croire aux lois de l`economie empeche d`innover

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croire aux lois de l`economie empeche d`innover
« CROIRE AUX LOIS DE L’ECONOMIE
EMPECHE D’INNOVER »
Armand Hatchuel, Professeur à l’Ecole des mines ParisTech - Photo : D. R.
Dans les pays à salaires élevés, vous plaidez pour un « choc d’innovation ».
Qu’entendez-vous par là ?
Dans la compétition mondiale, tout le monde cherche à produire dans les pays
à bas coûts. On se retrouve entre acteurs qui utilisent les mêmes ressources.
Par exemple Apple, BlackBerry et Nokia dans les smartphones. Et pourtant,
c’est Apple qui a gagné. Pour la France, cela signifie que la bataille se déroule non pas en Asie sur le
terrain des coûts de fabrication, mais en Europe ou aux Etats-Unis sur le terrain de l’offre. Autrement
dit, sur celui de l’innovation.
Le visage de l’innovation change-t-il ?
Oui, car les populations des pays riches sont tellement éduquées qu’elles s’attendent à des offres
innovantes poussées par un marketing élaboré. Nous entrons dans l’ère de l’innovation intensive
comme autrefois on parlait d’agriculture intensive. Une ère dans laquelle les compétiteurs
innovants débarquent de façon surprenante. Regardez Toyota et la Prius ! L’innovation intensive
rend fausses les lois de l’économie « standard ». Elle permet de sortir des normes d’un marché et
de surprendre avec des propositions de valeur inattendues.
Comment fonctionne l’innovation intensive ?
De trois manières. Tout d’abord, alors que l’économie standard a tendance à stabiliser la zone de
compétition, l’innovation intensive révise l’identité de l’objet. Citons Dyson et son aspirateur sans
sac. Vient ensuite le changement des sources de la valeur. Si on générait des recettes en vendant
un objet, ce modèle peut changer en inventant un service qui va avec l’objet. Je pense, par exemple,
aux Apps (applications mobiles). Troisième manière d’opérer : le brouillage du secteur. En fait, dans
l’innovation intensive, il n’y a pas d’usage mais des appropriations. Comme avec Facebook où le
monde est devenu journaliste. Une chose est sûre : il faut partir sur u ne vision de l’innovation
entièrement nouvelle.
Quels sont les principaux modèles de l’innovation intensive ?
Le point le plus important, c’est de passer du modèle de R&D à modèle de RID où ‘‘i’’ signifie
innovation. Dans le premier modèle, le patron du département de Recherche propose des concepts
à la direction générale qui donne – ou non – son feu vert. Ce modèle est inadapté car la Recherche
ne peut générer de véritables ruptures comme l’iPhone. La Recherche ne peut travailler sur un sujet
que si on lui prépare le terrain. Quant au développement, il ne peut démarrer que si on lui donne
une cible et des moyens précis pour l’atteindre. L’apparition du ‘‘i’’ consiste à organiser la stratégie
conceptuelle qui va stimuler la Recherche et décider quel projet, à tel moment, pourra en
développement ou devra continuer à mûrir. Cette fonction d’innovation a besoin de disposer d’une
organisation qui lui est propre. La raison est simple : le modèle de R&D fonctionne bien lorsque celui
de l’identité des objets est stable. Un laboratoire de recherche ne peut inventer l’iPhone car il s’agit
d’une rupture conceptuelle. Mais il saura identifier les technologies tacti les qui lui seront
nécessaires.
Sur quelles méthodes la fonction innovation doit-elle s’appuyer ?
En premier lieu, il faut bien comprendre que, dans la fonction innovation, on manipule deux choses
: tout d’abord des concepts qui servent à désigner l’inconnu - par exemple une ‘‘brosse à dent antidépressive’’. Et ensuite l’espace des connaissances. C’est-à-dire tout ce qui nourrit une telle
proposition. Aussi bien le marketing, le management, la gestion que l’anthropologie... Cet espace
doit être ré-ouvert. Concernant la ‘‘brosse à dent anti-dépressive’’, la fonction ‘‘i’’ va jouer un rôle
de pilotage et pallier l’absence de certaines compétences. Par exemple les compétences sur la
dépression. La fonction ‘‘i’’ a donc un rôle de rupture en balisant le terrain sur lequel cette rupture
s’opère, et nourrissant le processus en compétences et connaissances manquantes.
L’Ecole des Mines ParisTech a mis au point la méthode KCP*. En quoi consiste-t-elle ?
Elle s’appuie sur trois phases. La phase K (Knowledge) qui vise à permettre à une entreprise
d’identifier des champs d’innovation sur lesquels elle va organiser la ruptu re. On met en place un
groupe de travail à qui on ne demande pas d’être créatif mais de se confronter à de nombreuses
innovations contemporaines hors de son domaine. On demande aux personnes de sortir de la
représentation naturelle qui vient de leur métier. C’est le contraire du Brain Storming. Pour remettre
en cause l’identité des objets habituels d’une entreprise, celle-ci doit d’abord se placer en position
d’écoute. Ce travail peut durer jusqu’à 3 mois à 50 ou 60 personnes à raison de plusieurs séances
par mois. Vient ensuite la phase C (Concept), à savoir une phase plus créative mais à partir de
concepts qui sont choisis en fonction de règles issues de la théorie de la conception. Par exemple,
un groupe va explorer une voie ‘‘haut de gamme’’ et l’autre, une voie Low Cost. Très contrastés, ces
concepts ‘‘projecteurs’’ sont l’occasion pour chacun de s’exprimer. Enfin la phase P (Project)
correspond à la phase de projet où l’on hybride ce qui ressort des différents groupes. C’est à ce
moment-là que l’on va parler de stratégies d’innovation. L’enjeu, c’est alors de passer de 60
personnes à 1 000 ! Nous avons pu développer cette méthode avec des entreprises comme la RATP,
Thales, la SNCF ou Safran.
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