Les tapis de la manufacture dè Cogolin renouent avec le

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Les tapis de la manufacture dè Cogolin renouent avec le
17 MAI 12
Quotidien Paris
OJD : 316852
14 BOULEVARD HAUSSMANN
75438 PARIS CEDEX 09 - 01 57 08 50 00
Surface approx. (cm²) : 1048
N° de page : 5
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styles/ GUS
1. Carton moderniste, annëes 1930.2. tisseuse nouant les ffls de son métier. 3. et 6. Tapis et échantillons de la collection 2012.4. Jean-Pierre Tortll, directeur artistique et commercial de la manufacture. 5. Métier Jacquard
pour tissés plats. 7. Écheveaux de laine teintés à la demande. 8. La « cantre », cantine des bobines de fils d'un certain type de métier. 9. Navette en bois qui passe entre les fils. 10. tisseuse a l'ouvrage. 11. Le showroom parisien.
Les tapis de la manufacture dè Cogolin
renouent avec le succès
DESIGNER'S2
6551632300524/XTT/OTO/1
Eléments de recherche : DESIGNER'S DAYS : manifestation itinérante du 16 au 20/06/11 à Paris (75), toutes citations
17 MAI 12
Quotidien Paris
OJD : 316852
14 BOULEVARD HAUSSMANN
75438 PARIS CEDEX 09 - 01 57 08 50 00
Surface approx. (cm²) : 1048
N° de page : 5
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Collections innovantes, inauguration ce mois-ci d'un showroom parisien, participation aux prochains Designer's Days...
L'éditeur varois remet au goût du jour un savoir-faire artisanal - le tissé main - en lui injectant une véritable modernité.
FABIENNE REYBAUD
ENVOYÉE SPÉCIALE A COGOLIN
REPORTAGE Monsieur Michel est formel : les tapis de Cogolin sont un accident de l'histoire. Cet homme mince et
nerveux, qui a dirigé cette manufacture
pendant vingt-cinq ans, étaye son propos en commençant par désigner une
vingtaine de métiers à tisser antédiluviens sur lesquels œuvrent, dans un vacarme assourdissant, des ouvrières en
tablier de coton sombre. « Au XXIe siècle, c'est anachronique de voir ces tisseuses (ouvrières qui fabriquent des tapis et
des tapisseries, NDLR) tisser à la main
des tapis sw des métiers Jacquard dont
les plus anciens datent de la fin du
XIXe siècle. Un miracle que cela puisse
encore fonctionner ! »
Monsieur Michel n'a pas tort. Quelque
chose de troublant émane de l'endroit.
Lorsque le visiteur franchit le seuil de ce
bâtiment à la façade modeste, sis au
centre de la petite ville de Cogolin, dans
le golfe de Saint-Tropez, il perd ses repères spatio-temporels habituels. Serait-ce la beauté désuète de ces métiers
en bois gigantesques? La litanie du
bruit entrecoupée des pauses et pépiements de ces femmes qui attendent la
sonnerie stridente indiquant l'heure
pile pour se remettre à l'ouvrage ? Ou
l'effet hypnotique de ces petites navettes qui sont inlassablement passées et
repassées dans un océan de fils d'où,
lentement, émergera la possibilité
d'une île de raphia, de laine, de coton,
de lin, voire de soie ? Sans doute un peu
de tout cela.
« SANS STORY-TELLING,
NI LANGUE DE BOIS I
Contrairement aux grands groupes,
devenus des scénographes virtuoses de
la Trinité du luxe contemporain - l'artisanat (le Père), l'artisan (le Fils) et le savoir-faire (le Saint-Esprit) -, la maison
varoise n'a pas été ripolinée. Rachetée
en 2010 par Tai Ping Carpets, le géant
anglo-chinois du tapis lutte, qu'il inventa en 1956, l'entreprise n'a guère le
goût du story-telling. Pas plus qu'elle ne
semble pratiquer la langue de bois.
Alors, les tapis de Cogolin, un accident
de l'histoire ? Plutôt une conséquence
de celle qui s'écrit avec un grand H. «Le
génocide arménien a poussé bon nombre
d'hommes et de femmes à émigrer, notamment en France, au début du XXe siècle, explique Jean-Pierre Tortil, qui a
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6551632300524/XTT/OTO/1
pris, en janvier 2011, la direction artistique et commerciale. Dons cette région,
ils travaillent alors dans l'élevage de vers
à soie, un emploi saisonnier qui ne les occupe que trois mois de l'année. En 1924,
un sériculteur, M. Ferran, décide de tirer
parti des connaissances ancestrales de
cette main-d'œuvre : u ouvre un atelier de
tapis orientaux noués main à Cogolin. »
L'affaire capote quèlques années après
à cause de la concurrence des modèles
importés d'Orient. Elle doit sa renaissance à un ingénieur textile, Jean Lauer.
En vacances dans la région, l'homme
découvre la manufacture par hasard.
En 1928, il la rachète, parce que « le
pays et le climat (lui) plaisent beaucoup »... Lauer y rapatrie les métiers de
haute et basse lisse des ateliers de lissage qu'il possédait a Aubusson et à Lyon.
Il réorganise la production en l'orientant sur un style décoratif français.
Deux types de lapis sonl produite, les
noués main, qui rivalisenl avec ceux de
La Savonnerie. Et les tissés main, dont la
diversité et la variété vont signer, aux
cours des décennies suivantes, l'identiié
du « made in Cogolin ».
Très vile, la renommée des modèles de la
cilé varoise devienl internationale. Car
non seulemenl Lauer travaille avec les
grands décoraleurs de l'époque
(Leleu, Chrislian Hérard, Subes, cic.),
mais il parvienl à décrocher quelquesuns des chantiers du siècle : des salons
de nombreuses ambassades de France à
l'élranger à ceux du paquebot France ou
du Normandie (98 mètres de long, tissé
en 1935 en un temps record). En 1939, on
compte quarante métiers occupanl chacun deux ou trois ouvrières. Les décennies suivantes sortenl d'ici les lapis
d'arlisles signés Sonia Delaunay,
Fernand Léger ou Zao Wou-ki, ainsi que
les commandes spéciales d'Hubert de
Givenchy, David Hicks, Karl Lagerfeld.
« La force de Cogolin est d'avoir toujours
mis son savoir-faire au service du surmesure », raconte Jean-Pierre Tortil. Il
n'empêche que ce décorateur et créateur de mobilier, ancien directeur
d'Ecart International et des licences
Andrée Putman, n'a pas ménagé sa peine pour dépoussiérer une production
qui, ces dernières années, vivolait.
« J'ai travaillé sur (es dessins de tapis
existants. Les modèles de Cogolin sont
connus pour leur palette de tons naturels,
blanc-beige, leurs motifs géométriques
et leur côté très Art & Crafts. J'ai voulu
les réveiller par une nouvelle proposition
de couleurs et de matières afin d'en donner une lecture plus contemporaine. »
Résultai, une palette de deux cents
couleurs qui, du brun le plus sourd au
citron le plus criard, change les reliefs
de ces laines et cotons sculptes, leur
donnant ici plus de profondeur, là plus
de nervosité el d'allant.
I « CHAQUE PIÈCE
MÉRITE LA PERFECTION » »
Dans la famille des lissés plais, le raphia
s'acoquine avec des fils de jule pour un
rendu brut d'une sophistication inouïe,
tandis que certains modèles en coton
sont si moelleux qu'ils semblent avoir
été lissés dans un nuage... Même sensation procurée par ces échantillons de
tapis luttes dans lesquels la main s'enfonce comme dans de la mousse fraîche.
« Toutes les finitions sont aussi faites à la
main, les lés sont cousus ensemble, une
fine couche de latex est ensuite passée sur
l'envers des tapis, les ourlets termines au
point de chausson. Comme disait Jean
Lauer, chaque tapis mérite la perfection », poursuit Jean-Pierre Tortil.
Mieux vaut donc eire palienl - une lissière lisse moins de 3 mèlres carrés par
jour. En 2011, la manufacture de Cogolin
a fabriqué 650 mètres carrés de tapis
plats et plus de 1500 mètres linéaires de
modèles textures. Dans le même temps,
son chiffre d'affaires a quasiment double, et 2012 s'annonce sous les meilleurs
auspices.
Outre l'ouverture la semaine dernière
d'un showroom ullraconlemporain,
rue des Sainls-Pères, à Paris (des rouleaux de tapis tombés du ciel et dévalant dans des corbeilles de fer), s'annonce la présentation en septembre de
« Carnets d'archives ». Soit des rééditions de pièces fabriquées à partir de
cartons anciens. Regroupanl des modernistes des annees 1930, le premier
volume présentera des tapis noués dans
des ateliers... au Népal. « Us seront signés "Cogolin et les mains du monde",
explique le directeur artistique. C'est
une façon de renouer avec l'activité première de la manufacture et d'aller chercher les meilleurs savoir-faire, où qu'Us
se trouvent. »
En allendanl, Tortil lisse un sujet
qu'il présentera à la fin du mois au
Designer's Days. Couleur terracolla et
bleu roi, ce tapis ciselé de 6 mètres de
long affichera, de façon décalée, lous
les particularismes de la manufacture.
Le Ihème ? Idenlilé(s). Ilsemblerail que
Cogolin ail relrouvé la sienne. •
Eléments de recherche : DESIGNER'S DAYS : manifestation itinérante du 16 au 20/06/11 à Paris (75), toutes citations