait le saut par la fenêtre.
Amour, tu as été mon maître,
Je t'ai servi sur tous les Dieux.
Ah si je pouvais deux fois naître,
Comme je te servirais mieux !
Clément MAROT (1497-1544)
Épigrammes
Paul VERLAINE (1844-1896),
Poèmes saturniens, 1866
Pourquoi je vis
Rythmes du soir
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Pourquoi que je vis
Pourquoi que je vis
Pour la jambe jaune
D'une femme blonde
Appuyée au mur
Sous le plein soleil
Pour la voile ronde
D'un pointu du port
Pour l'ombre des stores
Le café glacé
Qu'on boit dans un tube
Pour toucher le sable
Voir le fond de l'eau
Qui devient si bleu
Qui descend si bas
Avec les poissons
Les calmes poissons
Ils paissent le fond
Volent au-dessus
Des algues cheveux
Comme zoizeaux lents
Comme zoizeaux bleus
Pourquoi que je vis
Parce que c'est joli
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Voici que le dahlia, la tulipe et les roses
Parmi les lourds bassins, les bronzes et les marbres
Des grands parcs où l'Amour folâtre sous les arbres
Chantent dans les soirs bleus ; monotones et roses
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Chantent dans les soirs bleus la gaîté des parterres,
Où danse un clair de lune aux pieds d'argent obliques,
Où le vent de scherzos quasi mélancoliques
Trouble le rêve lent des oiseaux solitaires,
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Voici que le dahlia, la tulipe et les roses,
Et le lys cristallin épris du crépuscule,
Blêmissent tristement au soleil qui recule,
Emportant la douleur des bêtes et des choses ;
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Voici que le dahlia, comme un amour qui saigne,
Attend d'un clair matin les baisers frais et roses,
Et voici que le lys, la tulipe et les roses
Pleurent les souvenirs dont mon âme se baigne.
Montréal, 1897
Boris Vian (1920-1959)
1952
Émile Nelligan (1879-1941)
L'âme du poète
L'enfance
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Qu'ils étaient doux ces jours de mon enfance
Où toujours gai, sans soucis, sans chagrin,
je coulai ma douce existence,
Sans songer au lendemain.
Que me servait que tant de connaissances
A mon esprit vinssent donner l'essor,
On n'a pas besoin des sciences,
Lorsque l'on vit dans l'âge d'or !
Mon cœur encore tendre et novice,
Ne connaissait pas la noirceur,
De la vie en cueillant les fleurs,
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Je n'en sentais pas les épines,
Et mes caresses enfantines
Étaient pures et sans aigreurs.
Croyais-je, exempt de toute peine
Que, dans notre vaste univers,
Tous les maux sortis des enfers,
Avaient établi leur domaine ?
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Nous sommes loin de l'heureux temps
Règne de Saturne et de Rhée,
Où les vertus, les fléaux des méchants,
Sur la terre étaient adorées,
Car dans ces heureuses contrées
Les hommes étaient des enfants.
1822
Gérard de Nerval (1808-1855)
Poésies de jeunesse
Beau papillon près du sol
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Beau papillon près du sol,
à l'attentive nature
montrant les enluminures
de son livre de vol.
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Un autre se ferme au bord
de la fleur qu'on respire - :
ce n'est pas le moment de lire.
Et tant d'autres encor,
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de menus bleus, s'éparpillent,
flottants et voletants,
comme de bleues brindilles
d'une lettre d'amour au vent,
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d'une lettre déchirée
qu'on était en train de faire
pendant que la destinataire
hésitait à l'entrée.
Rainer Maria Rilke (1875-1926)
Les Quatrains Valaisans, n° 36
Chanson du vitrier
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Hommage à la vie
Comme c'est beau
ce qu'on peut voir comme ça
à travers le sable à travers le verre
à travers les carreaux
tenez regardez par exemple
comme c'est beau
ce bûcheron
là-bas au loin
qui abat un arbre
pour faire des planches
pour le menuisier
qui doit faire un grand lit
pour la petite marchande de fleurs
qui va se marier
avec l'allumeur de réverbères
qui allume tous les soirs les lumières
pour que le cordonnier puisse voir clair
en réparant les souliers du cireur
qui brosse ceux du rémouleur
qui affûte les ciseaux du coiffeur
qui coupe le ch'veu au marchand d'oiseaux
qui donne ses oiseaux à tout le monde
pour que tout le monde soit de bonne humeur.
Jacques Prévert (1900-1977)
Histoires
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C'est beau d'avoir élu
Domicile vivant
Et de loger le temps
Dans un cœur continu,
Et d'avoir vu ses mains
Se poser sur le monde
Comme sur une pomme
Dans son petit jardin,
D'avoir aimé la terre,
La lune et le soleil
Comme des familiers
Qui n'ont pas leurs pareils,
Et d'avoir confié
Le monde à sa mémoire
Comme un clair cavalier
A sa monture noire,
D'avoir donné visage
A ces mots : femme, enfants,
Et servir de rivage
A d'errants continents
Et d'avoir atteint l'âme
A petits coups de rame
Pour ne l'effaroucher
D'une brusque approchée.
C'est beau d'avoir connu
L'ombre sous le feuillage
Et d'avoir senti l'âge
Ramper sur le corps nu,
Accompagné la peine
Du sang noir dans nos veines
Et doré son silence
De l'étoile Patience
Et d'avoir tout ces mots
Qui bougent dans la tête,
De choisir les moins beaux
Pour leur faire un peu fête,
D'avoir senti la vie,
Hâtive et mal aimée,
De l'avoir enfermée
Dans cette poésie.
Jules Supervielle (1884-1960)
Oublieuse mémoire
Le bonheur n'a pas filé !
Le bonheur
1
Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite. Le
bonheur est dans le pré. Cours-y vite. Il va filer.
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Si tu veux le rattraper, cours-y vite, cours-y vite. Si tu veux le
rattraper, cours-y vite. Il va filer.
3
Dans l’ache et le serpolet, cours-y vite, cours-y vite, dans
l’ache et le serpolet, cours-y vite. Il va filer.
4
Sur les cornes du bélier, cours-y vite, cours-y vite, sur les
cornes du bélier, cours-y vite. Il va filer.
5
Sur le flot du sourcelet, cours-y vite, cours-y vite, sur le flot
du sourcelet, cours-y vite. Il va filer.
6
De pommier en cerisier, cours-y vite, cours-y vite, de
pommier en cerisier, cours-y vite. Il va filer.
7
Saute par-dessus la haie, cours-y vite, cours-y vite. Saute
par-dessus la haie, cours-y vite ! Il a filé !
Paul FORT (1872 - 1963)
Ballades du beau hasard
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Quand le bonheur a filé,
Dans le ru
Ou sur le pré,
Quand le bonheur a filé,
J'ai couru,
L'ai rattrapé.
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Quand le bonheur m'a souri,
Dans le soir,
Tout près de lui,
Quand le bonheur m'a souri,
Plein d'espoir
Je n'ai pas fui.
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Quand le bonheur m'a parlé
Doucement,
J'ai écouté,
Quand le bonheur m'a parlé,
Gentiment
L'ai invité.
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Quand le bonheur m'a suivi
Dans mes pas,
Joyeux, ravi,
Quand le bonheurm'a suivi,
Par le bras,
Je l'ai saisi.
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Quand le bonheur est entré,
Tout heureux
Il s'est chauffé,
Quand le bonheur est entré,
Pour nous deux
Il a chanté.
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Quand le bonheur est resté,
Quelques jours,
L'ai regardé,
Quand le bonheur est resté,
Pour toujours
Je l'ai gardé!
Dominique SIMONET (1941)
Ballades du beau hasard
Après la pluie
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IL a plu. Les feuilles s’égouttent.
Le ciel est bleu. Le soleil luit.
Le vent passe à tout petit bruit.
Les fleurs des prés embaument toutes.
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Les vitres ont des perles d’eau
Rondes et pleines de lumière,
Qui fondent lentement derrière
La mousseline des rideaux.
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La lune, ce soir, dans les mares
Mirera son visage bleu,
Quand des étoiles, peu à peu
Paraîtront les floraisons rares.
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La terre n’est plus qu’une odeur
Qui monte vers l’azur tranquille,
Fraîche maintenant comme une île,
Purifiée et sans ardeur.
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L’herbe est humide au bord des routes,
Où les arbres font un ciel vert
Qui frissonne comme la mer.
Il a plu. Les feuilles s’égouttent.
Albert Lozeau (1878 - 1924)
Le Miroir des jours

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