En 1939, la déclaration de guerre allait bousculer le destin de la

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En 1939, la déclaration de guerre allait bousculer le destin de la
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La famille Mardikian en
promenade dans le Paris
des années 1930.
En 1939, la déclaration de guerre allait bousculer le
destin de la famille Mardikian. La mobilisation fut générale, et Zaven fut mobilisé sans être pourtant naturalisé.
Solidaire, respectueux du pays d’accueil qui l’avait adopté,
il partit à la guerre comme un vrai citoyen français, laissant
femme et enfants à la maison. Son régiment se trouvait à
Clermont-Ferrand, ce qui lui permettait de rendre visite de
temps en temps à sa famille à Paris, dès qu’il le pouvait,
avant de partir sur le terrain et d’être fait prisonnier...
Ses deux enfants à ses côtés, Aznive avait accompagné
son mari au métro Odéon. Ce fut la dernière image que
Jean Mardikian eut de son père, il était en uniforme de
soldat... Plus tard, il fut fait prisonnier et emmené en
Allemagne derrière des barbelés. Jean avait quatre ans et
sa sœur, deux ans. « C’est la dernière image que j’ai de
lui », me répéta plusieurs fois Jean Mardikian. Très ému...
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Portrait de la famille Mardikian en 1942. Aznive entourée de Jean
et de sa sœur, Arlette. Aznive fit ajouter à leurs côtés la photo
de Zaven, le père de Jean, alors prisonnier en Allemagne.
Devant cette émotion, je ne savais plus vraiment si
son père était revenu de la guerre. Je le lui demandai. Il
me répondit par l’affirmative et je compris plus tard le
sens caché de cette phrase, restée quelques secondes en
suspens.
Sa mère se retrouva sans ressources avec à charge deux
enfants en bas âge. Aznive avait appris à coudre, en aidant
son mari dans son travail de façonnier. Elle savait confectionner quelques gilets, cela ne suffisait pas pour subvenir
aux besoins de la famille. Aussi, très vite, la Maison des
prisonniers, institution créée par l’État français du maréchal Pétain, la prit en charge. On lui proposa de placer ses
enfants en famille d’accueil. Aznive accepta. Elle n’avait
pas le choix. Arlette fut accueillie dans une famille de six
enfants âgés de quatorze à seize ans, à Dampierre-surSalon, dans le département de la Haute-Saône, en
Franche-Comté, au début 1942. Le chef de famille, René
Louvot, un très grand monsieur, me dit Jean, conseiller
général de son canton, maire de la commune, vétérinaire
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de son état, était une personne très généreuse. Arlette
devint la petite sœur gâtée de la famille.
Jean tomba malade. Il partit dix mois en préventorium à
Tumiac, en Bretagne. Il n’avait alors que six ans. Image
furtive : un grand bâtiment proche de la mer, dans lequel
Jean se repose pour empêcher la tuberculose d’avoir raison
de son petit corps frêle... À son retour, tout comme sa
sœur Arlette, Jean fut placé en famille d’accueil. Aznive
n’avait pas eu le choix.
Le vétérinaire, René Louvot, qui se rendait souvent d’une
ferme à l’autre pour soigner les animaux, demanda à une
famille d’agriculteurs, Germaine et Joseph Morel, s’ils voulaient bien recevoir un petit Parisien chez eux. Ce couple
vivait à Montot, un village à cinq kilomètres de Dampierresur-Salon... Ils avaient deux enfants, Ginette, seize ans, et
Guy, douze ans... Germaine et Joseph acceptèrent avec
plaisir d’accueillir le petit Parisien, le frère de la petite fille
que René Louvot et sa famille avaient eux-mêmes reçue.
Le petit Parisien à Montot
... À la Pentecôte, en 1943, âgé de huit ans, maigre
comme un clou, Jean quitta la capitale. Il passa sans transition d’une vie citadine à celle d’un paysan. Arrivé à
Montot, petit bourg médiéval de la Haute-Saône, il fut
accueilli à bras ouverts. Il ne savait pas encore que ce
village deviendrait le sien, marquerait sa vie de souvenirs
impérissables qui guideraient son existence...
À cinq kilomètres de Dampierre-sur-Salon, comme son
nom le laisse deviner, Montot est perché sur un mont, qui
domine le Salon. Cette rivière enjambée par un pont
datant du xviie siècle, composé de sept arches gracieuses,
charme toujours les promeneurs par sa vivacité et son bruit
rassurant.
Jean ne tarda pas à se plaire dans ce milieu rural. S’il
avait appris à parler le français, en particulier lors de son
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Quelques rencontres avec de grands artistes qui ont
été fidèles au salon et festival de la BD d’Angoulême
depuis presque quarante ans...
André Franquin
Premier Grand Prix de la ville d’Angoulême en 1974,
formé par Jijé en compagnie de Morris et Will, André
Franquin était un auteur belge francophone de bande dessinée, notamment des séries de Spirou et Fantasio, Gaston,
Modeste et Pompon et Les idées noires. Il est le créateur du
Marsupilami, animal imaginaire présent dans une vitrine de
la gare d’Angoulême...
Dessin de Franquin.
Il était venu à Angoulême dès l’appel de Francis Groux
qu’il connaissait bien ; même malade, il se déplaça,
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plusieurs fois... Fort, plein d’humour, d’une timidité maladive, il s’épanouissait lorsqu’il était en compagnie de
Francis Groux et Jean Mardikian.
Jean conserve un très beau souvenir de Franquin et de
sa femme, personne très avenante. Son volet humoristique
avec Spirou, Gaston Lagaffe, opposé à son volet noir avec
toute une série de bandes dessinées dépressives, reflétait la
personnalité de l’homme, humaniste exemplaire. Pas du
tout matérialiste, sans la présence de sa femme à ses
côtés, attentive et vigilante, il aurait très bien pu terminer
misérable.
Faire plaisir aux enfants, aux adultes qui le lisaient, et
surtout donner une image incisive de la société demeurait
son unique motivation. Gaston Lagaffe, ce jeune filou, qui
avait toujours le mot qu’il fallait pour critiquer la société,
était son porte-parole.
Il est venu plusieurs fois à Angoulême. La ville dirigée
par Philippe Mottet baptisa le centre Saint-Martial
« Espace Franquin », destiné à la jeunesse après une
consultation organisée par le CIJ. Une page fut tournée...
Hugo Pratt
Hugo Pratt, dessinateur et scénariste italien de bandes
dessinées, est le créateur de Corto Maltese.
Hugo Pratt et Jean Mardikian se sont rencontrés à
Lucca et par la suite à Angoulême. Jean Mardikian considère Hugo Pratt comme l’un des plus grands... Il possède
tous ses ouvrages. Hugo Pratt fut le premier auteur que
Jean Mardikian, en tant qu’adjoint au maire d’Angoulême,
voulut honorer plus particulièrement : une salle de réunion
de l’hôtel de ville porte son nom, elle est décorée d’une
série de reproductions de planches, et d’une photo agrandie de l’artiste, financées par Jean Mardikian.
D’autre part, un pharmacien, Pascal Riché, admirateur
de l’artiste, contacta les sculpteurs Luc et Livio Benedetti,
de Clermont-Ferrand, pour commander une statue de
bronze de 2,5 m de haut et de 300 kg du plus célèbre
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marin de la bande dessinée moderne, Corto Maltese. Finalement, il en commanda trois : la première fut destinée à
Rimini, la ville natale d’Hugo Pratt, la deuxième pour sa
propriété dans un village charentais ; quant à la troisième,
il avait envisagé de la vendre à la ville d’Angoulême.
Ce projet se révéla irréalisable. La ville ne pouvait pas
l’acheter...
Jean Mardikian négocia le prix et la proposa à Magelis2,
alors présidé par Michel Boutant. Jean l’imaginait déjà érigée au centre du Pôle image, au milieu du fleuve Charente.
Désormais, sur la passerelle, cette statue en bronze a
trouvé sa place avec en arrière-plan la façade du bâtiment
qui abrite le musée de la bande dessinée, anciens chais rénovés par Magelis. Tourné vers l’aval de la Charente, le regard
de Corto Maltese semble scruter l’océan, il immortalise aussi
le souvenir de son créateur, Hugo Pratt, personnage énigmatique, auteur avec un grand A de la bande dessinée. Plus
que cela, il a écrit l’histoire, l’aventure d’un homme, un
marin, protecteur des pauvres, toujours à la recherche de
sa vérité, d’une certaine vérité, différente de celle de Franquin. Il méritait d’être honoré par la capitale de la BD.
La présence, de grands personnages comme Hergé de
nationalité belge, Hugo Pratt de nationalité italienne, Gosciny de nationalité française et bien d’autres, affirme le
caractère international du Festival de la bande dessinée
d’Angoulême.
En Arménie, Jean Mardikian a rencontré un jeune
artiste italien, Paolo Cossi, qui a consacré deux volumes
à Hugo Pratt, une biographie sous forme de BD... Un
gentilhomme de fortune, visions africaines... Jean Mardikian
fut très ému de parler de ce personnage énigmatique qui
l’avait tant marqué... avec assurément un de ses adeptes...
2. Le Pôle image ou Magelis est un projet de développement territorial à dominante économique axé sur l’image et les nouvelles technologies de l’image, propre à Angoulême.
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Corto Maltese.
Hergé
De son vrai nom, Georges Prosper Rémi, il est l’homme
universel de la bande dessinée. En 1989, son buste sculpté
par Tchang Tchong-Jen, son ami chinois qui lui avait inspiré Le Lotus bleu, quarante-cinq ans plus tôt, fut d’abord
installé sur le côté du Centre national de la bande dessinée
et de l’image.
En 2003, la rue piétonne d’Angoulême fut rebaptisée
« rue Hergé » et, à cette occasion, le buste fut déplacé et
érigé dans cette rue, en plein centre-ville, en présence de
l’artiste et de sa jeune épouse.
Hergé est venu à Angoulême pour la première fois en
1977. Jean Mardikian me le décrit comme un homme
affable, discret, simple, droit, et qui ne manquait pas d’humour. Il ne manifestait aucun orgueil, lui le père de Tintin
et Milou. Il signait ses albums avec le seul dessin de Tintin.
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Il ne dessinait en dédicace qu’exceptionnellement Tintin et
Milou, réservant ce privilège à certaines personnes dont
Jean Mardikian fit partie.
Dédicace d’Hergé.
Ce fut un véritable bonheur pour Jean Mardikian,
adjoint à la Culture, de lui remettre le diplôme de citoyen
d’honneur de la ville d’Angoulême ; d’une manière réciproque et généreuse, Hergé offrit à la ville une planche
originale, la première planche du futur musée de la
bande dessinée...
Alain Saint-Ogan
Une des salles du musée des beaux-arts s’appela longtemps « galerie Alain Saint-Ogan », un autre hommage à
un grand dessinateur français de la BD. Saint-Ogan fut
le créateur de Zig et Puce en 1925. Dans la série, Zig
et Puce font la connaissance du pingouin Alfred qu’ils adop112

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