Rodéo dans l`underground - Le mec de l`underground

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Rodéo dans l`underground - Le mec de l`underground
RODEO DANS L’UNDERGROUND
— Pour le référencement, il faudrait que tu me donnes tes mots-clefs, et n’oublie pas de foutre
souvent des liens internes, ça c’est hyper important.
Je n’entrave que dalle à ce que me raconte le Black Rabbit. En plus avec la zik, je suis obligé
de me boucher l’autre oreille et de gueuler fort dans le phonetel pour me faire piger. Et puis le
réseau aussi, c’est bof, ça n’arrête pas de couper.
Un rasta blanc, en gros le genre de mecs qui me vénère, vient m’interrompre en plein
business. Le truc à éviter.
— Excuse-moi ! Excuse-moi ! Tu peux pas m’faire un bonbon ? il me demande.
Je baisse le téléphone :
— Tu vois pas qu’j’suis au bigo ? J’parle biz alors t’arrêtes de m’les briser, tu vas t’prendre
une bibine et j’te fais ça dans un quart d’heure. Maintenant casse tes ruines Woodstock, j’ai
des choses plus importantes à régler que ta putain d’défonce !
Le rastaman en toncar se taille. Je reprends ma conversation avec le Black Rabbit :
— Ouais, l’Black Rabbit, tu peux parler plus fort ? Franchement j’entends que tchi…
Ça coupe. Putain ! Le réseau d’enculé. De toute façon avec le son, c’est trop galère. Ils ont
fait péter les décibels dans ce hangar de barjo. Je reluque le boxon : que des foncedés, des
percés et des tatoués. La tech, l’électro et le hardcore n’attirent que les déchets radioactifs.
Aucune convivialité, chacun dans sa matrice, à guénave jusqu’au matin, jusqu’à l’arrêt du
palpitant ou la déshydratation. Moi je m’en tape, je kiffe bien, je suis fouère.
Je change de place pour trouver du réseau. Je descends l’escalier en ferraille sur lequel je me
tiens et tourne dans la boite désaffectée, les yeux rivés sur le petit signe de mon phonetel qui
m’indique que je ne peux pas appeler. Je tombe sur Malo Kid :
— Ça va gros ? je lui demande.
— J’ai envie d’me natchave, j’kiffe pas les ambiances comme ça, avec leur son d’merde et
leurs gueules de toxicos. Même les meufs elles sont péraves, vous voulez pas qu’on s’casse ?
Mon phonetel vibre. Le Black Rabbit. Réseau is come back. Je décroche sans répondre à
Malo Kid :
— Allô ? Allô ? L’Black Rabbit, tu m’entends ? Allô putain ?
*
Je refourgue le cacheton à l’autre rastaman de mes couilles et speede aux chiottes après m’être
rendu compte que j’avais envie de pisser grave de chez grave. Quand je suis sulfaté,
généralement je ne m’en aperçois qu’au moment où ma vessie s’apprête à éclater.
J’ouvre la lourde des gogues : c’est crade, ça pue la gerbe et la pisse. Normal, la chasse ne
doit plus fonctionner depuis plus de dix piges, alors la merde s’entasse. Mais moi, je suis
habitué aux odeurs qui chlinguent , ça me rappelle juste celles de mon teum-teum. Je baisse
mon fute, sors mon zguègue et pisse dans un coin.
Ça suce derrière moi. Je me retourne : ma reusse taille une flûte à un putain de dégénéré
scarifié. Je regarde le mec :
— Toi t’as pas peur de choper la chtouille !
— Mêle-toi d’ton cul ! Me fait ma frangine avant de reprendre sa turlute.
— Ta gueule !
Je me casse. J’ai un gros blème avec ma reusse. En fait, je dois avouer que je suis un peu
jaloux d’elle. Jaloux de sa thune en réalité. Elle palpe du zeillo, à sucer des braques et payer
sa teucha.
Je rejoins les autres, Malo Kid tire encore la gueule et Lakhdar supplie Chivas de lui prêter sa
caisse :
— Mec, s’te plait, j’fous une serviette, j’te jure j’fais ça propre. J’la nique juste et j’touche
même pas à ta gova. La vie d’ma mère, tu retrouves une trace de foutre et j’te rachète une
caisse.
— Et avec quelle thune, enfoiré ? T’es toujours en rade !
— Vas-y, s’te plaît mec, j’t’en supplie, j’te jure sur les yeux d’ma sœur, ça puera même pas la
baise quand tu rentreras dans ta caisse et sur la vie d’ma daronne que si…
— …C’est bon, tiens !
Chivas lui file les clefs de sa tire. A mon avis, il en a juste ras-le-cul de supporter l’autre en
train de chialer sa race. Lakhdar, il sait être relou. Il remercie le soce et se casse avec un
cageot, Miss thon en personne. Je pose une main sur l’épaule de Chivas :
— Frelo, t’es sûr que c’était une bonne idée ?
*
— En fait j’vais t’installer un plug-in qui t’permet d’mettre en forme des nouvelles sur ton
blog, un peu comme une liseuse. Et j’vais t’prendre un responsive pour qu’les gens puissent te
lire sur des smartphones…
Je ne bite vraiment que dalle. Moi l’informatique, c’est un peu comme le mainstream, ce n’est
pas mon monde. Je n’ai jamais pu blairer ça. La preuve, c’est que je tape à l’ordi avec deux
doigts. Si les gens acceptaient de lire des textes écrits à la main, je ne me prendrais pas la tête
à rendre des tapuscrits, je refilerais mes brouillons.
— Bordel, tu m’écoutes ou quoi ? me gueule le Black Rabbit à l’autre bout de la ligne. Putain,
c’est impossible de t’parler, y a trop d’son autour…
Ça coupe. Putain de bordel d’enculé ! Comment c’est en train de me prendre la tronche, cette
histoire ! Déjà que l’autre parle chinetok et que les amplis sont à deux doigts de sauter sous la
force des décibels, si en plus ça se met à couper toutes les trente secondes…
Lakhdar revient, en panique. Je ne sais pas ce qu’il a gobé mais il a l’allure d’un gars en plein
bad-trip.
— Les gars, faut qu’on trace d’ici, y a eu une couille !
*
On suit Lakhdar jusqu’au parking sauvage. Qu’est-ce qu’il nous a fait, ce connard ? J’ai
toujours dit : « Lakhdar, c’est un aimant à galère ». Le king de la bouffonnerie ! Je suis prêt à
parier qu’il a salopé la turvoi du srab. Si c’est le cas, ça va péter sec. Chivas balise grave et
fout un coup de sionpré à Lakhdar :
— J’te jure, si t’as baisé ma gova…
— Nan nan, ta gova, ça va !
— Alors quoi, bordel ?
— Rien ! On s’arrache, c’est tout !
On déboule devant l’Alpha du clandé. Rien de niqué apparemment.
— Pourquoi ma caisse a changé de place ? T’as fait un tour avec ? demande Chivas à
Lakhdar.
— Ouais, vite-fait !
— Putain, j’peux vraiment pas t’faire confiance. La prochaine fois qu’tu m’demandes un truc,
tu pourras t’foutre des bananes dans l’fion !
— Nan mais j’me sentais pas bien, j’suis allé faire un tour dans les environs.
— Bon alors, c’est quoi la galère ? demande Malo Kid.
Lakhdar a l’air d’hésiter puis :
— Nan nan, y a pas d’galère, juste on s’taille.
Je ne sais pas pourquoi, j’ai un sale pressentiment. Mais en même temps la caisse, je m’en
bats les steaks, ce n’est pas la mienne. Ma reusse vient casser les yeucs, pour changer. Elle
hurle comme une hystérique sous CC :
— Pourquoi on est sorti, hein ? Moi j’veux rester, j’aime pas les plans relous, j’étais dans mon
délire et vous m’avez cassé les couilles, bande de fils de pute !
— Ta gueule ! lui envoie Malo Kid.
Bien joué !
— Toi, ta putain d’gueule ! J’t’emmerde et j’vous emmerde tous ! J’vous pisse à la raie, vous
entendez ça ? J’vous pisse à la raie ! Tous !
Ça vibre, dans ma fouille. Le Black Rabbit. Je laisse vibrer, je le rappellerai dans cinq
minutes.
— Allez, on s’taille ! fait Lakhdar.
Chivas ne dit rien. A mon avis il est comme moi, il suspecte un truc. Il tourne autour de sa
vago, Lakhdar est tout paniqué puis là, un bruit sourd. Ça vient du coffre de la caisse. On se
regarde tous. C’est quoi, ce bordel ? Qu’est-ce qu’il nous a encore fait, ce blaireau ? Chivas
ouvre son coffre : un daron avec des lunettes, à oilpé, est bâillonné les pognes dans le dos, la
gueule pleine de résine et un foulard dans la bouche.
Une bonne nuit de merde nous attend…
*
Chivas zigzague à 140 sur cette route de campagne gerbante. A côté de lui, Lakhdar reste
muet, la tête baissée. Et il a bien raison, cet enculé. Je suis derrière au phonetel, entre la
frelonne qui gueule et Malo Kid qui lui hurle de la boucler.
— Pourquoi j’entends des gueulements à côté d’toi ? me demande le Black Rabbit.
— Nan rien, c’est ma pute de sœur ! Vas-y, tu disais ?
— Nan mais sérieux, j’entends rien là !
— Allô ? Allô ?
Ça raccroche.
— Putain mais fermez vos gueule ! je hurle dans la caisse.
Je sens un liquide chelou au moment où je pose ma main sur la banquette en cuir. Du sperme.
— Et ta grosse, t’en as fait quoi ? je demande à Lakhdar.
— Je l’ai niquée et après je l’ai dégagée quand elle a dégueulé.
Je me disais bien que ça fouettait la gerbe. Malo Kid me fout un coup de coude :
— Ça va, on vous dérange pas en train d’parler d’meufs ? J’te rappelle qu’on a un gros blème
sur l’derche. Et dis à ta sœur de fermer sa gueule, elle m’fait mal au crane.
— Ta gueule toi ! Ta gueule ! elle lui répond.
— Toi ta gueule ! je lui fais.
— Nan toi ta gueule !
— Ta gueule putain !
Chivas ralentit, prend une route mesquine sur la droite, s’enfonce dans un bois et pile au
moment où je décolle une tarte à ma reusse. Le clandé se vénère, un truc de barge :
— Allez tous vous faire enculer ! Toi, va t’faire enculer, toi, va t’faire enculer, toi, va t’faire
enculer et toi, va bien t’faire enculer !
— Ta mère ! répond ma sœur.
Avec Malo kid et Lakhdar, on ferme notre gueule. On fait profil bas, vaut mieux, même si
dans le fond, une partie de moi se dit : « Ce serait le moment idéal pour casser les burnes ».
Chivas descend de la tire. On l’imite, sauf ma frangine qui reste à l’intérieur. A peine sorti,
Chivas colle une golden dans la ganache de Lakhdar. Ce n’est pas trop tôt, je commençais à
m’impatienter. Chivas n’a pas la patate douce, Lakhdar se couche direct sans demander son
reste. Un boulet sur le carreau. Le srab est plus agréable en hibernation. On se retrouve entre
bonshommes. Bon et maintenant ?
Chivas ouvre le coffre, le mec bâillonné gigote dans tous les sens. Chivas referme le coffre,
gavé de chez gavé :
— Bon alors, on en fait quoi d’lui ?
— On a qu’à l’flinguer ! je propose.
Malo Kid pète une durite :
— Putain mais t’es con ou quoi ? Y a pas moyen, t’es taré comme mec !
— J’en sais rien, moi j’dis ça comme ça. S’il est dans l’coffre à c’t’heure-ci, c’est forcément
un type louche.
Chivas relève Lakhdar et lui cale trois claques dans la gueule pour le sortir de son cosmos :
— Lakhdar ! Lakhdar !
Le poto ouvre les yeux :
— Hein ? Quoi ? Tu m’as appelé ? Hein ? Pourquoi tu m’as cogné ?
— Le vieux. Il fout quoi dans ma tire ?
— Nan rien, quand j’suis allé faire un tour de caisse pour prendre l’air, je suis tombé sur des
keuftars. J’ai préféré les semer, parc’que moi j’ai pas d’mipère, en plus j’suis foncedé à la MD
et à la tise. En plus c’est pas ma caisse…
— Abrège !
— Ben lui j’ai eu du mal à l’tracer, normal, il était en moto. Alors j’ai essayé de l’écraser…
— Quoi ? Me dis pas qu’lui c’est un chmit !
— Ben si, c’est pour ça qu’il est à oilpé ! Imagine on retombe sur des chmits, ce sera plus
grave s’ils voient un mec en uniforme, après ils vont croire qu’on est des tueurs de flics…
Chivas lui recolle une droite.
*
— D’façon dès qu’on peut s’parler sans être interrompus, t’as pas l’temps.
— Mais nan, j’te jure Black Rabbit. Là on a eu une couille. J’te rappelle dans pas longtemps.
— C’est un calvaire de taffer avec toi, j’sais pas c’qui m’a pris de t’faire cette proposition. Si
ça continue j’vais t’envoyer une facture…
— Vas-y mon frère, là faut que j’raccroche…
Il raccroche. Ma frelonne sort de la caisse, encore et toujours surex’. La C, ça ne lui réussit
pas. Elle nous gueule dessus :
— A cause de vous on va finir en zonz…
— Ta gueule ! lui balance Malo kid.
— Toi, ta gueule…
— Ta gueule j’te dis !
— Toi, ta putain d’gueule de sale bat…
Une droite dans sa face. Il n’y a pas à chier, ça fait du bien quand elle la fout en veilleuse.
Moins deux parasites.
— Cimer Malo Kid !
— Normal !
Chivas nous tire un peu plus loin dans le bois :
— Venez, on marche un peu, j’ai pas envie d’tchatcher devant les deux casses-yeucs…Bon,
on fait quoi du mec ?
Je réfléchis :
— Moi j’dis, on l’bute !
— Pareil ! soutient Chivas.
On regarde Malo Kid.
— Ouais bon, j’ai pigé. T’façon comme d’hab, je suis la clique de l’underground. Ok et alors
comment on s’y prend ?
Je réfléchis :
— Moi j’dis, on l’fait creuser et on l’enterre vivant !
— Arrête tes conneries ! me coupe le coéquipier.
— J’sais pas, c’est un chmit, alors quitte à en marave un, autant faire ça salement.
— Nan nan, j’ai un chlass dans ma boite à gants. On va faire ça vite fait ! explique Chivas.
Je réfléchis :
— Et si on lui coupe juste la langue ? Il pourra plus poucave. Et on lui coupe aussi les pognes
pour pas qu’il écrive.
— Plus j’te connais et plus j’me rends compte que t’es un vrai taré…
Le hurlement de Lakhdar coupe court à la conversation.
*
Ma reusse et Lakhdar, tous les deux la chetron en vrac et en pleine crise d’hystérie. On se
ramène pour leur botter le tarpé puis on stoppe net. Le coffre…le coffre de la caisse est
ouvert. Le feukeu a disparu.
— C’est cette conne ! Cette grosse pute l’a libéré ! crie Lakhdar en pointant ma reusse du
doigt.
Ma connasse de frelonne s’arrête de piailler et nous sort un maxi chlass :
— Bande d’enculés ! Premier qui m’approche, j’lui taille une boutonnière. Vous êtes dans la
chiasse les gars ! Dans la chiasse !
— Nan mais c’est pas possible ! je fais en me passant les mains sur la gueule. Quelle grosse
pute, bordel mais quelle grosse pute !
Mon portable vibre. Le Black Rabbit. Je ne peux pas me permettre de le vesqui :
— Allô ?
— Ouais, c’est bon là ?
J’analyse la situation.
— Ouais, c’est bon !
— Ouais alors j’me disais un truc. Moi j’pense que ce serait pas mal si tes mots-clefs tu les
foutais en gras, genre les mots style « underground », « trash », « hardcore » ou encore «
porno ».
— Nan, c’est pas trop mon délire de saloper mon contenu pour des putains d’robots qui font
des logarithmes.
— Quoi ?
— Rien !
— Et sinon c’qui serait pas mal, c’est d’publier des articles courts mais réguliers. Ça sert à
rien d’balancer tous tes textes d’un coup.
Je mate la scène qui se déroule sous mes yeux. Chivas s’avance vers ma sœur, lui envoie un
high kick dans les gencives et la balance dans le coffre. Parfait ! Maintenant, Malo Kid et
Chivas s’embrouillent avec Lakhdar et lui demandent pourquoi il a laissé faire ma frangine.
— Mais j’étais KO, tu m’as tamponné la face…
J’ai rarement vu plus teubé que Lakhdar. Si, peut-être le belge qui m’a refilé ce blase du «
mec de l’underground ». Ex-aequo on va dire. Les deux, je les range dans la catégorie des
gars qui portent la poisse.
— Bon, tu m’écoutes ou quoi ?
— Excuse-moi l’Black Rabbit. Vas-y !
— Alors, réponds-moi !
— Réponds à quoi ?
— Tu t’fous d’ma gueule ? Ça fait cinq minutes que j’parle dans l’zef, c’est ça ?
— Mais c’est pas ça mais là il est 4 du mat et…
— J’peux pas t’appeler la journée, tu pachaves !
— Mais c’est pas c’que j’veux t’expliquer…
Il me raccroche à la gueule. Comment je ne kiffe pas ça. J’essaye de le rappeler, je tombe
direct sur sa messagerie. Malo Kid me demande si ça baigne. Bah ouais, pourquoi il me
demande ça, ce con ? Bordel, maintenant c’est chasse à l’homme, on a un keuf à exterminer.
On grimpe dans la turvoi sans Lakhdar. On préfère le laisser en plan, déjà qu’il nous a bien
foutus dans la merde. En plus avec les soces, on ne supporte pas la guigne.
*
On serpente cette route de merde éclairée comme le trou de mon derche. Chivas fout la sono à
donf pour cacher les insultes et les hurlements de ma connasse de reusse. Elle nous a foutus
dans un sacré merdier, cette traînée ! C’est elle qu’on devrait enterrer vivante, ma parole.
— Bon, on fait quoi alors ? demande Malo Kid un peu stressé.
J’essaye de le rassurer comme je peux:
— Franchement ? On la défonce salement et on la laisse sur l’carreau et à poil dans l’bois
d’Boubou ou à Bezbar. Avec sa tronche de babtou et son bon p’tit tarpé, elle va pas faire long
feu avant de s’faire traîner dans une cave.
— J’te parle du dèk ! On tourne, on tourne, mais à c’t’heure-ci, il doit s’planquer bien
tranquille, perché sur un arbre.
Genre la punchine ! Il a tiré ça des fables des femmes fontaines, on ne me la fait pas à moi.
— Il a raison, faut qu’on retrouve le kisdé, ajoute Chivas. S’il arrive à s’échapper et qu’il a
relevé l’numéro d’ma plaque, j’suis dans une merde sans blase.
— Ouais, surtout qu’si ça s’trouve, les autres condés qu’Lakhdar a semés ont eu l’temps d’la
scanner, ta plaque ! sort Malo Kid.
— J’avoue, j’avais pas pensé à ça !
On coupe-court à la conversation. Un barrage de képis. Putain de merde, les cops !
*
— Fermez-tous vos gueules ! se vénère Chivas. S’ils m’font souffler dans l’ballon, ils
m’feront ouvrir mon coffre et dans mon coffre, j’vous rappelle qu’il y a une connasse, la
gueule en vrac.
En s’approchant de la brochette de volaille, on se rend compte que les bleus sont en réalité
attroupés autour d’une meule de chmit. Certainement celle du lardu que Lakhdar nous a
ramené. Dar ! La tension monte. Chivas baisse la zik, on va éviter de se faire rodave. Les
hurlements de ma frelonne prennent le relais :
— Bande d’enculés, vous êtes tous des fils de chien…
Putain, la salope ! Avec ses conneries, elle va tous nous envoyer au carpla. Je ne sais pas ce
qui traverse l’esprit de Malokid mais le frolo lui répond du tac au tac :
— Tu m’entends, sale pute ?
— Ta gueule Malo Kid !
— Écoute pétasse ! Maintenant tu vas fermer ta gueule…
— …Y a pas moyen, j’vous ferai chier jusqu’à la mort !
— Ta gueule ! Écoute-moi !
— Nan, toi ta gueule !
— Toi ta gueule ! On a quinze meuges de chnouf dans la boite à gants, fous la en veilleuse et
on t’refile tout, OK ? OK ? T’as pigé ou pas ?
Elle ne répond pas. Ma frangine ferme sa bouche, une première. Malo Kid est une tronche, je
kifferais être aussi intello que lui. Je le recimerise même si je persiste à penser qu’on aurait dû
charcler ma frangine ou la laisser avec Lakhdar. Comme ça il lui aurait porté la poisse.
Mon phonetel sonne, je décroche :
— Allô?
— C’est l’Black Rabbit.
— Yes, excuse-moi ! Là j’t’écoute !
— Nan, tu raccroches ça tout d’suite, c’est pas l’moment ! Me coupe Chivas.
— Euh…Black Rabbit, j’peux t’rappeler ?
— Nan, maintenant tu vas t’faire mettre !
Il me raccroche à la face. Le tarba ! Je déteste qu’on me fasse ce coup-là, et le pire c’est qu’on
me le fait archi souvent. Ce n’est pas de ma faute si les gens n’appellent jamais au bon
moment ou s’ils interprètent mal ce que je dis.
Je m’arrête de penser. On s’engouffre dans chmitland. Stress…
*
Je me baisse pour faire profil bas, Malo Kid aussi. Si les dèks captent nos ganaches, on est
bon pour un contrôle en profondeur. De nous trois, seul Chivas a une gueule à peu près
potable. A peu près, parce que si tu détailles bien il est quand même assez cheum.
On passe la brochette de kisdés, j’évite de téma. Il parait que ça porte la poisse. Chivas respire
un grand coup :
— C’est bueno, ces putains d’lardus nous ont même pas calculés !
Je relève la tête et regarde derrière nous. Perfect ! Malo Kid expire un grand coup et s’éponge
la gueule avec un tire-jus. J’avoue, ça fout le stress, les délires comme ça.
— C’est bon, on a passé les flics ? Nous demande ma sœur en direct du coffre.
— Ta gueule, pas encore ! je réponds.
Cette soirée commence vraiment à me péter les yeucs. J’en ai ras-le-cul mais je relativise en
me disant que ça nous occupe. C’est vrai, je déteste les temps morts et les moments relous
pendant lesquels je n’ai rien d’autre à foutre que de me palucher devant des films de boules.
En plus après, ça me fait mal à la queue et je suis obligé de me procurer une crème contre
l’irritation.
Je rappelle le Black Rabbit, ce serait con de perdre le webdesigner le plus underground de
Paname. J’ai bien senti à sa voix que je lui prenais la tête. Je lui passe un coup de bigo, il me
répond avec une voix blasée :
— Qu’est-c’tu m’casses les couilles ?
— Nan attends, j’t’explique…
Je m’arrête de jacter.
Une sirène de feukeu. Un giro. Un motard déboule et nous fait signe de nous ranger sur le
téco.
*
Chivas ralentit puis se rabat sur la droite. Le condé en bécane s’arrête et coupe son bordel qui
nous casse le crâne. Il descend de sa meule, Chivas baisse la fenêtre de sa turvoi :
— Un blèm…Un problème monsieur ?
— Simple contrôle. J’ai aperçu votre véhicule, il correspond à celui que nous recherchons.
Une Alpha noire.
— On en a croisé une tout à l’heure. Des caisses comme ça, c’est pas ça qui manque.
— Vous avez les papiers du véhicule ?
— Bien sûr ! (Chivas sort ses papelards). Tenez !
— Merci !
— Mais de rien monsieur, c’est normal, vous faites votre travail.
Putain ! Chivas en fait trop, c’est limite s’il ne va pas lui sucer la bite. On va se faire mécra
avec ses conneries. Le keuftar nous reluque bien comme il faut. Bordel, je ne le sens pas du
tout ! En même temps, truc archi rare, le condé est seul, et c’est tant mieux. Il a dû nous
scanner quand on a passé la brochette de poulets et nous pister comme un lardu à la one again.
C’est bien les keufs ça, jouer les justiciers pour récolter en solo les mérites d’une police en
carton mâché.
— Je vais vous demander d’ouvrir le coffre du véhicule monsieur !
Aïe ! On est dans une merde noire. Maintenant pour limiter la casse, il ne reste plus qu’à prier
pour que le chmit qui se ballade à poil dans le périmètre, crève de froid, tombe sur un psycho
ou un tigre affamé.
Chivas sort de la gova, le keuftar le suit jusqu’au coffre. Le compte à rebours est lancé, avant
le grand chambard. C’est le dahwa. Malokid me téma en panique. Je lui rends un regard pas
moins flippé. Chivas ouvre le coffre de la caisse et envoie un coup de plafond en pleine face
du fils de pute.
*
Le lardu est étalé par terre, KO. Ma frangine n’attend pas pour sauter du coffre et nous casser
les yeucs :
— Bande d’enculés, j’veux la chnouf tout d’suite !
— On l’a pas sur nous, répond Malo Kid. Faut aller la chercher.
— T’as dit qu’c’était dans la boite à gants !
— J’me suis trompé !
— T’as pas intérêt à m’biture Malo Kid. A la moindre arnaque, j’te les coupe et j’te les fais
grailler !
Moi, je n’arrive pas à me concentrer sur le message vocal que m’a laissé le Black Rabbit. Ça
n’arrête pas de couper, je ne pige pas grand-chose mais j’ai l’impression qu’il m’embrouille.
Je le rappelle, ça ne se fait pas. Je compose son numéro. Répondeur. Au moins il verra que
j’ai essayé, qu’il se rende compte que je fais preuve de bonne volonté.
— Bon, on fait quoi d’lui ? questionne Chivas à propos du condé qu’il vient de coucher.
— Moi je dis, on l’bute ! je propose.
— Pas question ! me coupe Malo Kid.
— Il a vu nos gueules, si ça s’trouve il a retenu la plaque d’immatriculation…
— …attends, avec ça il devrait plus s’souvenir de grand-chose ! Nous sort Chivas avant de
défoncer le condé avec une série d’écrasements de tête.
Rapidement, la caboche du flic s’aplatit jusqu’à se transformer en bouillie de cerveau.
J’ignore pourquoi mais gratos, ma reusse vient sauter sur les couilles du macchabée. Une fois,
deux fois, trois fois.
— Voilà, enculé d’feukeu d’merde ! Comme ça tu pourras plus faire genre que t’as des
burnes, fils de salope !
Je la calme :
— Ça sert à rien c’que tu fais !
— J’t’emmerde ! Si moi ça m’fait plaise…
Ma frangine. Sa place est dans une casbah de guedin, en camisole de force entre le Joker et le
rageux à la mâchoire d’acier dans James Bond.
— Moi j’dis, on reste pas là ! nous fait Malo Kid en panique.
Il a raison, vaut mieux técale de là et en vitesse avant que la volaille nous tombe sur la gueule.
On laisse le macchabée en plan et on grimpe dans la vago du clandé. Mon portable vibre. Le
black…nan, cet enfoiré de Lakhdar. Je décroche :
— Quoi ?
— C’est Lakhdar !
— Putain, vous êtes obligés d’vous présenter quand vous appelez ? On m’fait l’coup à chaque
fois mais bordel, ton blase s’affiche quand tu m’phonetels !
— Mec…
Je ne kiffe pas son « Mec ». Il a une voix de flippé. Je ne sais pas pourquoi, j’ai encore le
sentiment qu’il y a un glaouis dans la bibine. Sûrement l’effet Lakhdar.
— Quoi ? Qu’est-ce t’as encore fait ? je lui demande.
— Faut qu’vous viendez d’suite !
— Hein ?
— Viendez vite ! Viendez vite !
*
Comme d’hab, ma reusse gueule. On l’a refoutue dans le coffre, elle continuait à être relou.
On lui a pourtant laissé une chance, elle ne l’a saisie qu’une vingtaine de secondes. Chivas
emprunte une autre route pour revenir au spot où on a largué Lakhdar. Ce serait con de
repasser devant la team de flics.
Le coup de fil de Lakhdar nous a foutu les jetons. Il stressait, ça s’entendait au téléphone. Il
était speed et il balisait. Je me demande comment il pourrait nous foutre encore plus dans la
daube mais en même temps je sais que pour ça, le soce trouve toujours une solution. Je me
demande aussi pourquoi on le rejoint alors qu’on ferait peut-être mieux de se tenir à l’écart de
ses conneries. Sans doute parce qu’au fond de nous, on se dit que ça nous concerne. Les
conneries de Lakhdar sont aussi nos conneries, c’est la dure loi de la scoumoune.
— Moi j’dis, c’est la zermi ! sort Malo Kid pour nous ambiancer.
Je sais qu’au fond de lui Malo Kid, ce petit stress est son adrénaline. Il se persuade de flipper
mais en réalité il est un peu comme moi, il kiffe la situation.
— Stylé hein ? je lui envoie.
— Stylé ? Stylé ? Bordel, t’es barré dans la tête cousin, faut qu’t’arrêtes les trips !
— Avoue Malo Kid, tu kiffes !
— Arrêtes de déconner tout d’suite, on a laissé un crouni d’keuf derrière nous et y en a un
autre qui s’ballade quelque part à oilpé…
— …Ouais mais avoue, tu kiffes quand même la vibe !
— C’est pas la question bordel ! Même si j’kiffe, on est dans la demère.
Je reluque Chivas :
— Et toi poto, tu kiffes ?
— Franchement sans plus, ça m’arrange pas beaucoup.
C’est vrai qu’en même temps c’est sa turvoi, pas la nôtre. S’il ne poucave pas, si ça se trouve
on ne risque rien. Et vu que Chivas n’est pas une donneuse… Je ne dois pas penser à cette
alternative, sinon l’adrèn’ va retomber. Putain, elle retombe ! Elle remonte aussi sec : sur le
bord de la route, un mec à poil agite ses bras en hurlant « aux secours ».
*
Quand Chivas s’arrête devant le feukeu, je lis du soulagement sur la ganache du chmit. Son
expression disparait rectdi quand il se rend compte qu’il s’agit de nous, les mêmes qui
hésitaient à le plomber ou à l’enterrer vivant. Il prend une tronche terrorisée et se met à
détaler comme un lapin. Putain, il fait chier ce condé ! Il ne peut pas comprendre qu’on risque
de se retrouver en calèche si on ne le fume pas.
Chivas n’attend pas trois plombes pour réagir. Il tape un grand coup d’accélérateur et lui
fonce dessus. Il l’explose, l’écrase et hop, galette de flicaille sur le goudron ! On tèje un coup
d’œil pour vérifier qu’il n’est plus utile pour la société et on se natchave. Deuxième
macchabée sur le dos, mais celui-ci est le bon.
On gueule un genre de « hip hip hip houra » mais en mieux, pas un truc qui fait tièpe. Enfin,
nous voilà débarrassés de cette guigne. Une chatte de dingue qu’il se soit retrouvé sur notre
route. Ma parole, dieu existe ! Cimer mon pote, tu serais humain que je te payerais une
bouche au bois de Boubou.
— Il s’est passé quoi ? veut savoir ma frelonne, du coffre de la gova.
— Il s’passe qu’on t’pisse à la gueule ! je lui réponds.
Les srabs explosent de rire, ma frangine tente un coup de sionpré :
— Vous êtes tous morts, bande d’enculés !
— C’est ça, et ta chatte elle chlingue le calendos !
Des barres ! Il faudra quand même qu’on sache ce qu’on fait de cette traînée. C’est bien de
golri mais ma reusse est un boulet. On verra ça plus tard, on a un dernier truc à régler. Voir ce
que Lakhdar nous voulait.
*
Chivas s’arrête à l’endroit où on a laissé Lakhdar et on dégage de la caisse. Putain, la tire a
pris cher ! Si on me demandait à quoi elle ressemble, je répondrais à une turvoi qui a roulé sur
quelqu’un. Du sang a séché sur la carrosserie. C’est sans compter l’intérieur cuir à la déco
gerbe et foutre. Chivas n’avait pourtant rien demandé. Mesquine !
Ma frangine donne des coups dans le coffre, on préfère ne pas la calculer. Mon phonetel
vibre. Un SMS du Black Rabbit « Je v me couché, tu ma soulé, appel dem1 quan on poura
parlé ». Ouais, je pense aussi que c’est mieux comme ça.
Malo Kid siffle, Lakhdar rapplique quelques secondes plus tard avec sa tête de bouffon.
Chivas, pressé d’en finir avec cette nuit de merde, l’agresse direct d’une tarte dans la gueule :
— Bon, c’est quoi l’blème maintenant ? Qu’est-c’que t’as encore foutu, pauvre connard ?
Lakhdar protège son visage pour éviter de s’en manger une autre :
— Arrête de m’péta ! Y a pas d’blème, au contraire, vous allez kiffer !
Chivas arrête de le tarter, on hallucine. Lakhdar a une bonne nouvelle ! Lakhdar a une bonne
nouvelle ! C’est la pleine lune ou quoi ? La pression redescend, Lakhdar tape une face de mec
fier de lui, une pose à la Guevara.
— Suivez-moi, vous allez kiffer ! il nous fait.
Il parle comme un mec qui vient de découvrir une valoche pleine de chnouf. Il nous traîne
dans les bois, à une cinquantaine de mètres de la turvoi.
— Bon alors quoi ? s’impatiente Malo Kid.
— Ça ! répond Lakhdar en pointant du doigt une forme humaine allongée par terre.
Je commence à balise, j’imagine que les autres aussi. On se rapproche du macchabée ou du
dormeur. Un macchabée ! Son crâne est à moitié fendu et du sang coule sur ses sapes. C’est
quoi, ce bordel ? Lakhdar golri, tout content de son trophée :
— Je l’ai retrouvé, il pissait contre un arbre ! On dit quoi à tonton Lakhdar ? On dit merc…
— …C’est censé être qui ? l’interrompt Chivas.
— Bah le keuf de tout à l’heure !
Je téma Lakhdar :
— Le keuf de tout à l’heure, il était à poil et on vient de l’méfu. Et c’type-là, il n’a pas des
sapes de keuf.
Lakhdar arrête de se marrer. Avec Malo Kid et Chivas, on lui démonte la gueule.
INF