Bagdad dix ans après, un photoreporter raconte

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Bagdad dix ans après, un photoreporter raconte
Bagdad dix ans après, un photoreporter raconte
Pubié sur levif.be par Marie Gathon le mardi 09 avril 2013
Il y a dix ans Bagdad tombait aux mains des Américains. Depuis, le pays a été rendu aux Irakiens
qui doivent vivre dans un pays dévasté. Rencontre avec Bruno Stevens, un photoreporter belge
présent à Bagdad durant la guerre et qui y est retourné dix ans après pour retrouver ceux qu’il
avait photographiés à l’époque.
Vous avez passé six mois en Irak au moment de la guerre en 2002 et 2003, qu’est-ce qui vous a
le plus marqué durant cette période ?
J’étais au milieu d’une guerre avec beaucoup de victimes civiles, c’était très dur et très touchant.
C’est l’ensemble de cette période qui a été marquante pour moi, pas un évènement en particulier.
J’avais le sentiment d’être au cœur d’un évènement historique. Nous, les journalistes et les
photographes, étions au milieu de cette guerre face à une population qui portait sur nous un regard
très particulier et ambivalent. Les Irakiens savaient pertinemment que nous étions de leur côté, nous
étions comme eux soumis aux bombardements. Plusieurs journalistes ont été tués. Ils savaient que
nous n’avions rien à voir avec cette guerre et étaient reconnaissants que nous soyons là.
En même temps, nous représentions le monde occidental, nous étions les yeux de l’occident en Irak.
Ils nous prenaient à partie pour témoigner, pour que l’on soit leur passeur, pour montrer au monde
le mensonge de cette guerre. Saddam Hussein n’avait pas d’armes de destructions massives et tout
le monde la savait.
Pourquoi avez-vous décidé d’y retourner dix ans après ?
Quand l’occupation américaine a commencé après la guerre, je n’ai pas voulu rester parce que
c’était un autre cycle de l’histoire qui commençait. Par contre, je trouvais que c’était très intéressant
d’y retourner dix ans après pour voir comment vit la population depuis que l’occupation américaine
est terminée (décembre 2011). Au départ je suis parti pour simplement photographier les mêmes
endroits qu’il y a dix ans. Une fois sur place, j’ai eu envie d’essayer de retrouver les personnes que
j’avais photographiées à l’époque. C’était un pari risqué parce que je n’avais ni nom, ni adresse. J’ai
donc parcouru les rues de Bagdad avec mon livre de photos en main et j’ai cherché. Curieusement,
j’ai quand même réussi à retrouver plus de 20 personnes. Je les ai interviewées de la même façon. Je
leur ai demandé ce qu’il s’était passé dans leur vie depuis les photos que j’avais prises pendant la
guerre. Les réponses que j’ai eues étaient très intéressantes, très émouvantes, mais aussi très
contrastées.
Que vous ont dit ces gens ?
J’ai par exemple retrouvé un homme que j’avais photographié la nuit, portant le cercueil d’une
victime dans les rues de Bagdad. C’était après l’un des bombardements les plus meurtriers de la
guerre. Il avait fait plus de 50 morts. C’était une image très forte. J’ai discuté avec lui et il m’a
reparlé de ce bombardement. Pendant 15 minutes il m’a rappelé le nom des victimes. C’était
incroyable, sans préparation aucune, il se souvenait de toutes les personnes mortes ce jour-là. Ça l’a
extrêmement marqué.
À l’inverse, j’avais photographié un gamin de 6 ans qui était apeuré lors du bombardement d’un
centre de communication. Aujourd’hui, il ne se souvient pratiquement de rien. Il dit que pour lui ça
ne change pas grand-chose d’avoir vécu la guerre parce qu’il passe son temps à vendre des
cigarettes à la pièce dans la rue.
Puis, il y a eu ce garçon de 14 ans. C’était au milieu de la guerre, il y a eu des bombardements.
Nous étions quelques journalistes et nous avons vu arriver des dizaines de gamins qui couraient.
Dans le groupe, il y avait ce garçon avec son t-shirt Titanic. C’était incroyablement symbolique !
Quand je l’ai retrouvé dans un quartier sunnite très difficile d’accès, il se souvenait très bien de ce
qui s’était passé et de moi, le journaliste occidental qui l’avait photographié en courant en marche
arrière. Aujourd’hui il n’a pas de travail, mais il est devenu musicien et joue dans des mariages pour
gagner un peu d’argent.
Qu’est-ce qui a changé, selon vous, en Irak depuis la chute de Saddam Hussein ?
Tout a changé. C’est une catastrophe. À l’époque, le pays était isolé depuis des décennies à cause
des sanctions internationales. Depuis le départ des troupes américaines en 2011, l’Irak est toujours
aussi isolé. Il y a toujours des coopérants étrangers en énergie et en sécurité, mais la vie quotidienne
a été complètement bouleversée. Saddam Hussein était un terrible dictateur, mais lorsqu’il était en
place, le pays fonctionnait. Il y avait des infrastructures efficaces, des écoles, des hôpitaux, etc.
Aujourd’hui, c’est le bordel. Il y a des dizaines de check points à Bagdad qui sont inutiles et
inefficaces et qui rendent la circulation en ville très compliquée. La guerre civile qui a suivi
l’invasion américaine s’est calmée, mais il y a toujours des vagues de violence, des attentats, des
kidnappings et des assassinats ciblés. À chaque évènement, il faut craindre des violences. Le régime
de Saddam Hussein était un régime dictatorial très dur, mais la guerre a ramené le pays en arrière de
plusieurs décennies. La vie quotidienne et la sécurité sont une véritable catastrophe.