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Lexbase La lettre juridique
n° 662 — 7 juillet 2016
Table des matières
Sommaire
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Editorial
[ ] Les "blogues" juridiques sont-ils la doctrine de demain ?
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3
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Assurances
[Brèves] Fausse déclaration intentionnelle : l'asthme dont l'assuré a souffert étant enfant doit être
signalé en réponse à une question portant sur les maladies antécédentes, notamment respiratoires
5
Avocats/Procédure
[Jurisprudence] Impossible désignation d'un nouvel avocat devant le juge des libertés et de la détention
6
7
6
Consommation
[Brèves] Publication de la "nouvelle" partie réglementaire du Code de la consommation . . . . . . .
9
10
Contrats administratifs
[Brèves] Convention fixant l'évolution des tarifs de redevances aéroportuaires : recevabilité du recours pour excès de pouvoir en matière contractuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
10
Finances publiques
[Chronique] Chronique juridique de finances locales — Juillet 2016 . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
11
12
Fiscal général
[Jurisprudence] Les présomptions irréfragables d'intentions frauduleuses . . . . . . . . . . . . . . .
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19
Fiscalité des entreprises
[Brèves] Contribution additionnelle à l'IS de 3 % : la CJUE saisie à propos d'une éventuelle discrimination à rebours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
[Brèves] Contribution additionnelle à l'IS de 3 % : le Conseil constitutionnel saisi s'agissant de l'application de cette mesure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Habitat-Logement
[Brèves] Examen des conséquences du refus de l'offre par le demandeur "DALO" : faculté du juge
de prononcer une injonction malgré la notification de la décision du préfet . . . . . . . . . . . . . . .
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Licenciement
[Jurisprudence] Alerte sur les lanceurs d'alerte : à propos d'une décision de la Cour de cassation
surnotée ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
[Brèves] Nullité du licenciement d'un lanceur d'alerte : la Cour de cassation se prononce pour la
première fois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
[Brèves] Demande de validation d'un accord collectif fixant le contenu d'un PSE : de l'irrégularité de
la consultation du CHSCT n'ayant pas disposé des informations utiles pour se prononcer en toute
connaissance de cause sur l'opération projetée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Maritime
[Jurisprudence] La portée d'une SCOPIC dans une convention d'assistance maritime Lloyd's Open
Form . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Pénal
[Textes] La réforme pénale du 3 juin 2016 : aspects de droit pénal . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Responsabilité médicale
[Brèves] Obligation d'information du médecin portant sur les risques que comporte un accouchement
par voie basse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Sociétés
[Brèves] Saisine d'office du président du tribunal de commerce pour ordonner le dépôt des comptes
annuels sous astreinte : conformité à la Constitution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Editorial
[ ] Les "blogues" juridiques sont-ils la doctrine de demain ?
N° Lexbase : N3660BWH
par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
La question est osée, mais même dans un pays de droit continental, plutôt conservateur, il est pertinent de la poser.
Vous allez me dire que je suis un récidiviste ; en ce que je commets perpétuellement le même éditorial à intervalle
régulier, comme d'autres publient le même roman tous les ans, qui sur l'appréhension de la mort (d'Ormesson) ou
de l'amour (Lévy).
Moins anthropologique toutefois sera ma prose sur cette nouvelle question de la diversité des doctrines, ou plus
précisément, de ses sources.
Soyons honnête, la question ne fut pas posée en ces termes en France, mais au Québec, qui le 26 octobre prochain, sous la présidence de Catherine Martel, Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l., organisera une
conférence avec Edith Guilhermont de l'Université de Sherbrooke et Karim Renno, avocat-blogueur chez Renno
Vathilakis Inc..
Le teasing -une gageure quand on évoque le Québec et que l'on francise le mot "blog"— est édifiant :
"Des monographies obsolètes dès leur publication. Des revues obscures auxquelles personne n'a accès. Des articles dont la révision s'éternise. Trop fixe, trop conservateur, trop lent. Certains crient au déclin de l'imprimé juridique. Pendant ce temps, la blogosphère juridique s'agite : ces commentaires, souvent produits en temps réel,
sont-ils appelés à remplacer la doctrine traditionnelle ? Les formats sont multiples : certains proposent des commentaires étoffés, d'autres des capsules dont la brièveté est l'atout, d'autres encore, se présentent comme des
répertoires. Timidement, quelques juges y prennent appui. Cette formation de l'ABC-Québec se veut une présentation de la blogosphère québécoise, tant au plan externe qu'interne".
Je ne sais pas à Montréal, mais en France, le déjeuner-causerie (sic) ferait certainement des remous. C'est la raison
pour laquelle l'association Juriconnexion, chargée de promouvoir l'accès au droit, son intelligibilité, son opérationnalité, en fait, aujourd'hui la communication. Mais ce faisant, la question de la nature de la doctrine de demain et
des nouveaux canaux de diffusion était, déjà, posée, il y a tout juste un an, par Vincent Canu, dans son éditorial de
juin 2015 pour la Revue des Loyers et auquel nous avions répondu.
C'est dire que le positionnement de la doctrine, son renouvellement, la question de sa nature taraudent les juristes,
professionnels comme universitaires.
C'est que l'on part de beaucoup plus loin. Observez la formulation de la question : il s'agit simplement de déterminer
si les blogs, dans leurs formats, leur réactivité, leur liberté, constituent la doctrine de demain -ça c'est au Québec— ;
quand je vous assure que la première interrogation en France est de savoir si un blog peut, d'abord, être considéré
comme de la doctrine.
Dans son acceptation la plus large, la doctrine concerne tous les écrits consacrés aux questions juridiques autres
que les jugements ; elle équivaudrait à la littérature juridique. Voilà pour la définition anglo-saxonne. Une définition
plus restreinte, de droit continental en somme, tendrait à considérer que la doctrine ne concerne que le droit savant, qui émane généralement des professeurs et chercheurs des facultés de droit, par opposition aux ouvrages
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pratiques, qui émanent souvent des praticiens. On la retrouve sous différents formats : traités, monographies, articles dans des revues spécialisées, commentaires d'arrêts et essais.
Je bats ma coulpe : quand on pense que certains se demandent s'il y a une doctrine Lexbase alors que l'on publie
des revues hebdomadaires, numérotées, référencées, depuis 18 ans, sous la plume de Christophe Radé, d'Etienne
Vergès, de Deen Gibirila, de Pierre-Michel Le Corre, de Pierre Tifine, de Thibault Massart, de Christophe Willmann,
de Pascal Lokiec, d'Adeline Gouttenoire, de Gael Piette, de Christian Louit, de Frédéric Douet, de Davis Bakouche,
d'Hervé Causse, de Gilles Auzéro, de Sébastien Tournaux, de Romain Ollard et j'en omets car la liste serait bien
plus longue que vous ne le pensez... Alors un blog... tenu par un avocat... de la Doctrine ? Pensez-vous donc !
Et bien, si je m'inscris en faux sur l'analyse de nos cousins québécois, dans des monographies obsolètes dès
leur publication, des revues obscures auxquelles personne n'a accès, des articles dont la révision s'éternise, des
éditeurs trop fixes, trop conservateurs, trop lents, je conçois parfaitement que la doctrine s'enrichisse de diversités
de fins, de styles, d'auteurs et de médias. Finalement, seule la qualité de l'interprétation prévaut si cette doctrine,
publiée dans les revues savantes, sur internet ou sur les blogs, sert un même intérêt : comprendre l'ordre existant
pour donner sens à sa vie et à son action, fut-elle contestatrice, comme le revendique Alain Supiot, dans son essai
sur la fonction anthropologique du droit, Homo juridicus.
L'éminent Professeur écrit : "Mieux vaudrait revenir à ce qui a fait la grande singularité du Droit : non pas les
croyances sur lesquelles l'Occident a prospéré, mais les ressources d'interprétation qu'il recèle. Comme n'importe
quel autre système normatif, le Droit remplit une fonction d'interdit : il est une Parole qui s'impose à tous et s'interpose
entre chaque homme et sa représentation du monde. Partout ailleurs, cette fonction anthropologique a été le lot
des religions, qui, en conférant un sens commun à la vie humaine, ont jugulé le risque de voir chacun sombrer
dans le délire individuel auquel nous expose l'accès au langage. [...] Le droit peut donc servir des fins diverses
et changeantes, aussi bien dans l'histoire des systèmes politiques que dans celle des sciences et des techniques,
mais il les sert en subordonnant le pouvoir et la technique à une raison humaine. Il est donc aussi faux de le réduire,
comme on tend le faire aujourd'hui, à une "pure technique" vide de signification que de le rapporter, comme on le
faisait hier, aux règles d'un supposé Droit naturel. Car, dans chaque cas, on manque l'essentiel, qui est la capacité
du Droit de mettre à la raison les formes diverses d'exercice du pouvoir politique ou de la puissance technique".
S'il n'est pas "pure technique", alors pourquoi les seuls savants pourraient gloser dessus ? Je me souviens d'un
mauvais procès fait par un Professeur émérite à Félix Rome, critiquant le fait que ces éditoriaux ne constituaient
pas de la Doctrine juridique -ce à quoi l'éditorialiste(s) de Dalloz n'aspirait nullement au passage-. Et pourtant...
L'analyse du droit, de la légistique, y est souvent incisive et pertinente... elle permet justement cette intelligibilité et
cette mise en perspective qu'il manque parfois avec la "pure technique".
Vincent Canu faisait référence à un excellent article de Pierre J. Dalphond, juge à la Cour d'appel du Québec, écrit
à partir d'une allocution prononcée le 31 mars 2008 à l'occasion de la Conférence annuelle de la Revue de droit de
McGill. Ce dernier identifie clairement les défis de la doctrine, aujourd'hui : la prolifération des outils électroniques
de recherche ; la disparition possible des traités et monographies sous format Livre ; le désir du praticien de trouver,
toujours plus vite, la solution au cas en litige ; l'accélération des changements sociaux et la nécessité de modifications constantes aux normes légales qui en résulte ; le rôle de plus en plus restreint du Code civil dans les rapports
sociaux ; la disparition d'une culture juridique ; le nouveau rôle du droit et, par voie de conséquence, du juge (la
décision judiciaire risquant de devenir l'élaboration du compromis du jour).
Nous avions répondu, alors, par l'essor de la Doctrine pratique qui échappe à la doctrine traditionnelle et universitaire, non par ses auteurs, mais par les enjeux sociétaux et rétrospectifs qu'elle obère pour répondre à de simples
questions : la loi ou la jurisprudence me permettent-elles d'agir ainsi ? Quel est le bon modus operandi ? Quel est
le bon comportement juridique à adopter ? Autant de questions qui requièrent des réponses pragmatiques, parfois à la lisière du droit, des réponses d'applicabilité directe. Au final, la doctrine pratique laisse peu de place au
questionnement sans réponse, en qualité de meilleur ennemi du vide juridique.
Le blog constitue un média comme un autre pour diffuser toutes les doctrines. Nombre de Professeurs tiennent
des blogs, voire de grande qualité, surtout parmi les auteurs écrivant chez Lexbase. La question n'est donc pas
le format, mais assurément la qualité de l'auteur et de son interprétation. Car l'on ne peut résolument pas laisser
l'intelligibilité de la Parole à n'importe qui : l'enjeu sociétal est trop important. Le coupable n'est pas le porte-voix,
mais celui qui tonne de la voix...
Quant à l'accès à cette doctrine ? C'est l'éternelle question de la gratuité de l'analyse contre la scientificité de la publication qu'il faut dépasser par les valeurs (immédiateté, personnalisation, interprétation, authenticité, accessibilité,
incarnation, mécénat, trouvabilité) qui innerve les éditeurs juridiques. Cette gratuité, cette diversité de la doctrine,
ne doivent pas, en revanche, confiner les éditeurs juridiques à la legal tech. La valeur ajoutée d'un éditeur juridique
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sera de combiner la doctrine de ses auteurs à l'algorithme du big data. Si la Doctrine migre entièrement vers les
blogs, c'est cette combinaison qui s'étiolera ; pire le droit pourrait paradoxalement devenir une science exacte chez
les éditeurs, quand il resterait une science humaine sur les blogs juridiques... Une fois encore, tout est une question
de savant dosage entre l'offre doctrinale et les besoins documentaires des professionnels, d'abord, des sujets de
droit, ensuite.
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Assurances
[Brèves] Fausse déclaration intentionnelle : l'asthme dont
l'assuré a souffert étant enfant doit être signalé en réponse à
une question portant sur les maladies antécédentes,
notamment respiratoires
N° Lexbase : N3600BWA
Réf. : Cass. civ. 2, 30 juin 2016, n˚ 15-22.842, F-P+B (N° Lexbase : A2168RW9)
Le fait pour l'assurée de ne pas avoir signalé qu'elle avait souffert d'asthme à l'âge de trois ans et qu'elle avait été
traitée pendant trois ans pour cette affection, en réponse à la question : "Etes-vous ou avez-vous été atteint d'une
maladie ou d'un accident ayant provoqué soit des arrêts de travail, soit des traitements, soit les deux, d'une durée
supérieure à 30 jours : [...] respiratoire [...] ?" est constitutive d'une fausse déclaration intentionnelle justifiant que soit
prononcée la nullité du contrat ; telle est la solution d'un arrêt rendu le 30 juin 2016 par la deuxième chambre civile
de la Cour de cassation, qui s'en est remise à l'appréciation de la cour d'appel qui a estimé que le questionnaire
était précis et que l'absence de déclaration de la pathologie asthmatique était volontaire (Cass. civ. 2, 30 juin 2016,
n˚ 15-22.842, F-P+B N° Lexbase : A2168RW9). En l'espèce, à la suite d'une chute, Mme B. avait demandé la
prise en charge des mensualités de son prêt au titre de la garantie incapacité. L'assureur lui ayant opposé un refus
en invoquant l'existence d'une fausse déclaration intentionnelle dans le questionnaire de santé rempli au moment
de la souscription, elle l'avait assigné en exécution du contrat. Elle faisait grief à l'arrêt de prononcer la nullité du
contrat (CA Bastia, 3 juin 2015, n˚ 14/00 059 C N° Lexbase : A9235NIU), soutenant que la sincérité et l'exactitude
des déclarations faites par un assuré doivent s'apprécier en fonction des questions qui lui ont été expressément
posées par l'assureur, ce dernier ne pouvant se prévaloir d'une réticence ou d'une fausse déclaration intentionnelle
de l'assuré que si elle procède des réponses apportées auxdites questions, lesquelles doivent avoir été posées
de façon claire et précise ; elle faisait alors valoir, d'une part, qu'en l'espèce, le questionnaire établi par l'assureur
ne mentionnait pas l'asthme ou les symptômes et affections asthmatiques parmi les maladies citées, d'autre part,
qu'il ne contenait aucune précision quant au laps de temps censé s'être écoulé depuis les dernières affections,
les derniers arrêts-maladie ou les derniers traitements subis par l'assuré ; selon la requérante, en l'état de ces
sources d'imprécision, la cour d'appel ne pouvait considérer qu'elle avait omis de répondre à une question précise
et, partant, avait commis une réticence volontaire en ne mentionnant pas, sur ce questionnaire, l'asthme dont elle
avait souffert, à l'âge de trois ans, qui avait été soigné pendant son enfance et qui avait été résorbé depuis de
nombreuses années sauf à violer les articles L. 112-3 (N° Lexbase : L9858HET), L. 113-2 (N° Lexbase : L0061AAI)
et L. 113-8 (N° Lexbase : L0064AAM) du Code des assurances, combinés. Elle n'obtiendra pas gain de cause devant
la Cour suprême qui rétorque que le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine de la cour
d'appel qui a estimé que le questionnaire était précis et que l'absence de déclaration de la pathologie asthmatique
était volontaire.
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Avocats/Procédure
[Jurisprudence] Impossible désignation d'un nouvel avocat
devant le juge des libertés et de la détention
N° Lexbase : N3398BWR
par Guillaume Royer, Maître de conférences à Sciences-Po Paris
(Campus franco-allemand de Nancy), Avocat au barreau de Nancy
Réf. : Cass. crim., 7 juin 2016, n˚ 16-81.694, F-P+B (N° Lexbase : A7038RSH)
L'arrêt rendu en date du 7 juin 2016 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation apporte une précision
importante au sujet des règles de désignation d'un nouvel avocat au cours de l'information judiciaire : cette
désignation ne peut intervenir au cours du débat de prolongation de détention de provisoire devant le juge
des libertés et de la détention.
Comme souvent, le débat contradictoire de prolongation de la détention provisoire devant le juge des libertés et
de la détention donnait lieu à un véritable imbroglio procédural... En l'occurrence, une personne avait été mise en
examen du chef d'assassinat en date du 29 juillet 2014 et placé, le même jour, sous mandat de dépôt criminel par
le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nancy. Environ quatorze mois plus tard,
soit au cours du mois de septembre 2015, le mis en examen a sollicité un second avocat, lequel s'est présenté au
greffe du juge d'instruction et a déclaré avoir été désigné par le mis en examen en lieu et place du premier avocat.
Toutefois, cette désignation n'a jamais été confirmée dans les formes et délai prévus par l'article 115, alinéa 4, du
Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0931DY7). C'est une subtilité que les pénalistes connaissent bien : un
avocat peut certes, adresser un courrier au greffe du juge d'instruction indiquant sa désignation, mais la personne
mise en examen doit confirmer son choix dans les quinze jours par le biais d'une déclaration auprès du chef de
l'établissement pénitentiaire. Ce ne fut pas le cas en l'espèce.
Au début du mois de janvier 2016, le juge des libertés et de la détention a été saisi d'une demande de prolongation
de la détention provisoire et a adressé une convocation au premier avocat en date du 18 janvier 2016 pour un débat
contradictoire du 27 janvier suivant. La veille de ce débat, le premier avocat a indiqué au juge des libertés et de la
détention qu'il n'intervenait plus au soutien des intérêts du mis en examen. Dont acte. Mais les choses se sont encore
corsées lors de la tenue du débat contradictoire de prolongation de la détention provisoire ! Ainsi, le mis en examen
a, évidemment, été extrait de la maison d'arrêt où il a été détenu. Son premier avocat n'est pas venu puisqu'il avait
déposé mandat la veille... et c'est le second avocat qui s'est présenté pour défendre la remise en liberté de son
client ! Le débat de prolongation de la détention provisoire étant public, cet avocat a pu entrer dans l'étroit cabinet
du juge des libertés et de la détention, mais n'a pu prendre la parole... puisqu'il n'était pas régulièrement désigné ! A
l'issue du débat contradictoire, le juge des libertés et de la détention a prolongé le mandat de dépôt pour une durée
de six mois et avant de reprendre le chemin de la maison d'arrêt, le mis en examen a fait un crochet -accompagné
de son escorte— par le greffe du juge d'instruction où il a pu régulariser la constitution du second avocat. Ce dernier
a donc pu interjeter appel de l'ordonnance du juge des libertés et de détention et faire valoir, devant la chambre
de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, que le débat de prolongation de la détention provisoire était nul, faute
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pour le mis en examen d'avoir pu être assisté par le conseil de son choix. Toutefois, par un arrêt rendu en 9 février
2016, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de
la détention en retenant que si le mis en examen n'avait pas été assisté lors du débat de prolongation, c'était pour
deux raisons inhérentes au juge des libertés et de la détention : d'une part, le premier avocat avait déposé mandat
la veille du débat et, d'autre part, le mis en examen avait omis de régulariser la désignation de son second avocat
depuis la maison d'arrêt.
Le pourvoi en cassation est rejeté par la Chambre criminelle qui considère que la chambre de l'instruction a justifié
sa décision dès lors que la seconde avocate "ne s'était pas fait régulièrement désigner par M. Y. avant le débat
contradictoire préalable à une éventuelle prolongation de la détention provisoire de ce dernier, sans qu'il soit établi,
ni même allégué, qu'elle en ait été empêchée pour une cause tenant au service de la justice, et dès lors, d'une part,
que le demandeur ne peut utilement se prévaloir des dispositions du deuxième alinéa de l'article 115 du Code de
procédure pénale, qui ne visent que la désignation intervenant au cours d'un interrogatoire ou d'une audition par le
juge d'instruction, d'autre part, que le formalisme édicté par cet article pour les désignations d'avocat au cours de
l'information, qui assure une juste conciliation entre le respect des droits de la défense et la bonne administration
de la justice, n'est pas contraire aux articles de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme
visés au moyen".
Au travers de cet imbroglio procédural, la Chambre criminelle de la Cour de cassation précise les modalités de
désignation d'un nouvel avocat à l'approche d'un débat contradictoire de prolongation devant le juge des libertés et
de la détention : il est impossible de désigner un nouvel avocat devant le juge des libertés et de la détention (I), de
sorte que la régularisation du nouvel avocat doit nécessairement intervenir avant le débat (II).
I — Impossibilité de désigner le nouvel avocat pendant le débat contradictoire
L'apport de la décision commentée est simple : aucune nouvelle désignation d'avocat ne peut intervenir à l'occasion
du débat devant le juge des libertés et de la détention. D'emblée, il convient de relever qu'aucune disposition
du Code de procédure pénale ne tranche la question devant le juge des libertés et de la détention. En effet, les
articles 145-1 (N° Lexbase : L4872K8X) et 145-2 (N° Lexbase : L3506AZU) du Code de procédure pénale précisent
les formalités relatives au déroulement du débat contradictoire de prolongation de la détention provisoire, sans
envisager l'hypothèse d'une nouvelle désignation au cours du débat sur la détention. C'est ainsi que le moyen du
pourvoi invitait la Chambre criminelle de la Cour de cassation à appliquer, par analogie, les prescriptions de l'article
115 du Code de procédure pénale, relatives à la désignation du nouvel avocat devant le juge d'instruction.
Toutefois, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, totalement approuvée par la Cour de cassation,
a refusé de procéder à cette lecture extensive du texte. Et, il faut bien le relever, l'article 115 du Code de procédure
pénale était de sens bien trop étroit pour que cette interprétation analogique puisse prospérer. C'est ainsi qu'en
son premier alinéa, le texte pose en guise de principe que "les parties peuvent à tout moment de l'information
faire connaître au juge d'instruction le nom de l'avocat choisi par elles". C'est donc bien devant le juge d'instruction
qu'il convient de faire connaître l'identité du nouvel avocat désigné pour assurer la défense du mis en examen. A
contrario, la Chambre criminelle de la Cour de cassation en déduit que cette déclaration ne peut être faite devant le
juge des libertés et de la détention. Aussi, et puisque le juge des libertés et de la détention n'est pas assimilé au juge
d'instruction au regard des règles de désignation, le deuxième alinéa de l'article 115 du Code de procédure pénale
n'est pas davantage applicable au moment du débat de prolongation de la détention provisoire. Ce texte prévoit que
"sauf lorsqu'il s'agit de la première désignation d'un avocat par une partie ou lorsque la désignation intervient au
cours d'un interrogatoire ou d'une audition, le choix effectué par les parties en application de l'alinéa précédent doit
faire l'objet d'une déclaration au greffier du juge d'instruction". Certes, à première vue, ce texte offre un formalisme
réduit : il suffit que le juge prenne acte de la désignation du nouvel avocat. Mais encore faut-il rappeler aussi que
la désignation d'un nouvel avocat doit intervenir "au cours d'un interrogatoire ou d'une audition", ce qui renvoie
nécessairement à la nomenclature des actes réalisés par le juge d'instruction, et non par le juge des libertés et de
la détention. Il était donc impossible pour la personne mise en examen de régulariser la désignation d'un nouvel
avocat à l'occasion du débat contradictoire de prolongation de la détention provisoire devant le juge des libertés
et de la détention. Cette analyse textuelle présente évidemment un degré maximum de sécurité juridique dans
la mesure où elle évite toute discussion "parasite" devant le juge des libertés et de la détention où l'attention de
la justice se concentre donc sur la privation de liberté du mis en examen. Mais, il ne faudrait pas perdre de vue
l'essentiel : le carcan tissé par les textes risquait peut-être de mettre à néant l'exercice des droits de la défense
dans le cadre d'une information judiciaire de nature criminelle.
II — Nécessité de désigner le nouvel avocat avant le débat contradictoire
Les textes étaient donc particulièrement clairs et l'analogie, proposée par le moyen du pourvoi, vouée au rejet. Mais,
aussi, devait-on être sensible au tableau -assez singulier— qu'offrait le débat contradictoire mené devant le juge
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des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nancy.
Voilà une personne mise en examen et placée sous mandat de dépôt criminel depuis dix-huit mois, comparaissant
sans l'assistance de son avocat initial (qui ne s'était pas déplacé puisqu'il avait prévenu la veille du débat qu'il
déposait mandat), ni celle de son nouvel avocat (qui s'était déplacé au débat contradictoire mais n'avait pu prendre
la parole...). N'y avait-il pas là une atteinte aux droits de la défense, consommée par la violation de l'article 6 de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) ? On sait par ailleurs que
la Cour de cassation se montre très attentive à la présence de l'avocat lors du débat de prolongation de la détention
provisoire. Ainsi, par un arrêt en date du 4 décembre 2007, la Chambre criminelle de la Cour de cassation avait
considéré que "l'absence de convocation de l'avocat au débat contradictoire ayant empêché celui-ci d'assister le
demandeur, portait nécessairement atteinte aux intérêts de celui-ci" (1). Outre la présomption de grief aux droits
de la défense, le couperet de la Haute juridiction était dévastateur puisque la cassation avait été prononcée sans
renvoi, le mis en examen étant remis en liberté d'office par la Chambre criminelle.
Malgré tout, le simple fait que le juge des libertés et de la détention refuse d'entendre le nouvel avocat ne suffisait
pas à caractériser une atteinte aux droits de la défense. Et pour cause : le mis en examen n'avait pas été privé
de l'assistance d'avocat en raison d'un dysfonctionnement du service public de la justice. Bien au contraire, le
mis en examen se trouvait privé de tout conseil pour deux raisons indépendantes du fonctionnement du greffe du
juge des libertés et de la détention. D'une part, son premier avocat avait déposé mandat et avait donc choisi de
ne pas se présenter au débat de prolongation. Cette circonstance ne peut évidemment être mise à la charge du
juge des libertés et de la détention, voire de son greffier. D'autre part, son nouvel avocat n'était pas régulièrement
désigné. Et sur ce second point, la personne mise en examen ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même... Les termes
de l'arrêt rappellent qu'au cours du mois de septembre 2015, le second avocat s'était bien présenté au greffe du
juge d'instruction et avait déclaré être désigné par le mis en examen. Toutefois, cette désignation n'a jamais été
confirmée dans les formes et délai prévus par l'article 115, alinéa 4, du Code de procédure pénale. Rappelons
qu'aux termes de ce texte, un avocat peut, certes, adresser un courrier au greffe du juge d'instruction indiquant sa
désignation, mais la personne mise en examen doit confirmer son choix dans les quinze jours par le biais d'une
déclaration auprès du chef de l'établissement pénitentiaire. A défaut, la désignation est réputée caduque.
Reste qu'en définitive, la Chambre criminelle considère qu'il est impossible de régulariser la désignation d'un nouvel
avocat à l'occasion du débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention. Cet arrêt ne fixe peut-être
pas le dernier état de la jurisprudence puisque l'attendu conclusif de l'arrêt commenté laisse une porte entre-ouverte.
Il est relevé par la Cour de cassation que le second avocat ne s'était pas fait régulièrement désigner avant le débat
contradictoire "sans qu'il soit établi, ni même allégué, qu'elle en ait été empêchée pour une cause tenant au service
de la justice". En présence d'une "cause tenant au service de la justice", la régularité du débat contradictoire pourrait
être compromise. A l'avenir, l'ingéniosité des plaideurs donnera, sans aucun doute, corps à cette notion...
(1) Cass. crim., 4 décembre 2007, n˚ 07-86.794, F-P+F (N° Lexbase : A2911D39), Bull. crim., n˚ 297.
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Consommation
[Brèves] Publication de la "nouvelle" partie réglementaire du
Code de la consommation
N° Lexbase : N3526BWI
Réf. : Décret n˚ 2016-884 du 29 juin 2016, relatif à la partie réglementaire du Code de la consommation (N° Lexbase :
L0525K9C)
Le décret de recodification de la partie réglementaire du Code de la consommation a été publié au Journal officiel
du 30 juin 2016 (décret n˚ 2016-884 du 29 juin 2016, relatif à la partie réglementaire du Code de la consommation
N° Lexbase : L0525K9C). Il s'inscrit dans la nouvelle architecture du code comportant désormais huit livres. Le
décret apporte au livre II des clarifications rédactionnelles aux dispositions relatives au mécanisme d'opposition au
démarchage téléphonique, ainsi qu'à celles applicables au rachat de métaux précieux. Au livre IV, les contraventions
sanctionnant les décrets définissant les règles de conformité des produits seront désormais des contraventions de
cinquième classe. Il est créé une contravention pour la détention et l'absence de retrait et de rappel des denrées
alimentaires impropres à la consommation. En matière de médiation de la consommation, en vue d'assurer une
parfaite transposition en droit national de la Directive 2013/11 du 21 mai 2013, relative au règlement extrajudiciaire
des litiges de consommation (N° Lexbase : L5054IXH), le décret complète au livre VI la liste des informations à
fournir par les médiateurs tant à l'attention des consommateurs que de la commission d'évaluation et de contrôle
de la médiation de la consommation et de la Commission européenne. Le décret intègre, par ailleurs, dans la partie
réglementaire du Code de la consommation les dispositions déclassées à l'occasion de la recodification de la partie
législative de ce code, notamment des dispositions relevant de la procédure civile ou relatives à la composition et
au fonctionnement de différentes instances. Enfin, sont codifiés les décrets suivants :
— décret n˚ 78-280 du 10 mars 1978, relatif au laboratoire national de métrologie et d'essais ;
— décret n˚ 90-422 du 16 mai 1990, portant application, en ce qui concerne les offres de rencontre en vue de la
réalisation d'un mariage ou d'une union stable, de la loi n˚ 89-421 du 23 juin 1989 (N° Lexbase : L6370G4P) ;
— décret n˚ 2005-137 du 16 février 2005, pris pour l'application de l'article L. 134-2 du Code de la consommation
(N° Lexbase : L9671G7C) ;
— décret n˚ 2012-610 du 30 avril 2012, relatif à une mesure d'organisation des enquêtes réalisées par les agents
de la CCRF (N° Lexbase : L9666ISS) ;
— décret n˚ 2016-505 du 22 avril 2016, relatif aux obligations d'information sur les sites comparateurs en ligne
(N° Lexbase : L8189K7G) ;
— décret n˚ 2016-622 du 19 mai 2016, portant transposition de la Directive 2014/17/UE du 4 février 2014 sur les
contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel (N° Lexbase : L1671K8E).
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Contrats administratifs
[Brèves] Convention fixant l'évolution des tarifs de
redevances aéroportuaires : recevabilité du recours pour
excès de pouvoir en matière contractuelle
N° Lexbase : N3632BWG
Réf. : CE 2˚ et 7˚ ch-r.., 30 juin 2016, n˚ 393 805, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9991RUL)
Les conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir des clauses réglementaires du contrat relatives aux
conditions d'évolution des tarifs de redevances aéroportuaires sont recevables. Telle est la solution dégagée par le
Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 30 juin 2016 (CE 2˚ et 7˚ ch-r.., 30 juin 2016, n˚ 393 805, mentionné aux tables
du recueil Lebon N° Lexbase : A9991RUL). Tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses
intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant
le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses
non réglementaires qui en sont divisibles (CE, Ass., 4 avril 2014, n˚ 358 994, publié au recueil Lebon N° Lexbase :
A6449MIP). La légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la
décision de le signer ne peut être contestée qu'à l'occasion du recours ainsi défini. Il en résulte que des conclusions
d'excès de pouvoir d'un tiers contre ces actes détachables du contrat sont irrecevables. La requête présentée par
le syndicat des compagnies aériennes autonomes doit être regardée comme tendant à l'annulation pour excès de
pouvoir, d'une part, des clauses réglementaires du contrat de régulation économique signé le 31 août 2015 entre
l'Etat et la société Aéroports de Paris, pour la période 2016-2020, relatives aux conditions d'évolution des tarifs
de redevances aéroportuaires, et, d'autre part, de la décision du directeur général de l'aviation civile de signer ce
contrat. Dès lors, si les conclusions d'excès de pouvoir dirigées contre ces clauses réglementaires sont recevables,
les conclusions d'excès de pouvoir dirigées contre l'acte détachable du contrat sont, en revanche, irrecevables.
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Finances publiques
[Chronique] Chronique juridique de finances locales —
Juillet 2016
N° Lexbase : N3537BWW
par Jérôme Germain, Maître de conférences HDR en droit public, Université de Lorraine
Réf. : TGI Nanterre, 6ème ch., 26 juin 2015, n˚ 11/07 236 (N° Lexbase : A0523NMC) ; TGI Paris, 9ème ch., 10
novembre 2015, n˚ 13/04 996 N° Lexbase : A3508N3C) ; TGI Paris, 9ème ch., 7 janvier 2016, n˚ 12/15 120 (N° Lexbase : A2927PKM)
Lexbase Hebdo — édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de
finances locales de Jérôme Germain, Maître de conférences HDR en droit public, co-directeur de la double
licence en droit français et allemand Metz-Sarrebruck, Faculté de droit de Metz (UFR DEA), IRENEE, Université de Lorraine. Cette chronique se penchera sur trois jugements récents relatifs au contentieux des
produits à risque des collectivités locales (emprunts structurés et swap de taux), le premier indiquant que
le caractère averti de l'emprunteur délivre le banquier de son obligation de mise en garde (TGI Paris, 9ème
ch., 10 novembre 2015, n˚ 13/04 996), le deuxième délivrant logiquement une solution inverse du fait de la richesse de l'expérience du département dans le domaine des swaps (TGI Paris, 9ème ch., 10 novembre 2015,
n˚ 13/04 996) et le troisième soulignant que la violation par la banque de ses obligations précontractuelles
d'information n'entraîne pas l'annulation du contrat (TGI Paris, 9ème ch., 7 janvier 2016, n˚ 12/15 120). Il
convient dans un premier temps de restituer le contexte juridique de ces jurisprudences (1).
– Le contexte des trois jugements
Les administrations publiques locales (APUL) (2) ont dégagé en 2015 un solde de 700 millions d'euros après un
déficit de 8,5 milliards d'euros en 2014. Malgré cet excédent, elles présentent un endettement s'élevant, en 2014,
à 9,3 % et, en 2015, à 9,4 % de la dette publique (soit 189,5 milliards d'euros en 2014 et 196,5 milliards d'euros en
2015). Ces emprunts locaux ne peuvent financer que des investissements (3). 70 % des investissements publics
en France sont d'ailleurs réalisés par les APUL (4). Avant la décentralisation de 1982, les emprunts devaient être
préalablement autorisés par le préfet. Aujourd'hui, ils ne sont soumis qu'à une obligation de transmission (5).
Traditionnellement, les collectivités locales empruntent auprès d'un nombre restreint de banques. Il s'agissait essentiellement de la Caisse d'aide à l'équipement des collectivités locales (CAECL) créée en 1966, rebaptisée Crédit
local de France en 1987, puis entièrement privatisée depuis 1993 et portant le nom de Dexia Crédit local depuis
1997 en raison de son rapprochement avec son homologue belge. On comptait auparavant la Caisse des dépôts
et consignation (CDC) (6), dont émanait la CAECL, et la Caisse d'épargne (intervenant sur le marché de l'emprunt
local par le biais de Natixis depuis 2004 et son rapprochement avec la Banque populaire). La libéralisation des
marchés financiers a, depuis les années 80, ouvert à la concurrence les prêts aux collectivités locales (7).
Les emprunts structurés se distinguent des emprunts traditionnels (à taux fixe comme variable) en raison des
options qu'ils contiennent et des réductions de taux en cas d'évolution favorable de la conjoncture économique
qu'ils permettent. La vente des options (qui sont en fait des produits financiers) était censée réduire les annuités. La
crise immobilière puis bancaire, américaine puis internationale de 2008 a, au contraire, conduit à une augmentation
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exponentielle des taux d'intérêt, rendant ces emprunts toxiques pour le budget de la collectivité concernée. La
crise des emprunts toxiques s'explique par le manque de déontologie des banques, de prudence des élus et de
contrôles de l'Etat. Les exécutifs locaux, habitués à des taux préférentiels et peu méfiants envers des banques
souvent proches de l'Etat, cherchaient à profiter de la baisse des taux intervenus dans les années 90 et au début
des années 2000. Les banques, de leur côté, entendaient reconstituer leurs marges (réduites par la baisse des
taux) en développant des prêts structurés. Même les Chambres régionales des comptes n'ont pu, dans un premier
temps, détecter les dangers les caractérisant.
D'après la Cour des comptes, Dexia est responsable des deux-tiers des créances toxiques du secteur public local
français (8). La banque a accordé pour 11,2 milliards d'euros de prêts structurés (encours au 31 décembre 2012),
à raison de 20 % par DCL (Dexia crédit local) et de 80 % par DMA (Dexia municipal agency, aujourd'hui appelée
Caffil, Caisse française de financement local). Les créances toxiques de Dexia ont obligé les Etats français, belges
et luxembourgeois en 2008, lors de la crise financière mondiale, puis en 2011, lors de la crise de l'euro, à organiser
son sauvetage. La crise de 2008, dite des "subprimes", était une crise des liquidités. Les banques ne pouvaient
plus se refinancer à cause du manque de confiance régnant entre elles après la faillite de certaines d'entre elles.
Ce refus des banques de prêter de l'argent à d'autres banques a obligé les Etats à injecter de l'argent public,
creusant par là même les déficits publics. La crise de l'euro de 2011, quant à elle, trouve son origine dans le doute
des investisseurs face à la capacité de certains Etats de la zone euro de rembourser leurs dettes souveraines,
agravées par la crise de 2008. Cette anticipation négative a entraîné une envolée des taux d'emprunt, rendant plus
difficile leur refinancement et menaçant de les conduire au défaut souverain.
Le second sauvetage a conduit à la mise en résolution de Dexia : elle doit vendre ses actifs sans en acquérir de
nouveaux en vue de son extinction (9). Cette gestion extinctive a été autorisée par la Commission européenne
dans le cadre d'un PRO (plan de résolution ordonné) (10). Un expert indépendant surveille pour le compte de la
Commission son bon déroulement. La SFIL (Société de financement local) est l'établissement de crédit créé en
vue de désensibiliser les emprunts toxiques vendus par Dexia aux collectivités locales. La désensibilisation est la
réduction de l'encours des dettes à risque des collectivités locales. Elle peut prendre des formes différentes, comme
le plafonnement des taux d'intérêt ou la diminution de la durée structurée. La SFIL est détenue à 75 % par l'Etat, la
CDC en possédant 20 % et la Banque postale 5 %. La SFIL contrôle à 100 % la Caffil tandis que Dexia SA détient
entièrement DCL. Entre 2013 et 2015, DCL a désensibilisé la moitié de ses emprunts toxiques et la SFIL, le quart
(11). En juin 2015, DCL possède encore 1,05 milliards de prêts toxiques et la SFIL, 5,8 (12).
Le jugement n˚ 11/03 778 du TGI de Nanterre du 8 février 2013 (N° Lexbase : A6629I7N) dans l'affaire "Seine Saint
Denis contre Dexia" a fait prévaloir le taux légal (0,04 %) par rapport au taux stipulé en raison de l'absence du TEG
(taux effectif global) dans le fax de confirmation du contrat. Cette application du taux légal à la place du taux stipulé
dans les emprunts structurés est une jurisprudence constante et ancienne. Dans la même veine, le TGI de Paris,
dans son jugement n˚ 11/04 698, avait aussi ramené le 25 mars 2014 au taux légal un emprunt toxique contracté
par la Seine Saint Denis auprès de la banque Depfa (Deutsche Pfandbriefbank) en raison de l'absence de TEG
(13).
Cette jurisprudence était porteuse de conséquences désastreuses pour les banques des collectivités locales, au
premier rang desquelles figuraient Dexia et aujourd'hui la SFIL, et donc aussi l'Etat et le contribuable.
La loi n˚ 2014-844 de validation du 29 juillet 2014, relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits
par des personnes morales de droit public (N° Lexbase : L8472I38), a été reconnue conforme à la Constitution par
le Conseil constitutionnel dans sa décision n˚ 2014-695 DC du 24 juillet 2014 (N° Lexbase : A6670MUL). Une
première mouture de ce dispositif avait été censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n˚ 2013-685
DC du 29 décembre 2013, relative à la loi de finances pour 2014 (N° Lexbase : A9152KSR), en raison de son
extension considérée à juste titre trop large. Conformément à une recommandation de la Cour des comptes (14),
cette loi du 29 juillet 2014 légalise rétrospectivement l'absence de TEG lors de la vente de prêts structurés. Cette
loi rétroactive est destinée à éviter l'application du taux légal à la place du taux stipulé dans les produits structurés.
Le Fonds de soutien aux collectivités locales possédant des emprunts toxiques a été institué par l'article 92 de la loi
n˚ 2013-1278 du 29 décembre 2013, de finances initiale pour 2014 (N° Lexbase : L7405IYW), et l'article 111 de la loi
"NOTRe" (loi n˚ 2015-991 du 7 août 2015 N° Lexbase : L1379KG8) . Depuis la loi "NOTRe", le Fonds de soutien peut
prendre en charge les indemnités de remboursement anticipé jusqu'à 75 % et non plus 45 % comme auparavant
(16). La loi de finances initiale pour 2016 (loi n˚ 2015-1785 du 29 décembre 2015 N° Lexbase : L2719KWM), quant
à elle, a doublé le montant du Fonds de soutien aux collectivités locales possédant des emprunts structurés afin
de faire face à l'appréciation du franc suisse par rapport à l'euro dont l'envolée renchérissait davantage les taux
d'intérêt des emprunts toxiques (17)...
La doctrine d'emploi du Fonds de soutien aux personnes publiques ayant souscrit des emprunts à risque, décidée
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par le CNOS (18) en 2013, a été précisée par le décret n˚ 2014-444 du 29 avril 2014 (N° Lexbase : L0916I3C)
et son arrêté d'application du 22 juillet 2015 (N° Lexbase : L2629KDQ). Elle décrit les modalités d'intervention du
Fonds de soutien aux organismes locaux vicitimes d'emprunts structurés et définit les contrats pouvant bénéficier
des aides du Fonds de soutien (19).
Comme les collectivités n'avaient que jusqu'au 30 avril 2015 pour déposer une demande au Fonds de soutien et
que l'acceptation de son aide empêche la poursuite des contentieux juridictionnels, les élus locaux ont dû décider
en quelques mois s'ils préféraient la voie contentieuse ou l'aide du Fonds. Les tribunaux compétents ont alors
interrompu les procédures jusqu'au printemps 2016 afin de laisser aux collectivités la possibilité de retirer leurs
assignations. La création du Fonds de soutien a eu pour conséquence de réduire le nombre de contentieux à une
centaine de procédures devant les tribunaux.
Le CNOS du 26 mai 2016 a établi que les 676 collectivités ou établissements locaux ayant déposé un dossier au
Fonds de soutien ont reçu une proposition d'aide du Fonds. 1163 prêts sont concernés. Dans 61 % des cas, la
collectivité locale ou l'établissement public a répondu. 90 % des réponses (représentant plus de 97 % des aides)
sont positives. En somme, les accords ne concernent pour l'instant qu'un peu plus de la moitié des demandes.
L'aide du Fonds de soutien est en effet destinée à prendre en charge partiellement des IRA (indemnités de remboursement anticipé) auxquelles donnent lieu l'accord de sortie de l'endettement toxique négocié entre la collectivité et
la banque. L'accord le plus important pour le moment concerne la Métropole de Lyon et le nouveau Rhône qui se
sont défaits de la dette toxique du département du Rhône. La SFIL a exigé 424 millions d'euros d'IRA, 225 millions
étant pris en charge par le Fonds de soutien, alors que le capital restant dû était de 217 millions d'euros.
Les collectivités doivent de surcroît rembourser les aides du Fonds. Pour cela, il leur faut s'endetter davantage.
Paradoxalement, les collectivités les plus faibles financièrement peuvent ainsi être tentées de préférer le recours
contentieux à l'aide du Fonds.
Les auditions du président du Conseil d'administration ainsi que du président du Comité directeur de Dexia (le 13
janvier 2016) puis du PDG de la SFIL (le 27 janvier 2016) par la Commission des finances de l'Assemblée nationale
ont montré que la sortie des emprunts toxiques, loin de les faire disparaître, transfère leur risque sur l'Etat (20). Les
emprunts repris, en effet, ne sont pas soldés mais seulement "confinés" (21).
De la même manière, le rapport public annuel de la Cour des comptes critique en 2016 les risques pour l'Etat et les
contribuables que font courir les désensibilisations menées par la SFIL et DCL ainsi que l'extinction de Dexia. D'une
part, une remontée des taux d'intérêt, aujourd'hui historiquement bas, d'autre part, l'augmentation des garanties
nécessaires pour couvrir les ventes d'actif pourraient peser sur les finances publiques et entraîner des pertes de
plusieurs milliards pour l'Etat (22).
D'autres instruments sont venus protégés dans l'avenir les collectivités locales face aux emprunts risqués. Tout
d'abord, la Charte "Gissler" de 2009 est une charte de bonne conduite dans laquelle associations d'élus et établissements bancaires s'engagent à respecter certains principes afin d'éviter la souscription d'emprunts toxiques. Elle
est annexée à la circulaire du 25 juin 2010, relative aux produits financiers offerts aux collectivités territoriales et à
leurs établissements publics (N° Lexbase : L1609IRZ).
Ensuite, le nouvel article L. 1611-3-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L2580KGN), introduit par la loi n˚ 2013-672 du 26 juillet 2013, de séparation et de régulation des activités bancaires (N° Lexbase :
L9336IX3), réduit le risque de taux. Il prévoit, d'une part, l'obligation de respecter des valeurs maximales fixées par
des indices définis par un décret en Conseil d'Etat (23). Il impose, d'autre part, la conclusion d'un contrat d'échange
de devises si l'emprunt est souscrit dans une monnaie étrangère.
Par ailleurs, cette même loi a créé l'Agence France local comptant 11 collectivités au départ et aujourd'hui 91 (24).
L'Agence France locale (AFL) a été mise en place le 22 octobre 2013 (25) afin de financer les collectivités locales.
Elle se compose de deux entités juridiquement distinctes : d'une part, l'AFL société territoriale, qui a une fonction
d'orientation et, d'autre part, l'AFL société financière, qui a une fonction opérationnelle. Elle mutualise depuis mars
2015 les emprunts de ses adhérents sur le marché obligataire.
La loi n˚ 2014-58 du 27 janvier 2014, de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles
(N° Lexbase : L3048IZW), dite loi "MAPTAM" rend en outre obligatoire un débat annuel sur la dette au sein de
l'organe délibérant et fait expirer les délégations de l'exécutif en matière d'emprunt avec le début de la campagne
électorale renouvelant l'organe délibérant dont il dépend.
Peut-être que la création prochaine d'une loi annuelle de financement des collectivités locales, de plus en plus
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débatue dans les revues et par les praticiens, permettrait de compléter l'arsenal présenté et de plafonner plus
sûrement l'endettement local.
Notons enfin que, si les collectivités locales doivent procéder à une couteuse procédure de publicité et de mise en
concurrence pour les marchés de biens et de services de quelques dizaines de milliers d'euros, les contrats d'emprunt qui représentent souvent des sommes bien plus conséquentes sont conclus de gré à gré (26). La conclusion
de contrats d'emprunt doit cependant respecter dans tous les cas les principes généraux de transparence et de non
discrimination inscrits dans les Traités européens.
– Un juge clément pour l'emprunteur non averti (TGI Nanterre, 6ème ch., 26 juin 2015, n˚ 11/07 236 N° Lexbase : A0523NMC)
Saint-Cast-le-Guildo est une commune de 3 500 habitants située dans les Côtes d'Armor. La commune conteste
devant les tribunaux un prêt conclu avec DCL. L'écart entre les cours du franc suisse et de l'euro servant de base
pour déterminer le taux d'intérêt applicable dans la phase structurée du remboursement, le montant des intérêts dus
a explosé. En tant que première application de la loi de validation relative au TEG, cette jurisprudence, rendue après
l'expiration du délai de candidature pour l'aide du Fonds de soutien, inaugure une ère nouvelle dans le contentieux
des emprunts structurés.
Le juge de première instance a refusé d'admettre la nullité du contrat de prêt. Il a rejeté le dol avancé par la commune.
En effet, les conditions du dol ne sont pas réunies. D'une part, il aurait fallu que la tromperie joue un rôle déterminant
dans la volonté de s'engager de la victime, ce qui n'est pas évident ici. D'autre part, il est difficile de parler de
manœuvres de la banque destinées à tromper son client puisque, ni la crise de 2008, ni la détérioration de la
parité entre l'euro et le franc suisse n'étaient prévisibles. La commune devra donc continuer à rembourser l'emprunt
jusqu'en 2035. Ce jugement ne concernant que la période allant jusqu'en 2014, le litige relatif aux taux d'intérêt trop
élevés entre 2014 et 2035 n'est toujours pas réglé. L'autre solution pour la commune consisterait à sortir du contrat
en payant à la banque des IRA. Le TGI a reconnu la légalité des IRA mais ne se prononce cependant pas sur
leur caractère excessif. En effet, il faudrait pour cela que le préjudice soit actuel pour la commune, ce qui n'est pas
encore le cas en l'absence de sortie du contrat. Il s'agit peut-être là d'un moyen qui pourrait dans l'avenir prospérer
puisque les IRA représentent 138 % du capital dû restant, ce qui représente plus de 4 millions d'euros à ajouter au
3,4 millions restant à rembourser...
Le tribunal reconnaît en revanche que Saint-Cast-le-Guildo est un emprunteur non averti. En effet, les agents
municipaux ne présentaient pas une compétence financière approfondie, d'une part, et, d'autre part, la commune
n'était pas grandement aguerrie dans le maniement des emprunts structurés les plus complexes. La reconnaissance
du caractère d'emprunteur non averti ne va pas de soi pour les collectivités locales. La Seine-Saint-Denis, en raison
du profil de ses agents et de son expérience dans le domaine des emprunts structurés, s'était par exemple vu refuser
ce qualificatif dans le jugement du TGI de Nanterre du 8 février 2013. Etre un partenaire non averti entraîne une
protection particulière de la commune lorsqu'elle risque de s'endetter au-delà de ses possibilités de remboursement.
Cela est d'autant plus le cas lorsque l'emprunt proposé se caractérise par sa complexité. Au-delà de son devoir
normal d'information, pesait donc sur la banque un devoir renforcé d'information. Vu que le taux d'intérêt initial de
2007, qui s'élevait à 3,99 %, a dépassé les 15 % à partir de 2011, DCL aurait dû mettre en garde son cocontractant,
et ce d'autant plus que la volatilité du taux d'intérêt ne connaît aucun plafonnement contractuel (ou "cap"). La banque
aurait dû détailler les différents scenarii possibles d'évolution de la conjoncture et les risques afférents à chacun
d'eux pour son client. En revanche, le juge ne reconnaît aucun devoir de conseil allant au-delà du devoir de mise
en garde. Un tel devoir de conseil aurait conduit la banque à exprimer sa propre opinion pour aider son client à
prendre sa décision.
Le manquement de DCL à ses obligations de mise en garde constitue pour la commune une perte de chance actuelle
et certaine de ne pas contracter que le juge fixe à 50 %. DCL et Caffil doivent ainsi solidairement rembourser à
la commune, pour la période structurée qui a débuté en 2010, la moitié des intérêts payés au-dessus du taux
s'appliquant avant celle-ci, soit 826 260 d'euros. La commune doit cependant verser à Caffil 1,5 million d'euros pour
intérêts dus entre 2012 et 2014 et intérêts de retard.
Le maire a interjeté appel. Devant la cour d'appel de Versailles, il vise la nullité du contrat pourtant refusée en
première instance. Il se dit prêt à aller jusque devant les juges européens. La loi de validation autorisant rétroactivement l'absence de TEG dans les contrats de prêt toxique est en effet peut-être contraire à la jurisprudence de
la CEDH. Il est possible qu'elle ne poursuive aucun intérêt général légitime. D'une part, cette validation législative
dégrade la situation des finances locales. D'autre part, l'Etat se comporte ici de façon partiale en visant son intérêt
financier en tant qu'actionnaire de la banque.
– Le caractère averti de l'emprunteur délivre le banquier de son obligation de mise en garde (TGI Paris,
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9ème ch., 10 novembre 2015, n˚ 13/04 996 N° Lexbase : A3508N3C)
La Seine Saint Denis a contracté auprès de Depfa un prêt de 200 millions d'euros le 16 novembre 2001, dont le
remboursement s'étale jusqu'au 15 novembre 2017. Le département a par la suite signé un swap de taux s'élevant à
15 millions d'euros avec Natixis le 28 septembre 2006. Un swap est un échange de taux d'intérêt destiné à sécuriser
des taux d'emprunts antérieurs en contrepartie d'une nouvelle détermination des taux applicables. Ce swap a luimême été "contre-swapé" auprès de Depfa le 3 mai 2007. Devant l'envolée des taux du swap, la Seine-Saint-Denis
a assigné Natixis le 28 mars 2013 afin de faire annuler le contrat par le TGI de Paris.
Le caractère spéculatif du swap, avancé par la Seine Saint Denis, signifierait que le contrat ne poursuit aucun
intérêt général local et serait donc illégal parce qu'incompétemment conclu. Le juge ne reconnaît pas ce caractère
spéculatif, et ce pour deux raisons.
Tout d'abord, le swap ici critiqué se borne à couvrir le risque d'un emprunt sous-jacent. Il n'excède pas la couverture
de l'emprunt avec Depfa. Son appartenance à la famille des contrats aléatoires ainsi que sa nature d'instrument
financier (C. mon. fin., art. L. 211-1 N° Lexbase : L9870DY9 alors en vigueur) ne suffisent pas pour octroyer au swap
un caractère spéculatif. Le jugement note même que le swap aurait pu être avantageux pour le département sans
la crise financière, que la banque ne pouvait naturellement pas prévoir.
Ensuite, la circulaire du 15 septembre 1992, relative aux contrats de couverture du risque de taux d'intérêt offerts
aux collectivités locales et aux établissements publics locaux (N° Lexbase : L1586K9M) (qu'elle reprend du Conseil
national de la comptabilité), ne peut être utilement invoquée pour démontrer le caractère spéculatif du swap litigieux.
En effet, en tant que circulaire, ce texte ne possède qu'une valeur interprétative et non normative. Il ne peut donc
ajouter à la loi, qui, à l'époque des faits, ne limitait pas la liberté contractuelle des collectivités locales en matière
d'emprunts. Pour cela, il faudra en effet attendre la loi de 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires
ainsi que le décret de 2014 la précisant sur ce point.
Les moyens tendant à montrer le vice du consentement ne vont pas plus prospérer. Le juge prend soin d'expliquer
que les exigeantes conditions permettant d'identifier une erreur ou un dol ne doivent pas être confondues avec un
éventuel défaut d'information.
En revanche, le jugement confirme que la Seine-Saint-Denis est un opérateur averti. La juridiction estime que la riche
expérience du département dans le domaine des swaps suffit pour s'en persuader. Le juge ne prend pas la peine
de vérifier précisément la qualification des agents départementaux, ni les structures variées des swaps conclus.
Ces deux derniers éléments semblent sous-entendus par le nombre important de contrats d'échange de taux gérés
par le département. Ce raisonnement est à rapprocher du jugement du TGI de Paris du 29 janvier 2015 (TGI Paris,
9ème ch., n˚ 11/09 601 N° Lexbase : A4938NEM). Le faible nombre de produits structurés souscrits impliquait de
s'attarder sur les divergences entre ces produits afin de concrètement se prononcer sur le caractère d'opérateur
non averti du syndicat intercommunal pour la destruction des résidus urbains. L'absence d'agents spécialisés avait
alors achevé de convaincre du caractère d'opérateur non averti du syndicat intercommunal.
La Seine-Saint-Denis étant donc un opérateur averti, seule une obligation d'information pesait sur le banquier.
Aucune obligation de mise en garde ne venait renforcer cette obligation d'information. En ce qui concerne l'obligation
de conseil, elle ne pourrait découler que des termes du contrats. Le silence du swap à son sujet est donc suffisant
pour en dispenser Natixis en l'espèce.
L'obligation d'information signifie que la banque a satisfait à ses obligations si elle a informé son cocontractant des
risques de variation "des taux d'intérêt, des parités de change, des cours des actions et des indices boursiers".
Comme c'est le cas dans cette affaire, le TGI déboute logiquement la Seine-Saint-Denis. Le Département doit
exécuter le swap jusqu'à son terme et dédommager la banque pour l'interruption du paiement des intérêts dus.
– La violation par la banque de ses obligations précontractuelles d'information n'entraînant pas l'annulation
du contrat (TGI Paris, 9ème ch., 7 janvier 2016, n˚ 12/15 120 N° Lexbase : A2927PKM)
Le litige tranché par le TGI de Paris dans son jugement du 7 janvier 2016 entre la commune de Laval et la banque
Depfa a aussi pour objet un contrat de swap. Le taux d'intérêt applicable a été indexé sur l'évolution de l'écart entre
l'euro et le franc suisse dans la phase structurée du remboursement. Signé en 2007, le prêt a vu sa phase structurée
débuter en 2010.
En premier lieu, la banque aurait dû informer son client des risques liés au caractère potentiellement illimité de
l'augmentation des taux d'intérêt contractuellement applicables. La prestation de la banque constitue en effet un
service d'investissement (C. mon. fin., art. L. 533-4 N° Lexbase : L3078HZZ alors en vigueur). En l'absence de
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plafonnement, le contrat présente un risque d'augmentation illimitée du taux d'intérêt applicable compromettant le
remboursement par la commune.
En second lieu, le TGI reconnaît que la commune de Laval est un emprunteur non averti bien qu'elle dépasse les
50 000 habitants. Elle n'avait en effet jamais conclu de swap auparavant et son expérience en matière de produits
structurés était limitée à trois contrats. Il en découle que non seulement une obligation d'information, mais aussi
une obligation de mise en garde pesaient sur la banque. Même si la crise financière était difficilement prévisible, la
banque aurait dû avertir son client des risques auxquels il s'exposait en s'engageant.
Là encore, le juge observe en l'espèce qu'aucune obligation de conseil ne découle du contrat contesté. Il ne la
retient donc pas.
La violation par la banque de ses obligations précontractuelles d'information ne peut toutefois pas entraîner l'annulation du contrat. Le TGI a en effet rejeté les arguments de la commune censés fonder l'annulation du contrat.
Tout d'abord, les éventuels vices du consentement n'ont pu être examinés en raison de leur prescription par cinq
ans. Comme la computation du délai de prescription débute avec la signature du contrat le 30 novembre 2006,
l'assignation, en date du 16 décembre 2012, a eu lieu hors délai. Le juge n'a donc pas pu se prononcer sur le dol
et l'erreur invoqués.
Ensuite, l'incompétence du représentant de la commune n'a pas pu non plus être établie puisque la délégation du
conseil municipal mentionne le swap critiqué et que ce contrat poursuit un intérêt général local (alléger le remboursement d'un emprunt antérieur finançant des investissements communaux).
Enfin, la nature spéculative du contrat n'a pas pu non plus être établie. D'une part, le but visé par la commune était
de couvrir les risques liés à un emprunt précédent en tentant d'en réduire le taux d'intérêt. Il y aurait spéculation
si la commune avait recherché un avantage financier au-delà de l'encours de l'emprunt, ce qui n'est pas le cas en
l'espèce. D'autre part, les limitations à la liberté de s'endetter des collectivités locales et de gérer activement leur
dette (i.e. : le décret cité du 28 août 2014) ne sont entrées en vigueur que le 1er octobre 2014.
La victime n'a donc droit qu'à des dommages-intérêts destinés à réparer la chance perdue de ne pas contracter.
Le contrat devra être exécuté jusqu'à son terme. Le taux d'intérêt applicable s'est pourtant très fortement dégradé
avec l'entrée dans la période structurée de l'emprunt en s'envolant de 4 % à plus de 43,83 % au 23 janvier 2015 ! La
voie de la sortie du contrat avec paiement d'IRA est tout aussi peu attractive puisque celles-ci s'élèvent à la même
date à 33,4 millions d'euros.
Le juge renvoie alors à une médiation judiciaire la fixation du préjudice et du dédommagement.
(1) Notre prochaine chronique portera sur la création annoncée des lois annuelles de financement des collectivités
locales.
(2) Les administrations publiques locales englobent, pour simplifier, les collectivités locales, leurs groupements et
leurs établissements publics ainsi que les organismes consulaires (chambre d'agriculture, chambre des métiers...)
et les SAFER.
(3) L'amortissement du capital emprunté doit être inscrit en section d'investissement et ne peut être abondé que
par des ressources définitives (de fonctionnement ou d'investissement). Les intérêts et les frais financiers annexes
sont, en revanche, comptabilisés en section de fonctionnement.
(4) Observatoire des finances locales, rapport du 16 juillet 2015, p. 6.
(5) En raison de leur nature de contrat de droit privé, un éventuel contrôle a posteriori de légalité par le juge administratif ne pourrait de toute façon porter que sur l'approbation de l'organe délibérant, voire la signature de l'exécutif
local en cas de délégation (la subdélégation n'étant possible qu'au niveau communal) de l'organe délibérant. La
gestion active de la dette peut aussi faire l'objet d'une délégation à l'exécutif local depuis 2002.
(6) Créée en 1816, la CDC va commencer à financer les investissements des collectivités locales dès 1821 et plus
largement à partir de 1837, date à partir de laquelle elle peut utiliser les fonds collectés par la Caisse d'épargne.
(7) Depuis la loi n˚ 99-1140 du 29 décembre 1999 (N° Lexbase : L5412ASA), l'autorisation préalable a même
été supprimée pour les émissions obligataires à l'étranger. L'article L. 1611-3 du Code général des collectivités
territoriales (N° Lexbase : L8438AAR), soumettant à autorisation les emprunts auprès du public, ne semble plus
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utilisé aujourd'hui.
(8) Cour des comptes, Rapport public annuel, 2016, p. 450.
(9) L'Etat français cherche prioritairement à céder les actifs de Dexia tandis que la Banque de France tend principalement à protéger l'eurosystème, c'est à dire la stabilité de la zone euro.
(10) En tant que banque de taille sensible, Dexia est soumise aux tests et contrôles mis en place par l'Union
bancaire. Comme Dexia ne vend plus de prêts et donc n'acquiert pas d'actifs nouveaux, la BCE n'exige cependant
pas un respect aussi rigoureux des conditions auxquelles les autres banques sont soumises.
(11) DCL vise surtout à limiter les risques contentieux tandis que la SFIL (sous l'impulsion de son principal actionnaire : l'APE, l'agence des participations de l'Etat) s'emploie en premier lieu à limiter les pertes pour l'Etat.
(12) Cour des comptes, Rapport sur les finances publiques locales, 2015, p. 180. L'article 32 III de la loi n˚ 2013-672
du 26 juillet 2013, de séparation et de régulation des activités bancaires, prévoit que le Gouvernement remette au
Parlement chaque année un rapport sur les emprunts structurés des collectivités locales. Cette disposition est pour
l'instant restée inappliquée alors que la circulaire du 22 mars 2012 (N° Lexbase : L1587K9N) met en place un suivi
départemental de la dette des collectivités locales dont les résultats pourraient être centralisés.
(13) Le jugement du TGI de Nanterre du 7 mars 2014 (TGI Nanterre, 6ème ch., 7 mars 2014, n˚ 12/06 737 N° Lexbase : A5037MGN) annule même un prêt toxique de dix millions d'euros indexé en partie sur le franc suisse, malgré
la présence du TEG, en raison de l'absence d'indication sur son mode de calcul. Là encore, le taux légal d'intérêt
s'est appliqué au prêt.
(14) Cour des comptes, Dexia : un sinistre coûteux, des risques persistants, juillet 2013, p. 190.
(15) Le premier Fonds de soutien de 50 millions d'euros créé par la troisième loi de finances rectificative pour 2012
du 29 décembre 2012 s'est révélé insuffisant. Il est passé à 1,5 milliards d'euros sur 10 ans en 2013.
(16) Il est en partie financé par la taxe au profit du Fonds de soutien aux collectivités territoriales ayant contracté
des produits structurés dits "emprunts toxiques". Les établissements de crédit en sont les principaux assujettis.
(17) Il est à présent doté de 200 millions d'euros sur 15 ans, soit 3 milliards d'euros.
(18) Le Comité national d'orientation et de suivi, en charge du pilotage du Fonds, associe l'administration, le Parlement, les collectivités locales et des personnalités qualifiées.
(19) Le décret n˚ 2014-810 du 16 juillet 2014 (N° Lexbase : L7945I3N) institue un service à compétence nationale
dénommé "service du pilotage du dispositif de sortie des emprunts à risque".
(20) Les comptes rendus des auditions sont disponibles sur le site de l'Assemblée nationale.
(21) Interview de V. Rabault (Rapporteur général du buget à la Commission des finances de l'Assemblée Nationale)
à la Gazette des communes, 11 février 2016.
(22) Cour des comptes, Rapport public annuel, op. cit., p. 447, sq..
(23) Décret n˚ 2014-984 du 28 août 2014 (N° Lexbase : L1451I4I).
(24) L'Agence de notation Moody's a attribué à l'AFL une note fort convenable de "Aa2", mais assortie d'une perspective négative.
(25) CGCT, art. L. 1611-3-2 (N° Lexbase : L8297KGE).
(26) Malgré la jurisprudence du Conseil d'Etat (CE, 23 février 2005, n˚ 264 712 N° Lexbase : A7529DGX) et la
position de la Commission européenne sous l'empire de la Directive (CE) 2004/18 du 31 mars 2004, relative aux
passations de marchés publics (N° Lexbase : L1896DYU), les contrats d'emprunt sont exclus des procédures de
passation de marché public. Aujourd'hui, l'article 14-8 de l'ordonnance n˚ 2015-899 du 23 juillet 2015, relative aux
marchés publics (N° Lexbase : L9077KBS), transposant la Directive (CE) 2014/24 du 26 février 2014, sur la passation de marchés publics (N° Lexbase : L8592IZA), reprend cette disposition.
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Fiscal général
[Jurisprudence] Les présomptions irréfragables d'intentions
frauduleuses
N° Lexbase : N3597BW7
par Christian Louit, Professeur agrégé des Facultés de droit et Avocat
Réf. : CE 9˚ et 10˚ ch. — r., 8 juin 2016, n˚ 383 259, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2407RSX)
L'arrêt du Conseil d'Etat du 8 juin 2016 (CE 9˚ et 10˚ ch. — r., 8 juin 2016, n˚ 383 259, publié au recueil Lebon)
nous met en présence d'une pièce en trois actes montée par des auteurs de talent.
Le cœur du scénario est constitué par la loi n˚ 2009-1674 du 30 décembre 2009, de finances rectificative pour 2009
(N° Lexbase : L1817IGE), dans son article 22.
Sont modifiés en vertu de la loi l'article 39 duodecies (N° Lexbase : L3833KWU), ainsi que l'article 145 du CGI
(N° Lexbase : L3836KWY), interdisant un régime de faveur à des sociétés établies dans un Etat ou territoire non
coopératif.
L'article 39 duodecies, 2, c dispose que "le régime des plus-values à court terme s'applique à l'occasion de la
cession de titres de sociétés établies dans un Etat ou territoire non coopératif au sens de l'article 238 A (N° Lexbase :
L3230IGQ)". Il exclut donc, quel que soit le caractère de la plus-value, le régime plus favorable des plus-values à
long terme.
En vertu du même article 22 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2009, et de la même façon, de l'article
145-6, i, "le régime fiscal des sociétés-mères n'est pas applicable [...] aux produits des titres d'une société établie
dans un Etat ou territoire non coopératif au sens de l'article 238-0 A (N° Lexbase : L3333IGK)".
Ces dispositions s'inscrivent dans le cadre d'une lutte renforcée contre les paradis fiscaux et l'évasion fiscale internationale. Rappelons que les Etats et territoires non coopératifs, notion introduite dans le droit français par cet
article 22, codifiée à l'article 238-0 A du CGI, correspondent à "des entités politiques qui ne respectent pas les
standards internationaux d'échanges d'informations en matière fiscale" (François Marc, rapporteur pour avis de la
Commission des finances du Sénat, avis n˚ 730, p. 124).
Cette liste est mise à jour chaque année par arrêté des ministres chargés de l'Economie et du Eudget, après avis
du ministre des Affaires étrangères. Elle comprenait début 2014 les Etats et territoires suivants : Botswana, Brunei,
Guatemala, Iles Marshall, Iles vierges Britanniques, Montserrat, Nauru et Niue, les Bermudes et Jersey en ayant
été retirés en 2014.
Le scénario de la pièce dont nous sommes spectateurs a été le suivant : saisine du Conseil d'Etat pour irrégularité
de la doctrine administrative parce qu'elle se bornait à reprendre le texte de loi (on lui reproche en règle générale,
par le moyen d'un recours pour excès de pouvoir, d'ajouter à la loi).
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Or en matière fiscale, la compétence législative est exclusive, d'où l'intervention d'une QPC (1) (I). Intervient alors
une décision du Conseil constitutionnel en réponse à cette QPC (II). Puis enfin l'annulation par l'arrêt ici commenté
des dispositions contestées du BoFip (III).
I - L'arrêt du Conseil d'Etat du 20 octobre 2014, acte I (CE 9˚ et 10˚ s-s-r., 20 octobre 2014, n˚ 383 259, inédit
au recueil Lebon N° Lexbase : A7126MYL)
L'Association française des entreprises privées (AFEP) et six grandes sociétés françaises ont, dans un premier
temps, formé un recours pour excès de pouvoir assorti d'une QPC à l'encontre des paragraphes 420 à 510 et 650
à 680 des commentaires administratifs publiés au BoFip (BOI-INT-DG-20-50-20 140 211 N° Lexbase : X5852ALC).
Le recours pour excès de pouvoir est celui par lequel il est demandé au juge administratif, a priori le Conseil d'Etat,
de prononcer, de manière exclusive, l'annulation d'un acte administratif au motif que cet acte est illégal, autrement
dit édicté en méconnaissance d'une règle de fond ou de forme qui s'imposait à l'administration.
En matière fiscale, le législateur étant seul compétent, lorsqu'une instruction ou une circulaire ajoute à la loi, et
acquiert ainsi un caractère réglementaire, elle est de ce fait a priori illégale et doit donc être annulée. Ce n'est pas
le cas lorsque l'instruction se borne à donner l'interprétation qu'appelle un texte législatif, le recours pour excès de
pouvoir étant alors irrecevable.
Au cas d'espèce, les commentaires du BoFip se bornent à reprendre le texte législatif et sont attaqués pour cette
raison car ils portent atteinte au principe d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.
Les dispositions législatives dont sont issus les commentaires n'ont pas déjà été déclarés conformes par le Conseil
constitutionnel. La question prioritaire de constitutionnalité sera donc renvoyée au Conseil constitutionnel. Il est sursis à statuer sur le recours pour excès de pouvoir formé par l'AFEP et autres jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel
ait tranché la question de constitutionnalité.
II - La décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier 2015, acte II (Cons. const., 20 janvier 2015, décision
n˚ 2014-437 QPC N° Lexbase : A4823M9I)
Le Conseil constitutionnel reconnaît à la lutte contre la fraude fiscale le caractère d'un principe de valeur constitutionnelle. Ceci étant, il a toujours considéré que ce principe devait être concilié avec d'autres tels que l'égalité
devant la loi et les charges publiques ou encore celui de proportionnalité : toute atteinte portée à l'exercice d'une
liberté fondamentale doit toujours être adaptée, nécessaire et proportionnée à l'objectif de prévention poursuivi.
Il avait déjà rappelé cette nécessaire conciliation dans sa décision n˚ 2013-679 DC du 4 décembre 2013, relative à
la loi portant sur la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (Cons. const., 4
décembre 2013, n˚ 2013-679 DC N° Lexbase : A5483KQ7). L'article 57 de cette loi permettait d'ajouter à la liste des
ETNC les Etats et territoires non membres de l'Union européenne qui n'ont pas conclu avec la France une convention d'assistance administrative dont les stipulations ou la mise en œuvre assurent l'obtention des renseignements
nécessaires par la voie de l'échange sur demande ou automatique, ainsi que les Etats et territoires non membres
de l'UE qui n'ont pas pris l'engagement de mettre en place un échange tant sur demande que par voie automatique
avec la France.
Le Conseil constitutionnel avait jugé que les conséquences qui résultaient des nouveaux critères d'inscription d'un
Etat ou territoire sur cette liste revêtaient, pour les entreprises qui y ont une activité, un caractère disproportionné à
l'objectif poursuivi et étaient de nature à entraîner une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
Les dispositions de l'article 57 de la loi méconnaissaient en conséquence les exigences découlant de l'article 13 de
la DDHC de 1789 (N° Lexbase : L1360A9A).
La clause de sauvegarde, dont l'association et les sociétés requérantes dénonçaient l'absence dans les commentaires administratifs contestés, permet au contribuable de faire la preuve qu'il n'a pas tenté d'échapper à l'impôt.
Nous étions donc, du fait de la loi, devant une présomption irréfragable de fraude fiscale.
Le Conseil constitutionnel avait eu l'occasion, à plusieurs reprises déjà, de juger que de telles présomptions peuvent
porter atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques : l'impôt est en effet déterminé sans lien avec les
facultés contributives (voir par exemple la décision : Cons. const., 29 décembre 2012, n˚ 2012-661 DC N° Lexbase :
A6287IZU) (2)
Au cas d'espèce, les requérants faisaient valoir, par le biais de la QPC, que la différence de traitement instituée par
les dispositions contestées de l'article 145 du CGI entre les sociétés-mères selon que leurs filiales sont établies ou
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non dans un ETNC méconnaît le principe d'égalité devant la loi et les charges publiques, en posant une présomption
irréfragable de fraude fiscale.
Il en est de même pour l'article 39 duodecies, 2, c et l'article 219, I, a sexies (N° Lexbase : L6543K8T) qui régissent
le régime des plus et moins-values sur cession de titres.
Curieusement, le Conseil constitutionnel ne suit pas la démarche des requérants. Il juge "que le grief tiré de la
méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté".
Il considère par ailleurs que "le niveau d'imposition susceptible de résulter, au titre de la loi fiscale française, de
l'application des dispositions contestées n'est pas tel qu'il en résulterait une imposition confiscatoire".
Il formule cependant une réserve d'interprétation, qui est fondamentale pour le contribuable français en raison de
la protection dont il bénéficie au regard de la doctrine administrative, du fait de l'article L. 80 A du LPF (N° Lexbase :
L4634ICM) : le contribuable doit être admis à "apporter la preuve de ce que la prise de participation dans une société
établie dans un Etat ou territoire non coopératif correspond à des opérations réelles qui n'ont ni pour objet, ni pour
effet de permettre dans un but de fraude fiscale, la localisation de bénéfices dans un tel Etat ou territoire".
S'ouvre dès lors l'acte III, c'est-à-dire la décision du Conseil d'Etat du 8 juin 2016 ici commentée.
III - L'acte III et dernier de cette pièce assez originale : l'arrêt principalement commenté du 8 juin 2016
La construction réalisée par ces trois décisions est sophistiquée, sinon bouleversante.
Les mêmes requérants, suite à la décision du Conseil constitutionnel de janvier 2015, ont de nouveau saisi le
Conseil d'Etat en demandant à la Haute assemblée de constater que l'administration ne tenait pas compte dans
ses commentaires de la réserve d'interprétation formulée par le Conseil constitutionnel.
Ils réitèrent leur demande d'annulation des commentaires du BoFip déjà attaqués parce que trop conformes à une
loi contraire aux normes juridiques supérieures.
Ils requièrent également qu'une injonction sous astreinte de modifier les paragraphes en cause soit notifiée à l'administration fiscale.
Rappelons que, de façon inusitée, il est reproché aux commentaires administratifs de ne pas avoir ajouté à la loi,
au cas présent, la possibilité d'une preuve de leur bonne foi.
Pour le Conseil d'Etat, les réserves d'interprétation formulées par le Conseil constitutionnel sont revêtues de l'autorité absolue de la chose jugée. Elles lient en conséquence le juge administratif et donc par définition les services
fiscaux. La doctrine administrative ne peut dès lors plus s'abriter derrière la loi : elle peut être illégale alors même
qu'elle n'apporte rien.
En conséquence, les commentaires du BoFip relatifs à l'imposition des dividendes dans le cadre du régime des
sociétés-mères-filles, qui dénient au contribuable conformément à la loi de faire la preuve que les participations
détenues dans un ETNC correspondent à des opérations réelles et n'ont pas un but de fraude fiscale, doivent être
annulés.
Il en est de même des commentaires administratifs traitant les plus-values de cession de titres.
Le Conseil d'Etat juge en revanche inutile d'enjoindre à l'administration de publier de nouveaux commentaires,
conformes à cette jurisprudence, de façon que la garantie établie par l'article L. 80 A du LPF joue pleinement.
En conclusion, la situation actuelle est la suivante :
Malgré l'arrêt du Conseil d'Etat, le BoFip relatif à l'article 145, publié le 9 juin, tient compte de la réserve de constitutionnalité ; les services ne résistent pas cependant à la tentation de saisir l'occasion pour apporter des conditions
restrictives à la possibilité d'une preuve contraire (implantation physique et cycle commercial complet).
Mais le CGI, donc la loi, avait vu préalablement de son côté certains des articles en cause mis en harmonie avec
la jurisprudence. Ainsi, en est-il de l'article 145, qui concerne le régime des sociétés mères et filiales, qui dispose
dans son 6˚ que le régime de faveur continue de s'appliquer si la société-mère apporte la preuve que les opérations
de la société établie hors de France "correspondent à des opérations réelles qui n'ont ni pour objet, ni pour effet de
permettre, dans un but de fraude fiscale, la localisation des bénéfices dans un Etat ou territoire non coopératif" (loi
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n˚ 2015-1786 du 29 décembre 2015, de finances rectificative pour 2015, art. 29 (V) et 36 N° Lexbase : L1131KWS).
Remarquons pour finir que la réduction des présomptions irréfragables semble une tendance assez générale : la
lutte contre la fraude fiscale ne doit pas tout permettre et cela est plutôt satisfaisant (v. nos obs, Etablissement
stable et pénalité de 80 % pour activité occulte : une avancée de la jurisprudence du Conseil d'Etat, Lexbase, éd.
fisc., n˚ 639, 2016 N° Lexbase : N0825BWH).
(1) Rappelons que la saisine directe du Conseil constitutionnel à l'encontre d'une loi notamment n'est pas possible
pour un citoyen.
(2) Voir également le commentaire de la décision du Conseil constitutionnel en date du 20 janvier 2015.
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Fiscalité des entreprises
[Brèves] Contribution additionnelle à l'IS de 3 % : la CJUE
saisie à propos d'une éventuelle discrimination à rebours
N° Lexbase : N3580BWI
Réf. : CE 3˚ et 8˚ ch. — r., 27 juin 2016, n˚ 398 585, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4270RUP)
et CE 3˚ et 8˚ ch. — r., 27 juin 2016, n˚ 399 024, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4276RUW)
Est renvoyée devant la CJUE une question préjudicielle relative à l'application de la contribution additionnelle à
l'IS, au regard de la Directive 2014/86/UE du 8 juillet 2014 (N° Lexbase : L8345I3H), à l'ensemble des revenus
distribués par une société mère française, y compris aux redistributions de bénéfices provenant de filiales d'autres
Etats membres. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans deux arrêts rendus le 27 juin 2016 (CE
3˚ et 8˚ ch. — r., 27 juin 2016, n˚ 398 585, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4270RUP et
n˚ 399 024, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4276RUW). En effet, pour l'application du régime des sociétés
mères, la France a opté pour le système de l'exonération prévu à l'article 4, paragraphe 1, sous a) de cette Directive.
En l'espèce, la société requérante fait alors valoir que la contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés, qui
s'applique à l'ensemble des revenus distribués par une société mère française, au sens de l'article 3, paragraphe 1,
de la Directive, y compris aux redistributions de bénéfices provenant de filiales d'autres Etats membres, constitue,
en réalité, une imposition différée, entre les mains de la société mère française, de ces bénéfices, alors que ces
derniers ne peuvent pas être imposés en application de l'article 4, paragraphe 1, sous a) de la Directive. Ainsi,
il en résulterait une discrimination à rebours, contraire aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges
publiques. Pour la Haute juridiction, cette question présente une difficulté sérieuse d'interprétation du droit de l'Union
européenne et donc susceptible d'être transmise à la CJUE. En outre, les Hauts magistrats ont précisé que dans
le cas où, à la suite de la décision de la Cour de justice, les requérants présenteraient à nouveau au Conseil
d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée initialement, l'autorité de la chose jugée par la présente
décision ne ferait pas obstacle au réexamen de la conformité à la Constitution du I de l'article 235 ter ZCA du CGI
(N° Lexbase : L3946KW3) (v. CE Ass., 31 mai 2016, n˚ 393 881, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4095RR4)
(cf. l'Encyclopédie "Droit fiscal" N° Lexbase : E9344ETA et le BoFip — Impôts N° Lexbase : X2468AMD).
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La lettre juridique du 7 juillet 2016
Fiscalité des entreprises
[Brèves] Contribution additionnelle à l'IS de 3 % : le Conseil
constitutionnel saisi s'agissant de l'application de cette
mesure
N° Lexbase : N3581BWK
Réf. : CE 3˚ et 8˚ ch. — r., 27 juin 2016, n˚ 399 506, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4277RUX)
Est renvoyée devant le Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative à l'application en
elle-même de la contribution additionnelle à l'IS. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu
le 27 juin 2016 (CE 3˚ et 8˚ ch. — r., 27 juin 2016, n˚ 399 506, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase :
A4277RUX). Au cas présent, la société requérante soutient que le fait de réserver l'exonération de la contribution
aux seules sociétés bénéficiant du régime de l'intégration fiscale méconnaît les principes d'égalité devant la loi et
devant les charges publiques. Elle fait également valoir, d'une part, que la différence de traitement pour l'imposition
des montants distribués entre sociétés d'un groupe dans lequel les participations sont égales ou supérieures à
95 %, fondée sur le fait que les sociétés concernées ont opté ou non pour le régime prévu à l'article 223 A du
CGI (N° Lexbase : L1889KG3), n'est justifiée ni par une différence objective de situation, au regard de l'objet de
la contribution, ni par aucune raison d'intérêt général. Elle soutient que, pour apprécier les facultés contributives
des groupes de sociétés au regard d'un impôt sur les distributions, il n'est pas pertinent de faire prévaloir le cadre
juridique plutôt que des données économiques et financières objectives. Ainsi, elle fait valoir, d'autre part, qu'il existe
une différence de traitement injustifiée, pour l'imposition des montants distribués, entre le cas d'une société mère
ayant opté pour le régime de l'intégration fiscale prévu par l'article 223 A et celui d'une société mère établie dans
un autre Etat membre de l'Union européenne ou dans un Etat tiers, qui remplirait les conditions de détention de
capital prévues par ce même article mais qui ne peut opter pour le régime de l'intégration fiscale. Pour la Haute
juridiction, l'argumentaire de la société requérante justifie le caractère sérieux de la question et, par conséquent, son
renvoi devant les Sages (cf. l'Encyclopédie "Droit fiscal" N° Lexbase : E9344ETA et le BoFip — Impôts N° Lexbase :
X2468AMD).
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Habitat-Logement
[Brèves] Examen des conséquences du refus de l'offre par le
demandeur "DALO" : faculté du juge de prononcer une
injonction malgré la notification de la décision du préfet
N° Lexbase : N3646BWX
Réf. : CE 4˚ et 5˚ ch. — r., 1er juillet 2016, n˚ 398 546, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1908RWL)
La circonstance que le préfet ait notifié au demandeur d'une offre de logement ayant refusé une proposition une
décision de ne plus lui faire d'offre de logement ou d'hébergement est, par elle-même, sans incidence sur la possibilité pour le juge de faire droit à une demande d'injonction. Ainsi statue le Conseil d'Etat dans un avis rendu le
1er juillet 2016 (CE 4˚ et 5˚ ch. — r., 1er juillet 2016, n˚ 398 546, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1908RWL).
Le demandeur reconnu comme prioritaire par une décision de la commission de médiation peut perdre le bénéfice
de cette décision s'il refuse, sans motif impérieux, une offre de logement ou d'hébergement correspondant à ses
besoins et à ses capacités. Lorsque le préfet fait savoir au demandeur que le refus d'une offre de logement ou
d'hébergement lui a fait perdre le bénéfice de la décision de la commission, il doit être regardé comme informant
l'intéressé qu'il estime avoir exécuté cette décision et se trouve désormais délié de l'obligation d'assurer son logement ou son hébergement. Le demandeur qui reçoit une telle information n'est pas recevable à saisir le tribunal
administratif d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision du préfet. En effet, les dispositions de
l'article L. 441-2-3-1 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L3232KWM), par lesquelles le législateur a ouvert aux personnes déclarées prioritaires pour l'attribution d'un logement un recours spécial en vue de
rendre effectif leur droit au logement, définissent la seule voie de droit ouverte devant la juridiction administrative
afin d'obtenir l'exécution d'une décision de la commission de médiation. Il entre dans l'office du juge saisi à ce titre
d'examiner si le refus par le demandeur d'une offre de logement qui lui a été faite lui fait perdre le bénéfice de la
décision de la commission de médiation. La circonstance que le préfet ait notifié à l'intéressé une décision de ne
plus lui faire d'offre de logement ou d'hébergement est, par elle-même, sans incidence sur la possibilité pour le
juge de faire droit à une demande d'injonction présentée sur le fondement de l'article L. 441-2-3-1 précité, même
si cette notification mentionnait un délai de recours et que la demande d'injonction n'a pas été présentée dans le
délai indiqué.
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Licenciement
[Jurisprudence] Alerte sur les lanceurs d'alerte : à propos
d'une décision de la Cour de cassation surnotée !
N° Lexbase : N3547BWB
par Daniel Boulmier, Maître de conférences de droit privé à l'Université de Lorraine — Institut régional du travail
Réf. : Cass. soc., 30 juin 2016, n˚ 15-10.557, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0019RWM)
L'arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 30 juin 2016, ici commenté, traite de la protection
accordée à un salarié qui, ayant dénoncé de bonne foi des faits répréhensibles constatés dans l'entreprise,
a été licencié par l'employeur. Listons rapidement, les domaines dans lesquels une protection du salarié,
dénonçant de bonne foi des faits répréhensibles, est posée par la loi, protection consistant en une règle
de preuve adaptée (1) et en la nullité des mesures prises à son encontre (2). Depuis fort longtemps, bénéficient d'une telle protection les salariés témoins, rapportant des faits de discrimination (3), de harcèlement
moral (4) et de harcèlement sexuel (5). Le législateur français a, entre 2007 et 2015, promulgué six textes
comportant des dispositions au profit de témoins et autres lanceurs d'alerte dans des champs ciblés, alors
que dès 2010 le Conseil de l'Europe préconisait une règlementation globale pour tous les lanceurs d'alerte
(6). Se sont trouvés ainsi protégés, les témoins en matière de corruption (7) et les témoins en matière de
sécurité sanitaire des produits de santé (8) ; se sont trouvés également protégés les lanceurs d'alerte en
matière de santé et d'environnement (9), les lanceurs d'alerte sur des faits constitutifs d'un délit ou d'un
crime (10), les lanceurs d'alerte sur des faits relatifs à une situation de conflit d'intérêt (11) et, enfin, les
lanceurs d'alerte en matière de renseignement (12). Pour que le tableau soit complet, il ne faut pas oublier
la protection spécifique accordée aux travailleurs sociaux ayant "témoigné de mauvais traitements ou privations infligés à une personne accueillie ou relaté de tels agissements", protection posée par l'article L. 313-24
du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L5632HDX) (13) ; mais, sans que l'on comprenne
pourquoi, cette protection est d'un degré moindre que celle concernant les cas précédemment énumérés,
puisqu'elle ne s'accompagne pas de la règle de preuve adaptée et que la réintégration, en cas de nullité du
licenciement, doit être expressément demandée par le salarié (14).
Face à ces textes disparates, ne couvrant chacun qu'un champ restreint, on pouvait alors légitimement s'inquiéter
du sort d'un salarié lanceur d'alerte dans un domaine non visé par la loi, lorsqu'il était sanctionné, alors même que
l'alerte avait été donnée de bonne foi.
Cette inquiétude n'est pas dépourvue de fondement si l'on s'en tient à l'affaire ici commentée, telle qu'elle a été
résolue par la cour d'appel de Basse-Terre (CA Basse-Terre, 13 octobre 2014, n˚ RG 13/00 225 N° Lexbase :
A3397MYH). (I). L'arrêt de la cour d'appel a, certes, été censuré par la Chambre sociale de la Cour de cassation
dans un sens favorable pour le salarié, mais au-delà du cas d'espèce, les sources d'inquiétude n'ont pas, pour
autant, totalement disparues (II). Il reste alors à souhaiter que le travail législatif en cours sur les lanceurs d'alerte
permette, enfin, de placer tous les lanceurs d'alerte dans un environnement propice à l'exercice de leurs missions
salutaires pour la collectivité (III) (15). Espérons que le projet de loi en cours de discussion, relatif à la transparence, à
la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, vienne lever ces restrictions jurisprudentielles
à la protection des lanceurs d'alerte.
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Résumé
Le fait, pour un salarié, de porter à la connaissance du procureur de la République des faits concernant l'entreprise, qui lui paraissent anormaux, qu'ils soient ou non susceptibles de qualification pénale, ne constitue pas, en soi, une faute. Toutefois, la Cour de cassation réserve la nullité de la
sanction, lorsque le salarié a pris connaissance des faits dans l'exercice de ses fonctions et si les
faits, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales.
Observations
I — La cour d'appel de Basse-Terre, peu protectrice des lanceurs d'alerte
Un salarié occupait le poste de directeur administratif et financier de l'association guadeloupéenne de gestion et
de réalisation des examens de santé et de promotion de la santé, association qui a pour mission de gérer le centre
d'examen de santé, structure sanitaire faisant partie du dispositif général de la santé publique en Guadeloupe. Il
est amené à dénoncer au procureur de la République les agissements d'un membre du conseil d'administration et
du président de l'association, agissements qu'il avait, en sa qualité de directeur administratif et financier refusé de
couvrir. Par courrier du 23 octobre 2010, il informe le procureur de la République qu'il avait refusé de payer une
facture de 15 600 euros présentée par le responsable médical de l'association, lequel n'avait jamais tenu le rôle qui
aurait dû être le sien, et qu'avec le soutien actif du président de l'association il s'était fait nommer directeur de la
structure avec toutes les compétences, notamment financières. Il fait également savoir que le président de l'association insistait pour créer un emploi fictif à temps plein à 5 800 euros bruts sur quatorze mois pour le responsable
médical, et faisait état de tentative d'escroquerie ou d'extorsion de fonds à l'encontre de l'association, en se servant
de sa signature.
Après notification d'une mise à pied conservatoire, le salarié est licencié par lettre du 29 mars 2011, pour faute
lourde. Il saisit alors le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre en nullité de son licenciement et en paiement
de diverses sommes à titre d'indemnités et de rappels de salaire. Par jugement du 22 janvier 2013, le salarié est
débouté de l'ensemble de ses demandes et condamné aux dépens ; il relève appel de ce jugement.
La cour d'appel de Basse-Terre admet que l'intervention du salarié "repose sur des faits qui effectivement sont
susceptibles de constituer des infractions pénales" et que sa bonne foi ne peut être mise en doute. Elle signale
alors que "l'article L. 1132-3-3 du Code du travail (N° Lexbase : L9414IYC) dispose qu'aucune personne ne peut,
notamment, être sanctionnée, licenciée ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir relaté ou témoigné,
de bonne foi, des faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses
fonctions" ; toutefois, elle émet une réserve d'importance puisqu'elle observe que, si le licenciement du salarié ne
peut être considéré comme fondé sur une cause réelle et sérieuse, "la nullité de ce licenciement ne peut être
prononcée. En effet, les dispositions de l'article L. 1132-3-3 du Code du travail résultent de la loi n˚ 2013-1117 du 6
décembre 2013 (article 35) (N° Lexbase : L6136IYW), et n'étaient pas applicables à l'époque du licenciement" (16).
En outre, la cour d'appel écarte l'application de l'article L. 1161-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0763H97), ce
texte portant uniquement sur la dénonciation ou le témoignage de faits de corruption, ce dont ne relevaient pas les
comportements portés à la connaissance du procureur de la République.
Apparaît alors ici en pleine lumière l'inconséquence du législateur qui, depuis 2007, agit par petits pas sur la question
des lanceurs d'alerte, se refusant à une protection générale. Si le salarié avait lancé son alerte après le 6 décembre
2013, la cour d'appel indique en creux qu'elle lui aurait accordé la nullité de la rupture au titre de l'article L. 1132-3-3
du Code du travail ; il n'est pas bon d'être lanceur d'alerte trop tôt, hors des chemins déjà balisés par le législateur
(17).
II — La Chambre sociale de la Cour de cassation, restrictivement protectrice des lanceurs d'alerte
Saisie d'un pourvoi par le salarié, l'employeur ayant formé un pourvoi incident, la Chambre sociale de la Cour de
cassation vient donc de se prononcer, par un arrêt du 30 juin 2016 dont la quadruple distinction entend marquer
l'importance (18), si tant est que l'arrêt soit si important.
Dans son pourvoi incident, l'employeur reprochait à la cour d'appel d'avoir qualifié la rupture comme étant sans
cause réelle et sérieuse avec toutes les conséquences indemnitaires attachées. La Cour de cassation balaye les
arguments de l'employeur qui persistait à voir dans le comportement du salarié une faute grave ; elle décide que
"le fait pour un salarié de porter à la connaissance du procureur de la République des faits concernant l'entreprise
qui lui paraissent anormaux, qu'ils soient ou non susceptibles de qualification pénale, ne constitue pas en soi une
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La lettre juridique du 7 juillet 2016
faute" (19). Deux conditions pour écarter la notion même de faute. Tout d'abord, il peut être fait état, par le salarié
lanceur d'alerte, de faits, dès lors que ces faits lui "paraissent" anormaux ; les faits peuvent donc se relever au final
"normaux", sans que le lanceur d'alerte puisse être inquiété. Ensuite, les faits, dont il est fait état, ne doivent pas
nécessairement relever d'une qualification pénale.
Le pourvoi principal du salarié porte également sur la qualification de la rupture, telle que retenue par la cour d'appel
de Basse-Terre (20), mais en ce qu'elle en écarte la nullité. La Cour de cassation censure cette décision au visa
de l'article 10 §b1 de la Convention EDH (N° Lexbase : L4743AQQ) (21), article selon lequel "toute personne a
droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer
des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de
frontière".
Elle pose, tout d'abord, le principe selon lequel "en raison de l'atteinte qu'il porte à la liberté d'expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail,
le licenciement d'un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance
dans l'exercice de ses fonctions et qui, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales,
est frappé de nullité".
Puis, appliquant ce principe aux faits de l'espèce, elle reproche à la cour d'appel d'avoir écarté la nullité de la
rupture, après avoir retenu que l'article L. 1132-3-3 du Code du travail n'était pas applicable à l'époque des faits,
que l'article L. 1161-1 du même code était sans rapport avec les faits dénoncés, et qu'aucun autre texte applicable
ne prévoyait la nullité, alors que "le licenciement était motivé par le fait que le salarié, dont la bonne foi ne pouvait
être mise en doute, avait dénoncé au procureur de la République des faits pouvant être qualifiés de délictueux
commis au sein de l'association".
La solution est, à première vue, intéressante, car elle semble immuniser les lanceurs d'alerte par la nullité des décisions prises à leur encontre, même en l'absence de texte spécifique les protégeant, l'article 10 § 1 de la Convention
EDH étant brandi comme "le" texte de protection des lanceurs d'alerte ; mais après analyse, la solution est fortement
restrictive.
Dans le principe qu'elle énonce, la Cour de cassation réaffirme que l'alerte doit avoir été faite de "bonne foi", ceci
est en continuité de sa jurisprudence adoptée en matière de témoignage (22). Toutefois, une interrogation doit
être soulevée quant à l'étendue du principe, posant la nullité de la décision prise à l'encontre d'un salarié lanceur
d'alerte. En effet, la Cour de cassation se réfère à des "faits dont il [le salarié] a eu connaissance dans l'exercice
de ses fonctions et qui, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales". Est-ce à
dire, alors, que, si le salarié faisait état de faits, dont il aurait eu connaissance "hors de ses fonctions" et/ou si les
faits rapportés n'étaient pas de "nature à caractériser des infractions pénales", la nullité serait écartée ? Si c'est
cette interprétation qu'il faut retenir -et la note explicative accompagnant l'arrêt va dans ce sens-, l'arrêt perd alors
beaucoup de l'importance que lui accorde sa quadruple distinction, importance que les médias se sont empressés
de relayer, certainement un peu trop vite, dès le 30 juin 2016.
L'immunité du salarié lanceur d'alerte, telle que posée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, est alors loin
d'être systématique, puisque ne concernant que les cas où les faits sont connus dans l'exercice des fonctions du
salarié (23) et si les faits sont de nature pénale ; dans tous les autres cas, dès lors que la bonne foi sera également
admise, la rupture en répression de l'alerte sera seulement sans cause réelle et sérieuse !
III — Le travail législatif en cours, un espoir pour tous les lanceurs d'alerte
Comme nous l'avons déjà précisé, l'incertitude actuelle sur la protection d'un salarié lanceur d'alerte, réside dans le
fait que le législateur français n'a pas, d'emblée, fait le choix de protéger les lanceurs d'alerte en général, comme
le recommande le Conseil de l'Europe. Le Conseil d'Etat, dans son étude précitée sur les lanceurs d'alerte, a
relevé le manque de cohérence des dispositifs en vigueur (24) et formulé quinze propositions. Le projet de loi,
relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, adopté par
l'Assemblée nationale le 14 juin 2016, qui puise dans les propositions du Conseil d'Etat, et dont la discussion
s'est poursuivie au Sénat le 4 juillet 2016 (25), introduit des dispositions applicables à tous les lanceurs d'alerte,
quel que soit le fondement de l'alerte. Ce "statut" général de lanceurs d'alerte entraînera alors l'abrogation des
multiples textes spécifiques aux témoins et lanceurs d'alerte adoptés depuis 2007 (26), et que nous avons listés
en introduction. Nous sommes toutefois étonné que l'article L. 313-24 du Code de l'action sociale et des familles,
propre aux témoignages des travailleurs sociaux et dont la protection est insuffisante, ne soit pas lui-même abrogé ;
mais, nul doute que les travailleurs sociaux pourront pleinement revendiquer le bénéfice des nouvelles dispositions
générales propres aux lanceurs d'alerte, en lieu et place de l'article L. 313-24.
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En conclusion, il nous faut confronter la définition du lanceur d'alerte posée par le projet de loi précité, avec la
solution adoptée par la Cour de cassation dans son arrêt du 30 juin 2016. Selon le projet de loi, est un lanceur
d'alerte "une personne qui révèle, dans l'intérêt général et de bonne foi, un crime ou un délit, un manquement grave
à la loi ou au règlement, ou des faits présentant des risques ou des préjudices graves pour l'environnement ou
pour la santé ou la sécurité publiques, ou qui témoigne de tels agissements" (27). Il ressort alors de cette définition,
que la connaissance des faits révélés par le lanceur d'alerte ne doit pas nécessairement trouver sa source dans
"l'exercice de ses fonctions" et que les faits révélés ne doivent pas nécessairement être de "nature à caractériser
des infractions pénales". De ce strict point de vue, le projet de loi assure une protection des lanceurs d'alerte plus
large que ne le fait la jurisprudence que vient d'initier la Chambre sociale de la Cour de cassation. Toutefois, pour
en arriver à cette évolution souhaitée, il faut, bien évidemment, attendre que la loi soit finalement adoptée en ces
termes (28).
(1) Le salarié présente des éléments de faits laissant supposer que la sanction est consécutive au témoignage ou à
l'alerte ; il incombe alors à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers
au témoignage ou à l'alerte.
(2) Ce qui, en cas de licenciement, implique la réintégration du salarié et les conséquences financières qui y sont
attachées.
(3) C. trav., art. L. 1132-3 (N° Lexbase : L0678H9Y).
(4) C. trav., art. L. 1152-2 (N° Lexbase : L8841ITM).
(5) C. trav., art. L. 1153-3 (N° Lexbase : L8843ITP).
(6) "La définition des révélations protégées doit inclure tous les avertissements de bonne foi à l'encontre de divers
types d'actes illicites, y compris toutes les violations graves des droits de l'homme, qui affectent ou menacent la
vie, la santé, la liberté et tout autre intérêt légitime des individus en tant que sujets de l'administration publique ou
contribuables, ou en tant qu'actionnaires, employés ou clients de sociétés privées", Conseil de l'Europe, Assemblée
parlementaire, recommandation 1729 (2010), spéc. pt. 6.1.1.
(7) Loi n˚ 2007-1598 du 13 novembre 2007, relative à la lutte contre la corruption (N° Lexbase : L2607H3X), JO, 14
novembre 2007, p. 18 648 ; C. trav., art. L. 1161-1 (N° Lexbase : L0763H97).
(8) Loi n˚ 2011-2012 du 29 décembre 2011, relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et
des produits de santé (N° Lexbase : L5048IRE), JO, 30 décembre 2011, p. 22 667 ; C. santé publ., art. L. 5312-4-2
(N° Lexbase : L6582IR9).
(9) Loi n˚ 2013-316 du 16 avril 2013, relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement
et à la protection des lanceurs d'alerte (N° Lexbase : L6336IWL), JO, 17 avril 2013, p. 6465 ; C. santé publ., L. 1351-1
(N° Lexbase : L6385IWE).
(10) Loi n˚ 2013-907 du 11 octobre 2013, relative à la transparence de la vie publique (N° Lexbase : L3622IYS),
JO, 12 octobre 2013, p. 16 829 ; C. trav., art. L. 1132-3-3 (N° Lexbase : L9414IYC).
(11) Loi n˚ 2013-1117 du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance
économique et financière (N° Lexbase : L6136IYW), JO, 7 décembre 2013, p. 19 941 ; spéc. art. 25.
(12) Loi n˚ 2015-912 du 24 juillet 2015, relative au renseignement (N° Lexbase : L9309KBE), JO, 26 juillet 2015, p.
12 735 ; C. sécu. int., L. 861-3 (N° Lexbase : L0812KC3).
(13) Ce texte prend sa source dans la loi n˚ 2001-1066 du 16 novembre 2001, relative à la lutte contre les discriminations (N° Lexbase : L9122AUE), JO, 17 novembre 2016, p. 18 311.
(14) V. nos obs., Les lanceurs d'alerte dans les établissements et services sociaux et médicaux-sociaux (à propos
de l'article L. 313-24 du Code de l'action sociale et des familles N° Lexbase : L5632HDX), RDSS, 3/2015, p. 488 ;
nos obs., Le leurre de la protection des travailleurs sociaux en cas de dénonciation d'actes de maltraitance (à propos
de l'article L. 313-24 du Code de l'action sociale et des familles), RDSS, 2006, 992 ; nos obs., Le témoignage de
mauvais traitements : du bon usage de l'article L. 313-24 du Code de l'action sociale et des familles , RDSS, 2008,
126.
(15) Le Conseil d'Etat n'a-t-il pas précisé dans l'introduction à son rapport d'avril 2016 (CE, Le droit d'alerte, signaler ;
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traiter ; protéger, 12 avril 2016) que : "le lanceur d'alerte n'est ni un dissident, qui s'opposerait radicalement à une
collectivité, ni un partisan de la désobéissance civile, qui revendiquerait une contre-légitimité'. Il n'est pas non plus
un délateur ou un sycophante, qui agirait dans son intérêt personnel, ni un calomniateur, qui chercherait à nuire ou
à jeter l'opprobre. Le lanceur d'alerte signale, de bonne foi, librement et dans l'intérêt général, de l'intérieur d'une
organisation ou de l'extérieur, des manquements graves à la loi ou des risques graves menaçant des intérêts publics
ou privés, dont il n'est pas l'auteur".
(16) CA Basse-Terre, 13 octobre 2014, n˚ RG 13/00 225 (N° Lexbase : A3397MYH).
(17) V., pour un tout autre domaine, l'affaire "Cahuzac" et le rejet par le juge du statut de lanceur d'alerte au profit
d'Olivier Thérondel (ancien agent de la cellule antiblanchiment Tracfin, Libération, 16 mai 2014), au motif que ce
statut a été consacré postérieurement aux faits, le 6 décembre 2013 (loi n˚ 2013-1117 du 6 décembre 2013, relative
à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, préc.). On pense également, à
l'affaire "Téfal", dans laquelle l'inspectrice du travail et le lanceur d'alerte sont condamnés au pénal : voir la presse
début décembre 2015 ; SSL, n˚ 1705, 11 janvier 2016, p. 11. On pense encore, plus récemment, à la condamnation
à douze mois de prison et 1 500 euros d'amende, d'Antoine Deltour à l'origine de l'affaire "LuxLeaks", v. la presse,
juin 2016.
(18) L'arrêt est marqué FS-P+B+R+I.
(19) Déjà en ce sens : Cass. soc., 14 mars 2000, n˚ 97-43.268 (N° Lexbase : A6362AGQ), Bull. civ. V, n˚ 104.
(20) Le pourvoi du salarié portait également sur une autre question qui ne sera pas ici traitée, il s'agissait d'une
demande en rappel de salaires liée à la requalification en temps plein de son contrat de travail à temps partiel.
(21) Dans la note explicative qui accompagne l'arrêt, il est directement fait état des jurisprudences de la CEDH
"qui considèrent que les sanctions prises à l'encontre de salariés ayant critiqué le fonctionnement d'un service ou
divulgué des conduites ou des actes illicites constatés sur leur lieu de travail constituent une violation à leur droit
d'expression au sens de l'article 10 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des
libertés fondamentales (N° Lexbase : L4743AQQ)" (CEDH, 18 octobre 2011, n˚ 10 247/09) ; CEDH, 12 février 2008,
n˚ 14 277/04 N° Lexbase : A7465D4A).
(22) Cass. soc., 14 mars 2000, n˚ 97-43.268 (N° Lexbase : A6362AGQ), Bull. civ. V, n˚ 104 ; Cass. soc., 22 février
2006, n˚ 03-43.369, F-D (N° Lexbase : A1723DN7) ; Cass. soc., 10 mars 2009, n˚ 07-44.092, FP-P+B+R (N° Lexbase : A7131EDH), Bull. civ. V, n˚ 66 ; Cass. soc., 7 février 2012, n˚ 10-18.035, FP-P+B+R (N° Lexbase : A3661ICL),
Bull. civ. V, n˚ 55 : dans ce dernier arrêt la Cour de cassation précise que "la mauvaise foi [...] ne peut résulter que
de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce".
(23) Cette réserve est surprenante puisque, précisément, il n'est pas fait application de l'article L. 1132-3-3 du Code
du travail précité. Cette référence "aux fonctions" du salarié, rappelle la jurisprudence restrictive de cette même
Chambre sociale en matière de recevabilité des pièces de l'entreprise produites comme preuve dans un procès
prud'homal, le salarié devant en avoir "eu connaissance à l'occasion de ses fonctions" : Cass. soc., 30 juin 2004, n˚
02-41.720, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8130DC4), Bull. civ. V, n˚187 ; nos obs., Vol de documents, mais hold-up
sur les droits d'agir, JSL, n˚ 157, p. 4.
(24) CE, Le droit d'alerte, signaler ; traiter ; protéger, préc., spéc. p. 46.
(25) TA Sénat, n˚ 691, 15 juin 2016.
(26) A l'exception de l'article L. 861-3 du Code de la sécurité intérieure, qui est modifié pour tenir compte de la loi
nouvelle.
(27) TA Sénat n˚ 691, préc., art. 6A.
(28) En effet, le Sénat se montre particulièrement réticent au volet "lanceurs d'alerte" de ce projet de loi, texte
qui, pourtant, participerait grandement, en sécurisant les lanceurs d'alerte, à améliorer la transparence dont notre
démocratie fait encore cruellement défaut.
p. 30
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La lettre juridique du 7 juillet 2016
Décision
Cass. soc., 30 juin 2016, n˚ 15-10.557, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0019RWM).
Cassation partielle (CA Basse-Terre, 13 octobre 2014, n˚ RG 13/00 225 N° Lexbase : A3397MYH).
Texte visé : CESDH, art. 10 § 1 (N° Lexbase : L4743AQQ).
Mots-clés : lanceurs d'alerte ; nullité du licenciement.
Lien base : (N° Lexbase : E9239ESY).
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p. 31
La lettre juridique du 7 juillet 2016
Licenciement
[Brèves] Nullité du licenciement d'un lanceur d'alerte : la
Cour de cassation se prononce pour la première fois
N° Lexbase : N3532BWQ
Réf. : Cass. soc., 30 juin 2016, n˚ 15-10.557, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0019RWM)
En raison de l'atteinte qu'il porte à la liberté d'expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les
conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d'un salarié prononcé pour
avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions et qui,
s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est atteint de nullité. Telle est la solution
dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 30 juin 2016 (Cass. soc., 30 juin
2016, n˚ 15-10.557, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0019RWM et les obs. de D. Boumier, Lexbase, éd. soc., n˚ 662,
2016 N° Lexbase : N3547BWB ; sur les sanctions prises à l'encontre de salariés ayant critiqué le fonctionnement
d'un service ou divulgué des conduites ou des actes illicites constatés sur leur lieu de travail et constituant une
violation à leur droit d'expression, voir CEDH, 18 octobre 2011, n˚ 10 247/09 et CEDH, 12 février 2008, n˚ 14 277/04
N° Lexbase : A7465D4A ; sur la nullité du licenciement ou de toute mesure de rétorsion portant atteinte à une liberté
fondamentale du salarié, voir Cass. soc., 6 février 2013, n˚ 11-11.740, FP-P+B+R N° Lexbase : A6281I7R et Cass.
soc., 29 octobre 2013 n˚ 12.22-447, FS-P+B N° Lexbase : A8165KNQ).
M. X a été engagé en qualité de directeur administratif et financier par une association ayant pour mission de gérer
le centre d'examen de santé, partie intégrante du dispositif général de la santé publique en Guadeloupe. Après avoir
dénoncé au procureur de la République les agissements d'un membre du conseil d'administration et du président
de l'association, il a été licencié pour faute lourde. Il a saisi la juridiction prud'homale, notamment en nullité de son
licenciement.
La cour d'appel a jugé que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse aux motifs que le fait de porter
à la connaissance du procureur de la République des faits concernant l'entreprise qui lui paraissent anormaux,
qu'ils soient au non susceptibles de qualification pénale, ne constitue pas en soi une faute, la bonne foi du salarié
ne pouvant être mise en cause. Elle a, en revanche, refusé d'annuler le licenciement, considérant que la nullité ne
pouvait être prononcée, en l'absence de texte la prévoyant, puisque les articles L. 1132-3-3 (N° Lexbase : L9414IYC)
et L. 1132-4 (N° Lexbase : L0680H93) du Code du travail, issus de la loi n˚ 2013-1117 du 6 décembre 2013 (lutte
contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière N° Lexbase : L6136IYW), n'étaient pas
applicables au moment de la dénonciation des faits ayant donné lieu au licenciement. Le salarié s'est alors pourvu
en cassation.
En énonçant la règle susvisée pour la première fois, la Haute juridiction censure l'arrêt de la cour d'appel au visa
l'article 10 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase :
L4743AQQ) (cf. l'Encyclopédie "Droit du travail" N° Lexbase : E9239ESY).
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Licenciement
[Brèves] Demande de validation d'un accord collectif fixant le
contenu d'un PSE : de l'irrégularité de la consultation du
CHSCT n'ayant pas disposé des informations utiles pour se
prononcer en toute connaissance de cause sur l'opération
projetée
N° Lexbase : N3566BWY
Réf. : CE 4˚ et 5˚ ch. — r., 29 juin 2016, n˚ 386 581, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3189RWZ)
Lorsque l'autorité administrative est saisie d'une demande de validation d'un accord collectif ou d'homologation d'un
document unilatéral fixant le contenu d'un PSE pour une opération qui, parce qu'elle modifie de manière importante
les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail des salariés de l'entreprise, requiert la consultation
du ou des CHSCT concernés, elle ne peut légalement accorder la validation ou l'homologation demandée que si
cette consultation a été régulière. Il appartient à l'administration de s'assurer, en tenant compte des conditions dans
lesquelles l'expert le cas échéant désigné a pu exercer sa mission, que le ou les CHSCT concernés ont pu, lorsque
leur consultation est requise, se prononcer sur l'opération projetée en toute connaissance de cause. Lorsque sa
consultation est requise, le CHSCT peut, au cours de la procédure d'information et de consultation préalable à la
transmission d'une demande de validation ou d'homologation relative à un PSE, saisir l'autorité administrative de
toute atteinte à l'exercice de sa mission ou de celle de l'expert qu'il a le cas échéant désigné, en formulant, selon
le cas, une demande d'injonction ou une contestation relative à l'expertise. L'autorité administrative doit, dans les
deux cas, se prononcer dans un délai de cinq jours et doit, si elle prononce une injonction sur le fondement de
l'article L. 1233-57-5 (N° Lexbase : L0642IX3) de ce code, en informer le CHSCT qui l'a saisie ainsi que le comité
d'entreprise et, en cas de négociation d'un accord mentionné à l'article L. 1233-24-1 (N° Lexbase : L0630IXM), les
organisations syndicales représentatives. Telle est la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le
29 juin 2016 (CE 4˚ et 5˚ ch. — r., 29 juin 2016, n˚ 386 581, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3189RWZ).
En l'espèce, dans le cadre d'une réorganisation de la société X comportant la suppression de 32 de ses 493 emplois,
la DIRECCTE a, par une décision du 13 janvier 2014, d'une part validé l'accord collectif relatif au PSE et, d'autre
part, homologué la décision unilatérale de l'employeur fixant le nombre de licenciements et la pondération des
critères d'ordre des licenciements.
Pour annuler la décision de la DIRECCTE, la cour administrative d'appel s'est fondée sur l'irrégularité de la procédure d'information et de consultation conduite par l'employeur, en raison des vices ayant entaché la consultation
du CHSCT de l'établissement de Caen de la société X. A la suite de cette décision, la société X et le ministre du
Travail, de l'Emploi et du Dialogue social se sont pourvus en cassation.
En énonçant la règle susvisée, le Conseil d'Etat rejette leur pourvoi (cf. l'Encyclopédie "Droit du travail" N° Lexbase :
E9334ESI et N° Lexbase : E9339ESP).
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Maritime
[Jurisprudence] La portée d'une SCOPIC dans une
convention d'assistance maritime Lloyd's Open Form
N° Lexbase : N3535BWT
par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des
contrats spéciaux"
Réf. : Cass. com., 14 juin 2016, n˚ 14-28.966, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7820RSG)
Les décisions de la Cour de cassation en matière d'assistance maritime sont rares. Encore plus quand
elles s'intéressent aux mécanismes contractuels auxquels les parties peuvent avoir recours, notamment
la SCOPIC (Special Compensation P & I Clause), comme c'est le cas de l'arrêt rendu le 14 juin 2016 par la
Chambre commerciale de la Cour de cassation.
Le 26 juin 2007, le navire Athena a chaviré en rade de Pointe Noire, au Congo, et s'est posé sur le lit de la mer
à douze mètres de profondeur. Afin de tenter de sauver le navire et d'éviter un accident écologique, l'armateur a conclu avec une société d'assistance maritime un contrat d'assistance dit Lloyd's Open Form (LOF),
aujourd'hui devenu le principal contrat régissant l'assistance. Ce contrat incluait une SCOPIC. Invoquant
cette clause, l'assistant a obtenu le 3 juillet 2007 une garantie de paiement d'une indemnité de 3 millions de
dollars du P & I Club auquel l'armateur était affilié pour la prise en charge des risques liés à l'exploitation
du navire, les dommages de pollution et les frais de retirement d'épave. Le 6 août 2007, les soutes ont été
récupérées et l'assistance s'est poursuivie pour tenter de redresser le navire. Estimant le risque écologique
écarté, l'armateur a mis fin à l'application de la SCOPIC le 4 septembre 2007. Le lendemain, l'assistant a
cessé son assistance en raison de l'absence de perspective d'un résultat utile. Les assureurs corps de
l'armateur lui ont réglé la valeur agréée du navire au cours du mois d'octobre 2007. Le P & I Club, subrogé
dans les droits de l'armateur et soutenant que la part des frais engagés pour préserver le navire devait
être prise en charge par les assureurs corps, a assigné ces derniers en paiement de ces dépenses et de la
rémunération du Special Casualty Representative désigné pour suivre les opérations d'assistance.
Débouté par la cour d'appel de Paris (1), le Club s'est pourvu en cassation. Son long moyen, qu'il est inutile de
détailler ici, n'a pas convaincu la Chambre commerciale, qui rejette le pourvoi, avec substitution de motif. Le raisonnement de la Cour se développe en quatre étapes :
— elle relève que l'indemnité spéciale de l'article 14 vise toutes les dépenses, sans distinguer celles engagées pour
préserver le navire de celles engagées pour préserver l'environnement ;
— elle relève également que le contrat d'assurance sur corps conclu par l'armateur excluait de la garantie l'indemnité
spéciale due en vertu de l'article 14 ou en vertu de toute autre disposition de portée semblable ;
— elle estime que la SCOPIC a une portée semblable à celle de l'article 14, "en ce qu'elle permet d'allouer à
l'assistant, même en l'absence de résultat utile, une indemnité qui couvre l'ensemble des dépenses engagées sans
opérer de distinction entre celles engagées pour sauver le navire et celles engagées pour éviter un dommage à
l'environnement" ;
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— elle conclut que l'indemnité payée en vertu de la SCOPIC est exclue de la garantie de l'assureur corps.
Il est intéressant de remarquer dès à présent que la Cour de cassation rejette le pourvoi, tout en retenant une
solution fort différente, du point de vue de la portée de la SCOPIC, de l'arrêt d'appel.
L'arrêt ne pouvant être correctement appréhendé qu'au regard de l'origine et la raison d'être de la SCOPIC, encore
faut-il les rappeler (I), avant de discuter le bien-fondé de la solution en ce qu'elle considère que cette clause a une
portée semblable à l'article 14 (II).
I — La Special Compensation P & I Clause
L'assistance maritime est l'opération entreprise pour assister un navire, ou un engin assimilé, en danger. Contrairement au sauvetage en mer, qui concerne l'aide aux personnes, l'assistance maritime vise les biens, c'est-à-dire
le navire et sa cargaison. S'agissant d'une aide portée aux biens, il est considéré que l'assistant a droit à une
rémunération, afin d'inciter les bonnes volontés (2).
Mais traditionnellement, la rémunération de l'assistant est subordonnée à un résultat utile. En d'autres termes, si
l'assistance n'a pas permis de sauver, au moins partiellement, le navire et/ou sa cargaison, l'assistant n'aura pas
droit à rémunération, quels que soient les efforts déployés : c'est la règle No cure, no pay (3).
L'effet pervers de cette règle est double (4). D'une part, il y a le risque que l'assistant, voyant que le navire et
la marchandise transportée sont condamnés, soit dissuadé d'agir puisque ses perspectives de rémunération sont
obérées. D'autre part, la récompense étant plafonnée à la valeur des biens sauvés (C. transp., art. L. 5132-4, III
N° Lexbase : L4306IQK), l'assistant peut être tenté de ne pas déployer tous les efforts possibles, en fonction de
leur coût. Or, si le navire ou sa cargaison présentent un risque pour l'environnement, la règle No cure, no pay peut
se révéler particulièrement problématique.
Ainsi qu'il fut justement relevé, "l'approche de l'assistance a changé, la protection de l'environnement passe désormais avant celle des biens transportés" (5). La Convention de Londres du 28 avril 1989 prévoit, dans son article 14,
que "si l'assistant a effectué des opérations d'assistance à l'égard d'un navire qui par lui-même ou par sa cargaison menaçait de causer des dommages à l'environnement [...], il a droit de la part du propriétaire du navire à une
indemnité spéciale équivalant à ses dépenses", même en l'absence de résultat utile (6). L'intention était louable,
mais a rapidement montré ses limites. En particulier, la notion de dommage à l'environnement était trop sujette à
discussion, la Convention y voyant des "préjudices matériels importants" (art. 1.d). Or, par définition, il n'est possible
de savoir si le préjudice est important qu'après sa survenance, ce qu'a précisément pour but d'éviter l'assistance...
Aussi, les assistants et les P & I Clubs, ces derniers étant assureurs de responsabilité civile de l'armateur, ont-ils
imaginé la SCOPIC. Cette clause, qui a pour but de se substituer à l'indemnité de l'article 14, permet à l'assistant,
même en l'absence de résultat utile, de percevoir une rémunération couvrant au moins tous ses frais. Il y a ainsi
deux hypothèses concevables. Soit l'assistance est couronnée de succès. L'assistant a alors droit à rémunération,
qui sera versée par l'assureur corps. Soit l'assistant n'obtient aucun succès. Il sera alors payé par le P & I Club,
sur la base de la SCOPIC. La sécurité pour l'assistant est renforcée par le fait qu'une garantie de paiement de
la rémunération SCOPIC doit être fournie par le Club, dans les deux jours de la notification de la soumission des
opérations à la SCOPIC. Cette garantie est d'un montant de 3 millions de dollars.
Enfin, il convient de préciser que la SCOPIC est un système de rémunération basé sur un barème journalier, pour
chaque type de matériel employé par l'assistant au cours de l'opération (7). Par conséquent, plus l'application
de la SCOPIC dure dans le temps, plus la somme à verser sera élevée. C'est la raison pour laquelle l'assisté,
comme l'assistant, peut mettre fin aux opérations couvertes par la SCOPIC, ce qu'avait fait l'armateur dans l'espèce
considérée.
II — Une solution discutable sur la portée de la SCOPIC
L'arrêt est parfaitement fondé sur un point : c'est lorsqu'il affirme que l'indemnité de l'article 14 de la Convention de
Londres, de même que la SCOPIC, visent toutes les dépenses, sans opérer de distinction entre celles engagées
pour sauver le navire et celles engagées pour éviter un dommage à l'environnement. C'est effectivement le cas,
et cela se comprend aisément. En effet, il est particulièrement difficile, en pratique, de distinguer les opérations (et
donc les dépenses) motivées par la volonté de sauver le navire et celles visant à protéger l'environnement. L'espèce
même soumise à la Chambre commerciale en constitue un exemple révélateur. L'assistant a récupéré les soutes.
Une telle opération, qui consiste à pomper le carburant présent dans le navire assisté, peut se justifier par la volonté
d'éviter un dommage à l'environnement, mais aussi par le souci d'alléger le navire assisté, pour pouvoir l'empêcher
de sombrer, ou tenter de le remonter à la surface. Il n'est donc pas judicieux de distinguer entre les dépenses
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engagées pour le navire et celles engagées pour l'environnement (8). Dès lors, la demande du P & I Club, qui
soutenait que la part des frais engagés pour préserver le navire devait être prise en charge par les assureurs corps,
ne pouvait aboutir.
En revanche, l'arrêt est plus critiquable lorsqu'il considère que la SCOPIC a une portée semblable à celle de l'article
14. Malgré le rejet du pourvoi, la Cour de cassation dément sur ce point l'arrêt de la cour d'appel de Paris. Cette
dernière avait en effet estimé que la SCOPIC ne pouvait être réduite à l'indemnité de l'article 14, par un argument
qui mérite d'être ici reproduit : "la clause SCOPIC a pour objet, d'une part, d'améliorer les conditions de calcul de
l'indemnité spéciale, d'autre part, d'étendre ses conditions d'application à toutes circonstances et non plus seulement en cas de dommage environnemental ; [...] elle rémunère L'habileté et les efforts des assistants pour sauver
le navire, les autres biens et les vies humaines', visé par l'article 13, non pas à l'once des résultats mais à celui
des efforts et de l'investissement déployés ; [...] dès lors, sa portée, puisqu'elle tend au sauvetage des biens, des
personnes et non plus seulement à préserver l'environnement, ne saurait être assimilée à celle de l'article 14 limitée
à l'environnement".
Très judicieusement, la cour de Paris avait remarqué que la SCOPIC va plus loin que l'indemnité de l'article 14. Non
seulement, elle est rédigée de manière très précise, établissant un barème des frais liés aux ressources humaines
et matérielles : il suffit de constater que la SCOPIC 2014 se compose de 16 articles, enrichis par des annexes. En
outre, la SCOPIC, contrairement à ce que pourrait laisser penser son origine, n'est pas limitée aux hypothèses de
dommages environnementaux. Elle peut ainsi jouer pour l'assistance à un navire ne menaçant pas l'environnement
(9). L'explication en est, encore une fois, qu'il est difficile de faire le départ entre les opérations et dépenses qui
concernent le navire et celles qui concernent l'environnement.
Il nous semble donc inexact de considérer que la SCOPIC a une portée semblable à celle de l'article 14.
Néanmoins, il faut souligner que le résultat auquel aboutit la Cour de cassation n'est pas choquant : le P & I Club,
subrogé dans les droits de l'armateur, ne peut se retourner contre l'assureur corps du navire, en raison de la clause
excluant la garantie de ce dernier pour l'indemnité spéciale de l'article 14 ou toute autre disposition de portée
semblable. Dès lors, l'indemnité SCOPIC pèsera sur le Club, et non sur l'assureur corps. Or, il est incontestable
que c'est là l'esprit même de la SCOPIC, créée à l'initiative entre autres des P & I Clubs : c'est à l'assureur corps
de verser la rémunération "normale" de l'assistance en cas de résultat utile (puisqu'il assure le navire), et c'est au
Club de verser les indemnités de l'article 14 ou celles résultant d'une SCOPIC (10).
(1) CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 11 septembre 2014, n˚ 12/05 684 (N° Lexbase : A3238MWT), DMF, 2014. 982, obs.
J. — F. Rebora.
(2) En effet, contrairement au sauvetage, l'assistance n'est pas obligatoire, sauf pour le navire abordeur, lorsque le
péril est la conséquence de l'abordage (C. transp., art. L. 5262-6 N° Lexbase : L7067IN3).
(3) Article 2§2 de la Convention du 23 septembre 1910, article 10 de la loi du 7 juillet 1967 (devenu C. transp., art.
L. 5132-3 N° Lexbase : L4307IQL), article 12 de la Convention de Londres du 28 avril 1989.
(4) G. Gautier, Assistance maritime et environnement : Du compromis de Montréal aux discussions de la Conférence
de Pékin sur le projet ISU, DMF, 2013, 108.
(5) S. Miribel, Assistance maritime : où en sommes-nous ?, DMF, 2012, 465.
(6) Avant même que la Convention de Londres ne s'empare de la question, le contrat type LOF 1980 prévoyait une
indemnité majorée ("safety net") pour récompenser les efforts des assistants pour protéger l'environnement.
(7) J. — F. Rebora, La SCOPIC, DMF, 2003, 260.
(8) En ce sens, v. également G. Gautier, Assistance maritime et environnement..., préc. note 1, spéc. p. 111.
(9) P. Bonasies, "La convention internationale de 1989 sur l'assistance", DMF, 2003, 239, spéc. p. 255.
(10) Notons à ce sujet que la rémunération de l'assistance est admissible en avarie commune, au contraire de
l'indemnité spéciale de l'article 14 et de l'indemnité SCOPIC (Règle VI-d des Règles d'York et d'Anvers 2016).
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Pénal
[Textes] La réforme pénale du 3 juin 2016 : aspects de droit
pénal
N° Lexbase : N3543BW7
par Romain Ollard, Professeur à l'université de la Réunion, Directeur
scientifique des Encyclopédies "Droit pénal" et "Procédure pénale"
Réf. : Loi n˚ 2016-731 du 3 juin 2016, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement,
et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale (N° Lexbase : L4202K87)
Contexte de la réforme. Que reste-t-il, dans la loi n˚ 2016-731 du 3 juin 2016 (N° Lexbase : L4202K87), renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les
garanties de la procédure pénale, de la grande réforme de la procédure pénale annoncée par l'ancienne
Garde des sceaux, Madame Christiane Taubira ? Assurément pas grand chose, sinon le titre II de la loi
relatif aux "dispositions renforçant les garanties de la procédure pénale et simplifiant son déroulement" (1) qui
introduit notamment le principe du contradictoire au cours de l'enquête préliminaire, menée "à charge et
à décharge" (2), en permettant au suspect, à l'issue d'un délai d'une année, de consulter le dossier de la
procédure, de formuler des observations et de solliciter des actes d'enquête auprès du ministère public (3).
C'est que, depuis la genèse de la réforme, les dramatiques évènements de janvier 2015 et du 13 novembre
2016 qui sont intervenus ont conduit le Gouvernement et le Parlement à lui donner une orientation nouvelle.
Structure de la réforme. Comme ses devancières, la réforme opérée par la loi du 3 juin 2016 ne procède que
par petites touches impressionnistes, là où une refonte globale de notre procédure pénale serait pourtant
urgente tant notre procédure, gangrenée par les chevauchements de compétences et les régimes dérogatoires, est devenue illisible. Si l'on omet le titre III consacré aux "dispositions diverses" qui contient des règles
aussi disparates que cavalières (absence du prévenu à l'audience (4), caméras mobile (5), commercialisation et utilisation d'explosifs (6), biométrie (7), etc.), la loi nouvelle est divisée en deux titres, respectivement
consacrés au "renforcement de la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement" (8) et aux "dispositions renforçant les garanties de la procédure pénale et simplifiant son déroulement" (9), vœux pieux s'il en
est.
Idéologie de la réforme. Hormis le second titre de la loi, la réforme est largement irriguée d'une idéologie sécuritaire
fondée sur la lutte contre le terrorisme, dans la droite ligne des précédentes réformes anti-terroristes (10). Le trait
saillant de cette législation nouvelle réside dans l'organisation de régimes d'exception, comme presque toutes les
lois anti-terroristes adoptées en France depuis maintenant une trentaine d'années. Au fil des réformes, qui s'empilent
à un rythme effréné, les procédures dérogatoires se multiplient en la matière, laissant ainsi, peu à peu, l'exception se
normaliser de manière pérenne. Quoi que l'on ait pu s'en défendre, la réforme du 3 juin 2016 n'échappe pas à cette
tendance lourde en consacrant en droit commun diverses dispositions prévues dans le cadre de l'état d'urgence,
qu'il s'agisse par exemple de l'autorisation des perquisitions de nuit (11) ou des mécanismes de contrôle administratif
ou d'assignation à résidence des individus présumés avoir séjourné sur le théâtre d'opérations terroristes (12). La
mécanique est bien rôdée car la loi d'exception est toujours une réaction à un fait divers dramatique, de sorte que
l'émotion suscitée permet d'obtenir une forme de consensus social, aussi bien dans l'opinion publique que dans le
corps politique d'ailleurs.
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La lettre juridique du 7 juillet 2016
Aspects de droit pénal de la réforme. Cantonnée à ses seuls aspects de droit pénal, la réforme du 3 juin 2016
initie plusieurs modifications, d'inégales importances, non seulement en droit pénal général par la création -toute
symbolique— d'une nouvelle cause d'irresponsabilité pénale fondée sur l'usage de leur arme par les agents de la
force publique (I), mais encore en droit pénal spécial par la création d'incriminations nouvelles (II).
I — La création du fait justificatif d'usage des armes par les agents de la force publique
Nouvelle cause d'irresponsabilité pénale autorisant l'usage des armes par les forces de l'ordre. Hormis
plusieurs nouveautés concernant le droit de la peine, notamment la création d'une forme de perpétuité réelle pouvant
être prononcée à l'encontre de terroristes (13), la réforme est essentiellement marquée, dans ses aspects de droit
pénal général, par la création d'une nouvelle cause d'irresponsabilité pénale qui autorise les agents de la force
publique à faire usage de leur arme dans un contexte d'attentats tels que la France en a connu en novembre 2015.
Aux termes de l'article 51 de la loi du 3 juin 2016, se trouve désormais inséré au sein du Code pénal un nouvel
article 122-4-1 (N° Lexbase : L4817K8W), ainsi rédigé : "n'est pas pénalement responsable le fonctionnaire de
la police nationale, le militaire de la gendarmerie nationale, le militaire déployé sur le territoire national dans le
cadre des réquisitions prévues à l'article L. 1321-1 du Code de la défense ou l'agent des douanes qui fait un usage
absolument nécessaire et strictement proportionné de son arme dans le but exclusif d'empêcher la réitération, dans
un temps rapproché, d'un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d'être commis, lorsque l'agent
a des raisons réelles et objectives d'estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont il
dispose au moment où il fait usage de son arme".
Domaine ratione personae. Ce nouveau fait justificatif est strictement limité, ratione personae d'abord, puisqu'elle
ne pourra bénéficier qu'aux seuls "fonctionnaires de la police nationale", aux "agents des douanes" ainsi qu'aux
militaires "de la gendarmerie nationale" ou déployés "sur le territoire national" pour assurer la défense et la sécurité
civiles "dans le cadre des réquisitions prévues à l'article L. 1321-1 du Code de la défense". De ce point de vue, la
nouvelle cause d'irresponsabilité apparaît comme un fait justificatif spécial en ce sens que, contrairement aux autres
causes d'irresponsabilité prévues dans la partie générale du code, elle n'a pas vocation à bénéficier à l'ensemble des
citoyens et aurait dès lors sans doute dû trouver place, comme dans la première mouture du texte, au sein du Code
de la défense. Il apparaît ainsi, d'une part, qu'un particulier ne saurait en aucune manière bénéficier de cette cause
d'irresponsabilité quand bien même réunirait-il en sa personne l'ensemble des conditions d'application du texte ; tout
au plus ce particulier pourrait-il invoquer alors la légitime défense d'autrui dont les conditions d'application semblent
très proches (14). D'autre part, les agents de la force publique faisant usage de leur arme pourront bénéficier d'une
pluralité de causes d'irresponsabilité puisque, en sus du texte nouveau, les officiers de gendarmerie, pour s'en tenir
à eux, étaient déjà autorisés par la loi à déployer la force armée dans certains cas précis, notamment lorsque des
"violences [...] sont exercées contre eux" (15) ou "lorsqu'ils ne peuvent immobiliser autrement les [...] moyens de
transport dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt"(16). Plus généralement, en cas d'usage de leur
arme, les forces de l'ordre peuvent invoquer la légitime défense (17) en présence d'un danger pour eux-mêmes ou
pour autrui, ce qui permet d'ailleurs de douter de l'utilité même de cette nouvelle cause d'irresponsabilité pénale
(18).
Domaine ratione materiae : condition de proportionnalité. Ratione materiae ensuite, si le nouveau texte subordonne formellement l'irresponsabilité pénale à quatre conditions -tenant à la nécessité et à la proportionnalité de
l'usage des armes, à la temporalité de cet usage et, enfin, à la probabilité de la réitération des actes réalisés—
elles semblent pouvoir être ramenées aux seules conditions de nécessité et de proportionnalité. Sur cette dernière
condition d'une part, l'article 122-4-1 énonce que l'usage de l'arme doit être "strictement proportionné" et exercé
"dans le but exclusif d'empêcher la réitération [...] d'un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre". Or, ces deux
conditions semblent se fondre dans la mesure où l'exigence de proportionnalité semble toujours satisfaite lorsque
l'agent entend prévenir la réitération de meurtres ou tentatives de meurtre : dès lors que la vie d'autrui est en danger
immédiat, l'usage des armes à l'encontre des assaillants paraît ipso facto proportionné. En réalité, l'appréciation
-et les difficultés— se déporteront sur l'appréciation de la probabilité de réitération des actes commis car, à défaut
d'une telle probabilité, l'usage de l'arme ne sera ni proportionné ni même nécessaire. Outre que la probabilité de
la réitération doit être appréciée "au moment où il [l'agent] fait usage de son arme" et non a posteriori, au regard
des indices glanés plus tard au cours de l'enquête, l'usage de l'arme doit être fondé, nous dit le texte, sur "des
raisons réelles et objectives d'estimer que réitération est probable au regard des informations dont il dispose" à
cet instant, ce qui implique que l'agent se fonde, non point sur de simples soupçons subjectifs résultant d'un pur
jugement d'appréciation, mais sur une apparence objective rendant vraisemblable la participation de l'individu ciblé
aux actes homicide préalables. Si la distinction est claire en théorie, l'on sait qu'elle est particulièrement malaisée
à mettre en œuvre, ainsi qu'en témoigne l'intarissable contentieux en matière de flagrance.
Domaine ratione materiae : condition de nécessité. D'autre part, à l'instar des autres causes objectives d'irresponsabilité pénale, le nouvel article 122-4-1 du Code pénal exige que l'agent de la force publique ait fait un "usage
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absolument nécessaire" de son arme et ce, "dans le but exclusif d'empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d'un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d'être commis", ce qui signifie qu'il ne doit pas
exister aucun autres moyens, pour empêcher cette réitération, que de faire usage de son arme : la nécessité étant
ici qualifiée d' "absolue" (19), l'usage de l'arme doit constituer l'ultime recours, ce qui est d'ailleurs confirmé par le
fait que cet usage doit être réalisé dans le but "exclusif" de prévenir la réitération. Le texte exige encore que cette
réitération le soit dans un "temps rapproché", ce qui peut être rattaché de la condition de nécessité : tandis que
l'usage de l'arme n'est pas encore nécessaire s'il intervient de façon trop précoce, avant que l'agent n'ait acquis
une certitude suffisante quant à la réitération, il n'est plus nécessaire si cet usage intervient tardivement, après la
réitération, au moment de la fuite des assaillants par exemple (20). Si la volonté de la loi d'encadrer cette cause
d'irresponsabilité pénale d'un point de vue temporel est sans doute louable, la référence à une réitération "dans
un temps rapproché" reste particulièrement imprécise, laissant une marge d'appréciation quasi absolue au juge,
d'autant qu'au moment où il est fait usage de l'arme, la réitération est simplement hypothétique.
Utilité du fait justificatif nouveau ? L'examen de ces conditions met en exergue un chevauchement certain avec
la légitime défense des personnes, dès lors que celle-ci -qui doit également être nécessaire et proportionnée—
peut être invoquée pour assurer la légitime défense d'"autrui" (21). La seule différence perceptible réside peut-être
dans la temporalité de la riposte puisque la légitime défense d'autrui doit intervenir "dans le même temps" que
l'agression, ce qui implique une concomitance, là où l'article 122-4-1 est plus lâche, se contenant d'évoquer une
réitération intervenant "dans un temps rapproché". Toutefois, il n'est pas certain que cette différence de rédaction
soit significative tant il est vrai que la jurisprudence se montre souple en matière de légitime défense d'autrui en
admettant les ripostes préventives dès lors que l'agression -quoi que non encore effective— est probable, spécialement lorsque la légitime défense est invoquée par des agents de la force publique (22). Dans ces conditions, il
est possible de douter de l'utilité réelle du nouveau fait justificatif, ce qui est d'autant plus regrettable que, symboliquement, il introduit officiellement dans notre Code pénal un "permis de tuer". On notera d'ailleurs à cet égard que
cette nouvelle cause d'irresponsabilité, n'étant plus désormais considérée comme une hypothèse particulière d'état
de nécessité, comme dans la première mouture du texte (23), se situe au sein du Code pénal immédiatement après
le fait justificatif fondé sur l'autorisation de la loi.
II — La création d'incriminations nouvelles
Lutte contre la propagande terroriste. En premier lieu, outre l'aggravation de la répression relative à diverses infractions (24), notamment celle de non-dénonciation de crime (25), la réforme du 3 juin 2016 s'est attachée à créer,
à l'initiative du Sénat, deux nouveaux délits qui s'inscrivent directement dans la prévention du phénomène de radicalisation en s'attaquant aux moyens de propagande du terrorisme (26). D'une part, le nouvel article 421-2-5-5 du
Code pénal (N° Lexbase : L4801K8C) vient sanctionner (27) l'extraction, la reproduction et la transmission intentionnelles de données faisant l'apologie publique d'actes de terrorisme dans le but d'entraver les procédures de retrait
ou de blocage judiciaire ou administratif mises en œuvre (28). D'autre part, un nouvel article 421-2-5-2 (N° Lexbase :
L4801K8C) punit (29) la consultation habituelle d'un site internet faisant l'apologie du terrorisme ou provoquant à
de tels actes. Pour répondre aux critiques selon lesquelles l'incrimination pourrait permettre la répression du simple
"curieux" (30), la loi s'est attachée à encadrer strictement le délit non seulement en définissant précisément le site
internet incriminé qui doit comporter "des images ou représentations montrant la commission" d'actes de terrorisme
"consistant en des atteintes volontaires à la vie" mais surtout, en prévoyant différentes réserves à l'application du
délit. La répression ne saurait en effet intervenir lorsque la consultation est "effectuée de bonne fi", qu'elle s'insère
dans le cadre de recherches professionnelles, journalistiques ou scientifiques -ce qui rassurera l'universitaire-, ou
qu'elle est "réalisée afin de servir de preuve en justice". Quoi-que ces deux nouveaux délits soient destinés à lutter
contre la propagande terroriste, la loi a toutefois exclu à leur égard l'application des dispositions dérogatoires relatives à la garde à vue et à la perquisition en matière de criminalité organisée (31), dans la droite ligne de la position
du Conseil constitutionnel qui estime que l'aménagement des droits de la défense ne peut se justifier qu'en cas de
risque grave d'atteinte à la sécurité ou à la vie des personnes (32), ce qui n'est manifestement pas le cas de ces
deux délits. Relevons, pour finir, que la réforme du 3 juin 2016 a refusé de considérer comme un acte de terrorisme
autonome (33), ainsi que l'avait suggéré le Sénat, le séjour intentionnel sur un théâtre étranger d'opérations de
groupements terroristes(34), ce qui apparaît sage eu égard aux difficultés qu'il peut y avoir à identifier la notion de
"groupements terroristes".
Lutte contre le trafic d'armes. En second lieu, afin de prévenir les actions terroristes, la réforme entend promouvoir
la lutte contre le trafic d'armes (35) en incriminant toute la chaîne des intervenants, de l'acquisition à la cession en
passant par la simple détention, sans autorisation (36), des armes de catégories A ou B (37). Bien plus, même en
présence d'une telle autorisation, celui qui serait "régulièrement détenteur" d'une telle arme peut être pénalement
sanctionné dès lors qu'il la transporte, hors de son domicile, "sans motif légitime" (38). Afin de parfaire un tel
dispositif préventif, se trouve encore incriminé tout acte qui aurait pour objet ou pour effet d'entraver l'identification
des armes, qu'il s'agisse de constituer ou reconstituer une arme ou d'en changer la catégorie (39) ou qu'il s'agisse
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de supprimer, d'altérer (40) ou de contrefaire (41) des marquages, poinçons, numéros de série, emblèmes ou signes
de toute nature apposés sur les armes. Au plan des incriminations, il faut enfin relever qu'un nouvel article 222-55
(N° Lexbase : L4785K8Q) punit désormais -signe d'une bien triste actualité, en France comme à l'étranger— le
fait, pour une personne habilitée à le faire, de pénétrer ou de se maintenir dans un établissement scolaire en étant
porteuse d'une arme sans motif légitime, ce qui permet en pratique d'atteindre tant les élèves que le personnel
enseignant ou assimilé. Au plan de la répression, toutes ces infractions ont en commun d'aggraver les peines en
cas d'action collective, lorsqu'elles sont commises en bande organisée ou par deux personnes au moins agissant
en qualité d'auteur ou de complice, et de prévoir diverses peines complémentaires tenant à l'interdiction de séjour
sur le territoire français (42), à l'interdiction de détenir une arme (43) ou à la confiscation des armes appartenant
ou utilisée par la personne condamnée (44). Pour ces deux dernières peines complémentaires, l'article 222-62 du
Code pénal (N° Lexbase : L4792K8Y) énonce que leur prononcé est "obligatoire", ce qui pourrait constituer un grief
d'inconstitutionnalité dès lors que le Conseil constitutionnel s'est lancé, depuis plusieurs années, dans la chasse
aux peines automatiques (45).
Lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. En dernier lieu, parmi les dispositions très techniques de la réforme du 3 juin 2016 destinées à lutter contre le blanchiment et le financement du terrorisme (46) -qui
tiennent notamment (47) au renforcement des obligations de vigilance à l'égard de la clientèle (48) ainsi que des
pouvoirs des agents des douanes (49)-, il en est une qui retient particulièrement l'attention. Aux termes de l'article
322-3-2 du Code pénal (N° Lexbase : L4812K8Q), se trouve désormais puni le transport, la détention ou le fait de
faire commerce d'un bien culturel "en sachant que ce bien a été soustrait d'un territoire qui constituait, au moment
de la soustraction, un théâtre d'opérations de groupements terroristes et sans pouvoir justifier la licéité de l'origine
de ce bien". C'est là un nouveau cas de recel de choses, classé parmi les infractions de destruction du bien d'autrui,
qui se trouve ainsi incriminé ayant la particularité d'instituer une présomption -simple— de responsabilité lorsqu'un
individu sera trouvé en possession d'un bien culturel tel que défini au texte : opérant un renversement de la charge
de la preuve, le nouvel article 322-3-2 du Code pénal admet que le détenteur du bien culturel puisse succomber à
la responsabilité pénale toutes les fois qu'il ne sera pas en mesure de justifier de son origine licite (50).
(1) Loi n˚ 2016-731 du 3 juin 2016, art. 54 et s..
(2) C. proc. pén., art. 39-3 (N° Lexbase : L4827K8B).
(3) Depuis longtemps réclamée (v.La juridictionnalisation de l'enquête pénale, Colloque Bordeaux, 30 avril 2014,
Cujas, 2015) et initiée par la loi du 27 mai 2014 opérant transposition de la Directive européenne relative au droit à
l'information dans le cadre des procédures pénales (N° Lexbase : L3181ITY) (C. proc. pén., art. 388-5 N° Lexbase :
L2768I3W), cette introduction du contradictoire au stade de l'enquête préliminaire est cependant largement illusoire
dès lors, d'une part, que le suspect ne peut accéder à l'entier dossier de la procédure qu'à l'issue d'un délai d'un an
ou si le procureur de la République envisage de le poursuivre (C. proc. pén., art. 77-2, I N° Lexbase : L4940K8H)
et, d'autre part, que le procureur de la République apprécie souverainement, sans qu'aucun recours ne soit organisé contre sa décision, "les suites devant être apportées" aux observations et demandes d'actes formulées par le
suspect.
(4) Loi n˚ 2016-731 du 3 juin 2016, art. 106 et s..
(5) Loi n˚ 2016-731 du 3 juin 2016, art. 112 et s..
(6) Loi n˚ 2016-731 du 3 juin 2016, art. 115.
(7) Loi n˚ 2016-731 du 3 juin 2016, art. 116.
(8) Titre I (art. 1er et s.), divisé en deux chapitres, l'un consacré à l'efficacité des investigations judiciaires (art. 1er
et s. : accès et interceptions des correspondances électroniques, art. 2 et 3 ; sonorisation des lieux, art. 4, etc.),
l'autre à la répression (art. 8 et s. : peines, création d'incriminations, etc.).
(9) Titre II, art. 54 et s..
(10) V. loi n˚ 2014-1353 du 13 novembre 2014 (N° Lexbase : L8220I49) renforçant les dispositions relatives à la lutte
contre le terrorisme (R. Ollard, O. Desaulnay, La réforme de la législation anti-terroriste ou le règne de l'exception
pérenne Dr. pén., 2015, Etudes 1) et Loi n˚ 2015-912 du 24 juillet 2015 (N° Lexbase : L9309KBE), relative au
renseignement (R. Ollard, O. Desaulnay, Le renseignement français n'est plus hors la loi, Dr. pén., 2015, Etude 17.
(11) Dans le cadre de la criminalité organisée, même en enquête préliminaire (C. proc. pén., art. 706-90 al. 2
N° Lexbase : L4852K89).
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(12) C. sécu. int., art. L. 225-1 (N° Lexbase : L4818K8X) et s..
(13) Loi n˚ 2016-731 du 3 juin 2016, art. 11 modifiant les articles 421-7 du Code pénal (N° Lexbase : L4798K89) et
720-5 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4877K87) et créant l'article 730-2-1 du même code (N° Lexbase :
L4803K8E).
(14) V. infra.
(15) C. déf., art. L. 2338-3, 1˚ (N° Lexbase : L9660KCR).
(16) C. déf., art. L. 2338-3, 4˚(N° Lexbase : L9660KCR).
(17) C. pén., art. 122-4 (N° Lexbase : L7158ALP).
(18) V. infra.
(19) Comp. Pour une semblable exigence de stricte nécessité, en matière de légitime défense des biens (C. pén.,
art. 122-5, al. 2 N° Lexbase : L2171AMD) ou s'agissant du fait justificatif -purement prétorien— fondé sur l'exercice
des droits de la défense (Cass. crim. : "strictement" nécessaire à l'exercice des droits de la défense).
(20) Dans ce dernier cas, il serait toutefois possible pour l'agent ayant fait usage de son arme d'invoquer l'autorisation de la loi à déployer la force armée "lorsqu'ils ne peuvent immobiliser autrement les [...] moyens de transport
dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt" (C. déf., art. L. 2338-3, 4˚N° Lexbase : L9660KCR).
(21) C. pén., art. 122-5, al. 1er (N° Lexbase : L2171AMD).
(22) V. O. Cahn, Le droit en débats, Dalloz actualité, 26 janvier 2016.
(23) Dans la première version du texte, il était en effet prévu d'insérer un nouvel article L. 434-2 au sein du Code de
la sécurité intérieure qui prévoyait que l'usage de son arme par un agent de la force publique dans les conditions
décrites constituait "un acte nécessaire à la sauvegarde des personnes, au sens de l'article 122-7 du Code pénal",
de sorte que ce nouveau fait justificatif apparaissait comme une hypothèse particulière d'état de nécessité.
(24) V. par exemple C. pén., art. 434-15-2 (N° Lexbase : L4889K8L).
(25) Outre que la non-dénonciation d'un crime consistant en une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation
constitue une cause d'aggravation de la répression, le délit peut désormais être réprimé malgré l'existence de liens
familiaux entre l'auteur du crime et l'auteur de la non-dénonciation (C. pén., art. 434-2 N° Lexbase : L4873K8Y).
(26) Loi n˚ 2016-731 du 3 juin 2016, art. 18.
(27) De cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
(28) Procédures prévues à l'article 6-1 de la loi n˚ 2004-575 (N° Lexbase : L2600DZC) du 21 juin 2004 pour la
confiance dans l'économie numérique ou à l'article 706-23 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8442I4G).
(29) De deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.
(30) V. déjà, dans le cadre de l'infraction d'entreprise terroriste individuelle, C. pén., art. 421-2-6, 2˚, c (N° Lexbase :
L8396I4Q).
(31) C. proc. pén., art. 706-88 (N° Lexbase : L2768KGM).
(32) Cons. const., décision n˚ 2014-420/421 QPC, du 9 octobre 2014 (N° Lexbase : A0029MYQ), D., 2014, 2278,
notre A. Botton.
(33) V. toutefois, C. pén., art. 421-2-6 (N° Lexbase : L8396I4Q) intégrant un tel fait parmi les composantes de
l'entreprise terroriste individuelle.
(34) V. proposition d'art. 421-2-7 : "Constitue un acte de terrorisme le fait d'avoir séjourné intentionnellement à
l'étranger sur un théâtre d'opérations de groupements terroristes afin d'entrer en relation avec un ou plusieurs de
ces groupements, en l'absence de motif légitime".
(35) Section 7, chapitre II du titre II du livre II du Code pénal.
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(36) Autorisation prévue au I de l'article L. 2332-1 du Code de la défense (N° Lexbase : L3670ISQ), en violation des
articles L. 312-1 (N° Lexbase : L1776IX3) à L. 312-4, L. 312-4-3 (N° Lexbase : L1722IX3), L. 314-2 (N° Lexbase :
L1791IXM) et L. 314-3 (N° Lexbase : L1790IXL) du Code de la sécurité intérieure.
(37) C. pén., art 222-52 (N° Lexbase : L4782K8M).
(38) C. pén., art. 222-54 (N° Lexbase : L4784K8P).
(39) C. pén., art. 222-59 (N° Lexbase : L4789K8U).
(40) C. pén., art. 222-56 (N° Lexbase : L4786K8R).
(41) C. pén., art. 222-58 (N° Lexbase : L4788K8T).
(42) C. pén., art. 222-63 (N° Lexbase : L4793K8Z).
(43) C. pén., art. 222-62, 1˚ (N° Lexbase : L4792K8Y).
(44) C. pén., art. 222-62, 2˚. Adde, art. 222-66 (N° Lexbase : L4796K87).
(45) V. par exemple, Cons. const., décision n˚ 2010-6/7 QPC, du 11 juin 2010 ; Cons. const., décision n˚ 2010-40
QPC, du 29 septembre 2010, RSC, 2011, 182, obs. B. de Lamy ; Cons. const., décision n˚ 2011-211 QPC, du 27
janvier 2012 (N° Lexbase : A4116IB3) ; Cons. const., décision n˚ 2011-218 QPC, du 3 février 2012 (N° Lexbase :
A6685IB9). Le mécanisme pourrait toutefois être sauvée par la suite du texte qui énonce que "la juridiction peut, par
une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer ces peines, en considération des circonstances
de l'infraction et de la personnalité de son auteur".
(46) Chapitre V de la loi du 3 juin 2016.
(47) V. également, pour des dispositions instaurant un plafonnement de la valeur monétaire maximale stockée sur
les cartes monétaires électroniques rechargeables lorsqu'elles ne peuvent être rattachées à un utilisateur identifiable, art. 31 créant un nouvel art. L. 315-9 (N° Lexbase : L4815K8T) au sein du Code monétaire et financier.
(48) Art. 32 et s. créant un nouvel art. L. 561-29-1 au sein du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L4816K8U)
et modifiant les articles L. 561-26 (N° Lexbase : L4925K8W) et s. du même code Adde, art. 40 modifiant l'art. L. 152-1
(N° Lexbase : L9537IYU).
(49) Loi n˚ 2016-731 du 3 juin 2016, art. 86 et s..
(50) Comp., pour l'instauration de semblables mécanismes, C. pén., art. 321-6 (N° Lexbase : L6140HHU) ; 225-6,
3˚ (N° Lexbase : L2192AM7) ("recel-prostitution").
p. 42
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La lettre juridique du 7 juillet 2016
Responsabilité médicale
[Brèves] Obligation d'information du médecin portant sur les
risques que comporte un accouchement par voie basse
N° Lexbase : N3618BWW
Réf. : CE 4˚ et 5˚ ch. — r., 27 juin 2016, n˚ 386 165 (N° Lexbase : A4258RUA)
Commet une faute le médecin qui n'informe pas la parturiente sur le risque connu de rupture utérine, évalué à 1 %,
un tel accident, s'il survient, pouvant avoir de très graves conséquences pour l'enfant si une césarienne réalisée en
urgence ne permet pas son extraction dans les plus brefs délais. Telle est la solution énoncée par le Conseil d'Etat
dans un arrêt rendu le 27 juin 2016 (CE 4˚ et 5˚ ch. — r., 27 juin 2016, n˚ 386 165 N° Lexbase : A4258RUA ; v.
contra : CAA Douai, 2ème ch., 3 juillet 2007, n˚ 06DA01 178 N° Lexbase : A3409DYW). En l'espèce, au cours de
l'accouchement de Mme D. qui a eu lieu par voie basse dans un centre hospitalier universitaire, des anomalies du
rythme cardiaque fœtal sont apparues, en lien avec une rupture utérine, ce qui a rendu nécessaire la réalisation en
urgence d'une césarienne. L'enfant a présenté de graves lésions cérébrales consécutives à une encéphalopathie
anoxo-ischémique en rapport direct avec la rupture utérine. Mme D. avait demandé au juge des référés du tribunal
administratif de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire le versement d'indemnités provisionnelles à la
suite de la naissance de son enfant. Alors que le juge des référés de première instance avait rejeté cette demande,
celui de la cour administrative d'appel y avait fait droit en estimant qu'en s'abstenant d'informer Mme D. du risque
de rupture utérine inhérent à un accouchement par voie basse, quand un précédent accouchement avait donné
lieu à une césarienne, les médecins avaient commis une faute ayant fait perdre à l'intéressée une chance d'éviter
cette rupture en demandant qu'une césarienne soit programmée et a condamné l'établissement à leur verser une
provision. Enonçant la solution précitée, le Conseil d'Etat rejette le pourvoi du centre hospitalier universitaire. Il
considère que la circonstance que l'accouchement par voie basse constitue un événement naturel et non un acte
médical ne dispense pas les médecins de l'obligation de porter, le cas échéant, à la connaissance de la femme
enceinte les risques qu'il est susceptible de présenter eu égard notamment à son état de santé, à celui du fœtus
ou à ses antécédents médicaux, et les moyens de les prévenir ; qu'en particulier, en présence d'une pathologie de
la mère ou de l'enfant à naître ou d'antécédents médicaux entraînant un risque connu en cas d'accouchement par
voie basse, l'intéressée doit être informée de ce risque ainsi que de la possibilité de procéder à une césarienne et
des risques inhérents à une telle intervention (cf. l'Encyclopédie "Droit médical" N° Lexbase : E5195E7K).
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Sociétés
[Brèves] Saisine d'office du président du tribunal de
commerce pour ordonner le dépôt des comptes annuels
sous astreinte : conformité à la Constitution
N° Lexbase : N3529BWM
Réf. : Cons. const., décision n˚ 2016-548 QPC, du 1er juillet 2016 (N° Lexbase : A9975RUY)
Les dispositions du paragraphe II de l'article L. 611-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L1046KMP), dans sa
rédaction issue de l'ordonnance n˚ 2010-1512 du 9 décembre 2010, qui prévoient la saisine d'office du président du
tribunal de commerce pour ordonner le dépôt des comptes annuels sous astreinte sont conformes à la Constitution.
Telle est la solution d'une décision rendue par le Conseil constitutionnel le 1er juillet 2016 (Cons. const., décision n˚
2016-548 QPC, du 1er juillet 2016 N° Lexbase : A9975RUY) qui avait été saisi d'une QPC par le Conseil d'Etat (CE
1˚ et 6˚ s-s-r., 6 avril 2016, n˚ 396 364, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8817RB8). Les sociétés requérantes
soutiennent que les dispositions contestées, en ce qu'elles autorisent le même juge à se saisir d'office de la question
du dépôt des comptes, à prononcer l'injonction sous astreinte et à liquider cette astreinte, méconnaissent le principe
d'impartialité des juridictions. Mais le Conseil considère, tout d'abord, que l'injonction sous astreinte n'est pas une
sanction. Ensuite, le législateur a, par ces dispositions, poursuivi un objectif d'intérêt général de détection et de prévention des difficultés des entreprises. Enfin, le prononcé de l'astreinte et sa liquidation sont les deux phases d'une
même procédure et la constatation du non-dépôt des comptes présente un caractère objectif (cf. l'Encyclopédie
"Droit des sociétés" N° Lexbase : E1340EU8).
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