Stabilité ou croissance
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Stabilité ou croissance
Stabilité ou croissance ? Challenges Denis Kessler Octobre 2015 Les préférences collectives évoluent au cours du temps. Après la crise aigüe de 2008 – dont le point culminant a été atteint lors de la faillite de Lehmann Bros le 15 septembre 2008, les préférences collectives sont apparues clairement : le monde voulait de la stabilité. Lorsque le malade est pris de très fortes fièvres et de maladies convulsives, il faut lui inoculer d’urgence une dose massive de calmant. Dans les deux mois qui ont suivi cette faillite, la FED doubla son bilan – qu’il avait fallu 95 ans à constituer – et injecta des liquidités dans le système économique et financier comme jamais auparavant une banque centrale ne l’avait fait. La Banque Centrale d’Angleterre lui emboita le pas suivie par la Banque Centrale Européenne (BCE). L’incendie financier faisait rage, les marchés étaient tétanisés, les contreparties se délitaient à vitesse grand V, le concept de crise systémique était omniprésent. Les termes utilisés montrent clairement le caractère paroxystique de la situation : « distress », « discontinuities », « disruptions », « dislocations »… Cette crise exceptionnelle donna naissance au G20 le 15 novembre 2008 : on réalisa brutalement que l’on ne pouvait plus décider au sein du Club dominé par les pays anciennement industrialisés du sort du monde. L’angoisse d’une crise financière de grande ampleur, le risque d’un écroulement du système, devenaient de plus en plus prégnants. Relisons le premier communiqué du G20 : la référence à la « stabilité » apparaît avec force. Elle revient 13 fois. Ce mot est en fait ambigu, il n‘a de sens véritablement qu’en allemand : « Stabilität ». C’est d’ailleurs Hans Tietmeyer, Gouverneur de la Bundesbank, qui l’a promu en créant le Financial Stability Forum à la demande du G7 en 1999. Ce terme allait devenir omniprésent dans tous les discours de politique économique en général et dans les discours politiques tout court. Quand l’on crée en 2009, un nouvel organe global, dont le statut légal est d’ailleurs mal défini, pour arrêter les nouvelles normes prudentielles, on l’appelle évidemment « Financial Stability Board» : FSB. C’est au nom de la recherche de la « stabilité » que l’on renforce toutes les mesures prudentielles, dans la banque, dans l’assurance, dans la gestion d‘actifs. Il s’agit, au nom de la stabilité financière, de mettre en place de nouvelles normes contraignantes. On multiplie les dispositions de toute nature pour encadrer de plus en plus étroitement chacune des activités financières. On passe rapidement de la supervision au contrôle voire au monitoring rapproché. Toutes les mesures déjà annoncées sont renforcées et l’on retire progressivement beaucoup de degrés de liberté aux institutions financières. Ceci se traduit in fine par une très forte augmentation des fonds propres, qui fait décroitre la rentabilité des banques, par la quasi suppression de la possibilité de transformation de ressources courtes en emplois longs, et par un accroissement du niveau de liquidité qui limite la possibilité d’intervention sur les marchés. Dans l’assurance, on introduit début 2009 des charges en capital très lourdes dans le cadre des nouvelles normes Solvabilité II, qui incitent les assureurs à acheter des titres d’Etat – sans charge – à réduire fortement leurs portefeuilles d’actions et d’obligations d’entreprise et à se détourner du financement des infrastructures. Le FSB s’efforce d’appliquer le concept de « risque systémique » partout – même quand ce concept ne s’applique pas comme dans l’assurance, la réassurance et la gestion d‘actifs. Et ce qualificatif entraine pour les institutions qualifiées de systémique une augmentation des exigences de capital et/ou des réserves supplémentaires. Aujourd’hui la question se pose de savoir si l’on n’est pas allé trop loin dans la recherche de la stabilité financière…qui semble se traduire par une quasi-stagnation économique. Il semble bel et bien exister un arbitrage entre stabilité et croissance. On a tellement privilégié la première – compte tenu de l’aversion au risque collective engendrée par la crise- que l’on en subit maintenant les conséquences, particulièrement dans les pays d’endettement, tel que la France. Beaucoup plus de capital pour les institutions financières, c’est, ceteris paribus, moins de crédit, moins de portage de risques, moins de financement à long terme, moins d’investissement, moins de capital pour le secteur productif non financier. Les taux d’intérêt sont certes bas – quantitative easing oblige, cela aide les agents endettés et en priorité les Etats mais cela ne se traduit pas par davantage de croissance. La prise de conscience des effets négatifs de l’arbitrage en faveur de la stabilité au détriment de la croissance se fait progressivement. On peut la mesurer en lisant les communiqués du G20 depuis 2008. Si l’on compare les occurrences de la mention de « croissance » à celles de « crise » ou de « risques », on observe que les termes « crises » et « risques » dominaient largement jusqu’en 2010 mais que le mot « croissance » est revenu au centre des préoccupations et qu’il domine depuis 2013. L’histoire nous enseigne que l’on a toujours tendance à sur-réglementer, à chaud, lors d’une crise, qu’il faut attendre longtemps avant que l’on en reconnaisse les effets pervers, et que l’on entreprenne le long processus de déréglementation. Choisir entre la stabilité – et la quasi-stagnation qu’elle engendre– ou la croissance – et les fluctuations qui l’accompagnent, est en effet un choix cornélien.