Textes audition Académie lyrique Un poème à choisir

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Textes audition Académie lyrique Un poème à choisir
Textes audition Académie lyrique
Un poème à choisir dans les dix textes ci-dessous + une scène dialoguée au choix dans le répertoire
théâtral européen du 16ème siècle à nos jours.
Poèmes | Emily Brontë | 1837
La nuit autour de moi se fait plus obscure,
Les vents sauvages soufflent, plus froids,
Mais un charme tout puissant me lie,
Et partir, partir, je ne le peux.
Les arbres géants abaissent
Leurs branches nues, pesantes de neige,
Et la tempête va grande erre,
Et cependant je ne puis partir.
Nuages au-delà, nuages au-dessus de moi,
Solitudes au-delà, solitudes plus bas,
Mais nulle désolation ne peut m’émouvoir,
Je ne veux pas, je ne peux pas partir.
Traduction de l’anglais par René Char, Poésie/Gallimard
Crépuscule | Joseph von Eichendorff | 1837
Le crépuscule étant ses ailes
Les arbres frissonnent d’effroi,
Comme de mauvais rêves, les nuages passent
Que signifie cette angoisse ?
Si un chevreuil t’est plus cher que les autres
Ne le laisse pas aller seul chercher sa pâture.
Des chasseurs traversent la forêt, lancent
Des appels de cor et poursuivent leur course.
As-tu un ami en ce monde
Ne lui fait pas confiance à cette heure,
Aussi amicaux que soit son regard et son sourire,
Il n’en nourrit pas moins des intentions perfides.
Ce qui s’achève ce soir dans la lassitude
Renaîtra demain avec l’aube
La nuit fait percer de lourdes menaces
Prend garde reste en éveil.
Rochefort 2011
1
La Légende des siècles | Victor Hugo | 1859
Les pauvres gens
I.
Il est nuit. La cabane est pauvre, mais bien close.
Le logis est plein d’ombre et l’on sent quelque chose
Qui rayonne à travers ce crépuscule obscur. Des filets de pêcheur sont accrochés au mur. Au fond, dans l’encoignure où quelque humble vaisselle Aux planches d’un bahut vaguement étincelle, On distingue un grand lit aux longs rideaux tombants. Tout près, un matelas s’étend sur de vieux bancs, Et cinq petits enfants, nid d’âmes, y sommeillent.
La haute cheminée où quelques flammes veillent
Rougit le plafond sombre, et, le front sur le lit, Une femme à genoux prie, et songe, et pâlit. C’est la mère. Elle est seule. Et dehors, blanc d’écume, Au ciel, aux vents, aux rocs, à la nuit, à la brume,
Le sinistre océan jette son noir sanglot.
Prendre congé | Algernon Charles Swinburne | 1866
Plus de chansons ; elle ne veut pas les entendre.
Partons, partons d’ici, allons-nous-en sans crainte,
Taisons-nous, le moment des chansons est passé,
Passées les vieilles choses qui nous étaient chères.
Elle n’aime ni vous ni moi, nous qui l’aimons,
Et si, comme les anges, nous chantons pour elle,
Elle ne veut pas nous entendre.
Levons-nous, quittons-la, elle n’en saura rien.
Allons prendre la mer et suivre les grands vents
Gonflés de sable et d’écume. Qu’y pouvons-nous ?
Les choses sont ainsi et nous n’y pouvons rien,
Le monde entier a l’amertume d’une larme.
N’essaye pas de lui dire comment sont les choses,
Elle ne veut pas le savoir. […]
Partons, partons d’ici, elle ne veut pas voir.
Chantons encore ensemble une fois, et peut-être,
Se rappelant les jours et les mots d’autrefois,
Elle se tournera vers nous en soupirant.
Mais nous sommes partis, nous sommes déjà loin.
Bien que tous ceux qui voient me prennent en pitié,
Elle refuse de me voir.
Traduction de l’anglais par Jacqueline Autrusseau et Maurice Goldring
Rochefort 2011
2
Fêtes galantes | Paul Verlaine | 1869
Clair de lune
Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.
Tout en chantant sur le mode mineur
L’amour vainqueur et la vie opportune
Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,
Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d’extase les jets d’eau,
Les grands jets d’eau sveltes parmi les marbres.
Blanche-Neige | Robert Walser | 1901
Oh, je ne demande plus rien
Qu’être morte en souriant, morte.
Je le suis, l’ai toujours été.
Insensible aux vents chauds de vie,
Je me tais comme tendre neige
S’offrant aux rayons du soleil
Pour qu’il la prenne. Oui, je suis neige
Et l’haleine chaude où je fonds
N’est pas mienne, elle est du printemps.
Doux, le suintement. Terre aimée,
Accueille moi en ta demeure.
Il me fait si mal le soleil. […]
Ah, la pensée que votre haine
Me poursuit ne veut pas céder.
Elle me suit dans mes pensées
Peureuses, et, de ma vie, jamais
Mon esprit ne s’en lavera.
C’est du noir qui colle à mon cœur
Et qui étouffe mon âme
Tout son de joie. Je suis si lasse !
Que ne suis-je image insensible,
Gisante en le cercueil ouvert. […]
Une force pourtant me ramena ici
En pleurs, chez vous, dans ce monde où
Le cœur doit faner et mourir.
Traduction du suisse allemand par Hans Hartje et Claude Mouchard, Librairie Corti
Rochefort 2011
3
Mes propriétés | Henri Michaux | 1935
Emportez-moi dans une caravelle,
Dans une vieille et douce caravelle,
Dans l’étrave, ou si l’on veut, dans l’écume,
Et perdez-moi, au loin, au loin.
Dans l’attelage d’un autre âge.
Dans le velours trompeur de la neige.
Dans l’haleine de quelques chiens réunis.
Dans la troupe exténuée des feuilles mortes.
Emportez-moi sans me briser, dans les baisers,
Dans les poitrines qui se soulèvent et respirent,
Sur le tapis des paumes et leur sourire,
Dans les corridors des os longs, et des articulations.
Emportez-moi, ou plutôt enfouissez-moi.
Chant funèbre | Wystan Hugh Auden | 1938
Arrête toutes les horloges, coupe le téléphone,
Jette un os juteux au chien pour qu’il cesse d’aboyer,
Fais taire les pianos, et avec un tambour étouffé
Sors le cercueil, fais entrer les pleureuses.
Que les avions tournent en gémissant au-dessus de nos têtes
Griffonnant sur le ciel ce message, Il Est Mort.
Noue du crêpe au cou blanc des pigeons,
Gante de noir les mains des agents de police.
C’était mon Nord, mon Sud, mon Est et mon Ouest,
Mon travail, mon repos,
Mon midi, mon minuit, ma parole, mon chant.
Je croyais que l’amour durait pour toujours, j’avais tort.
On ne veut plus d’étoiles désormais ; éteins-les toutes
Emballe la lune et démonte le soleil,
Vide l’océan, arrache la forêt,
Car plus rien maintenant ne vaut la peine.
Rochefort 2011
4
Éclipse d’étoile | Nelly Sachs | 1943
Tu es assise à la fenêtre
Et tombe la neige –
Ta chevelure est blanche
Et tes mains aussi
Mais dans les deux miroirs
De ton blanc visage
L’été s’est maintenu :
Paysage pour les prairies dressées dans l’invisible –
Breuvage pour les gazelles d’ombre dans la nuit
Mais disant ma plainte je plonge dans la blancheur, en ta neige –
D’où la vie s’éloigne très doucement
Comme à la fin d’une prière balbutiée –
Ah, m’endormir en ta neige
Avec toute la souffrance du souffle de feu du monde
Pendant que les courbes délicates de ta tête
Déjà sombrent dans une nuit de mer
Pour une nouvelle naissance
Traduction de l’allemand par Mireille Gansel, Verdier
Trente-trois sonnets écrits au secret | Jean Cassou | 1944
XVII.
Eloignez-vous sur la pointe des pieds.
Prenez la barque et ne revenez plus.
Retournez tous chez vous avec vos fées,
vos ombres étrangères et vos luths.
Bien sûr, pour vous, beaux promeneurs, ce fut
une aventure neuve et enchantée.
Emportez-la comme un bijou volé,
un feu qui tremble encore, un livre lu.
C’est ici la chambre des anges morts.
Laissez-nous seul dans notre vie déserte,
devant ces mains et ces ailes inertes.
Il s’est passé ici depuis l’aurore,
une effrayante histoire, étrange et tendre,
et que le désespoir seul peut comprendre.
Rochefort 2011
5