Le sans-terre devenu expert des bovins raconte les vaches de sa vie

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Le sans-terre devenu expert des bovins raconte les vaches de sa vie
Rencontre
12
14 JANVIER 2016
CHRISTOPHE GERBER
Le sans-terre devenu expert des
bovins raconte les vaches de sa vie
Fin connaisseur
de l’élevage bovin,
Christophe Gerber
publie un ouvrage
consacré aux vaches
qu’il a croisées aux
quatre coins du pays.
L’ambassadeur aux santiags
En convoquant ses souvenirs, Christophe
Gerber tombe sur d’anciennes coupures de
presse. On le retrouve sur une image parue
dans les colonnes du Sillon romand (titre, à
l’époque, de Terre&Nature) en avril 1982.
Dans l’objectif de Marcel Imsand, il apparaît cigarette aux lèvres, lunettes fumées,
penché sur un feuille de pointage, en compagnie de deux éleveurs fribourgeois. En
arrière-plan? Des vaches bien sûr. Christophe Gerber officie alors comme expert
lors d’un concours de syndicat d’élevage à
Lessoc (FR). Il ne portait pas encore les
éternelles santiags qu’on lui connaît aujourd’hui. Mais il captivait déjà le public
Un faible pour les brunes
L’ancien juge d’exposition et directeur des exportations de bétail Christophe Gerber a gardé
sa flamme intacte pour les belles vaches. Il publie un livre pour leur rendre hommage.
par sa verve et sa fine connaissance de la
génétique, qui lui vaudront d’être un juge
d’exposition particulièrement apprécié
dans les années nonante. Après Expo Bulle
et Swiss Expo, il jugera même hors de nos
frontières, jusqu’au Brésil. «Le concours se
déroulait en plein air, par 40°C. La pression
était terrible, car, en l’absence contrôles de
EN DATES
•Octobre 1971 «Je suis engagé à
Grangeneuve, c’est le début de ma
carrière dans la zootechnie.»
•Novembre 1991 «Ma première
exposition en tant que juge. C’était la
Junior à Bulle. Cette activité me
conduira jusqu’en Amérique latine.»
•Avril 1999 «Moment historique à Bulle
lors de la présentation de 37 filles de
l’inoubliable taureau Pickel.»
performances, mon jugement donnait immédiatement la valeur vénale de la bête.
Autant vous dire que ma parole valait très
cher!» Christophe Gerber confie que le
frisson d’adrénaline ressenti en ces moments a quelque chose d’addictif. «Classer
des vaches en quelques minutes est un
challenge dont je ne me suis jamais lassé.»
Éloquent, convaincant, le Bernois a toujours su puiser dans la pression régnant
dans ces concours une véritable stimulation.
Du bagou, il lui en faudra également pour
parvenir à vendre plus de 5000 bêtes par
année hors de nos frontières. Dès 1989,
Christophe Gerber reprend en effet la tête
de la Commission suisse d’exportation de
bétail (qui deviendra plus tard Swissgenetics). À ce titre, il conduit alors éleveurs
espagnols, italiens, français et allemands
sur les alpages et dans les étables suisses,
jouant les traducteurs et excellant dans
le rôle délicat d’entremetteur. «C’était
© DOMINIQUE BERSIER
Que ce soit à l’alpage ou sur le ring d’une
exposition, il les observe, il les jauge, il les
admire. Les vaches, Christophe Gerber les a
aimées tout au long de sa vie. À commencer
par son enfance, dans le Simmental. «J’étais
un «sans-terre», et je rêvais d’élevage», raconte le sexagénaire dans un français teinté
d’accent alémanique. Son père, instituteur
à Zweisimmen, ne possède pas de bétail.
Qu’à cela ne tienne, c’est auprès du voisin
paysan que Christophe Gerber apprendra le
métier. Avec lui, le jeune Bernois passe ses
étés comme garçon de chalet sur les flancs
du Hundsrügg. «Il était exigeant, et la vie à
l’alpage était rude. Mais c’est là-haut que
j’ai vécu les semaines les plus exaltantes de
mon existence. En septembre, quand il fallait redescendre dans la vallée, j’en pleurais.» Malgré son envie de devenir agriculteur, ses parents le poussent à étudier. Il
quitte le canton de Berne pour le Poly de
Zurich. Puis, jeune ingénieur agronome, il
est embauché, en 1971, à l’École d’agriculture de Grangeneuve (FR), pour y enseigner
la zootechnie. Sa fougue et son enthousiasme communicatif l’aident à transmettre
aux futurs paysans sa passion des belles
vaches. «L’époque était palpitante, car
chaque année amenait son lot de progrès.
C’était facile de passionner les élèves!»
l’époque où l’élevage suisse rayonnait dans
le monde entier.» Durant quinze années, il
porte également le costume d’ambassadeur
de la génétique helvétique, de la Roumanie
à l’Afrique du Sud en passant par le
Mexique. En 1993, en pleine crise de la
vache folle, il y arrache après des heures de
négociation un accord commercial au ministre de l’Agriculture. «Ce qui m’a le plus
marqué? Les santiags qu’il portait!» Depuis cette rencontre, Christophe Gerber ne
sort pas sans ses bottes de cow-boy. Il en
possède une dizaine de paires. «À l’alpage,
lors de rencontres officielles ou en boîte de
nuit, ce sont les godasses de toutes les situations!»
Fin des années nonante, Swissgenetics se
restructure. Christophe Gerber, esprit libre
et tête brûlée, n’y trouve plus son compte.
L’agronome fonde sa société de conseil, et
se lance dans l’écriture. Il publie en 2006 La
Suisse, un pays vachement beau, un ouvrage
consacré à la génétique bovine émaillé de
savoureuses anecdotes. Dans la foulée, il
lance la revue Bovina, un trimestriel sur
papier glacé consacré à l’élevage bovin en
Suisse. Le dernier numéro est sorti il y a
quelques mois.
Cette année, on le croisera forcément à
Swiss Expo. L’homme reste fidèle à ce rendez-vous, même s’il déplore un peu que
l’exposition soit devenue un monde de
spécialistes. «Tout n’est que mise en
scène. Une fois les flashes éteints et les
paillettes nettoyées, les vaches, aussi exceptionnelles soient-elles sur le ring, retrouvent leur étable, leur alpage.» C’est là
que Christophe Gerber les affectionne le
plus. Et c’est pour cette raison qu’il vient
de publier son deuxième livre, Vachement
suisse. En images, il y raconte les belles
qu’il a croisées lors de ses reportages aux
quatre coins de la Suisse. Évidemment,
derrière chacune de ses photos se cache
une rencontre, une histoire, parfois
d’amour. Il confie ainsi son faible pour un
troupeau de brunes originales qui passe
l’été à Isenthal, dans le canton d’Uri. «Ces
vaches sont capables de produire 6000 kg
de lait dans toutes les conditions, en zones
tropicales ou à 2000 mètres d’altitude.
Increvables et sublimes à la fois.»
Claire Muller n
+ D’INFOS Vachement suisse, la vache suisse
en 299 images peut être obtenu auprès de
Christophe Gerber. tél. 079 817 15 21 ou sur
le site www.diekuhleschweiz.ch
MA ROMANDIE À MOI
LE CLIN D’ŒIL D’ALBERT PAUCHARD
Elle s’appelle Rudolpha. Du moins, c’est le nom qu’on lui a donné.
Au Musée d’histoire naturelle de Fribourg, ce rorqual boréal fait,
depuis cent trente-cinq ans, le bonheur des visiteurs.
Mais comment cette baleine à fanons a-t-elle échoué entre les
murs de la vénérable institution fribourgeoise, si loin des océans
qu’elle fréquente à son habitude? Son destin mérite d’être conté.
Tout commence sur une plage normande, au Havre, où notre
baleine est retrouvée échouée, le 11 février 1852. Elle sera
immédiatement embaumée grâce à des injections d’un produit,
encore inconnu à ce jour – qui a permis sa conservation.
Rudolpha est la seule baleine encore existante dans le monde
à avoir été naturalisés dans sa vraie peau. À une époque où
ces «monstres» marins causaient encore l’émoi de ses visiteurs,
Rudolpha devient l’attraction vedette d’un Musée maritime
itinérant, qui la présente alors dans de nombreuses villes
d’Europe. En 1881, elle arrive sur les rives de la Sarine, pour
y rester définitivement. En difficultés financières, ses propriétaires la cèdent alors au musée pour la somme de 2000 francs.
Rudolpha, c’est aussi un souvenir d’enfance, de l’époque où la
télévision était encore en noir et blanc. Se rendre au musée
relevait d’une véritable expédition, du moins à hauteur de
bambin. Depuis quelques années, cette chère Rudolpha a trouvé
un écrin à sa taille (12 mètres de long), qui la met en valeur
et à l’honneur. Elle nage dans un océan bleuté sous le regard
de son ancien propriétaire dont le portrait s’anime sur commande. Ressuscité virtuellement, il nous conte le destin
de cette baleine au destin exceptionnel, dont les mélopées,
constituées de sifflements longs et graves, enveloppent le
visiteur, à peine pénètre-t-il dans son univers. Moi qui ne l’avais
plus visitée depuis bien une décennie, j’ai retrouvé cette chère
© DR
La baleine qui chante pour ses visiteurs
Rudolpha en pleine forme, l’œil toujours aussi pétillant, dans un
bel espace bleuté rappelant les eaux de l’Atlantique Nord, où
elle a été jadis capturée. Alors, si vous lui rendez visite ces
prochains temps, saluez-la de ma part.
+ D’INFOS Musée d’histoire naturelle de Fribourg, chemin du
Musée 6, 1700 Fribourg. Ouvert tous les jours, de 14 h à 18 h.
Entrée gratuite. Pour s’y rendre: depuis la gare CFF, bus No 1
(direction Marly-Gérine) ou 3 (direction Pérolles).