• Alain Brunet

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Chroniqueur à La Presse, Alain Brunet est à l'affût des nouvelles tendances de la musique.
Mardi 19 avril 2011 | Mise en ligne à 20h09 |
L’existoire de Richard Desjardins
La parole de Desjardins a cela de remarquable qu’elle ne pourrait provenir d’ailleurs que de ce continent.
Évite habilement les calques stylistiques à l’européenne. Sait user de régionalismes exquis et même
d’anglicismes ragoûtants pour ainsi leur faire toucher l’universel. Scuplte un français de haut niveau sans jamais
quitter ce côté de l’Atlantique. Manifeste un respect immense pour le territoire et ses valeurs autochtones
millénaires. Ne quitte pas pour autant notre ère post-industrielle sur laquelle il jette un regard cinglant, parfois
manichéen. Explore le coeur, la chair et l’esprit. Ratisse la gamme entière des sentiments, des plus nobles aux
plus nauséabonds.
L’existoire est rendu public en ce 19 avril. L’album compte 14 musiques et chansons réalisées par Claude
Fradette, doué multi-instrumentiste originaire du Saguenay. Fradette y joue guitares, lapsteel, banjo, claviers,
percussions légères. Desjardins y joue guitare et piano. La section rythmique est formée du contrebassiste et
bassiste Karl Surprenant, du batteur Marc-André Larocque auxquels s’adjoignent des compléments orchestraux à
géométrie variable – cordes, cuivres, anches, bois, accordéon, et chœurs.
En voici une description sommaire.
Elvira
Musique instrumentale pour piano solo, progressions harmoniques qu’on connaît de Desjardins, dont le jeu
s’inspire ici de musiques créées fin 19e début 20e.
Atlantique Nord
Ballade folk, flûte celte, guitares, batterie, basse. Et c’est la grande dérive… Je hisse mes draps d’amour / Je fly
sur l’océan /Viking de faubourg / Empereur du néant… Voilà les zigzags d’un de ces superbes perdants invité à
se perdre… en Atlantique Nord.
Les deux pétards
Blues orchestral avec orgues et section de vents, comme on peut en imaginer dans un hôtel de province par un
soir de bal à l’huile. Des fois elle rentrait dans l’hôtel / une boule de quille dans nos grosses bières / pour
ressortir par la ruelle / on se r’couchait sur nos civières… Sous les yeux de piliers de bars, deux pétards se
convoitent, s’éclipsent dans la chambre d’hôtel pour un dénouement apparemment charnel… qui sera tout autre.
Développement durable
Bluegrass à ornement celtique, chanson «colonne». Caricature du pillard de la ressource, peu soucieux du
territoire, rustre et fier de l’être… Moi j’en vois pas de problème skidoo, seadoo, quat’roues… C’est pas dans
mes talents / d’expliquer l’existence. Un cerveau à deux temps / ça pense pas, ça dépense.
L’existoire
Flamentango profundo, hybride chaloupé et mené à bon port par les guitares acoustiques, la contrebasse et les
percussions légères. Cet hybride porte un texte aux recoins fantasmagoriques. S’y raconte un rêveur de
Dolorama, voyageur de l’intérieur, itinérant de l’imaginaire, ange grabataire ayant vu s’envoler son ombre...
C’est l’errance virtuelle du badaud, l’errance des hémisphères entre les oreilles, et ce débris de baiser fracassant
la mémoire d’un passant, là, dans l’existoire. Le néologisme reste ouvert à moult interprétations : existence,
histoire, exutoire, écritoire…
Migwetch
Musique de chambre pour vents, pédales de volume, cordes de nylon et de métal, pour ongles et archets. Une
existence amérindienne arrive à son terme, une aînée des Premières Nations remercie la vie avant de la quitter, se
remémore la déclaration de son bien-aimé qu’elle ira bientôt rejoindre sous la feuillée. Migwetch veut dire merci.
Kisa kihitin veut dire je t’aime.
Avec l’amour de Jésus
Country-folk avec chant choral, chanson d’amour courtois où le narrateur devient conquérant du cœur. Le mâle
bombe le torse, il fait le plein d’assurance, promet à l’autre d’incarner toutes les qualités de l’amant et de
l’amoureux. Jésus, Zorro, Marx, Tarzan, Picasso, Rimbaud, Presley, Guevara, Bouddha, Pontiac, Einstein,
Abraham et Michel-Ange ont mis un homme là-dessus.
Roger Guntacker
Blues des Appalaches à deux temps, construit autour d’un banjo et d’une sections de vents… fervents. Chanson
aussi «colonne» que Développement durable, chanson de hillbilly québécois, bluegrass. Portrait du pas fiable,
infidèle, endetté, toujours motivé par la petite délinquance.
Sur son épaule
Ballade country folk. Texte et musique de Mario Peluso qui y dépeint l’honnête serveuse d’un snack bar
abitibien, le cœur sur la main et qui souhaite dans sa vie un mec à sa hauteur.
Elsie
Ballade pianistique, bellement ornée de cordes acoustiques ou électriques. Élisapie Isaac l’a interprétée sur son
dernier album, avec une musique de Pierre Lapointe. Desjardins. lui, n’a pas changé l’histoire au masculin, il
chante le texte dans sa version originelle et propose une musique inédite, supérieure.
Ils
Musique instrumentale pour piano et violoncelle comme on en imaginait il y a un siècle ou même un peu plus.
Choix typique de Richard Desjardins. Un texte succinct surgit à la fin, des valeurs laïques y sont clairement
prononcées dans le hall d’un aéroport.
Los Ayala
Thème instrumental pour piano, chœur féminin et orchestre.
Tous les gens de plaisir
Folk celte à emballage baroque. Douce chanson à boire tirée du répertoire traditionnel.
La Nuit avec Hortense.
Thème instrumental pour cordes créé par Desjardins pour le film La Nuit avec Hortense de Jean Chabot. Peut
effectivement servir de conclusion.