UNIVERSITE LUMIERE LYON 2 INSTITUT DE

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UNIVERSITE LUMIERE LYON 2 INSTITUT DE
UNIVERSITE LUMIERE LYON 2
INSTITUT DE PSYCHOLOGIE
MEMOIRE DE MASTER 1
de PSYCHOPATHOLOGIE et PSYCHOLOGIE CLINIQUE
2013-2014
LE MIROIR SANS TAIN
« Handicap mental : Quand l’empathie en pâtit »
Présenté par :
CAMBOURG ALEX
2092080
126 Cours Tolstoï / 69100 Villeurbanne
06 82 11 04 79
[email protected]
Directrice de recherche : Mme Patricia Attigui
1
SOMMAIRE
INTRODUCTION________________________________________________________2
CHAPITRE 1 : PRESENTATION DE LA RECHERCHE___________________5
I. Problématique _________________________________________________5
II. Etat de la question_________________________________________6
III. Hypothèses et objectifs de recherche___________________10
CHAPITRE 2 : METHODOLOGIE_____________________________________11
I. Terrain de recherche___________________________________________11
II. Recueil de données_______________________________________12
III. Nature et limites du matériel_________________________13
CHAPITRE 3 : PRESENTATION DE LA CLINIQUE_____________________16
I. Marc, ou les prémisses d’une rencontre marquée du sceau de l’altérité____16
II. Sam, ou la mise en corps d’une distanciation insaisissable________17
III. Jules, entre séduction, « collage » et infantilisation__________18
IV. Quand les adultes redeviennent des enfants_________20
V. Le dessin comme support de relation________22
CHAPITRE 4 : ELABORATION THEORICO-CLINIQUE________________23
I. La sidération, une stratégie de survie à dépasser_____________________23
II. Entre « collage » et séduction, les défaillances de la reflexivité____27
III. L’infantilisation, une réponse plurielle__________________30
CONCLUSION__________________________________________________________35
BIBLIOGRAPHIE_______________________________________________________37
2
INTRODUCTION
Le handicap mental m’est apparu comme une énigme. C’est le flou qui l’entoure, ce
brouillard qui cache la richesse en dessous d’un vide apparent, qui a suscité en moi cette
envie de l’investir. En effet, ce champ nous confronte à une multitude de questions, qui
n’ont d’ailleurs pas forcément de forme manifeste. Lorsque j’arrivais au centre, j’avais
l’impression de rentrer dans un autre monde et ce sentiment relève bien de ce que Freud
appelait « l’inquiétante étrangeté ». La sensation de vide, l’extrême fatigue, le doute, la
solitude, les questionnements autour de l’essence même de la vie et certains affects
éprouvés m’ont longuement interrogé. D’autre part, les difficultés pour établir un dialogue
avec les personnes en situation de handicap mental ont particulièrement retenu mon
attention, car celles-ci nous obligent à nous détourner du langage verbal ainsi qu’à nous
demander comment appréhender le problème relié au thème de la distance.
J’ai mis un certain temps à me lancer dans la rédaction de ce mémoire. Tout
d’abord, il m’a fallu admettre de m’être perdu en rencontrant ce public, pour ensuite
accepter de m’égarer à nouveau en essayant de parler de lui. Les questions sont nombreuses
et les réponses souvent hasardeuses, mais il paraît nécessaire de resituer la dynamique
regroupant ces dernières. Cette étude aura pour but premier de se questionner sur
l’organisation du dialogue autour du sujet en situation de handicap mental ainsi qu’aux
processus psychiques sous-jacents à ce type de clinique.
Puisque j’évoque le lien avec un miroir sans tain, il me semble primordial de
préciser le sens de ma pensée. La métaphore se situe à plusieurs niveaux. Pour commencer,
un miroir sans tain est une glace dans laquelle on peut voir au travers lorsque l’on se situe
derrière, ce qui n’est pas sans rappeler le manque de réflexivité auquel le handicap nous
confronte. Ensuite, les personnes respectivement présentes de part et d’autre du miroir ne
peuvent se découvrir en même temps. Elles doivent tour à tour inverser leurs places si elles
souhaitent percevoir et essayer de reconnaître l’autre. De plus, le miroir sans tain permet de
regarder l’autre assez longuement puisqu’il ne nous voit pas, d’un regard qui serait
autrement vécu comme intrusif. Le miroir sans tain aiderait à se protéger face à ces
intrusions, représentant alors toutes les défenses mises en place vis-à-vis de ce que le
handicap nous fait vivre. Afin de terminer sur ce point, je prendrai le stéréotype existant
autour du miroir sans tain, que l’on associe souvent à la scène d’identification du coupable,
caractéristique du milieu policier. Cette image illustre le fait que la culpabilité et
3
l’identification occupent respectivement des places centrales dans la clinique du handicap.
En outre, le miroir sans tain serait ici similaire aux barrières qui nous séparent du public
handicapé mental, et il importe de comprendre la construction de ces dernières pour les
faire tomber.
Il suffit de s’intéresser aux racines mêmes du mot « handicap » ainsi qu’aux
différentes visions du concept pour appréhender le flou dont il est l’objet, ce dernier
occupant d’ailleurs « certaines fonctions psychologiques et sociologiques »1. En effet, la
clinique du handicap mental donne rapidement la sensation d’être particulièrement
différente, à l’image des personnes auxquelles elle s’intéresse. La question de la définition
est incontournable, car au-delà de l’éclaircissement qu’elle fournit à nos propos, elle
détermine le rapport que nous avons avec les personnes souffrant d’un handicap mental.
Le terme viendrait de l’anglais « hand in cap », qui signifie « main dans le
chapeau ». Il s’agissait d’un ancien jeu de troc dont la finalité était de rendre l’échange le
plus équitable possible. Cette idée s’est ensuite étendue au domaine du sport, où on tentait
d’égaliser les chances des participants ayant des caractéristiques différentes (âge, etc.) en
leur ajoutant ou en leur ôtant une certaine avance de temps, de distance ou de poids. L’idée
sous-jacente à ce processus de dédommagement est, à la base, celle de l’existence d’une
infériorité vis-à-vis d’une norme sociale. D’ailleurs, la définition du handicap mental
proposée par l’UNAPEI2 qualifie à la fois la déficience intellectuelle et les conséquences
sociales qu’elle entraîne. On peut alors relever deux niveaux : comment le psychisme du
sujet se construit malgré ses difficultés de réflexion, de décision, de conceptualisation et de
communication, et de quelle façon « les interactions spécifiques placées sous le signe du
handicap »3, dès lors que le sujet rejoint cette catégorie, « seront susceptibles d’interagir de
manière particulière avec la construction de son fonctionnement psychique »4.
1 SCELLES R. et col. (2007), Cliniques du sujet handicapé, p.7.
2 Acronyme signifiant : Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de
leurs amis. Les personnes directement touchées par le handicap sont celles qui en parlent le mieux.
3 MICHEL F. (2009), Handicap mental, crime ou châtiment, p.42.
4 Ibid., p.42.
4
« Je ne me rapèle pas très bien ce que Burt a dit mais je rapèle qu’il voulez que je dise ce
que je voyait dans lancre. Je voyait rien dans lancre mais Burt dit qu’il y avez des images.
Je voyait pas d’images. J’essayé vraiment dans voir. J’ai regardez la carte de toù prèt puis
de très loin. En suite j’ai dit que si j’avez des lunettes je pourrai probableman mieux voir.
Je mais ordinaireman mes lunettes qu’au cinéma ou pour regardé la télé mais jai dit peut
être qu’elles maiderons a voir les images dans lancre. Je les ait mise et jai dit rendez moi la
carte je pari que maintenan je trouverai limage. Jai essaié tan que jai pu mais jai ancore
pas pu trouvé les images, je voyez que de lancre. Jai dit à Burt que javez peut être besoin
de nouvelles lunettes. Il a écris quelque chose sur un papier et jai eu peur de raté le test.
Alor je lui est dit que cété une belle image dancre avec de jolis pointes tout autour sur les
bords mais il a secoué la tète c’été pas sa non plus. Je lui ai demandé si d’autres jen voyez
des choses dans lancre et il a dit oui ils imagine des images dans la tache dancre. Il ma dit
que lancre sur la carte sapèle une tache d’encre […] Il ma pas montré mais il a continuez a
dire panse imagine quil y a quelque chose sur la carte. Je lui ai dit je panse a une tache
dancre […] je panse pas que j’ai réusi le test Ro choc »5
Charlie, tiré de l’ouvrage « Des Fleurs pour Algernon » de Daniel Keyes
Ce texte est issu d’un roman racontant l’histoire d’un jeune homme atteint de
déficience mentale, mais dont les capacités intellectuelles vont progressivement augmenter
jusqu’à se rapprocher de celles des plus grands génies de son époque, suite à une
expérience que des scientifiques ont effectué sur son cerveau. Le héros doit alors rédiger un
journal intime pour que les médecins qui l’ont opéré puissent suivre son évolution. Le récit
des transformations suscitées par ce changement est au cœur de sa narration. L’amélioration
de sa capacité à rédiger ses pensées tout en respectant les règles grammaticales,
orthographiques, et syntaxiques se perçoit au fur et à mesure que nous avançons dans le
texte.
J’ai choisi cet extrait pour ses aspects choquant et rebutant. Ce livre n’est, en effet,
pas facile à lire à cause de la concentration et de la patience qu’il demande et peut susciter
un rejet, tout comme la clinique du handicap mental. L’auteur tente de nous faire partager le
monde interne de son personnage en nous faisant éprouver le caractère énigmatique de sa
5 KEYES D. (1959), Des fleurs pour Algernon, pp.9-11.
5
pensée. De plus, la psychologie clinique est représentée ici par le test du Rorschach,
constituant un des symboles caricaturaux de l’approche clinique. Le but de l’auteur n’est
pas de dénigrer la psychologie, mais plutôt de montrer la nécessité d’aborder les choses
différemment avec les personnes souffrant d’un handicap mental.
CHAPITRE 1 : PRESENTATION DE LA RECHERCHE
I. PROBLEMATIQUE
Nous allons nous intéresser à la manière dont le dialogue avec les personnes
souffrant de handicap mental se constitue lorsque l’on travaille dans une institution les
accueillant quotidiennement. Les différents obstacles pouvant venir parasiter sa mise en
place dans cette clinique feront également l’objet de notre questionnement. Le déficit de
langage verbal que les personnes handicapées mentales peuvent présenter, les difficultés
que nous pouvons éprouver pour appréhender le processus identificatoire, l’asymétrie
habituellement indispensable à la situation thérapeutique mais accentuée face à un sujet
« supposé ne rien savoir », nous confrontent à notre impuissance en nous amenant aux
frontières de la pensée et de l’humanité.
La question est de réaliser de quelle manière la compréhension de nos réactions
excessives et la violence suscitée par le handicap vont nous permettre d’envisager comment
les défenses se mettent en place pour chacun des interlocuteurs. Il s’agit ici de savoir
comment intégrer progressivement la subjectivité de la personne handicapée mentale, cette
dernière étant bien souvent entravée par le manque de réflexivité et les dépendances dont
elle fait l’objet. Cela nous amène à interroger la place de l’empathie, dans une clinique où
celle-ci est d’autant plus fragilisée par la difficulté à se mettre à la place du sujet tout en
veillant à ne pas se laisser déborder par les affects suscités par la relation.
En essayant de mettre à jour la particularité des processus psychiques dont le
handicap mental fait l’objet, nous tenterons d’analyser les différentes modalités de
l’identification tant chez les patients que chez les soignants, et de mettre en évidence
les différents mécanismes de défense qui viennent compliquer et/ou révéler les
différents enjeux du travail thérapeutique.
6
II. ETAT DE LA QUESTION
Afin d’inscrire cette réflexion synthétique dans un certain cadre et de la clarifier
autant que possible, je commencerai en partant des apports constitués par des écrits plus
anciens, dont le handicap mental n’est pas l’objet d’étude spécifique. La clinique du
handicap est directement en lien avec des thèmes centraux dans la pensée de S. Freud. Je
pense notamment à ses réflexions autour des causes et des effets du narcissisme, ainsi qu’à
celles appréhendant le processus identificatoire, sans oublier la rencontre de l’inquiétante
étrangeté. En effet, il est le premier à faire valoir le fait que ce que nous trouvons étrange
nous est paradoxalement familier. Il explique que ce sentiment provient d’une confrontation
à un objet qui provoque la levée de notre refoulement, et vient faire écho à un élément
inconscient de notre réalité psychique. Dans cette clinique, nous avons donc affaire à un
dilemme face à cet autre, ce « double » différent auquel il est difficile de ne pas s’identifier,
mais dont l’identification vient faire écho à nos propres manques, que nous préférons
occulter.
Par ailleurs, le concept d’identification est au cœur de la découverte freudienne. En
effet, la place qu’il occupe dans la constitution de la personnalité est centrale. Les travaux
de Freud, visant à souligner l’importance de l’incorporation dans le processus
identificatoire, ont été prolongés par S. Ferenczi et son emploi de l’introjection. Il définit
cette dernière comme la « fusion des objets (aimés) avec notre Moi »6. Selon lui, « l’homme
ne peut aimer que lui-même, et lui seul ; aimer un autre équivaut à intégrer cet autre dans
son propre Moi »7. Il insiste également sur la nécessité que le Moi se transforme pour
laisser place à l’objet. Par ailleurs, Freud évoque le plaisir que nous pouvons tirer des
6 FERENCZI S. (1909), Transfert et introjection, p.135.
7 Ibid, p.134.
7
identifications. Il « explique ce plaisir de la reconnaissance en soi par la réduction de la
dépense psychique »8 permise par ces dernières. On retrouve d’ailleurs cette primauté de la
ressemblance dans les nombreux déplacements propres au fonctionnement onirique, qui
constitue la voie la plus courte pour « réaliser » nos désirs. L’identification apparaît ici
comme un processus primaire et naturel orienté par la recherche du plaisir, et donc par
l’évitement du déplaisir. Ceci pose la question de l’établissement du choix d’objet, mais
également des apports et atteintes que celui-ci peut constituer pour le narcissisme. D’après
A. Balint (1937), ce dernier ne passe pas uniquement par la ressemblance. Nous
rechercherions à nous débarrasser de nos imperfections en nous identifiant à ceux qui nous
aiment malgré l’existence de celles-ci. Elle affirme aussi que « l’identification représente la
manière la plus primitive de reconnaître la réalité extérieure »9. Ceci pose la question de
notre rapport inconscient à la réalité. On peut supposer que certaines identifications sont
sources de déplaisir et chargées de beaucoup d’ambivalence, et qu’elles sont ensuite
refoulées voire directement inaccessibles.
Tout ceci est accentué par la clinique du handicap, puisque celle-ci nous expose à
des identifications paradoxales, dans le sens où elles s’éloignent de leur recherche hédoniste
tout en subsistant puisque toute rencontre induit forcément une certaine convocation des
processus identificatoires. L’identification suscitant du plaisir paraît compliquée de prime
abord, particulièrement à cause de la difficulté que nous avons à nous représenter ces
personnes par autre chose que leur handicap. A partir de là, une rencontre avec les aspects
similaires du sujet s’avère difficile à appréhender. En revenant sur ce qui a été dit plus haut,
on peut penser que la présence d’une similarité importante, mise à mal avec le sujet
handicapé, n’est pas forcément une condition sine qua non à la mise en place du processus
identificatoire. Cependant, l’évitement de certaines parties plus archaïques de notre psyché
semble détenir une place primordiale dans notre fonctionnement.
En effet, le handicap nous confronte aux limites de l’humain et « son étrangeté
révèle, comme dans un miroir brisé, notre propre étrangeté, que nous voulons ignorer »10.
8 FLORENCE J. (1978), L’identification dans la théorie freudienne, p.46.
9 BALINT A. (1937), La chambre d’enfant in GRUNBERGER B. (et col.), L’identification : l’autre c’est
moi, p.59.
10 KORFF-SAUSSE S. (1996), Le miroir brisé, p.8.
8
Cet aspect-là revêt davantage d’importance lorsque nos propres réactions nous surprennent.
De plus, j’avais régulièrement le sentiment que celles-ci étaient les seules informations
auxquelles je pouvais me rattacher. J’ai alors fait des liens avec l’approche de la psychose
fournie par H. Searles (1979) dans « Le contre-transfert », qui explique que face à une
clinique suscitant autant de violence, nous devons partir de ce que la rencontre induit chez
nous. S. Korff-Sausse (1996) a élargi cette question au domaine du handicap mental, en
expliquant que nous la négligions à cause des blessures narcissiques engendrées par le
caractère potentiellement déshumanisant des identifications auxquelles elle expose le
psychologue. Ses travaux ont également permis d’aborder de nombreux points.
Tout d’abord, l’asymétrie provoquée par la position de « sujet supposé savoir »11,
caractérisant l’idéalisation dont le thérapeute et ses connaissances font l’objet chez le
patient, est ici accentuée par la déficience du sujet, qui souvent « ne dispose ni du langage,
ni d’aucun contrôle de sa vie émotionnelle, ni de la maîtrise de son corps »12.
En outre, la réflexivité est mise à l’épreuve, tout simplement par notre aptitude à
penser l’autre comme un sujet pensant. Cela suppose également que nous offrions la
possibilité à ces patients de rencontrer quelqu’un qui ne sait pas et qui accepte de tolérer
l’inconnaissable auquel ils nous confrontent, à l’image de la « capacité négative » décrite
par W.R. Bion (1970) dans « L’attention et l’interprétation ». Cette position permet ainsi au
sujet de s’identifier davantage au thérapeute et d’exprimer son propre savoir, ouvrant la
porte à sa subjectivité. Cet aspect-là mérite d’être entouré. En effet, les difficultés
identificatoires concernent évidemment chacun des interlocuteurs. Par ailleurs, il semble
plus complexe de percevoir quelles sont les obstacles ressentis par le patient vis-à-vis du
processus identificatoire que d’établir une certaine introspection à propos de nos propres
vécus, bien que la rencontre du handicap mental puisse troubler nos capacités d’autoobservation.
11 LACAN J. (1961-1962), Le Séminaire IX, L’identification (Tome 1), p.19.
12 KORFF-SAUSSE S. (2007), Aspects spécifiques du contre-transfert dans la clinique du handicap in
CICCONE A. (et col.), Cliniques du sujet handicapé, p.45.
9
A l’image de ce que D.W. Winnicott (1947) évoque lorsqu’il décrit l’importance
d’être à l’écoute de ses émotions et d’essayer de les rendre conscientes pour affiner sa
compréhension de la dynamique transféro-contre-transférentielle dans « La haine dans le
contre-transfert », nous devons nous laisser imprégner par cette dernière et lui survivre afin
de pouvoir l’utiliser de la manière la plus efficiente dans un but thérapeutique. Une
meilleure connaissance des éléments inconscients est nécessaire pour éviter la mise en
place de relations qui seraient teintées d’emprise, d’autant plus que l’extrême dépendance
inhérente au handicap la facilite. La violence de la faiblesse associée au handicap active les
tendances sadiques, et son élaboration est obligatoire si l’on souhaite éviter les abus dont
les personnes handicapées font encore trop souvent l’objet ; l’infantilisation apparaissant
comme le processus principal pour les légitimer.
Les affects négatifs ne sont pas les seuls à opposer des résistances. En effet, la
difficulté à se représenter la vie psychique du patient débouche souvent sur une certaine
sidération de la pensée chez le soignant travaillant avec des patients handicapés. Ce
phénomène empêche d’avoir la moindre distance réflexive, de faire fonctionner son
associativité vis-à-vis d’une situation donnée. Le regard porté sur l’objet se substitue alors à
celui-ci. Personnellement, cet aspect est celui qui m’a le plus perturbé, mais également le
plus interrogé car il constitue un véritable paradoxe en soi. Comment élaborer une situation
bloquant elle-même la pensée ?
Le terme de paradoxe me permet d’associer l’idée de l’échec que vient constituer le
handicap et son irrémédiabilité face à l’idéal thérapeutique. P.-C. Racamier avait déjà
souligné l’importance de faire le deuil de la guérison totale en utilisant l’expression « guérir
de vouloir guérir »13 dans ses recherches sur les patients psychotiques. Dans la clinique du
handicap, la toute-puissance du clinicien est directement mise à mal. Le handicap est très
souvent congénital, et même lorsque cela n’est pas le cas, la possibilité de l’annihiler reste
infime, voire inexistante. Cela implique un certain recul, car le risque de vouloir supprimer
le handicap du patient n’aboutira probablement à rien d’autre qu’à lui montrer que nous
n’acceptons pas sa subjectivité. Ceci prolonge ce que Racamier appelle « l’idée du moi »,
qui consiste à accepter que « toute personne […] est de même sorte et de même partie, de
cette glaise commune, dont il est dit que l’homme est fait »14. Cette phase semble nécessaire
13 RACAMIER P-C. (1992), Le génie des origines, p.109.
10
pour ensuite reconnaître l’autre dans son altérité, sans le voir comme un être excessivement
différent.
La notion d’empathie apparaît comme un angle d’approche pertinent pour
appréhender la clinique particulière formée par le handicap mental. Elle privilégie la
relation interpsychique, l’approche intrapsychique n’étant pas forcément adéquate tant la
richesse du monde interne des handicapés mentaux est difficilement accessible. Elle nous
ouvre à nos propres vécus contre-transférentiels, dans une clinique où l’altérité est telle que
la double écoute (soi et l’autre) semble incontournable. Par ailleurs, elle met l’accent sur la
différenciation entre les deux protagonistes, dans une clinique où le collage, conséquence
des défaillances des objets internes des sujets et de la difficulté à se situer vis-à-vis d’autrui,
prédomine.
III. HYPOTHESES
1. La relation thérapeutique met en évidence des mécanismes de défense qui existent à
la fois chez le patient, et chez le clinicien.
2. Dans le champ du handicap mental, ces mécanismes de défense constituent une
protection narcissique face aux identifications déshumanisantes suscitées chez les deux
interlocuteurs.
14 RACAMIER P-C. (1980), Les schizophrènes, p.116.
11
3. Ces mécanismes de défense, s’ils ne sont pas perlaborés 15, peuvent devenir des
entraves au développement du processus empathique.
OBJECTIFS DE RECHERCHE
J’espère que cette recherche contribuera modestement au rapprochement entre le
champ du handicap mental et celui de la psychologie clinique, qui se sont longtemps évités.
Cette dernière sera imprégnée de ma volonté de retranscrire les spécificités liées à ce type
de clinique. J’essayerai de présenter quelques uns des différents processus psychiques qui
lui sont inhérents ainsi que les difficultés sous-jacentes à l’établissement d’un lien avec une
personne atteinte d’un handicap mental. Elle s’inscrit également dans le cadre de ma
formation, élargissant mes connaissances théoriques, mon associativité et surtout en
affinant l’acuité de mon introspection. Tout ceci a pour visée d’appréhender au mieux les
phénomènes extérieurs, dans l’optique d’être en mesure d’offrir le meilleur cadre
thérapeutique possible. Par ailleurs, cette recherche amorce une réflexion que j’espère
approfondir par la suite.
CHAPITRE 2 : METHODOLOGIE
I. TERRAIN DE RECHERCHE
Tout d’abord, je vais brièvement présenter le lieu qui formera le cadre de ma
recherche. Le centre dans lequel j’ai effectué mon stage accueille cinquante personnes,
souffrant de handicap mental, du lundi au vendredi, de 9h à 16h30. Malgré le fait qu’ils
15 LAPLANCHE J. & PONTALIS J-B. (1967), Vocabulaire de la psychanalyse, p.305 : « Perlaboration :
Processus par lequel l’analyse intègre une interprétation et surmonte les résistances qu’elle suscite. Il s’agirait
là d’une sorte de travail psychique qui permet au sujet d’accepter certains éléments refoulés et de se dégager
de l’emprise des mécanismes répétitifs. La perlaboration est constante dans la cure mais plus particulièrement
à l’œuvre dans certain es phases où le traitement paraît stagner et où une résistance, bien qu’interprétée,
persiste. »
12
soient réunis, les handicaps des résidents que j’ai pu rencontrer sont très hétéroclites. De la
trisomie aux troubles autistiques, en passant par le flou entourant certains diagnostics, la
diversité est clairement présente dans ce « centre d’accueil de jour ». On la retrouve
également avec les nombreuses activités proposées par l’équipe éducative, mais aussi avec
l’âge des résidents, allant de 20 à 60 ans.
Le projet du centre aspire à maintenir les acquis des personnes handicapées ainsi
qu’à les aider à devenir plus autonomes. Tout en permettant aux familles de ne pas être
totalement focalisées sur leur proche handicapé, elle sert de relais, offrant un autre angle de
vue sur l’état psychique des résidents. L’institution vise évidemment à ce que ces derniers
se sentent le mieux possible, à l’intérieur de celle-ci comme en dehors.
Les journées sont organisées sur le même modèle, le vendredi après-midi faisant
exception à cause de la réunion institutionnelle. La matinée démarre par un temps d’accueil,
dans des groupes fixes de dix résidents, encadrés par deux éducateurs. Les résidents sont
ensuite orientés vers les activités correspondant à leur emploi du temps de la semaine. Les
activités proposées sont très nombreuses et véritablement diverses. La répartition des
activités suit une logique bien précise selon chaque résident. A midi, tous les résidents et les
professionnels se réunissent pour le déjeuner, qui est suivi d’un temps de détente assez
long. A quatorze heures démarrent de nouvelles activités, et les résidents retournent dans
leurs groupes respectifs à la fin de ces dernières pour dresser le bilan de la journée. Les
éducateurs se retrouvent alors pour faire de même.
La psychologue est présente le vendredi, journée durant laquelle elle reçoit un
résident et sa famille, en présence du directeur et de l’éducateur référent. Elle prépare cette
réunion en effectuant un entretien en face-à-face avec ce même résident la semaine
précédente, puis en évoquant ce qui concerne cette personne lors de la synthèse qui réunit le
directeur, les éducateurs, la psychologue et les différents stagiaires. Celle-ci permet aussi de
faire le point sur la semaine venant de s’écouler, et chacun peut alors faire part de son avis
et de ses différents questionnements.
II. RECUEIL DE DONNEES
En ce qui concerne le recueil des données, il s’est effectué à un niveau holistique.
Malgré mon intérêt particulier pour la rencontre avec les résidents, j’ai essayé de laisser
mon attention me guider tout en essayant de garder une vue d’ensemble, en restant proche
13
de mes questionnements les plus récurrents et de ce dont j’aurais pu vouloir m’éloigner par
déplaisir, consciemment ou inconsciemment. Ces données possèdent donc plusieurs
origines. En premier lieu, je me suis intéressé aux interactions individuelles, dans le but
d’établir des liens avec certains résidents tout en accordant une place à leur subjectivité et à
l’unicité de ce qui se déployait à travers notre relation. Je me suis également penché sur des
phénomènes qu’on pourrait qualifier de groupaux, afin de comprendre comment la
pathologie influait sur le fonctionnement institutionnel et distinguer les processus propres à
chaque groupe (professionnels et résidents) et l’impact de leur confrontation. En outre, j’ai
observé des évènements auxquels je participais directement, et d’autres où mon
positionnement était marqué par une certaine extériorité.
Le modèle de l’observation participante souligne l’importance de l’interaction entre
le psychologue et le sujet. En effet, « la caractéristique fondamentale de la science du
comportement est la réciprocité actuelle et potentielle de l’observation entre observateur et
observé »16. Elle permet d’introduire l’observateur pour ce qu’il est réellement et de s’en
servir comme une source de données fructueuse, tout en accordant un intérêt aux contreobservations exercées par le sujet. Par ailleurs, « il ne suffit pas que l’observateur soit
conscient de sa propre valeur de stimulus, ni qu’il en tienne compte dans l’appréciation des
données fournies par l’observation […] il faut aussi qu’il soit capable d’agir librement en
fonction de la compréhension qu’il a de cette valeur spécifique »17. En bref, « quelle que
soit la convention qui garantit que A est l’observateur et B l’observé, tous deux agissent en
observateurs ; […] le fait que chacun des deux est pour lui-même l’observateur, et l’observé
pour l’autre, est à la base de toutes les (soi-disant) perturbations qui résultent de l’exécution
de l’expérience »18. Ces citations nous font remarquer la double polarité de ce modèle, et
accentuent la dimension accordée à la place de la subjectivité de manière générale.
Ainsi, il me paraît évident mais toutefois nécessaire de rappeler que les données
traitées l’ont été avec les capacités et les limites qui sont les miennes, inhérentes à ma
16 DEVEREUX.G (1967), De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement, p.48.
17 Ibid, p.57.
18 DEVEREUX.G (1967), De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement, p.61.
14
position d’étudiant stagiaire. Mes angoisses ont certainement été à la source de beaucoup de
réflexions, même si elles ont évidemment troublé ma perception du matériel.
J’ai donc eu la possibilité d’observer des interactions dans des cadres spatiotemporels différents. L’opportunité d’écoute que représentaient les temps informels et
interstitiels, le fait d’avoir eu la chance de pouvoir potentiellement entrer en lien avec tous
les résidents ainsi qu’avec l’intégralité des professionnels, et la diversité des activités
proposées, m’ont permis d’élargir le champ de mes observations. Par ailleurs, les
évènements institutionnels, la signifiance portée par les productions artistiques des résidents
ainsi que mes propres ressentis représentent tout autant de moyens d’observation que les
interactions directes que j’ai pu avoir.
En ce qui concerne la manière dont j’ai travaillé avec mes données, il m’est
primordial d’insister sur l’importance de « l’après-coup ». Chaque soir, j’essayais de
consigner ce qui m’avait étonné, mais la sidération dont j’ai été l’objet s’est également
ressentie dans mon processus d’écriture. J’écrivais beaucoup, tout en gardant l’impression
que beaucoup de choses restaient en suspens, en attente d’être traitées par ma psyché. La
lecture, théorique et clinique, m’a aidé à relancer mon associativité, et surtout à accepter cet
état de latence qui s’imposait à moi quand je me sentais impuissant. L’écriture m’a surtout
permis de structurer ma pensée et de ne pas être dépassé par mes contre-attitudes, tout en
me fournissant un moyen d’élaborer des processus plus inconscients.
III. NATURE ET LIMITES DU MATERIEL
Mon terrain de recherche m’a permis de rencontrer des personnes souffrant de
différents handicaps mentaux. J’aimerais commencer cette partie en attirant l’attention sur
le fait que les appréhender en tant que groupe de sujets handicapés ne saurait les réduire à
cela, leur subjectivité s’exprimant bien au-delà de leur handicap et de la dynamique
groupale dans laquelle ils sont inclus. Les aspects de la généralisation, que l’on peut
considérer comme dangereux, se doivent d’être soulignés dans tout type de recherche mais
particulièrement lorsque nous nous intéressons à une clinique dans laquelle la subjectivité
est difficile à aborder.
En effet, cette clinique, caractérisée par des traits assez particuliers, nous oblige à
mettre de nouvelles stratégies en place. Les différences et le déficit de langage verbal que
présentent les handicapés mentaux nous éloignent de l’approche représentée par le modèle
15
de la « cure-type » au sens psychanalytique, dans laquelle le langage occupe une place
prédominante. Cela implique que nous nous focalisions davantage sur le langage corporel et
la prosodie, mais également que nous prenions plus de recul sur nos propres vécus. Il paraît
nécessaire d’affronter les obstacles que les handicapés rencontrent pour nous faire partager
leur monde interne, mais également d’accepter que le travail d’élaboration soit plus long et
davantage fastidieux.
J’ai longtemps questionné le matériel recueilli grâce à cette pratique. Son originalité
a eu l’effet ambivalent de me séduire tout en m’inquiétant. C’est pourquoi je suis obligé de
dresser ici une esquisse des différentes limites que j’ai rencontrées. La première que
j’aimerais évoquer est constituée par le fait que l’institution était plutôt orientée vers le
développement de l’autonomisation des résidents, à travers des activités à visée éducative.
La présence d’une dizaine d’éducateurs et le temps d’intervention relativement restreint de
la psychologue (une demi-journée par semaine) en témoignent. Il ne m’a pas toujours été
facile de me positionner en tant qu’étudiant en psychologie, peut-être même davantage visà-vis de l’équipe éducative que vis-à-vis des résidents. J’aurais aimé que le stage dure plus
longtemps19 pour pouvoir travailler cette question-là lors des réunions tout en affinant ma
perception du fonctionnement institutionnel. Ceci m’aurait probablement permis d’instaurer
une meilleure compréhension de ma place et de mon rôle ainsi que de me détacher des
enjeux narcissiques autour de la constitution de mon identité professionnelle, propres à tout
stage mais certainement accentués par ce flou et ayant un impact sur la relation
thérapeutique. Cet élément m’amène à l’organisation de la vie institutionnelle, qui induisait
une certaine rigueur et des journées organisées à l’identique. C’est pourquoi je n’ai pas pu
mettre un véritable suivi individuel (sous la forme d’entretiens) en place. En effet, ceci
aurait supposé que je retire régulièrement les résidents des activités auxquelles ils
participaient, et n’aurait pas forcément été souhaitable pour le bon déroulement de la vie
institutionnelle, même si l’on peut supposer que leur spontanéité s’en trouvait réduite.
Malgré cela, j’ai pu tisser des relations enrichissantes avec certains résidents.
Par ailleurs, j’ai prêté attention aux dynamiques mutuelles de séduction qui étaient
susceptibles de se mettre en place lorsque je portais davantage d’attention à des résidents
qui m’interrogeaient particulièrement, tout en veillant à offrir une disponibilité équivalente
19 Il n’a duré que trois mois puisque j’ai effectué mes soixante-quinze demi-journées avec le même maître de
stage mais sur deux lieux de stages différents.
16
à tous les résidents. De plus, cette clinique est peut-être davantage capable de brouiller les
frontières du moi, le manque de réflexivité entraînant un collage, une invitation aux
projections et le besoin de prêter son appareil psychique pour comprendre notre
interlocuteur. J’étais réellement angoissé à l’idée que ceci puisse venir entraver ma
compréhension et me faire agir de façon à ce que l’écoute ne puisse plus se mettre en place.
Les inquiétudes liées à cette clinique ne se réduisent évidemment pas à cela, mais j’aimerais
néanmoins en mettre une en évidence. En effet, j’ai longtemps douté de la qualité du
matériel que j’ai pu recueillir. Ce sentiment est probablement lié au processus de recherche
et aux doutes qui lui incombent, mais travailler avec un public « différent » nous propose
inéluctablement des éléments cliniques inhabituels. Par exemple, la relative pauvreté du
langage verbal des résidents m’a longtemps maintenu dans l’illusion que je ne pourrai pas
m’appuyer sur ces rencontres pour mettre en place un travail de recherche. Or, de multiples
questionnements se sont imposés à moi et je suis à présent convaincu que toute personne a
quelque chose à dire de sa position subjective, et que d’autres éléments cliniques comme le
langage non-verbal, l’intersubjectivité et l’analyse des vécus contre-transférentiels, peuvent
être davantage valorisés de manière générale.
J’aimerais terminer cette partie en rappelant des limites plus générales. Tout
d’abord, les observations, comme nous le verrons par la suite, se sont situées dans un cadre
interactionnel, sur lequel j’exerçais donc moi-même une influence. En outre, je ne me
permettrai pas de généraliser ni de soutenir la validité de mon matériel clinique en me
basant sur la pluralité des sujets rencontrés.
Enfin, beaucoup de mes questionnements resteront certainement inabordés ou en
suspens à l’issue de ce travail de recherche, auxquels viendront, je l’espère, s’ajouter de
nouvelles interrogations.
CHAPITRE 3 : PRESENTATION DE LA CLINIQUE
I. Marc, ou les prémisses d’une rencontre marquée par le sceau de l’altérité
La première rencontre que j’ai pu faire s’est avérée être une des plus surprenantes,
mais également une des plus empreintes de violence. En effet, Marc, qui semblait occuper
17
une place exclusive dans l’institution, m’a rapidement interpellé. Au-delà de la particularité
de sa pathologie autistique que l’on m’avait brièvement présentée, ses capacités
intellectuelles, son autonomie et sa manière d’entrer en lien paraissaient lui conférer une
place singulière au sein des résidents. J’ai été frappé par sa capacité à multiplier les
interrogations, même si leur répétition pouvait parfois me mettre mal à l’aise. Ses questions
portaient principalement sur mon identité. Par ailleurs, il s’appliquait à dire mon nom
distinctement, et l’ajoutait à la fin de ses phrases assez régulièrement. J’ai alors réalisé que
les places respectives de l’identité et de l’altérité, ainsi que leur corrélation, revêtiraient une
importance primordiale dans le cheminement de ma pensée.
Le prompt développement de ma rencontre avec Marc me paraît opportun dans le
sens où il permet de réaliser l’impact suscité par la rencontre d’une altérité radicale. Le
dialogue entamé avec Marc n’a pas tardé à se transformer, sa curiosité habituelle
s’accompagnant de menaces violentes, voire de mort, à mon égard. Celles-ci étaient
proférées sur un ton véhiculant la volonté de provoquer un certain effroi, mais
apparaissaient paradoxalement comme désaffectivées. Les éducateurs étaient également
sujets à ces paroles intimidantes, et affirmaient qu’il agissait ainsi « pour me tester ». Je ne
savais pas trop comment considérer ses propos. Je m’interrogeais quant à leur nature :
constituaient-ils des attaques ou un message plus énigmatique ? Quelle que soit la réponse
potentielle, je devais tolérer cette incertitude et montrer à Marc que j’étais prêt à accepter ce
qu’il souhaitait exprimer. Cette rencontre m’a dressé une esquisse de la multiplicité des
affects en jeu dans cette clinique. En effet, je ne savais pas si j’étais réticent à attribuer une
forme d’agressivité à une personne dont la pathologie véhicule habituellement un fantasme
d’innocence, ou si le fait de voir une attaque se tramer derrière ses paroles me permettait de
mettre un frein à l’avancée d’une écoute perturbante. Par ailleurs, l’assimilation à un simple
test me paraissait occulter le caractère violent de son message. J’ai également pris
conscience de la méfiance qu’il avait ainsi suscitée chez moi. Ensuite, j’ai tenté de
l’interroger sur les raisons qui l’amenaient à véhiculer de tels propos, tout en en lui
renvoyant le fait qu’il avait le droit d’éprouver de la haine envers d’autres personnes. Il se
montra plutôt surpris de mon attitude, ne m’apporta pas de réponse et continua de
communiquer sur ce mode pendant quelques jours. Néanmoins, le nombre et la fréquence
de ses « attaques » diminuèrent au fil du temps, et je sentais qu’il me faisait davantage
confiance. Marc s’ouvrit en me confiant qu’il était assez angoissé à l’idée que les
éducateurs puissent se mettre en colère contre lui, et qu’il ne comprenait pas qu’ils aient le
18
droit de le réprimander alors que lui ne pouvait partager ce qu’il ressentait sans qu’on le lui
reproche.
Cette rencontre n’est pas celle qui a soulevé le plus de questionnements vis-à-vis de
ma problématique de recherche, mais je tenais à l’évoquer car elle m’apparait comme
représentative des prémisses de la confrontation au handicap mental.
II. Sam, ou la mise en corps d’une distanciation insaisissable
Sam est âgé de 26 ans lorsque je le rencontre, et participe à la vie du centre depuis
sa majorité. L’origine de son handicap mental reste floue puisqu’il n’existe pas de
diagnostic précis le concernant. Lors de notre premier échange, je me dis que celui-ci est
rapidement visible lorsque l’on discute avec lui, aussi bien en dialoguant avec lui qu’en
percevant les stigmates présents sur son visage. Les principales difficultés de Sam semblent
résider dans son incapacité à canaliser son énergie. Je constate chez lui de nombreux
mouvements stéréotypés, comme la rotation de sa tête sur les côtés, ou encore la révulsion
répétitive de ses yeux. Sam paraît très agité et cela se traduit à travers les modalités de son
lien à autrui. Il m’interpelle régulièrement, avec une facilité déconcertante, mais
l’établissement du dialogue s’avère compliqué.
Au niveau corporel, Sam a du mal à soutenir mon regard ainsi qu’à rester à un
endroit précis durant nos conversations, même si celles-ci sont rarement longues. La
gestion de la proxémie semble être problématique car Sam peut alterner des phases pendant
lesquelles il s’adresse à moi en se trouvant à une quinzaine de centimètres de mon visage
pour ensuite s’éloigner à plusieurs mètres, me tournant le dos tout en poursuivant la
conversation. Ces échanges me donnent d’ailleurs l’impression d’être partie prenante d’une
chorégraphie incontrôlée et incontrôlable, comme si Sam se téléportait sans arrêt. Ses
mouvements entraînent chez moi une certaine ambivalence, doublée d’une grande
confusion car je me sens à la fois « intrusé » et délaissé, mais également intrusif et
délaissant. La sollicitation de ma concentration est telle que je me sens parfois fatigué et
contaminé par les difficultés attentionnelles de Sam, même si ces phénomènes me
permettent de me mettre davantage à sa place.
En outre, cette énergie s’exprime également au niveau verbal. Bien qu’il ne dispose
pas de capacités langagières qui lui permettraient de nous faire davantage partager son
19
monde interne, Sam présente une curiosité jamais assouvie. En effet, il se montre très
loquace et n’hésite pas à me poser une multitude de questions, sur des sujets divers et
variés. Le récit qu’il peut me faire de son quotidien est assez dense et il est parfois
complexe de suivre son fil associatif. Dialoguer avec Sam me demande une attention plus
soutenue car il est très difficile de le laisser développer ses idées sans que l’émergence de
l’une ne vienne interrompre le développement de l’autre.
Par ailleurs, ses questionnements véhiculent une volonté de connaître les limites qui
l’entourent. Il se demande quels sont les interdits et apparaît comme étant très soucieux de
l’empreinte qu’il va laisser dans l’esprit de ses interlocuteurs. Ce désir de plaire semble
revêtir une place primordiale chez Sam. Certains éléments revenant régulièrement dans son
discours laissent transparaître la recherche d’une certaine virilité. Sam évoque souvent son
père et ce qu’il peut partager avec lui, véhiculant une certaine admiration à son égard.
Quelques sujets comme le football, les camions ou encore les échauffourées auxquelles il
assiste parfois, reviennent régulièrement dans son discours et semblent attester d’une
préoccupation intense quant à l’ostentation de traits masculins. Par ailleurs, les
interrogations autour de son avenir sont accompagnées d’une angoisse souvent présente
chez les personnes handicapées mentales. Sam exprime son vœu de rencontrer une fille, de
vivre dans son propre appartement, tout en rappelant l’utopie que ceci constitue. De plus,
l’angoisse liée à la mort de ses parents vient se doubler d’une seconde inquiétude :
comment sa vie va-t-elle s’organiser une fois qu’ils seront décédés ?
III. Jules, entre séduction, collage et infantilisation
Jules, âgé de trente-cinq ans au moment de notre rencontre, est atteint de trisomie
21. Les stigmates qu’il présente rendent son handicap immédiatement perceptible et
identifiable. Assez corpulent mais plutôt à l’aise au niveau moteur contrairement à
beaucoup de personnes affectées par sa pathologie, certains traits comme la rondeur de son
visage, l’épaisseur de sa nuque, ses yeux légèrement étirés et sa façon de marcher en se
balançant à cause de sa corpulence ne sont pas sans rappeler certains aspects infantiles. La
déficience qui le touche est assez importante. Malgré ses grandes difficultés d’élocution et
de verbalisation, Jules essaye toujours d’aller au bout de ses explications. Les mots de Jules
se présentent comme des fragments. Déchiffrer ce qu’il tente de me signifier à travers son
langage verbal me demande un investissement considérable, une capacité à lui « prêter mon
20
appareil psychique » tout en tolérant les frustrations que nous éprouvons mutuellement face
à cet écueil et à la fatigue qu’il suscite.
Cependant, un certain accordage se met progressivement en place. Je le qualifierais
même de paradoxal car ce dernier est à l’origine d’un rapprochement qui semble en
discordance avec la situation effective qui ne cesse de me rappeler que j’éprouve des
difficultés à dialoguer avec lui. Tout d’abord, je me suis surpris à fréquemment
communiquer avec lui en m’appuyant sur des dynamiques non-verbales. Ainsi, nous
prenions l’habitude de nous renvoyer plusieurs clins d’œil, mais également de nous
synchroniser gestuellement, et j’avais le sentiment que le lien pouvait perdurer uniquement
en suivant ce processus. Ce dernier s’accentuait au fil du temps, notre proximité physique
progressant de jour en jour. J’avais parfois le sentiment de dépasser certaines « limites »,
sans savoir desquelles il s’agissait, tout en me sentant dépendant de ce mode malgré le fait
d’en avoir conscience. Par exemple, je me suis vu entrer dans un jeu étrange avec lui,
pouvant laisser une impression d’inadaptabilité vis-à-vis de la situation, dans lequel chacun
posait ses mains contre celles de l’autre et tentait de le faire reculer. Il s’est avéré que ce jeu
se terminait toujours de la même manière, à savoir que nous restions tous deux au même
endroit, immobilisés. Cette situation m’a longuement interpellé car je ne parvenais pas à lui
donner un sens. J’avais parfois le sentiment d’infantiliser Jules et d’être détourné du chemin
que je souhaitais suivre.
C’est pourquoi j’évoquerai la forme de séduction présentée par Jules. Celle-ci
apparaît comme directement en lien avec sa situation de « résident stagiaire » en attente
d’une admission potentielle dans l’institution, faisant par ailleurs écho à la mienne. Jules
me complimente régulièrement, me qualifiant de « beau » et « fort » à plusieurs reprises.
De plus, ce phénomène se retrouve avec quelques éducateurs. Le charme de Jules semble
opérer sur l’intégralité des professionnels et des résidents. Lors de la réunion
hebdomadaire, tous les avis le concernant sont positifs, mais le directeur ne manque pas de
souligner l’importance de ne pas « se laisser séduire par ce charmeur ». En effet, Jules
parvient à s’exprimer à travers le biais de l’humour. Cet aspect se remarque d’autant plus
que ce procédé est habituellement associé à une certaine maîtrise du langage verbal, que
Jules ne possède que de manière relative. Cependant, Jules joue avec les mimiques de son
visage, ainsi qu’avec sa démarche plutôt maladroite et la complicité qu’il met en place dans
le dialogue. D’autre part, deux éléments contradictoires méritent d’être mis en évidence.
Son corps est à la fois imposant et rebutant par l’étrangeté qu’il communique, mais son
21
attitude et ses rondeurs réactivent une certaine apparence infantile. Je ne sais pas s’il est
opportun de parler de fascination, mais son handicap, à travers la différence et les désirs de
réparation qu’il engendre, exerce sans aucun doute une forme de séduction.
Bien que passant essentiellement par le corps, cette séduction semble
paradoxalement dépourvue de libidinalité. Elle paraît davantage se situer dans la recherche
de gratifications narcissiques, avec une volonté de correspondre absolument à ce qu’on
attend de lui. Ceci se retrouve d’ailleurs chez différents résidents que j’ai pu rencontrer sur
mon terrain de recherche et je ne peux m’empêcher de faire un lien entre leur
« anormalité » et cette nécessité d’agir en fonction de ce qui attendu, de cette « norme »
sous-jacente ou d’un surmoi qui n’est pas sans rappeler les exigences parentales vis-à-vis de
leurs enfants.
IV. Quand les adultes redeviennent des enfants
En outre, mon incapacité à penser cette libidinalité m’a interrogé sur le tabou
existant autour de la sexualité des personnes handicapées, et sur l’infantilisation présente au
sein de l’institution et à travers mon lien avec Jules. En effet, les rapprochements entre les
résidents de sexe opposé étaient tolérés tant que ne se manifestait pas l’expression de
l’érotisation induite par leur relation. Par exemple, deux résidents avaient pour habitude de
s’offrir occasionnellement quelques présents, et de s’embrasser sur la joue en guise de
remerciement. Cette relation était vivement approuvée par les éducateurs. Néanmoins, deux
autres résidents étaient quelquefois surpris en train de s’embrasser, ou entendus en train
d’énoncer ouvertement leur désir de « faire l’amour » à leur partenaire. Les réactions des
professionnels face à ces comportements sont diverses. Certains préfèrent se taire, faire
semblant de ne pas voir, tandis que d’autres leur disait clairement et sur un ton intransigeant
que leur attitude n’était pas adaptée au lieu dans lequel il se trouvait, sans pour autant leur
expliquer les fondements de cet interdit.
Ce type de situation vient révéler quelque chose de l’inexplicable, de l’injustifiable.
La confrontation au handicap mental m’a donné l’impression d’être dépassé par certaines
de mes réactions. Malgré le fait que les autres professionnels tenaient parfois un discours
similaire et qu’une certaine identification soit envisageable, cette difficulté d’élaboration
envahissait l’institution dans sa globalité. Les processus que j’aimerais évoquer concernent
22
les formes d’infantilisation, qui sont parfois rudement critiquées, qui peuvent également
faire l’objet d’un déni considérable mais qui paraissent avant tout complexes à partager
ainsi qu’à analyser. En effet, des comportements qui sont intégrés dans le fonctionnement
normal de l’institution demandent davantage d’attention lorsqu’on s’intéresse à leur origine.
Il ne s’agit pas pour l’instant de faire l’examen de ces processus mais simplement de les
aborder.
Par exemple, le tutoiement des résidents semble se justifier par lui-même, alors
qu’on pourrait se demander ce qui induit cette adresse plus familière, que l’on ne se
permettrait pas avec des adultes « non-handicapés ». Par ailleurs, on peut se perdre dans la
complexité liée à leur dénomination. Les handicapés sont souvent qualifiés de « jeunes »
dans le discours commun. La science s’est également beaucoup intéressée aux « enfants
handicapés ». Cependant, l’emploi récurrent du terme adulte, comme cela pouvait être le
cas dans l’institution, n’avait pas d’utilité sinon celle d’exposer une évidence. Je
complèterai cette liste en lui ajoutant les privations imposées à certains résidents, comme
l’interdiction de prendre du café et du sucre lors des repas. Si celles-ci sont rationnalisées
par un discours mettant en avant l’aspect sanitaire des résidents, elles induisent malgré tout
une différenciation entre les professionnels et les usagers. Ceci m’apparaît comme un
paradoxe face à l’orientation de l’institution, définie autour de l’autonomie. Lors d’une
activité axée sur ces objectifs durant laquelle les résidents se rendaient au marché pour
effectuer des achats, certains éléments ont suscité mon incompréhension. Les résidents se
voyaient confier par leurs parents une certaine somme d’argent ainsi qu’une liste de courses
(contenant exclusivement des aliments) à effectuer. Lorsque ce n’était pas le cas, les
éducateurs leur rédigeaient une liste. Je vis une nouvelle contradiction dans ce processus, et
un étrange oxymore me vint alors à l’esprit : « indépendance contrôlée ». Lorsque qu’un
des résidents achète un magazine people, en saisissant l’opportunité constituée par une
inattention momentanée de notre part, j’ai la vague impression de voir quelqu’un qui
reprend quelque chose qu’on lui a subtilisé et qui vient signifier toute la jouissance
engendrée par un double accès : au droit de vision en lui-même ainsi qu’au contenu de ce
magazine, plutôt orienté sur la vision de photos où les corps érotisés des célébrités sont
exposés. Les professionnels se montreront choqués, mais ne lui adresseront pas de
reproche, comme si l’exaltation provoqué chez lui par cet achat formait un argument
incontournable. Une autre observation peut venir s’ajouter à cette lignée. En effet, un
résident dont la liste de courses était imprécise devait acheter des « fruits » mais aucun
23
n’était spécifié. Le choix du fruit lui revint, mais ceci apparaissait comme un véritable
privilège. Je trouvais cette perception de la situation en décalage avec la réalité, revêtant un
caractère exceptionnel mais infondé.
Enfin, l’institution me laissait parfois le sentiment d’être dans un milieu scolaire.
Chaque matin, les résidents devaient présenter un cahier de taille réduite, servant de relais
entre leurs proches et les professionnels, qu’ils sortaient de leurs sacs qui s’apparentaient
souvent à des cartables volumineux d’écoliers. Par ailleurs, le déroulement des temps de
pauses, où les résidents se précipitaient dans la cour sous le regard d’un ou plusieurs
professionnels n’était pas sans rappeler les récréations.
V. Le dessin comme support de relation
Le dessin m’est rapidement apparu comme un précieux moyen d’échanger avec
Jules, bien que ce dernier soit habituellement utilisé avec les enfants et fasse écho à
l’infantilisation précédemment évoquée. En effet, Jules se montre très intéressé et toujours
volontaire pour esquisser quelque chose. Néanmoins, je m’inquiète de son souci de se
conformer à une certaine demande, en lui expliquant que ses représentations resteront entre
nous, sauf s’il exprime le désir de les montrer à d’autres personnes. Une de ses œuvres m’a
particulièrement marqué. J’avais demandé à Jules de dresser son autoportrait, mais il se
révélait incapable de m’expliquer ce qu’il avait dessiné, entrant dans une confusion totale à
ce moment-là. Après avoir passé un long moment à tenter d’aider Jules à verbaliser sa
pensée, je me résignais en prenant soin de ne pas lui signifier ma frustration, afin de ne pas
accentuer la sienne. En effet, il paraissait difficile de percevoir la véritable identité de la
personne ébauchée. Les caractéristiques physiques du personnage semblaient représenter
Jules, mais les vêtements portés par ce personnage étaient les miens, comme venait
l’attester les inscriptions de mon T-shirt, soigneusement dupliquées sur sa feuille. Je me
trouvais plutôt embarrassé, ne sachant pas si je devais interpréter ce dessin hâtivement et
ignorant de quelle manière j’allais procéder le cas échéant. Lors de la séance suivante, je lui
ai proposé de nous dessiner côte à côte, dans le contexte de son choix. Ici, la mise en place
d’une consigne précise, face à laquelle je m’étais montré plutôt réticent face à des sujets
dont la spontanéité est déjà assez entravée, lui a permis de nous représenter mutuellement
tout en étant différenciés. Par ailleurs, nous avons effectué un travail du même type à l’aide
de la réalisation d’un squiggle. Ce jeu graphique, dans lequel chacun vient à son tour
24
transformer le « gribouillis » de l’autre, permet la construction d’un objet commun. Je
reviendrai ultérieurement sur les apports constitués par cet outil. A travers ce médium, j’ai
pu observer que Jules pouvait à la fois venir compléter certains de nos gribouillis pour leur
donner une forme finale, mais également dessiner en alternant des tracés symétriques et
asymétriques aux miens. Parmi les représentations perceptibles, je peux clairement
distinguer : un visage marqué d’une certaine étrangeté, un haltère, une maison, un ensemble
dense de petits points, un bonhomme, le prénom de Jules en lettres capitales, ainsi qu’un
parcours formé par des traits, sur lequel une bille compacte semble avancer malgré les
obstacles. Par ailleurs, cette description me fait penser à un autre croquis de Jules qui
m’avait particulièrement interpellé. Celui-ci visait à faire le portrait de sa maison.
L’élément marquant est la représentation que Jules a faite de sa chambre, cette dernière
étant tracée sur le même modèle que la maison, mais sous sa forme miniature. L’impression
qui s’en dégage est clairement celle de la présence d’une autre habitation à l’intérieur de
cette même maison. Toutefois, je reste prudent face à cette interprétation, ayant pris
conscience du besoin incessant de mettre du sens dans une clinique qui nous confronte
régulièrement à notre impuissance et dans laquelle le sujet éprouve des difficultés à nous
faire partager son monde interne.
CHAPITRE 4 : ELABORATION THEORICO-CLINIQUE
I. La sidération, une stratégie de survie à dépasser
« Un choc inattendu, non préparé et écrasant, agit pour ainsi dire comme un anesthésique.
Mais comment cela se produit-il ? Apparemment par l’arrêt de toute espèce d’activité
psychique »20. Cette phrase de S. Ferenczi, issue de ses réflexions sur le traumatisme,
résume d’une manière assez concise la première impression qui fut la mienne après
plusieurs rencontres avec des personnes en situation de handicap mental. Il me semble
primordial de faire ressortir cet aspect, car les trois situations évoquées peuvent être mises
en parallèle avec ce processus. En effet, l’effroi provoqué par les propos de Marc, les
difficultés à aborder l’avenir de Sam ainsi que l’étrangeté dégagée par la corporalité et le
défaut de langage de Jules ont suscité chez moi un sentiment de stupéfaction.
20 FERENCZI S. (1932), Le traumatisme, p.40.
25
Tout d’abord, Marc vient exposer un paradoxe revenant régulièrement dans les
discours évoquant les personnes handicapées. Son visage angélique et l’animosité de ses
propos à mon égard forment un contraste et dressent une barrière devant la mise en place du
lien et des processus identificatoires. Comme l’écrit E. Veyron La Croix (2014) :
« Considéré comme un fautif puni par Dieu, le sujet déficient fréquente à
la fois l’ange et le démon, il incarne à lui seul la double figure de l’élu et
du déchu. En apparente contradiction, ces représentations sont pourtant
les deux faces d’une même médaille et visent un objectif commun :
déshumaniser »21.
Sans cesse en train d’alterner ces deux visions, je réalise que j’ai du mal à me
représenter la dimension humaine de Marc, jonglant entre l’attribution d’un fantasme
d’innocence à une figure perçue comme malsaine et inversement. Mon associativité se
voyait bloquée et je ne parvenais pas à penser l’altérité qui se déployait dans notre relation.
Ensuite, cette sidération apparaît comme une défense contre les affects mobilisés par
cette rencontre. Les « menaces » de Marc ont engendré une certaine méfiance, voire une
angoisse au sein de ma psyché. Il me fallait temporairement taire ces sentiments si je
souhaitais poursuivre une conversation authentique avec lui. Par ailleurs, je sentais que
cette méfiance pouvait déguiser une forme de haine, elle-même étant potentiellement à la
source d’une culpabilité. La multiplicité des affects ne peut pas être élaborée sur le moment
et la sidération vient témoigner de la levée des mécanismes de défense habituels. Elle est
avant tout à considérer comme une conséquence, comme un passage obligé face à une
rencontre traumatique. Parler de mécanisme de défense serait inopportun puisque la
sidération survient lorsque ceux-ci ne peuvent être maintenus, mais la présenter comme une
stratégie de survie à dépasser semble constituer un bon compromis.
En effet, cette nécessité d’aller au-delà de ce processus psychique passe par
l’élaboration des affects haineux se déployant à travers la relation, mais également par ma
capacité à « survivre » à la destructivité induite par Marc. Il ne s’agit pas ici de définir la
nature réelle de ses propos, que j’aurais pu qualifier trop rapidement d’« attaques » pour à
tout prix insuffler du sens là où celui-ci est absent, mais plutôt « de supporter la tension
sans s’attendre à ce que le patient sache quoi ce soit » 22 de ce que je faisais. Winnicott
ajoute que « pour y parvenir, il faut qu’il puisse se rendre compte facilement de sa crainte et
21 VEYRON-LA-CROIX E. (2014), La mort dans l’âme in CICCONE A. (et col.), La violence dans le soin,
pp.119-120.
26
de sa haine à lui »23. La visée de nos échanges était de lui permettre d’accepter puis de
tolérer la présence de cette destructivité dans sa psyché. J’ai essayé de verbaliser certains
éléments, en le déculpabilisant vis-à-vis des affects qu’il éprouvait. Mais le « test » qui
m’avait été décrit par les éducateurs m’apparaissait comme l’élément principal, en arrière
plan de notre relation. Quelque chose s’apparentait à l’histoire du petit garçon racontée par
Winnicott, qui semble pouvoir « croire qu’il est aimé, seulement après avoir réussi à être
haï »24. Lors de nos premières rencontres, je pensais à tort que je devais lui occulter la
méfiance qu’il suscitait chez moi. Par la suite, j’ai réalisé qu’il était important d’identifier et
de nommer ces affects pour plusieurs raisons. En effet, cela lui a permis d’ouvrir un espace
de partage, mais également de se rendre compte que malgré cette tension sous-jacente et sa
prise de conscience mutuelle, je restais à ses côtés pour l’écouter, sans qu’une menace de
rompre le lien soit suggérée consciemment ou inconsciemment.
C’est de cette manière que j’ai pu aménager une capacité à « survivre » à la
sidération elle-même, et à protéger Marc de l’impact qu’elle pouvait avoir sur notre
relation. En effet, je devais tolérer la frustration qu’elle engendrait chez moi, en essayant de
l’élaborer tout en restant attentif pour investir ma relation avec Marc.
Par ailleurs, « une autre caractéristique du choc traumatique est d’arrêter le
temps »25. Les journées au centre me paraissaient extrêmement longues, comme si le temps
n’avançait plus. L’incapacité à penser en termes de potentialités, à inscrire les résidents
dans une temporalité m’a été révélée lorsque Sam a manifesté quelques angoisses à
l’évocation de son avenir. La grande difficulté que j’ai eue à lui répondre m’est apparue en
lien avec cette impression de temps suspendu. Ce phénomène peut s’expliquer de
différentes manières. Leur handicap est avant tout irrémédiable, ce qui annihile une partie
de l’espoir rattaché à l’évolution potentielle de leur situation. En outre, le défaut
22 WINNICOTT D.W. (1958), De la pédiatrie à la psychanalyse, p.77.
23 Ibid., p.77.
24 Ibid., p.78.
25 KORFF-SAUSSE S. (1996), Le miroir brisé, p.37.
27
d’autonomie inhérent à leur déficience entrave la constitution d’un projet de vie et instaure
des limites autour de la réalisation de ce dernier. Certains processus infantilisants, que je
développerai ultérieurement, peuvent également se juxtaposer à une forme de déni de
l’avancée de la temporalité. La sidération de la pensée semble alors associée à la suspension
de cette dernière. Elle viendrait bloquer les processus associatifs et créer une atemporalité,
qui agirait comme un déni face à l’irrémédiable constitué par le handicap, dont la
temporalité serait le révélateur. Comme l’explique J. André, « la temporalité n’est pas une
donnée immédiate de la vie psychique, elle est un résultat »26, et la rencontre du handicap
mental vient la transformer.
Par ailleurs, il est intéressant de « mettre en évidence les représentations communes
à la perception du handicap et à celle de la monstruosité »27, tout en gardant une certaine
réserve. En effet, « le terme de monstre apparaît au moment où le langage ne parvient plus à
adhérer à l’affect »28. La rencontre avec Jules a induit chez moi une certaine confusion,
puisque j’avais l’impression d’être face à quelqu’un véhiculant des « interférences entre
l’humain et le bestial, le masculin et le féminin, le beau et le laid »29. Ses nombreux
stigmates, conséquences de sa trisomie, induisaient une forme d’indifférenciation. Son
humanité était à la fois incontestable et parfaitement interrogeable. Cet entre-deux était
difficile à soutenir, et ceci se voyait accentué par mon incapacité à verbaliser mes affects et
par la prégnance des images qui envahissaient ma psyché. Cette situation semblait être en
écho avec les difficultés de Jules pour communiquer et terminer ses phrases sans que son
élocution vacille. Il nous est arrivé plusieurs fois de supporter de longs temps de silence
durant lesquels aucun de nous deux ne parvenait à s’exprimer.
Cette réflexion permet d’associer la sidération à la perception du handicap comme
figure de la monstruosité, mais également de saisir l’impact du handicap sur notre psyché.
26 ANDRE J. (2010), Les récits du temps, p.7.
27 ANCET P. (2006), Phénoménologie des corps monstrueux, p.28.
28 Ibid, p.28.
29 KORFF-SAUSSE S. (2001), Figures du handicap, p.19
28
Au-delà de l’« homologie fonctionnelle »30, on peut imaginer que les personnes handicapées
nous communiquent leurs difficultés d’élaboration et de partage, et que celles-ci se
traduisent par une sidération de notre psyché. Il paraît alors intéressant de la voir comme un
moyen de s’identifier à eux, malgré la prévalence de « ce double difforme de soi auquel le
miroir déformant de la monstruosité confronte »31. Néanmoins, le danger serait de les
percevoir comme des sujets non-pensants ou encore d’interpréter trop rapidement une
situation, comme ce fut le cas lorsque Jules dessina une maison incorporée dans une autre,
et que je me sentis obligé de mettre du sens instantanément, pour contrecarrer la complexité
attachée à la sidération présente dans ce type de clinique.
II. Entre collage et séduction, les défaillances de la réflexivité
Ma rencontre avec Sam m’a avant tout permis de réaliser à quel point le handicap
mental pouvait altérer la capacité à trouver la distanciation adéquate pour être en lien. Le
défaut de langage verbal qui le caractérise oblige le sujet à aménager d’autres modes de
communication, comme celui du primat du regard. Cependant, je sentais que le regard de
Sam, alternant fuite et intrusion, venait signifier une impossibilité : regarder et être regardé
sans que cela ne soit source d’angoisse. Pour S. Korff-Sausse (1996) :
« Un trop du regard qui renvoie à une fascination impudique. Un pas
assez du regard qui signe le rejet […] D’être celui qui est toujours exposé
au regard intrusif ou fuyant des autres crée en effet une forme de
dépendance, car l’identité est sans cesse ramenée à la différence visible,
au détriment de la vie intérieure. »32
Ses propos permettent de saisir à la fois l’influence du handicap sur le regard porté
par l’environnement, et comment celui-ci se traduit dans la psyché des personnes
handicapées. Le regard de Sam pouvant être intrusif mais fuyant, il semble se constituer en
30 PINEL J.-P. (1989), Les fonctions du cadre dans la prise en charge institutionnelle », Revue
psychanalytique de groupe, n°13, pp. 77-87 : «résulte d’une internalisation et d’une reproduction des
principaux mécanismes de défense des sujets accueillis […] la partie psychique du cadre, à savoir l’appareil
psychique institutionnel adopte un mode de fonctionnement analogue à celui des actants »
31 ANCET P. (2006), Phénoménologie des corps monstrueux, p.32
32 KORFF-SAUSSE S. (1996), Le miroir brisé, p.57.
29
écho aux difficultés que l’environnement peut éprouver au moment de le regarder, échouant
à trouver la bonne distance. Cette dynamique s’inscrit au même niveau que la
« chorégraphie » évoquée précédemment. En effet, « l’objet n’est un double que s’il est
autre reconnu comme même […] Une double menace pèse donc sur la relation : que l’objet
ne soit pas différencié d’une part, qu’il ne reflète pas au sujet sa propre image d’autre
part »33.
Ce raisonnement peut également s’étayer sur une autre situation. Ma rencontre avec
Jules m’a permis de remarquer à quel point cette indifférenciation pouvait se traduire sous
la forme d’un collage. La grande proximité physique qui se déployait à travers notre lien
apparaissait comme un paradoxe face à la barrière dressée par nos différences et la
complexité de l’instauration d’un dialogue. Un de ses dessins, dans lequel régnait une
grande confusion vis-à-vis de l’identité de la personne qu’il avait représentée 34, permet
également de se questionner. Par ailleurs, nos ajustements mimo-gesto-posturaux et
affectifs donnaient le sentiment de vouloir combler ce qui faisait défaut à cette relation.
D’après S. Korff-Sausse (2007) :
« La capacité réflexive permet de se situer par rapport aux autres et les
autres par rapport à soi, dans un mouvement de dédoublement du moi : le
moi qui perçoit les autres et le moi qui est perçu par les autres. Une
défaillance de la réflexivité […] entrave ce dédoublement et provoque un
collage à l’autre. Les objets externes sont surinvestis, si les objets internes
ne sont pas solidement établis, car ceux-ci sont soit trop fragiles, soit
fragilisés par les attitudes dévalorisantes et disqualifiantes de
l’environnement. »35
On peut également supposer que ce collage vient protéger des affects négatifs
suscités par la rencontre avec une personne en situation de handicap. Cette symbiose
apparente agirait comme un déni face à ces derniers. La violence du lien se transformerait
alors, se plaçant à l’origine de la dépendance des résidents. Il est important de veiller à
l’établissement de ces processus, qui sont sans aucun doute révélateurs d’une certaine
33 ROUSSILLON R. (2008), Le transitionnel, le sexuel et la réflexivité, pp.109-110.
34 Je ne savais pas s’il avait dressé son autoportrait ou s’il avait voulu me représenter, puisque la personne
dessinée n’avait pas de cheveux, comme lui, mais portait un t-shirt avec des inscriptions, comme moi.
35 KORFF-SAUSSE S. (2007), Aspects spécifiques du contre-transfert dans la clinique du handicap in
SCELLES R. (et col.), Cliniques du sujet handicapé, p.51.
30
emprise. En outre, le handicap semble d’autant plus propice à ce type de comportements car
sa présence vient signifier que « la faute a déjà été expiée »36, et qu’il constitue une
transgression en lui-même, légitimant alors le rapprochement corporel avec les résidents.
Dans le chapitre suivant, je reviendrai sur ce que le handicap réactive chez les soignants.
Dans l’optique de poursuivre la dynamique que j’avais entamée à travers le dessin,
l’utilisation du squiggle37 m’est apparue en adéquation avec cette problématique. Celui-ci
forme avant tout un moyen d’expression à travers une situation où l’échange et le plaisir
occupent une place centrale. La réciprocité de la consigne induit une égalité, et le dessin
vient symboliser l’échange entre les deux protagonistes. Jules pouvait venir partager son
monde interne tout en s’inscrivant dans le lien, et la symbolisation s’étendait du graphique
au verbal, réduisant les difficultés d’élaboration langagière de la personne handicapée en lui
offrant la possibilité de s’appuyer sur le dessin pour expliciter quelque chose. Cet outil
paraît idéal en tant que support d’identification puisque Jules pouvait s’inspirer de mes
squiggles mais également s’en différencier.
Par ailleurs, le caractère dérangeant de ces comportements m’a donné l’impression
d’être dans le même temps attiré et repoussé par eux, en quelque sorte détourné du chemin
que je souhaitais prendre. Le lien avec la séduction est né de cette réflexion, dont
l’étymologie « seducere » signifie justement « être détourné du droit chemin ». J’ajouterai
que le handicap est lui-même séduction, puisqu’il constitue une énigme par le flou
entourant son origine ainsi que par la complexité à se représenter la psyché des personnes
atteintes d’un handicap mental. Celle-ci est probablement une des motivations
inconscientes poussant les soignants et les chercheurs à s’engager dans un travail avec ce
public. Cette énigme se traduit également par le biais d’une fascination. Le fascinus 38
« figure la pulsion sexuelle dans sa force brute, énigmatique […] dans son animalité
instinctuelle, libido non maîtrisable ni par l’image ni par la parole, et devant laquelle tout
36 CICCONE A. & FERRANT A. (2009), Honte, culpabilité et traumatisme, p.182.
37 WINNICOTT D.W. (1958), De la pédiatrie à la psychanalyse, p.212 : « Voici en quoi consiste le jeu : je
fais un gribouillis et il le transforme, il en fait un à son tour, et c’est à moi de le transformer. » Le « squiggle
game » est une technique de communication découverte par W. lors de ses consultations en pédiatrie et
psychiatrie infantile.
38 Mot romain signifiant le phallos grec
31
un chacun peut être pétrifié »39. On retrouve alors les dynamiques du regard médusant,
auquel la personne est réduite, et de la sidération consécutive à ce processus.
Par conséquent, il est intéressant d’interroger la nature de la séduction exercée par
les personnes handicapées. Avant toute chose, on peut se demander quelle place occupe le
désir de séduire chez des sujets qui sont habitués à ce que l’on pense, parle et agisse à leur
place. En outre, comment une personne dont une grande majorité des capacités, notamment
langagières, sont altérées, peut exercer une quelconque forme de séduction dans une société
où le culte de la performance et de la perfection n’a jamais revêtit autant d’importance ?
Le handicap empêche de « tricher avec soi-même, avec son image, avec l’image que
l’on aimerait avoir ou offrir de soi aux regards environnants »40. La séduction est toujours
intéressante dans le sens où elle permet d’aborder la façon dont se construit « l’interaction
entre soi et l’autre »41. La personne handicapée doit donc trouver d’autres stratégies pour
plaire. A l’image de Jules et Sam, la place du corps remplace celle habituellement occupée
par le langage verbal. La recherche constante d’approbations, se traduisant par des
interrogations et cette omniprésence du regard dans la relation résidents-professionnels,
illustre l’importance de la séduction au sein de cette problématique. Malgré la bonne
humeur agréable et récurrente de Jules, l’impression laissée est celle d’une « interdiction »
quant à la possibilité de montrer une image négative de lui. Cependant, sa capacité à utiliser
l’humour en se servant de son corps et à jouer de l’autodérision, comme lorsqu’il aborde la
question de son embonpoint, montre qu’il n’est pas dans la négation de soi et provoque des
situations drôles, que l’on peut donc associer à une séduction opérante.
Par ailleurs, « la déficience se présente, à l’inverse de son implication déficitaire,
comme un plus de jouir »42. Le discours à propos des personnes handicapées se focalise sur
39 CABASSUT J. (2005), Le déficient mental et la psychanalyse, p.53.
40 NUSS M. (2009), Altérité et handicap in KORFF-SAUSSE S. (et col.), La vie psychique des personnes
handicapées, p.18.
41 Ibid, p.17.
42 CABASSUT J. (2005), Le déficient mental et la psychanalyse, p.34.
32
leurs droits, mais leurs devoirs restent souvent implicites. Or, ceci les éloigne de
l’attribution de toute responsabilité et entrave le processus d’« hominisation »43. Ce rapport
à la jouissance est directement en lien avec la séduction car la personne handicapée peut
alors être enviée. En outre, cette jouissance, qui « s’entend comme un excès, une surtension
pulsionnelle »44 s’exprime essentiellement par le corps et semble incontrôlée, chargée d’une
libidinalité qui s’offre simplement à voir, sur un mode indéterminé et fusionnel. Cette
jouissance semble indéfinissable, tout comme la séduction qu’elle opère. On peut supposer
que « l’incapacité ou l’impossibilité de réaliser la satisfaction érotique dans une relation
amoureuse, entraîne une stase de la libido aux effets divers »45. L’hypertonie présente chez
Sam, décrite auparavant, pourrait également résulter de ce processus, l’excitation se voyant
transformée en angoisse. En allant plus loin, on pourrait même dire que la difficulté
d’exprimer la pluralité des désirs autrement que par le corps engendre un certain flou autour
de l’incompréhension des professionnels, dotés du langage verbal et non habitués à
dialoguer à travers ce mode. C’est pourquoi les réponses proposées par ces derniers ont un
impact crucial sur la subjectivation potentielle des personnes handicapées mentales, si l’on
place le thème du désir au centre du rétablissement de leur intégrité.
III. L’infantilisation, une réponse plurielle
La présence de caractéristiques communes aux enfants et aux personnes en situation
de handicap mental paraît indéniable. En effet, comme le rappelle l’étymologie du mot,
l’« infans » est celui à qui le langage fait défaut. Par ailleurs, leurs situations respectives
semblent marquées du sceau de la dépendance, ainsi que par la tendance de
l’environnement à se positionner en tant qu’instance surmoïque à leur égard. Cette dernière
traduit essentiellement la nécessité d’inscrire chaque être dans le socius en lui permettant de
43 FUSTIER P. (2001), Le travail d’équipe en institution, p.100 : « A la suite de J.-J. Boulanger, nous
appelons hominisation l’idée-force que l’on peut repérer comme axe central de certain projets institutionnels ;
il s’agit de réparer l’idée du moi défaillante, de la restaurer à travers un travail sur les représentations que l’on
a des personnes accueillies ».
44 CABASSUT J. (2005), Le déficient mental et la psychanalyse, p.76.
45 Ibid, p.77.
33
développer une certaine autonomie, les deux situations ayant en commun le fait de ne pas y
être encore parvenues.
Il convient d’ajouter que l’accès à la sexualité génitale ne leur est, à l’un comme à
l’autre, généralement pas autorisée. En effet, leur « immaturité » sexuelle apparaît comme
un trait commun, et bien que celle présentée par les enfants soient communément admise,
elle n’en reste pas moins une énigme pour les adultes. La sexualité des sujets handicapés
fait l’objet d’un tabou, et celui-ci s’explique par le fantasme entourant la conception d’une
personne déficiente, et dénouant le mystère suscité par sa causalité. « Le handicap […]
réactive toujours des fantasmes de procréation fautive et incestueuse »46 et apparaîtrait
comme un châtiment découlant de cette dernière. Par conséquent, « si le handicap, tel un
monstre, provient d’une sexualité fautive, alors la sexualité de l’être issu de cet
accouplement contre-nature sera aussi perçue comme déséquilibrée, anormale et
monstrueuse »47. La comparaison opposant les deux scènes de séduction entre les résidents
atteste que c’est bien l’acte sexuel et la potentialité de reproduction qui pose un problème
lorsque la question de la sexualité est abordée. Enfin, comme le dit P. Fustier (2001) :
« On peut peut-être penser que dans un système de renforcement
circulaire, les premiers chercheurs ont produit des travaux s’appuyant
implicitement sur la représentation d’un adulte handicapé qui serait
semblable à un enfant et que cette situation a secondairement renforcé cet
imaginaire chez les praticiens utilisateurs de ces mêmes travaux. »48
L’adulte handicapé est alors présenté comme quelqu’un dont le développement
aurait été stoppé à une période infantile, comme en témoigne l’emploi de l’« âge mental »
pour mesurer la portée de la déficience. Cette analogie présente évidemment des limites. Un
enfant n’est pas simplement « un adulte auquel il manquerait quelque chose »49. Ce besoin
de trouver une représentation prend racine à plusieurs niveaux. Tout d’abord, un des
46 KORFF-SAUSSE S. (2001), Figures du handicap, p.40.
47 Ibid, p.86.
48 FUSTIER P. (2001), Le travail d’équipe en institution, p.86.
49 Ibid, p.86.
34
objectifs de cette infantilisation consisterait à maintenir l’espoir d’une évolution potentielle,
en atténuant le caractère irrémédiable associé au handicap tout en légitimant davantage la
dépendance que la déficience engendre. Ce processus serait alors corollaire au blocage de la
temporalité précédemment évoqué, et permettrait de retourner une situation vécue sur un
mode passif en se positionnant sous un versant actif. Par ailleurs, l’infantilisation permet
aussi d’établir une nette différenciation entre professionnels et usagers, comme lorsque les
résidents se voient privés de certains privilèges lors du repas. D’après P. Fustier (2001) :
« Pour différencier, pour séparer, le psychisme va utiliser spontanément
ce qu’il a déjà intégré dans le passé. Or, la première différence que les
êtres humains sont amenés à intérioriser, c’est bien sûr la différence
générations, à travers les différences entre parents et enfants ».50
Paradoxalement, cette infantilisation apparaît comme un moyen de réinscrire les
personnes handicapées dans une lignée. Ainsi, on pourrait dire que malgré leurs différences,
ils restent les enfants de ce monde et s’éloignent des représentations non-humaines qui leur
sont habituellement assignées. Cette phase semble nécessaire pour que « l’idée du moi »
soit restaurée et que les angoisses suscitées par nos identifications à ces parts non-humaines
se voient atténuées. Comme le développe D. Vaginay (2006), « les apports de la génétique,
comme le recours au réalisme, ne sont d’aucun secours face à l’énigme »51 du handicap
mental. Ceci permet de comprendre toutes les comparaisons auxquelles les personnes en
situation de handicap mental sont sujettes. La recherche d’une assignation à tout prix
devient alors centrale. Il est difficile de penser l’identité d’une personne handicapée, et ce
processus se voit alors accompagné d’un paradoxe. Les représentations animales voire
bestiales qui apparaissent lorsque la sexualité de ces personnes est évoquée peuvent
coexister avec des représentations humaines, comme celle constituée par l’infantilisation.
Dans la même optique, une activité « soins esthétiques » avait été mise en place. Celle-ci
visait à « hominiser » davantage les résidents, en soulignant l’impact de ces soins sur le
charme opéré par les résidents. On peut alors penser que ce travail d’hominisation passe
essentiellement par la possibilité de se représenter le jeu de séduction existant avec une
personne handicapée. Cette réflexion nous permet donc de resituer l’importance accordée
50 FUSTIER P. (2001), Le travail d’équipe en institution, p.85.
51 VAGINAY D. (2006), Accompagner l’enfant trisomique, p.51.
35
au désir dans sa globalité, qui semble incontournable lorsque l’on s’intéresse à « la
reconnaissance pleine et entière du sujet »52.
Les situations cliniques évoquées nous ont montré que la sexualité et l’argent
méritaient d’être interrogés en tant qu’« analyseurs de la situation adulte »53. En effet,
chaque achat effectué par les résidents lors de l’activité « marché » semblait être une
récompense. L’accès à une certaine jouissance est donc obligatoirement perçu comme un
privilège. Par conséquent, on peut se demander si l’infantilisation ne constitue pas un
moyen d’occulter les désirs des personnes handicapées, intolérables car associés à une
faute, ainsi que de légitimer la non-écoute qui en découle.
Par ailleurs, il semble intéressant de questionner notre propre rapport à la
jouissance. Si la sexualité des personnes handicapées est à l’origine d’un certain tabou, elle
fait malgré tout écho à la notre. Le fait de penser le jeu de séduction ainsi que la sexualité
des personnes handicapées les « hominise » mais il expose les professionnels à des affects
complexes. Elle nécessite de se représenter une sexualité doublement fautive car celle-ci
sortirait du cadre professionnel, en plus d’être associée aux fantasmes mentionnés
antérieurement. On peut même supposer que la monstruosité serait accentuée par la
naissance potentielle d’un être hybride, fruit de cette rencontre interdite entre deux êtres
trop dissemblables. En outre, l’effort demandé pour aborder ces aspects-là nous ramène
inévitablement au fait que l’accès à la jouissance et à la sexualité demeure compliquée pour
les personnes en situation de handicap. Ceci est d’ailleurs directement en lien avec la
culpabilité de se sentir privilégié face aux barrières constituée par le handicap, et plus
globalement par le fait de ne pas être « handicapé ».
C’est pourquoi l’infantilisation se présente comme un processus venant contrecarrer
ces dynamiques de séduction. Assimiler les personnes handicapées à des enfants permettrait
de masquer leur sexualité et ce qui lui incombe. Une sexualité monstrueuse et fautive
laisserait place à une sexualité infantile en cours de développement, dont le caractère
inachevé serait alors toléré. Par ailleurs, l’infantilisation induit un rapport adulte-enfant
dans les relations entre les professionnels et les résidents. Cette situation apparaît en lien
52 CABASSUT J. (2005), Le déficient mental et la psychanalyse, p.82.
53 FUSTIER P. (2001), Le travail d’équipe en institution, p.84.
36
avec la séduction originaire et la « confusion des langues »54 décrite par Ferenczi (1932). En
effet, l’impression donnée est celle de l’existence de deux langages différents, aussi difficile
l’un que l’autre à déchiffrer pour leur destinataire. L’infantilisation serait alors un moyen de
s’appuyer sur mode de relation déjà expérimenté pendant l’enfance, celui-ci ayant
également fait l’objet d’une énigme par le passé. De plus, l’extrême altérité à laquelle le
handicap nous confronte serait remplacée par une identification potentielle à « l’enfant
restant présent dans l’adulte »55 que nous sommes, à notre part infantile. Ce processus
n’effacerait pas le mystère formé par le handicap, mais l’apparenterait à quelque chose qui
ne serait plus inconnu bien que complexe à appréhender. Cette comparaison peut être
prolongée par la dépendance inhérente à l’enfance et au handicap. Freud emploie le terme
d’« Hilflosigkeit » pour aborder ce qu’on pourrait définir comme « l’état d’un être qui, s’il
est laissé à lui-même, est incapable de s’aider par lui-même »56.
On pourrait imaginer que ce mécanisme et la brèche identificatoire qu’il ouvre
aident les professionnels à mieux comprendre les différents désirs des personnes
handicapées. Cependant, la confrontation des personnes handicapées au monde adulte
semble d’emblée biaisée par l’impossibilité de se défaire d’une altérité indénouable,
marquée par une certaine fatalité, alors que cet état n’est que passager en ce qui concerne
les enfants. En outre, il est indéniable que les personnes handicapées ont conscience de
l’« anormalité » de leur situation puisqu’elles se posent des questions essentielles à toute
existence, comme lorsque Sam fait allusion à son avenir en me faisant part de ses angoisses.
Celles-ci illustrent les limites de la substitution formée par les représentations infantiles.
Il convient alors d’interroger la légitimité de ce processus. Critiquable sur bien des
aspects, laissant une porte ouverte à une forte emprise en marquant la dépendance des
personnes handicapées, destituant également le sujet de ses propres désirs, elle se présente
également comme un passage obligé face à une altérité insupportable. Son élaboration
54 Ferenczi (1932), avec son expression « confusion des langues », oppose le langage tendre des enfants au
langage passionnel et énigmatique des adultes, empreint d’une sexualité inconsciente. Son idée est que ce
dernier pourrait être traumatique, les enfants n’étant pas prêts à dialoguer sur ce mode et à intégrer ce qui leur
advient.
55 LAPLANCHE J. (1987), Nouveaux fondements pour la psychanalyse, p.103.
56 Ibid, p.97.
37
semble inéluctable afin d’éviter qu’elle ne dérive vers une forme de tyrannie tout en
décelant les aspects positifs qui la caractérise. Par exemple, une conduite apparemment
infantilisante comme le tutoiement de personnes handicapées instaure une certaine dualité,
contrairement au vouvoiement qui, bien qu’il soit habituellement associé à une certaine
forme de respect, viendrait « signifier à autrui qu’il occupe une place potentiellement non
équivalente à soi, produisant d’emblée une différenciation et rompant avec l’effet de
miroir »57.
C’est seulement après cette élaboration que le dialogue avec les personnes
handicapées pourra inclure leur subjectivité. S’interroger sur l’infantilisation dans son
essence même revient à se questionner sur l’altérité radicale ainsi que sur ses conséquences,
comme la fascination qu’elle peut exercer. D’une manière générale, les mécanismes de
défense développés vis-à-vis d’une situation particulière sont toujours porteurs de sens, et
ils sont également à entendre comme le meilleur aménagement temporaire possible. Dans
un second temps, il paraît nécessaire de les démêler afin d’affiner notre compréhension des
mécanismes psychiques en jeu dans la relation.
CONCLUSION
Ainsi, l’achèvement partiel de cette réflexion consolide l’idée que de nombreux
mécanismes de défense se déploient au sein des relations avec les personnes en situation de
handicap mental. Toutefois, si un parallèle avec toute relation thérapeutique peut être dressé
à ce niveau-là, les processus psychiques abordés ici impactent l’établissement du lien dès
son aurore. Par ailleurs, cette clinique nous incite davantage à nous focaliser sur nos vécus
et nos propres défenses, la vie psychique des personnes déficientes étant parfois
difficilement accessible. Immanquablement, il ne s’agit pas de négliger le discours des
handicapés mentaux mais plutôt d’utiliser de la manière la plus efficiente possible toutes les
informations dont nous disposons. De plus, les processus psychiques observés sont toujours
à reconsidérer comme le fruit d’une rencontre car une vision dichotomique, clivée,
séparerait les interlocuteurs et ne refléterait pas la réalité. Cette réflexion autour des
mécanismes de défense n’est évidemment pas holistique, et ne peut qu’effleurer toutes les
arcanes propres au handicap mental et à la psyché.
57 CABASSUT J. (2005), Le déficient mental et la psychanalyse, p.41.
38
Toutefois, les dynamiques psychiques qui m’ont marqué apparaissent toutes en lien,
d’une manière plus ou moins large, avec le caractère déshumanisant associé au handicap.
En effet, la sidération se présente comme une stratégie préservant les soignants des affects
mobilisés par les relations avec les personnes en situation de handicap mental. En ce qui
concerne le collage et l’infantilisation, ces mécanismes permettent également de maintenir
le dialogue sans que celui-ci ne devienne insoutenable pour ses différents protagonistes.
Ces mouvements agissent comme un déni de la véritable altérité associée à cette rencontre,
le collage marquant une indifférenciation là où une différenciation est impossible,
l’infantilisation formant quant à elle une représentation de substitution face à
l’envahissement du non-humain et à la prévalence d’une séduction difficilement
représentable. Bien que ces mécanismes ne soient pas les seuls et qu’ils assurent
probablement une multitude d’autres fonctions qui n’ont pas été examinées, la relative
immunité qu’ils offrent face aux atteintes narcissiques dont le handicap mental peut faire
l’objet semble au cœur de leur activité.
Bien que le handicap nous confronte incessamment à une identification empreinte
de complexité et que celle-ci s’organise parfois sous un mode ne facilitant pas l’expression
de la subjectivité du patient, la réflexion ainsi que la perlaboration s’effectuant autour des
processus en jeu dans la relation thérapeutique permet, d’une part, d’affiner la
compréhension de ceux-ci, et d’autre part de limiter la violence dont le soin peut être
porteur. Cette tâche n’est évidemment pas aisée, car elle nécessite de lever ses propres
défenses ainsi que de tolérer la perturbation du mode de dialogue aménagé par les
personnes handicapées. Néanmoins, ceci s’avère préférable à un envahissement de l’idée de
fatalité ainsi qu’à l’ouverture d’une porte à la tyrannie et aux comportements inadaptés. En
effet, la dépendance des personnes en situation de handicap mental accentue cette
dimension éthique rattachée à l’intégrité des personnes. Au-delà du fait d’être patient ou
soignant, c’est la place accordée à la vulnérabilité, caractéristique essentielle de l’humanité,
qui se situe en arrière-plan des questions soulevées par le handicap. Les professionnels
travaillant avec des personnes déficientes doivent évidemment leur offrir une écoute
accordant du crédit à la subjectivité de chacune d’entre elles, mais également veiller à
échanger avec leurs collègues afin d’améliorer l’acuité globale de l’institution vis-à-vis des
différents phénomènes.
Par ailleurs, cette réflexion remet l’empathie au cœur de la clinique du handicap.
Cette dernière suppose une double écoute, de l’autre et de ce qu’il provoque chez soi. Elle
39
sous-entend également une désidentification, permettant de mettre en place une certaine
distanciation par rapport aux affects suscités par cette clinique mais aussi de se représenter
l’expérience intérieure d’autrui tout en lui signifiant qu’elle lui est propre et singulière.
Cependant, les barrières qui ne peuvent être enjambées doivent être détruites. La
clinique du handicap vient réinterroger les frontières entre le normal et le pathologique, et
inévitablement le lien entre patient et soignant. Elle nous oblige à nous focaliser davantage
sur nos propres vécus tout en essayant de redonner la parole à des êtres qui s’en voient
privés. Elle questionne également la notion de soin, en la dissociant clairement de la
guérison, et amène à penser en termes de potentialité. Enfin, l’approfondissement de ce
champ permettra sans doute de faire évoluer la psychologie, en lui offrant davantage de
malléabilité ainsi que les outils nécessaires à l’investigation de cliniques inexplorées.
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