NYC charté
Transcription
NYC charté
Portrait de poste # 1 New York Laurence Marie est attachée culturelle à New York, directrice Bureau du livre de New York. Elle coordonne et anime, avec un grand enthousiasme, de nombreuses actions pour soutenir le livre français aux Etats-Unis. Elle a bien voulu répondre à nos questions, et nous détailler les formes que prennent ces actions, les événements passés et à venir, l’état des traductions des ouvrages français vers l’anglais, de la librairie (avec une nouvelle venue à New York : Albertine), et l’ensemble de l’actualité du livre français, de New York à Los Angeles. Propos recueillis par Pierre Ducrozet, Société Européenne des Auteurs *** Com m ent s’articule le réseau culturel français aux Etats-Unis ? Travaillezvous de m anière conjointe, et de quelle m anière ? Notre action concerne la littérature, les sciences humaines et sociales, les bandes dessinées, les livres pour enfants (toute la production éditoriale française, hormis les livres pratiques). Son principe directeur est la traduction, pour toucher les Américains qui ne lisent pas le français : nous aidons, nous incitons à faire traduire et à faire connaître ce qui a été traduit. À New York, au département « Livres et échanges intellectuels » des Services culturels de l’Ambassade de France aux Etats-Unis, nous sommes chargés de mettre en œuvre la promotion du livre français dans la circonscription de New York, dont nous avons la charge. Nous coordonnons également la promotion du livre français aux Etats-Unis, à travers l’action que mènent localement les attachés culturels dans les neuf autres circonscriptions (Boston, Washington, Chicago, Atlanta, Houston, Miami, La Nouvelle Orléans, San Francisco et Los Angeles) : nous proposons des outils, une expertise et des auteurs en tournée aux circonscriptions et nous veillons notamment à ce que les projets soient mutualisés dans la mesure du possible. Nous sommes une équipe de cinq personnes. Nous renforçons et complétons l’action des partenaires américains locaux, en nous appuyant sur notre position de point nodal entre les acteurs liés au livre (universités, éditeurs, traducteurs, librairies, bibliothèques, étudiants, lecteurs, etc.). Nous visons aussi à compléter l’action d’autres acteurs de la culture française aux Etats-Unis, avec lesquels nous travaillons en partenariat constant : la French Publishers Agency, qui joue le rôle d’agent auprès des éditeurs américains ; le French Institute Alliance française, qui propose des cours de français et des manifestations attirant un large public, et plus orientées vers les arts de la scène et le cinéma ; les Maisons françaises de NYU et Columbia, qui offrent conférences et colloques universitaires de haute qualité, souvent en français. Quels sont les tem ps forts de votre program m ation à venir, pour la saison prochaine et la fin de celle-ci ? Nous ne nous sommes pas beaucoup ennuyés ce printemps ! Nous venons tout juste de passer trois grands temps forts de notre programmation pour le premier semestre 2015. Tout d’abord, les 14 et 15 avril derniers, a eu lieu le dernier volet de « Minds in Migration », série de conversations à partir d’un livre de sciences humaines traduits en anglais, avec des intervenants d’horizons variés, non nécessairement universitaires. Au programme ont figuré les auteurs Jean-Godefroy Bidima (Law and Public Sphere in Africa), avec Scholastique Mukasonga (Our Lady of the Nile), Barbara Cassin (Dictionary of Untranslatables), Michel Foucault (The Courage of the Truth), Benjamin Stora et Abdelawab Meddeb (A History of Jewish-Muslim Relations), et pour terminer Marie-Monique Robin (The World According to Monsanto et Our Daily Poison), cette fois en vue de sensibiliser les esprits à la conférence parisienne sur le climat. Ensuite, nous avons organisé pour la première fois une « Night of Philosophy » entièrement en anglais à New York, le 24 avril dernier de 19h à 7h du matin. Nous avons invité 62 philosophes (la moitié de Français et la moitié d’Américains) et une vingtaine d’artistes pour 12 heures de conférences et performances artistiques dans les bâtiments des Services culturels de l’Ambassade et de l’Ukrainian Institute of America voisin. Nous ne savions pas très bien à quoi nous attendre et la réaction très enthousiaste des New-Yorkais a dépassé toutes nos espérances : près de 16 000 personnes ont annoncé sur Facebook leur intention de venir ! Les files d’attente se sont étirées sur plusieurs centaines de mètres pendant toute la nuit malgré un froid mordant. Nous estimons à environ 5000 le nombre de visiteurs, très jeunes pour la plupart, qui ont pu assister aux différents événements. Le New York Times, le Wall Street Journal et le New Yorker, entre autres, ont accordé de longs reportages à cette manifestation, la plus importante jamais organisée par les Services culturels dans ses locaux. Dernier temps fort : l’accueil, dans la librairie Albertine Books, située au sein des Services culturels, du plus grand festival américain de littérature internationale, le PEN World Voices, pendant la semaine du 4 mai. Les organisateurs de ce festival, que nous connaissons bien parce que nous y envoyons des auteurs français depuis longtemps (l’an dernier, le poète syrien Adonis par exemple, et en 2015 l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop), ont été séduits par la librairie que nous avons ouverte il y a six mois. Ils ont souhaité pour la première fois y placer plusieurs événements du festival, centré cette année sur l’Afrique : une conversation entre Lola Lafon et Amy Scholder (« An Anarchist’s Guide to Feminism ») ; une table ronde sur les questions de genre, avec les auteurs Adewale Ajadi, Lola Shoneyin, Veronique Tadjo, Ananda Devi, and Chantel Acevedo ; une sur les femmes traductrices (Susan Bernofsky, Rob Spillman, Veronique Tadjo) et une autre sur la place de la traduction dans les blogs (Tara Cheesman, Michael Orthofer, Aaron Westerman, Scott Esposito, Alison Dundy, Marjolijn de Jager). Nous avons également accueilli la soirée de clôture du festival, où, devant les écrivains du festival, a été donnée à notre conseillère culturelle, Bénédicte de Montlaur, l’occasion d’affirmer notre soutien au PEN American Center, qui avait suscité une intense controverse en octroyant le prix Courage et Liberté d’expression à Charlie Hebdo. Enfin, le 26 mai prochain, juste avant Book Expo America, nous accueillons une rencontre professionnelle du Bureau international des éditeurs français. Une bonne soixantaine d’éditeurs français et américains seront réunis pour des conférences et des rencontres individuelles destinées à encourager les cessions de droits. Nous préparons déjà activement l’automne. Nous invitons des auteurs à l’occasion de la sortie de leur livre en anglais et leur proposons de se rendre dans les festivals comme le Litquake à San Francisco, la Houston Book Fair, le Boston Book Festival ou la Miami Book Fair, pour ne citer qu’eux. Nous accompagnons aussi les actions qui sont menées localement par les postes et qui ont parfois vocation à être déclinées ailleurs aux Etats-Unis : Fabrice Rozié monte ainsi à Chicago avec l’historien Andrew Diamond un formidable programme consacré aux « questions urbaines ». L’opération pluridisciplinaire « Gender in Translation », lancée par Stéphane Ré et Gilles Delcourt à San Francisco, sous la houlette de Judith Butler et Didier Fassin, donnera lieu à une belle série de rencontres à l’Université de Californie Berkeley et à une constellation d’événements artistiques à San Francisco. Le poste de Los Angeles, avec Adélaïde Barbier et Antonia Rigaud, poursuit avec succès son festival « Vis-à-Vis », centré sur la bande dessinée, et qui sera associé cette année à l’opération « Shoot the Book », lancée à Cannes en 2014 : des chargés de droits vont présenter aux producteurs les livres qu’ils verraient bien adaptés à l’écran. Nous verrons comment prolonger ces opérations en 2016 dans d’autres villes américaines dotées chacune de problématiques très spécifiques et tout aussi passionnantes. À New York, notre programmation aura trois temps forts. La deuxième édition du festival Albertine aura lieu au mois d’octobre, programmée par un intellectuel américain et mettant en avant, comme l’an dernier, des discussions entre Français et Américains sur des sujets très différents et parfois inattendus. Nous organisons également, en partenariat avec New York University, une série de quatre conversations entre des lauréats de prix Goncourt français et des écrivains américains. Enfin, fin novembre, pour célébrer le cinquantenaire de l’Ecole des Loisirs, nous présenterons une belle exposition de dessins originaux issus de l’exposition déjà montrée lors du Salon du livre de Paris. L’exposition sera accompagnée d’un ensemble de manifestations (tables rondes, interventions dans les écoles) associées à la venue de trois auteurs de la maison d’édition. Tous les événements que j’ai évoqués se sont montés en partenariat avec l’Institut français, qui nous apporte un soutien très important depuis Paris. Quelle est la situation actuelle du livre français aux Etats -Unis ? Com bien de livres français ont-ils été traduits l’année dernière aux Etats-Unis ? Quels ont été les derniers auteurs à être rem arqués, traduits, invités ? Sentez-vous un changem ent, un sursaut, dans la politique éditoriale am éricaine à l’égard des traductions, et notam m ent celle des livres français ? La situation du livre français aux Etats-Unis semble clairement s’améliorer, après des années ardues, notamment après la crise de 2008. Il est difficile de connaître précisément le pourcentage de livres traduits au regard de la production éditoriale globale. Le chiffre de 3% est régulièrement avancé depuis des années, sans que l’on sache précisément comment il a été calculé et sans qu’il n’ait jamais été réévalué rigoureusement. Pour la première fois, nous avons établi une base de données presque exhaustive des titres traduits publiés chaque année, sur la base des réponses données par nos contacts éditeurs. Je veux toutefois préciser que notre liste est tributaire de la véracité et de la précision des informations que nous recevons : c’est un travail de fourmi, qui occupe bien notre stagiaire française, et des erreurs ont pu s’y glisser. Nous nous en excusons platement par avance et serons heureux de corriger immédiatement toute information erronée ! À partir des éléments dont nous disposons, nous avons en tout cas noté qu’entre 2013 et 2014, le nombre de titres traduits serait passé de 421 à 516, soit une augmentation de plus de 20%. Cette croissance est corroborée par les témoignages de plusieurs chargées de droits françaises (au Seuil et chez Gallimard notamment), qui nous ont affirmé vendre davantage de titres sur le marché américain. C’est la littérature qui paraît avoir le plus bénéficié de la hausse, avec une hausse de 132 à 184 titres parus en traduction, sans compter les recueils de poésie (passés de 24 à 19 titres traduits) et le théâtre, très minoritaire (passé, semble-t-il, de 2 à 5 titres). Les sciences humaines et sociales sont restées stables, avec de 149 à 150 titres traduits. Étonnamment, le nombre de livres pour enfants traduits du français semble avoir diminué (mais peut-être est-ce dû au fait que les éditeurs ne nous ont pas communiqué tous les titres). En revanche, le nombre de bandes dessinées aurait très fortement augmenté, passant de 50 à 115. Même en tenant compte d’une certaine marge d’erreur possible, il est désormais certain que le français a très nettement conforté sa place de première langue traduite aux EtatsUnis, avant l’allemand, l’espagnol (lu en langue originale) et l’italien. Ces dernières années, les quatre grands (mais rares) best-sellers en traduction sont La Nuit d’Elie Wiesel, qui se vendrait à un demi-million d’exemplaires chaque année depuis le début des années 1960, Suite française d’Irène Némirovsky (2 millions d’exemplaires vendus depuis 2007), l’Élégance du hérisson de Muriel Barbery (1 million d’exemplaires depuis 2008) et Le Capital au XXIe siècle de Thomas Piketty, énorme succès commercial et critique de Harvard University Press. De nombreux autres livres, comme HHhH de Laurent Binet, qui comptait, avec Trois femmes puissantes de Marie Ndiaye, parmi les 100 meilleurs livres distingués par le New York Times en 2012, ont eu des ventes plus qu’honorables, dépassant les 40 ou 50 000 exemplaires. Tout récemment, outre Soumission de Michel Houellebecq, qui a suscité de nombreux articles et débats à sa sortie en France et qui sera publié aux Etats-Unis à l’automne prochain, c’est Meursault, Contre-Enquête de Kamel Daoud qui attire l’attention, avant même sa parution, en juin prochain (l’auteur a ainsi fait l’objet d’un long reportage dans le New York Magazine le mois dernier). Ce ne sont que des exemples : les succès, critiques mais aussi commerciaux (je pense par exemple aux livres d’Emmanuel Carrière ou de Yasmina Reza), ne sont pas du tout une exception. Entre autres auteurs dont les livres nous paraissent avoir un vrai potentiel ici, nous allons par exemple inviter, à l’occasion de la sortie de leur ouvrage en anglais, Pierre Lemaitre (à l’automne), ou encore Maylis de Kerangal et Édouard Louis (au printemps 2016). Les aides à la traduction et à la publication jouent-elles un grand rôle dans le soutien au livre français aux Etats-Unis ? Sur 516 titres publiés en 2014, 40 (soit 8%) ont reçu une aide des Services culturels et de l’Institut français (programmes French Voices, Hemingway Grants et Aide à la cession de droits). Notre programme-phare, French Voices, créé en 2006, a été transformé en prix en 2013 (10 prix de 6000 $ partagés entre l’éditeur et le traducteur) ; le Grand Prize, choisi parmi les 10 lauréats et remis lors d’une cérémonie, reçoit désormais 10 000 $ et son auteur est invité à une tournée lors de la sortie du livre en anglais. À travers nos trois programmes, le montant reçu par l’éditeur américain pour chaque ouvrage se situe dans une fourchette entre 1000 et 8500 dollars, un livre pouvant recevoir deux aides différentes (sans compter les aides octroyées également par le Centre national du Livre, avec lequel nous nous coordonnons). En 2013, nous avions soutenu 11% des titres (45 titres sur un total de 421 portés à notre connaissance), la baisse en proportion s’expliquant par la forte augmentation des parutions. 8 ou 11%, c’est à la fois peu et beaucoup. C’est par ces aides octroyées aux éditeurs que nous sommes le plus reconnus (et appréciés !) par les éditeurs américains. Elles sont donc extrêmement importantes et permettent souvent à un éditeur de sauter le pas quand il est intéressé par un livre et que ses moyens sont limités. Néanmoins, il est rassurant de constater que ces aides ne sont pas la condition sine qua non pour l’achat de droits : contrairement à ce qui se passe pour d’autres langues, le marché de la traduction du français vers l’anglais n’est pas sous perfusion ; il est relativement autonome et se porte mieux que ce l’on pourrait penser. Pour que ces aides à la traduction touchent leur cible, il faut évidemment non seulement continuer à leur assurer une visibilité, mais aussi attirer l’attention des éditeurs américains sur les livres non traduits qui ont un potentiel et sur les livres traduits qui ont du succès. Trop souvent, on entend dire que les traductions ne rapportent rien puisque faire traduire un livre coûte trop cher et que les traductions n’intéressent personne. C’est une idée reçue que nous combattons, notamment en utilisant internet et les réseaux sociaux. Nous envoyons une Newsletter mensuelle « Book Events » en anglais, sur tous les événements de la circonscription de New York ainsi qu’une « Week in review » hebdomadaire, que nous avons mise en place en septembre 2014 (revue de presse en anglais sur le livre français en France et aux Etats-Unis, envoyée le vendredi ; il est possible de s’y abonner pour la recevoir par email). Sur notre site, notre fil twitter (@FrenchbooksUSA) et Facebook, nous mettons régulièrement des coups de projecteur sur les titres non (encore) traduits qui ont un potentiel ; et nous publions, en fonction de l’actualité, des articles plus généraux sur la situation du livre français aux Etats-Unis, pour diffuser les bonnes nouvelles et réaffirmer les valeurs de la chaîne du livre à la française (exemple : sur le site du Nouvel Observateur : « Mais bien sûr que si, les livres français se vendent à l’étranger ! » ; version anglaise sur frenchculture.org, repris par le site Publishing perspectives). Nous avons aussi créé au printemps 2013 une newsletter trimestrielle sur l’actualité numérique, en français, à destination des éditeurs français. Les bourses ne sont pas notre seul outil pour inciter à la traduction. Elles s’inscrivent dans un éventail de moyens que nous déployons dans cet objectif. Depuis fin 2012, nous envoyons systématiquement deux éditeurs américains en France chaque année pour des rendez-vous avec des éditeurs français, sur une semaine complète, à Paris. C’est un bon moyen de leur permettre de nouer de nouveaux contacts et de voir les livres français in situ. Depuis plusieurs années, en partenariat avec la Villa Gillet, au moment des Assises du roman, nous permettons à un traducteur américain de passer un mois en résidence à Lyon. Et en novembre dernier, à New York, nous avons invité 10 journalistes et auteurs de revues, pour leur faire rencontrer leurs homologues américains, à travers des tables rondes impliquant une quinzaine de revues, magazines et journaux américains dont le New Yorker, Harper’s, le NY Times et le Wall Street Journal. L’objectif était de faire traduire davantage de textes, mais aussi de faire écrire des Français dans les revues et les journaux américains. Enfin, pour la première fois en 2015, nous allons apporter un soutien financier à un tout nouveau programme de mentorat lancé par l’Association des traducteurs américains : il est en effet crucial de soutenir les traducteurs, et en particulier la jeune génération, qui traduira les livres des prochaines décennies. Les traducteurs, souvent mal rémunérés et peu reconnus, sont nos meilleurs passeurs. Quelle place occupe l’Institut français dans le m onde littéraire de New York ? La réapparition d’une librairie française, Albertine, facilite-t-elle votre travail, en l’accom pagnant, le dédoublant, le prolongeant ? Nous ne nous appelons pas Institut français, mais « Cultural Services of the French Embassy », car il existe également le French Institute Alliance française (organisme de droit privé américain), la plus importante alliance française en Amérique du Nord, qui joue un rôle prééminent dans la diffusion de la culture et de la langue française. Albertine Books, la librairie et espace culturel que nous avons créée il y a six mois, vient pallier un énorme manque. C’est un outil absolument extraordinaire pour la promotion du livre français sur le sol américain, et je pèse mes mots ! Imaginez-vous qu’après 2008 et la fermeture de la librairie française du Rockefeller Center, il était impossible de trouver à New York un livre de la rentrée littéraire précédente. Les rares livres contemporains présents dans les librairies étaient vendus le double du prix français. Il était très difficile de commander des livres pour pouvoir les proposer à la vente lors des événements impliquant des auteurs français à New York et ailleurs. Grâce à Albertine Books, cette situation frustrante, pour les lecteurs, comme pour nous d’ailleurs, n’est plus qu’un mauvais souvenir. La librairie propose 11 000 titres tous domaines confondus, soit environ 13 000 volumes (des livres en français et traduits du français à l’anglais). Le prix de vente est très proche du prix unique du livre pratiqué en France. D’après les premières estimations, après six mois d’existence, la clientèle se compose d’environ 60% de Français et 40% d’Américains, et la librairie vend environ 70% de livres en français et 30% en anglais. Le chiffre d’affaires dégagé par la vente de livres en français nous permet de faire exister cette librairie et donc de valoriser aussi les livres en traduction et d’organiser des événements en anglais. Albertine est également positionnée dans le réseau des universités (centres d’excellence/Maisons françaises), des institutions culturelles (FIAF) et des écoles à programme français et classes bilingues, qui nous commandent des ouvrages ou demandent à la librairie de se déplacer à leurs événements. Environ trois fois par semaine, parfois plus quand la saison littéraire bat son plein, la librairie (qui est ouverte 7 jours sur 7) accueille également des événements, qui prennent le plus souvent la forme d’une conversation en anglais entre un auteur français et un auteur américain. Un week-end sur deux sont organisés des ateliers pour les enfants, qui rencontrent un succès considérable. Juste avant Noël 2014, nous avons également lancé un nouveau projet dont nous sommes particulièrement fiers : les « French Corners » dans des grandes librairies indépendantes américaines. Lors d’un déplacement à Miami fin 2013, j’ai rencontré Mitchell Kaplan, le fondateur de la chaîne de librairies indépendantes Books and Books, qui m’a dit : « Pourquoi l’ambassade n’aide pas les libraires indépendants à vendre des livres français ? ». C’est de là que tout est parti ! Nous avons proposé aux meilleures librairies des Etats-Unis de prendre en dépôt des livres français et en traduction, en leur proposant une sorte de « kit » tout prêt, de façon à ce que ce soit le plus simple possible pour elles. Les libraires ont pu choisir entre une sélection de romans, poèmes et pièces de théâtre en français (75 livres) et une sélection de 60 livres traduits et 15 romans récents en français. Tous ces livres sont identifiés par un autocollant « Albertine ». Comme les libraires reçoivent les livres à un prix très compétitifs (sans équivalent sur le marché), ils s’engagent par contrat à les vendre au maximum 15% plus cher que le prix français. Les « French corner » sont suivis localement par les attachés culturels et animés par la venue d’auteurs français dans les librairies. Nos premiers partenaires sont Politics and Prose (Washington DC), Brookline Booksmith (Boston), Books and Books (Miami), Nunu Arts and Culture (Arnaudville, Louisiana), Brazos Bookstore (Houston), The Book Cellar (Chicago), Powell’s (Portland). Le succès est au rendez-vous: pour réalimenter leur French corner, plusieurs librairies ont commandé à nouveau des livres, cette fois non plus en dépôt, mais au prix d’Albertine. Sans notre librairie, le projet n’aurait tout simplement pas été possible. Nous n’aurions jamais eu les moyens de proposer les livres en dépôt (la mise en dépôt ne rapporte rien à la librairie et lui coûte en main d’œuvre ; c’est le département livre qui paie le transport aller, les retours étant à la charge des libraires). Nous allons lancer une deuxième campagne à l’automne prochain pour étendre le réseau. Nous avons eu des articles dans la presse (Publishers’ Weekly, Livres Hebdo, des journaux locaux après les soirées de lancement localement) et d’autres librairies souhaitent entrer dans le dispositif. La situation des librairies indépendantes aux Etats-Unis sem ble préoccupante… Pourriez-vous nous en dire un peu plus ? Le contexte américain est bien plus favorable qu’on ne le dit souvent. Il est vrai que ces dernières années, les chaînes de librairies n’ont pas le vent en poupe. Border’s a dû fermer tous ses magasins, et les nouvelles que l’on peut lire dans Publishers Weekly ou ailleurs concernant Barnes and Noble ne sont souvent pas très bonnes. Toutefois, les grandes librairies indépendantes, qui font l’effort de proposer un vrai service au client, se portent bien. Selon l’American Booksellers Association, le nombre de librairies indépendantes s’est accru de plus de 20% entre 2009 (1651) et 2014 (2094). Les ventes ont également augmenté d’environ 8% par an ces trois dernières années dans les librairies indépendantes. C’est davantage que la moyenne des chiffres de vente incluant Amazon.