Les cinq tentations du système éducatif

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Les cinq tentations du système éducatif
Association française des acteurs de l’Education
COLLOQUE INTER ACADEMIQUE NANTES-RENNES
14 novembre 2012 à Nantes
Les cinq tentations du systè
ème éducatif
Avant tout cette communication ne saurait engager la voix de l'inspection générale. Elle est
totalement personnelle. 90 % d'entre vous sont personnels de direction, 5 % sont personnels
d'inspection, 2 ou 3 % sont directeurs de CIO, il y a quelques professeurs, pas beaucoup.
Je n'ai pas l'impression qu’il y ait beaucoup de professeurs du 1er degré. Or je m'exprimerai
beaucoup sur le 1er degré, ce sera une façon de renforcer la culture du premier degré dans
une association encore trop tournée vers les collèges et les lycées
Il est d'usage parfois de dédicacer une communication. Ce sera l'objet de ma conclusion : les
personnes qui ont inspiré cette communication s'y reconnaitront... ou pas.
La commande était ainsi libellée : DONNER DU SENS AU SYSTEME EDUCATIF. Je dois
dire que j'ai eu un moment de panique au moment où j'en ai pris connaissance. J'ai eu
l'impression d'être dans "la vie de Bryan", le film bien connu, au moment où le héros ouvre la
porte , face à une foule qui lui demanderait de donner du sens au système éducatif. Mais
qui suis-je pour faire ça ? Quand je regarde le système éducatif il ne ressemble pas à une
pyramide ou à un rhizome, puisque tel est le thème de ce colloque, mais à un labyrinthe, où
il faudrait en permanence se repérer. Mais, et c'est là le plus diabolique, je pense que nous
sommes tous responsables de la mise en place du labyrinthe.
Comment se constitue le labyrinthe de l'Education nationale ? Je ne vais pas évoquer le
chemin qui permet de sortir du labyrinthe, mais tous les détours qui l'en éloignent.
Je vais relever 5 errances :
I le vocabulaire précieux et incompréhensible, dont je dois dire qu’il déroute jusqu’à ses
cadres.
II la tentation informatico-bureaucratique ou comment, quand on a un dossier pédagogique,
on le paralyse… pour être sûr que ça ne change pas.
III l'amnésie du système : pour reprendre une image bien connue, le premier problème de
santé du mammouth, ce n'est ni son poids ni sa graisse, mais son absence de mémoire
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IV la tentation du périphérique où comment s'écarter de la classe?
V la tentation de l'externalisation ou comment donner à d'autres la responsabilité de la
difficulté scolaire ?
I le vocabulaire pré
écieux et incompré
éhensible
Depuis plusieurs années on voit fleurir une expression que j'aime beaucoup : l'exposition aux
apprentissages.
Quelle
conception
y
a-t-il
derrière
la
notion d’exposition
aux
apprentissages ? Il suffirait donc de mettre les élèves face aux apprentissages pour que d'un
seul coup ils soient en quelque sorte imprégnés. Je me suis amusé sur Google à taper
« exposition aux apprentissages » et à ne retenir que les sites académiques officiels des
rectorats où l'on peut rencontrer cette expression.
J’en ai tiré trois exemples :
-
« augmenter le temps d'exposition aux apprentissages en externalisant la rédaction
du projet d'enchaînement »
Même les enseignants de la discipline concernée ne savent pas ce que cela veut
dire...
- La métaphore est filée sur certains sites académiques :
« l'exposition aux apprentissages est moins intense ».
Il faudrait déterminer ce qu'est le temps d'intensité idéal aux apprentissages !
- On rencontre aussi :
"Ce pourrait être un problème de sous-exposition aux apprentissages implicites".
Formulation bien mystérieuse dans laquelle il faudrait définir la notion de "sousexposition"
Mais dans l'éducation nationale les mêmes expressions peuvent désigner des
réalités totalement
différentes : ainsi la notion de carte scolaire
désigne les
procédures d’ouverture et de fermeture de classe dans le premier degré, mais
également les procédures d'affectation et de dérogation dans les collèges et les
lycées. Si on ne prend pas garde de rappeler de quoi on parle, la confusion s'installe
dans l'esprit des familles, des médias, voie des élus.
Enfin un même mot peut renvoyer à trois niveaux de responsabilité différentes : c'est
le cas de l'affectation, qui selon l'âge des enfants va renvoyer à trois collectivités
différentes. On rappellera que dans le premier degré la mairie établit les secteurs,
inscrit les élèves, les affecte et délivre les dérogations, le directeur d'école ne
procédant qu'à l'inscription pédagogique. Encore faut-il faire des différences entre
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des communes dans lesquelles il y a une sectorisation précise et d’autres communes
dans lesquelles les familles ont librement le choix de l’école. Au collège l'affectation
et la dérogation dépendent de l'Etat, même si la sectorisation dépend du Conseil
Général. Enfin au lycée, l'Etat établit les secteurs, affecte et procède aux dérogations.
De là un système complexe pour les familles qui se trompent régulièrement
d'interlocuteur. Il n'est pas étonnant que les standards des inspections académiques
et ceux des services éducation des mairies passent du temps à aiguiller les parents
vers le bon interlocuteur
Le dernier exemple aura trait à l'ambiguité du titre même de DASEN. et le nouveau
décret sur la gouvernance n'a rien changé à cela : le DASEN est un directeur
académique dont les compétences sont encore essentiellement sur le territoire
départemental, ayant pour collègues des inspecteurs d’académie aux compétences
disciplinaires sans entrée territoriale.
Tout ça est loin d’être sans importance. Nous avons un vocabulaire dans lequel seuls
les initiés finissent par savoir de quoi ils parlent avec parfois même au sein du monde
des initiés des confusions de sens. Comment la nation peut-elle s'approprier un
système éducatif dont le vocabulaire n'est pas lisible par ses usagers ?
II la tentation informatico-bureaucratique
C’est une des lois du système que l'on pourrait résumer ainsi : quand on ne sait pas
résoudre un problème du point de vue pédagogique, on en fait une question
organisationnelle dont l’informatique va s’emparer rapidement. On va en citer
quelques exemples récents
La mise en place de l'aide personnalisée a été une véritable révolution dans le
premier degré. Pour la première fois tous les élèves n'étaient plus destinés à recevoir
le même nombre d'heures de cours, mais quelques uns d'entre eux, repérés pour
leur difficulté, pouvaient bénéficier de deux heures par semaine en petits groupes,
pour être aidés et ensuite revenir mieux armés dans la classe.
Le sujet est par nature pédagogique : comment on organise l’aide personnalisée par
rapport à la classe elle-même et au diagnostic qu'on porte sur les élèves? Comment
on fait pour que les élèves du petit groupe ne refasse pas le fichier de
mathématiques en le remplissant après avoir taillé le crayon (on ne dira jamais
combien de temps on perd à l’école primaire en taillant le crayon)? Comment
procéder dans une séance de 30 à 45 minutes avec un petit groupe d’élèves qui
réfléchit ensemble autour du maître de telle façon qu’il y ait explicitation de la
difficulté rencontrée ou à venir, et tentative pour essayer de la résoudre ensemble ?
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Idéalement le maître ensuite
reprend cette difficulté avec les mêmes élèves à
l’intérieur de la classe entière, dans une stratégie d'anticipation plutôt que de
remédiation.
Or, pour éviter de poser des questions complexes et dérangeantes en terme
d'apprentissage, on en a fait une question d'organisation. A quelle heure de la
journée? Le matin, le midi, ou les oir? Quelles conséquences sur le fonctionnement
de la cantine? Comment on transfert les élèves en aide personnalisée le soir vers
l'accueil périscolaire ? Comment le directeur est au courant du nom des élèves
inscrits à l'aide personnalisée, pour des questions de responsabilité? Comment en
milieu rural s'organise
l'aide personnalisée en fonction des transports scolaires?
L'organisationnel l'a totalement emporté sur le pédagogique justement parce que le
pédagogique était compliqué à mettre en oeuvre.
C’est exactement ce qui s’est passé aussi pour l’accompagnement personnalisée au
lycée : combien de groupes ? combien de barrettes ? quelle organisation ? sur quel
temps de service ? par qui ? comment ? Dans le cadre de leur rapport sur la mise en
place de la réforme du lycée, les inspections générales ont rencontré les élèves.
Ceux-ci se préoccupent bien peu des barrettes, des groupes, de l'emploi du temps,
mais aimeraient par exemple que l'aide personnalisée serve à une claire explicitation
des consignes
Mais le comble a été atteint avec le livret personnel de compétences. A l'origine l'idée
est excellente : il s'agit de trouver un processus de validation des items des sept
compétences. Cela devrait amener les corps d'inspection et les enseignants à
s'interroger sur la façon d'amener les élèves à valider des items qu'ils ont travaillés et
explicités . Dans les faits la validation pour elle-même a pris le pas sur l'approche
pédagogique Qui valide ? combien de fois ? combien d’items ? A quels moments de
l’année ? Avec quel logiciel ? Met-on en place un système où on précoche toutes les
items pour décocher quand l'élève ne doit pas être validé? Comment on articule dans
le premier degré le LPC avec le livret scolaire où il y a des notes? Ainsi dans ce cas
précis l'outil informatique du LPC est devenu le principal sujet, au détriment des
stratégies pédagogiques à mettre en oeuvre au seins de la classe pour que tous les
élèves maîtrisent les sept compétences à la fin de la scolarité obligatoire.
III la perte de sens par l’’amné
ésie
Beaucoup de collèges et d'écoles, quand ils sont entrés dans le dispositif ECLAIR ont
manifesté leur hostilité... alors même que le texte de la circulaire ECLAIR retrouvait les
fondamentaux des textes sur l'Education prioritaire de 1982.
Dès 1982 est évoqué le risque de donner une étiquette ZEP à vie :
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"s’il apparaît nécessaire de prévoir une action soutenue s’étendant sur plusieurs années, il
serait peu souhaitable d’envisager une assistance permanente qui risquerait d’aboutir à la
constitution de ghettos scolaires".
Par ailleurs l'idée que la réussite scolaire dépend de l'initiative locale et de l'innovation
pédagogique est totalement explicite:
« aussi bien dans le cadre des projets de zones prioritaires et des programmes d’éducation
prioritaires, qu’en dehors de ceux-ci, les équipes pédagogiques et éducatives des
établissements et des écoles peuvent et doivent mener des actions d’innovation tendant à la
réussite scolaire… »
Ainsi la circulaire ECLAIR qui insiste sur la mise en place d'expérimentations dans le cadre
de l'article 34 réinvente une approche datant de 30 ans.
« Rien n’interdit à ces équipes de rechercher l’appui des établissements de formation
permanente, des universités, des collectivités locales, des organismes et associations à but
éducatif, pour des actions tendant à assurer un meilleur fonctionnement interne de
l’institution (travail d’équipe, décloisonnement et intégration des structures spécialisées…) et
une meilleure intégration de cette dernière dans le tissu social. »
L’académie de Créteil applique, à l’époque, parfaitement les consignes :
« Le recteur apporte la priorité à la réalité de la mobilisation sur le terrain des acteurs du
système éducatif (avec les projets pédagogiques), et Il tient de plus à ce que les zones
définies imbriquent fortement l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire ».
Le recteur de Créteil considère donc déjà à l'époque qu'il faut s'appuyer sur la capacité des
équipes et fait de la liaison école/collège une priorité.Il précise en outre:
«conformément aux orientations gouvernementales visant à coordonner l’action des
différentes administrations dans les communes ou quartiers où sont concentrés les
handicaps sociaux, j’ai veillé à ce que soient classés en zone prioritaire les secteurs qui
étaient retenus pour les opérations "ilots sensibles".
Son objectif, comme beaucoup de ses collègues en France, est d'assurer une cohérence de
la carte des dispositifs de la politique de la ville et de la politique de l’éducation nationale.
En 1990 une circulaire reprend cet objectif et on notera le très péremptoire "désormais"
« …Il a été convenu que désormais coïncideraient au maximum les politiques DSQ et ZEP :
les quartiers faisant l’objet d’une opération de développement social au titre du contrat de
plan 1989-1993 seront, pour tout ou partie, dotés d’une ZEP et, dans ce cas, les
établissements de la zone seront concernés de plein droit par les mesures prises »
On comparera avec la circulaire "programme CLAIR" du 7/7/2010
« Le programme CLAIR sera étendu à la rentrée 2011 dans le cadre d’un examen de la
cohérence des géographies prioritaires existantes en liaison avec la politique de la ville ».
Comparons encore les deux circulaires suivantes :
La Circulaire ECLAIR 2010
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« la vie scolaire a besoin de la cohésion de l'ensemble des adultes pour parvenir à instaurer
un climat serein, qui vise le bien-être de tous et soit propice aux apprentissages. Les règles
communes de vie au sein de l’établissement sont élaborées grâces aux échanges de
l’ensemble des équipes éducatives et, une fois adoptées, sont respectées par chacun de
leurs membres.
D'une manière générale, les équipes éducatives peuvent travailler sur les "rituels" à mettre
en place pour favoriser "la mise au travail" des élèves. Elles s’inspirent d’expériences
relatives à des temps d’accueil collectifs ou individualisés des élèves, la gestion et
l’aménagement des espaces scolaires, etc. »
peut être mise en rapport avec la Circulaire ZEP 1982 :
"il est évidemment souhaitable que, dans les écoles et établissements qui s'intéressent à
l'élaboration et à la mise en œuvre de projets,
une réflexion approfondie axée sur les
conditions de vie et de travail des élèves soit menée, parallèlement à ces premières
réalisations, dans la perspective d'un projet global d'établissement susceptible de recevoir
des développements ultérieurs".
Quelle leçon en tirer ? Le mammouth ne souffre pas seulement de son poids, il est surtout
amnésique ! Il reconstruit en permanence parce qu’il n’a pas de mémoire des stratégies qu’il
a utilisé 15 ans, 20 ans, trente ans avant, et qui ont plus ou moins marché. La redécouverte
est permanente.
Cette amnésie se lit aussi dans les audit et évaluations d'établissement : la place manque ici
pour reprendre les contrats en éducation prioritaire rédigés en 98 et les contrats d'objectifs
des années 2010. On découvrirait que dans beaucoup de cas les diagnostics demeurent
identiques, les préconisations se ressemblent, mais on n'a pas su mettre en oeuvre des
conditions concrètes de changement, ce qui conduit donc à répéter les mêmes objectifs et
les mêmes axes de travail plus de dix ans après.
IV La perte de sens par la périphérie
L'équilibre à trouver entre les apprentissages et des actions périphérique est périlleux :
l'école est l'objet de toutes les tentations pour que les élèves, sous couvert d'être dans les
apprentissages, se consacrent à des activités toujours intéressantes, toujours motivées,
mais dont on se demande parfois si elles visent bien à augmenter leur réussite.
A titre d'exemple on prendra un cas concret : l'année 2008 voit la mise en place dans le
premier degré de nouveaux programmes exigeants, réclamant aux maîtres une extrême
attention et un renouvellement de leurs pratiques. On pourrait penser que toute l'institution
se mobilise dans cet unique objectif. Or l'institution elle-même, dans les mois qui suivent,
proposent aux enseignants des activités qu'ils peuvent avoir bien du mal à relier aux
nouveaux programmes et aux progressions à mettre en place. C'est en tout cas ce que
montre la lecture des BOEN 2008-2009 :
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2 octobre 2008 : la semaine de la presse à l’école –
« Il est souhaitable que la semaine de la presse et des médias à l’école soit intégrée au
projet d’école ou d’établissement. Ce type d’activités s’inscrit en effet dans les
apprentissages fondamentaux ».
On notera l'utilisation du "en effet" pour relier la semaine de la presse et des médias aux
apprentissages fondamentaux.
9 octobre 2008 : opération Pièce jaunes
« L’opération Pièces jaunes se déroulera du 7 janvier au 7 février 2009. Comme les années
précédentes les enseignants et les élèves sont invités à devenir "classe solidaire" dans le
cadre d’une démarche pédagogique d’éducation à la citoyenneté et de découverte de
l’hôpital ».
30 octobre 2008: parlement des enfants
« Cette opération, renouvelée avec succès depuis 1994, offre aux élèves une leçon
d’éducation en grandeur nature…Cette opération qui favorise la pratique du dialogue et du
débat démocratique, constitue une occasion privilégiée d’avancer dans l’acquisition des
compétences sociales et civiques du socle commun ».
On notera ici l'utilisation de l'expression "grandeur nature", pour attirer les enseignants
4 janvier 2009 : concours des écoles fleuries
« Le fleurissement et le jardinage doivent être conçus comme des activités permettant
l’acquisition de connaissances et de compétences dans les domaines artistiques,
scientifiques, civiques et sociaux pour les élèves ».
22 janvier 2009 : Journée de la mémoire des génocides et de la prévention des crimes
contre l’humanité –
« Les directrices et directeurs d’école, et les chefs d’établissement sont appelés à inviter les
enseignants à engager une réflexion avec les élèves sur l’Holocauste et les génocides, en
liaison avec les programmes scolaires ».
9 février 2009 : Mémoire de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions
« Les approches transversales, au croisement des dimensions historiques, littéraires et
artistiques, peuvent être développées. Le thème de l’esclavage peut être abordé par
exemple dans le cadre d’une réflexion pluridisciplinaire sur les droits de l’homme, ou encore
celui de l’apport créatif des cultures métisse par le biais d’un projet d’éducation artistique et
culturel ».
On pourrait continuer ainsi la déclinaison de toute l'année scolaire. Il faut rappeler que dans
le même temps tous les textes parus au BOEN et non modifiés ou annulés sont toujours
valables, par exemple la note de service de 1984 sur l’emploi par les élèves des écoles
élémentaires d’enseignement du second degré de leurs bicyclettes comme moyen de
déplacement en groupe.
« Parmi les maîtres qui assurent l’enseignement des règles de sécurité, relatives à la
circulation routière, bon nombre d’entre eux, très opportunément, souhaitent donner à leur
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démarche éducative une forme concrète et pratique, en situation réelle. Cette éducation
pratique peut être assurée, soit au cours de sorties organisées à cet effet, soit lors de
déplacements entre l’établissement scolaire, les terrains de jeux, de sport, les centres
culturels et les organismes ou administrations visitées (... ) Bon nombre d’élèves de collèges
à partir de 14 ans, sont propriétaires d’un cyclomoteur qu’ils utilisent pour se rendre de leur
domicile à leur établissement. Il va de soi que ces cyclomotoristes peuvent participer aux
sorties en groupes avec leurs camarades cyclistes… »
Mais d'autres acteurs, au nom d'intentions totalement louables, souhaitent intervenir dans les
classes, c'est le cas de la CPAM avec le développement de l'hygiène bucco-dentaire, dont
on reprendra un extrait du site:
« Apprendre aux enfants une méthode de brossage adaptée à leur âge, expliquer le rôle du
dentiste et dédramatiser la visite en cabinet dentaire, dépister les anomalies buccodentaires, avec le programme "M’tes dents" de la CPAM. Présentation de l’animation,
diffusion d’un DVD reprenant les diapositives « Boubou » relatant l’histoire d’un hippopotame
qui va apprendre à se brosser les dents avec ses camarades.
Discussion avec les enfants, démonstration du brossage des dents à l’aide de la maxi
mâchoire et de la maxi brosse à dents. Lecture de deux contes "le drôle de rêve de Boubou"
(la carie) et "Boubou va chez le dentiste » (dédramatiser le rôle du dentiste et du cabinet
dentaire) ».
Je n'ai pas vérifié si les deux contes en question étaient des outils adaptés au
développement du langage et à l'enrichissement du vocabulaire qui sont au coeur des
programmes de l'école maternelle.
Ainsi, avec 140 jours de classe sur 365 l'école n'a que peu de temps pour mener tous les
élèves à la réussite scolaire. Mais elle est en permanence sollicitée, parce que le public
scolaire est captif, pour des opérations qui risquent de l'éloigner de son coeur de métier.
V La tentation de l’externalisation
La cinquième tentation de l'institution scolaire réside dans l'externalisation de la difficulté de
la difficulté scolaire dont on va donner quelques exemples. Il n'est pas question de remettre
en cause les acquis de la loi de 2005 et le tournant spectaculaire pris dans l'accueil des
enfants handicapés. Pour autant on a l'impression que se développe aujourd'hui une
tentation de médicalisation de la difficulté scolaire. Ainsi la solution ne serait plus dans le
travail sur les apprentissages à l'intérieur de la classe, mais dans un diagnostic fait par des
experts qui conduirait à trouver des solutions extérieures. Par ailleurs on note l'explosion du
nombre de demandes d'AVS, naturellement pour l'immense majorité totalement justifiée.
Cependant dans l'observation des classes, on remarque parfois que l'AVS n'apporte guère
de plus-value à certains enfants qui semblent autonomes.
De plus comment interpréter la réaction très vive des enseignants à la diminution du nombre
de postes de réseaux ? Certes la diminution des postes est toujours désagréable, mais il faut
y voir aussi la crainte de voir les enfants rencontrant des difficultés ne pas pouvoir être pris
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en charge par d'autres que le maître de la classe. Que dire de ce discours d'une professeur
des écoles entendu lors d'une manifestation il y a deux ans : "les maîtres de réseau sont
comme les médecins spécialistes par rapport aux médecins généralistes que sont les
enseignants de la classe"?
Dans le second degré la tentation de l'externalisation se caractérise par la mise en place des
filières. Dans une académie du sud de la France les DASEN soulignent à quel point les
collèges essaient de recréer sous forme parfois de classes à projet des dispositifs
d'homogénéisation de la difficulté scolaire. En fait ce sont de véritables classes d'aide et de
soutien avec souvent des périodes longues de stages en dehors de l'établissement.
De plus et très souvent la structure en terme de division n'est pas cylindrique : par exemple
on trouve 6 divisions de sixième, six de cinquième, six de quatrième, et cinq de troisième. La
différence d'effectifs ne s'explique pas simplement par des orientations vers des troisièmes
pré-pro. Et s'il fallait rajouter un argument, il est étonnant de constater que le pourcentage
d'élèves en retard de deux ans à la fin de la sixième est supérieur au pourcentage d'élèves
en retord de deux ans à la fin de la troisième. On remarque d'ailleurs que l'âge des élèves
est à corréler souvent avec l'externalisation : un élève qui a deux ans de retard en sixième
n'a que 5% de chances d'atteindre le lycée.
Enfin l'externalisation se réalise parfois à l'intérieur même des collèges : les élèves de CSP
favorisés se retrouvent dans deux classes avec deux langues vivantes et du latin. Lorsqu'on
compare les moyennes de ces classes avec les autres classes, on constate qu'elles sont
beaucoup plus élevées. On comprend cette politique qui repose sur le développement de
l'image de l'établissement, mais elle a pour conséquence de créer au moins deux filières très
étrangères l'une à l'autre. Laquelle des deux dans l'imaginaire de tous est au centre de
l'établissement ?
En guise de conclusion, il me reste à dédier cette communication aux trois personnes
qui m’ont aidé à faire ce petit exposé.
La première est une femme, personnel de direction recrutée sur liste d'aptitude, qui était
auparavant adjointe faisant fonction dans deux collèges ECLAIR e la Seine-Saint-Denis. En
formation elle a eu droit à un exposé sur "l’exposition aux apprentissages". Elle m’a envoyé
un mail en disant "attention, où est la vraie vie ?, où suis-je tombée ?, qu’est-ce que la
formation des cadres ?... ".
La deuxième est une directrice d’école, dans une belle école au fin fond de la France, qui
m’a bien accueilli. Elles étaient cinq maîtresses et on voyait que la vie était calme. Elle
m’avait préparé une tarte aux pommes, c’était délicieux. Elle était gentille et me disait
"Monsieur l’inspecteur, j’ai des élèves en grande section, mais je ne vais pas les envoyer en
CP ! Il faut les maintenir en grande section. Ils ne sont pas matures. Il y en a, je vois ils
relèvent du handicap. Qu’ils restent un an à l’école maternelle, ça leur fait du bien !"
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Je lui ai dit : " Mais vous savez, Madame la directrice, quand même, les évaluations de
l’académie sont supérieures à la moyenne nationale. Il y a peut-être beaucoup d’élèves qui
sont en retard. "
Elle me répond alors: "c’est justement pour ça, c’est parce que on les laisse en grande
section et en CP qu’après ils sont bons ! "
La troisième personne est une proviseure dans un grand lycée du sud de la France, avec
un superbe amphithéâtre. J'y’ai animé une journée sur l’école maternelle et le
développement du langage. La proviseure m’accueille fort civilement, et me dit : "Monsieur
l’inspecteur général, nous, au lycée, on est bien loin de vos préoccupations de l’école
maternelle ! "
Je lui répondis : "vous avez raison, Madame la proviseure, mais peut-être les élèves de vos
secondes et arrivant de troisième rencontrent un problème bien connu dans la correction des
copies de DNB : la maîtrise de la chaîne anaphorique. Or ces lacunes rencontrées en fin de
troisième se trouvent déjà dans les évaluations CE1 et CM2. Peut-être dans
l’accompagnement personnalisé pourrait-il y avoir une réflexion de vos professeurs
principaux sur le sujet". Et j'ai ajouté alors: "Madame la proviseure, vous devriez rester toute
une journée avec la directrice d'écoles maternelles : cela aiderait ensuite vos professeurs,
dans le cadre de l'accompagnement personnalisé, à comprendre comment fonctionne la
compréhension des textes écrits". Ensuite je lui ai vendu un numéro de l’AFAE sur l’école du
socle…
Daniel Auverlot
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