La méditation en pleine conscience, présentée sous la forme du
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La méditation en pleine conscience, présentée sous la forme du
Fribourg, le 20 janvier 2014 Marc Roethlisberger La méditation en pleine conscience, présentée sous la forme du MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction), est-elle une solution efficace en ce qui concerne l'anxiété, le stress et la dépression ? Université de Fribourg Travail de Séminaire de 2ème année BSc en Psychologie Département de psychologie Superviseur : Oftinger Anne-Laure Année académique 2013/14 Introduction Le programme « Mindfulness-Based Stress Reduction » (MBSR) ou « Programme de réduction du stress par la pleine conscience » est un module d'exercices mise au point par le Dr Kabat-Zinn. Il s'est basé sur les techniques de méditation d'Extrême-Orient. Toutefois, en tant que médecin à l'université médicale du Massachussetts aux EtatsUnis, il a pris uniquement les aspects techniques de méditation orientale en laissant de côté les aspects spirituels. Au départ, son objectif principal était d’atténuer les symptômes douloureux présentés par des patients souffrant de douleurs chroniques. Avec le temps et l'expérience, il constata que la méditation apportait bien d'autres bienfaits à ses patients en plus de les soulager de leurs douleurs chroniques, car elle réduisait aussi leur niveau de stress, d'anxiété et de dépression. La technique du MBSR a contribué à populariser la méditation de la pleine conscience dans le monde occidental et est très probablement la forme de méditation la plus connue et la plus étudiée aux Etats-Unis. Le MBSR, actuellement, consiste en des formes diverses de méditation de pleine conscience, qui inclut la pratique formelle et informelle, de même que des exercices de Hatha-yoga (Goldin & Gross, 2010). La pratique de méditation formelle consiste à focaliser son attention sur la respiration et sur les sensations ressenties dans les différentes parties du corps. Elle consiste également à porter son attente à ce qui est dans le moment présent selon différentes modalités (toucher, ouïe, pensées), au suivi de l'expérience de chacun des moments qui se suivent les uns après les autres. La méditation « informelle » se fait dans le quotidien, en marchant ou en mangeant par exemple. Cette revue de littérature étudiera différents aspects du fonctionnement du MBSR et comparera les différentes mesures de son efficacité. L'efficacité du MBSR a) Les mécanismes du MBSR agissent-ils sur de nombreux troubles psychiques ? Bien que dans le MBSR il n'y ait aucune instruction pour modifier sa manière de penser ou sa réactivité émotionnelle, Goldin et Gross (2010) constatent qu'une pratique régulière de cette technique diminue les tendances à réagir émotionnellement et à la rumination. Elle réduit également les symptômes de stress, de dépression et d'anxiété, modifie dans un sens positif les schémas de pensée sur soi-même biaisés, augmente les défenses du système immunitaire, favorise l'autorégulation de son comportement et améliore la capacité de focalisation de son attention. Dans leur travail, des questionnaires d'autoévaluation ont démontré qu'il y a eu une réduction significative de l'anxiété sociale, de la dépression, de la rumination, de l'anxiété générale et une augmentation significative de l'estime de soi (voir tableau 1). Dans ce tableau, on constate que toutes les améliorations entre la ligne de base et après le programme MBSR (Post-MBSR) sont significatives dans la colonne « t » du test de Student. La variable « η2 » indique la taille de l'effet, c'est-à-dire l'influence de la 1 variable indépendante (le programme MBSR) sur la variable dépendante (le niveau d'anxiété ou d'estime de soi par exemple). On observe aussi que la taille d'effet du MBSR est très importante sur la réduction du niveau d'anxiété (échelle STAI-State), à savoir 0.84, et plus faible, mais néanmoins significative, sur le niveau de dépression (échelle Beck Depression Inventory-II), à savoir 0.27. Une critique importante qui peut être adressée à cette étude est qu'il n'y a pas de groupe contrôle, contrairement à d'autres études faites dans ce domaine. Tableau 1 Mesures Cliniques Variable dépendante Participants, n Ligne de base M +- SD Post-MBSR M+- SD 16 14 LSAS 68.7 +- 21.2 49.3 +- 17.0 BDI-II 8.7 +- 9.1 RSQ t(15) η2 4.3*** 0.59 3.4 +- 3.2 2.2* 0.27 26.4 +- 6.5 19.3 +- 95.7 3.8** 0.53 STAI-State 41.5 +- 9.3 29.6 +- 6.4 8.4*** 0.84 RSE 22.7 +- 4.6 27.2 +- 4.7 3.7* 0.51 Note. LSAS = Liebowitz Social Anxiety Inventory; BDI–II = Beck Depression Inventory-II; RSQ = Rumination Style Questionnaire; STAI = Spielberg State–Trait Anxiety Inventory; RSE = Rosenberg Self-Esteem Scale. Adapté de « Effects of mindfulness-based stress reduction (MBSR) on emotion regulation in social anxiety disorder, » par P. R. Goldin, et J. J. Gross, 2010, Emotion, 10(1), p. 83. *p < .05. **p < .01. ***p < .001. b) Les pratiques formelles et informelles de la méditation ont-elles une efficacité similaire ? Hawley et al. (2013) ont demandé aux participants du programme MBSR de faire un reporting sur les heures qu'ils ont passé à méditer de manière formelle et aussi de manière informelle. Les patients étaient ensuite évalués sur une échelle de dépression. Puis, les chercheurs ont effectué des corrélations entre la durée de la méditation formelle et informelle et la réduction des symptômes dépressifs. Les résultats de l'étude montrent qu'une durée suffisante de méditation formelle réduit le niveau de dépression au travers d'une diminution des processus de ruminations. Par contre, aucune corrélation significative n'a été trouvée entre la méditation informelle et la réduction du niveau de dépression. De même, l'expérience de Baer, Carmody et Hunsinger (2012) ne démontre aucune corrélation entre la méditation informelle (ou 2 pratiquée chez soi) et le niveau de stress perçu. Les chercheurs ne donnent aucune explication évidente pour éclaircir ce phénomène. Toutefois, on sait que la méditation formelle est soit guidée par l'animateur du groupe ou suivie via un support audio, elle est donc clairement limitée dans le temps. Par contre, la méditation informelle est expliquée par l'animateur durant le cours, puis doit être effectuée librement dans la vie quotidienne de l'individu : il s'agit, par exemple, de manger un repas en pleine conscience ou de faire une promenade en forêt en pleine conscience. La difficulté de la mesure du temps de méditation informelle par le participant et l'inexistence du contrôle des expérimentateurs du reporting dans ce cas est un obstacle majeur à l'évaluation de l'efficacité de celle-ci. c) L'efficacité du MBSR se ferait-elle de manière directe ou indirecte ? Goldin, Ziv, Jazaieri, Hahn et Gross (2012) ont testé l'efficacité du MBSR sur l'anxiété sociale. Cette méthode de méditation agit via la régulation des émotions. Ils ont montré que cette méthode facilite le désengagement de l'attention des stimuli aversifs. En effet, la rumination est une composante importante de l'anxiété et de la dépression et peut se définir comme une fixation trop importante de l'attention sur des pensées négatives, ou plus globalement sur des stimuli négatifs. Or la pratique régulière du MBSR implique clairement une diminution de la tendance habituelle à ruminer et à réagir au sujet de pensées transitoires et à des sensations physiques changeantes au cours du temps. La méditation agit donc via un processus indirect : la métacognition. Pour tester si la réduction de l'anxiété sociale est due à un effet sur la métacognition des participants ou à d'autres éléments, une autre étude menée par Goldin et al. (2012) a évalué un groupe expérimental qui suit un programme standard de MBSR et un groupe contrôle qui suit des exercices d'aérobic. L'impact des deux programmes sur les croyances négatives personnelles a été mesuré par deux techniques d'évaluation dans ce cas : autoévaluation sur un questionnaire d'anxiété sociale et analyse au moyen de l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle. Les exercices d'aérobic et le MBSR ont réduit de manière identique le niveau de croyances négatives personnelles dans le cas de l'autoévaluation par les participants eux-mêmes. Par contre, dans la même étude, la deuxième méthode d'évaluation, basée sur la neuroimagerie fonctionnelle, a analysé le signal BOLD du cortex préfrontal ventrolatéral droit (CPVD) qui est impliqué dans la régulation des émotions et l'inhibition des réponses. Les chercheurs ont constaté un signal accru dans le cas du groupe « aérobic » et un signal diminué pour le groupe « MBSR ». Le MBSR rendrait donc l'activité régulatrice et inhibitrice du CPVD à l'égard des émotions désagréables moins nécessaire. La pleine conscience est donc une méthode qui, en soi, implique une régulation plus « naturelle » et plus « automatique » des émotions, à savoir d'une manière plus indirecte notamment par le biais de l'entraînement de l'attention sur la respiration. En conclusion, au moyen de la neuroimagerie, les chercheurs ont constaté un effet indirect du MBSR sur les 3 différents troubles psychiques étudiés, donc un effet bénéfique supplémentaire du MBSR par rapport à l'aérobic. Dans une analyse fine des processus psychologiques de la pleine conscience, Berghmans, Godard, Joly, Tarquinio et Cuny (2012), précisent qu'au travers du processus attentionnel de focalisation de l'attention et de non jugement des contenus de la conscience, l'individu commence progressivement à avoir un autre regard sur lui-même, plus attentionné, plus distant et sans jugement. Cette capacité à observer ses sensations sans s'identifier à celles-ci permet d'avoir une méta-perspective de soi constitue un apport bénéfique indirect. Toutefois, ils constatent aussi que le MBSR s'accompagne aussi de l'apprentissage de processus positifs directs, comme l'autorégulation, la clarification des valeurs, la flexibilité cognitive, émotionnelle et comportementale, l'exposition, la relaxation et le lâcher prise ou le non agir. d) L'efficacité du MBSR nécessite-elle beaucoup de temps? Hawley et al. (2013) ont testé l'efficacité de la méthode de manière détaillée. Ils admettent un point important, à savoir une longue durée de pratique méditative est nécessaire pour obtenir des résultats significatifs. En outre, il est non seulement nécessaire d’avoir une longue période de pratique méditative pour avoir des résultats, il faut également qu’elle soit quotidienne. Baer, Carmody et Hunsinger (2012) ont essayé d'analyser l'effet et le mécanisme du MBSR via une analyse temporelle. Ils ont choisi des participants avec un niveau de stress élevé, dû à des douleurs chroniques, des maladies chroniques ou des circonstances de vie difficiles. L'effet du MBSR a été auto-évalué régulièrement au cours du temps par un questionnaire évaluant la qualité de la pleine conscience et un questionnaire évaluant le stress perçu. Ils ont constaté un phénomène intéressant : dès la deuxième semaine, le niveau de pleine conscience a augmenté significativement pour la plupart des participants, mais le niveau de stress perçu n'a pas baissé. Par contre, ce dernier a baissé dès la quatrième semaine du programme. Durant le programme standard de MBSR, qui dure 8 semaines, on constate donc un décalage de deux semaines entre l'augmentation de la pleine conscience et la baisse du niveau du stress perçu. Comme dans l'expérience de Goldin et al. (2012), les chercheurs concluent que le MBSR a un effet indirect sur les symptômes négatifs, tels que le stress perçu. Cette expérience soutient également la thèse que le MBSR a un effet indirect par le biais de la métacognition. e) Est-ce que les facteurs non spécifiques ont un effet positif plus important que la pleine conscience elle-même ? De nombreuses études abordent la question cruciale de l'influence des facteurs non spécifiques dans les programmes de MBSR qui contribueraient à diminuer les symptômes négatifs tels que le stress, l'anxiété et la dépression. Baer et al. (2012) indiquent que les facteurs non spécifiques présents dans le MBSR peuvent contribuer 4 à réduire le stress perçu de manière importante : le participant est intégré dans un groupe de gens chaleureux ayant des préoccupations similaires aux siennes, il y rencontre un thérapeute ou responsable de groupe très empathique et il participe à des discussions de groupe après les exercices. Pour étudier l'effet des facteurs non spécifiques, Goldin et al. (2012) ont choisi un groupe contrôle qui fait un programme d'aérobic et un groupe expérimental qui suit un programme de MBSR. En effet, le choix de l'aérobic est très judicieux, car il possède la plupart des facteurs non spécifiques que l'on retrouve dans le MBSR, à savoir l'intégration dans un groupe, la présence d'un leader empathique, un programme bon marché ouvert à tout public et destiné à la promotion de la santé physique et psychique. De plus, il été prouvé que l'aérobic réduit les symptômes de stress, d'anxiété et de dépression. Ceci permet de tester si la spécificité propre aux exercices de pleine conscience apporte un mieux-être par rapport à l'aérobic. On constate que les résultats de la neuroimagerie fonctionnelle ont révélé un effet positif significatif propre au MBSR, comme cela a été décrit précédemment. f) Le MBSR est-il aussi efficace dans le cas de troubles physiques ? L'exemple du diabète. Tout d'abord, il est important de préciser qu'une maladie physique telle que le diabète a aussi des impacts psychiques, notamment sur le stress, l'anxiété et la dépression. Berghmans et al. (2012) ont fait suivre à un groupe expérimental de patients diabétiques un programme standard de MBSR. Trois échelles d'évaluation ont été utilisées : une échelle de mesure du stress perçu, une échelle de mesure de la dépression et de l'anxiété et une troisième échelle de mesure des stratégies d'adaptation par rapport à la maladie (coping en anglais), telles que l'humour, le blâme ou le déni. Les résultats de cette recherche montrent que le MBSR a un effet très significatif sur la santé psychique des diabétiques, en particulier sur la réduction du niveau d'anxiété et du stress perçu, ainsi que sur le mode d'adaptation à la maladie. Dans cette expérience, les symptômes dépressifs ont aussi diminué, mais de manière moins importante que les trois autres classes de symptômes cités. Cette étude montre qu'une population insulinodépendante peut mettre en place une stratégie d'acceptation de la maladie et de ses contraintes. Dans le groupe expérimental, entre le pré-test et à la fin de la 8ème semaine, on constate une augmentation significative du coping actif, du coping de planification, de la réinterprétation positive et une diminution du blâme. En fait, le MBSR développe l'autonomie du patient et développe son potentiel adaptatif face à la maladie. Il valorise ses ressources personnelles, le rend plus actif tout en lui permettant de prendre une distance saine par rapport à une situation médicale généralement incurable. 5 Conclusion a) Le MBSR, une méthode dont l'efficacité a été démontrée La grande majorité des études démontrent un effet significatif du MBSR dans la réduction du stress, de l'anxiété et de la dépression. Dans l'étude de Berghmans et al. (2012) avec des patients diabétiques, on montre que le MBSR est une méthode de prévention efficace de situations stressantes. De nombreux patients ont vécu le programme comme une véritable libération en ayant un regard différent sur leur maladie. Ils peuvent devenir acteur de leur santé. A condition d'y consacrer une durée suffisante, il apporte les bénéfices directs et indirects écris dans cette revue. Toutefois, la pratique informelle du MBSR n'a pas encore démontré son efficacité. Cette nouvelle approche de la pleine conscience s'intègre, en fait, dans la lignée des thérapies comportementales et cognitives (TCC), car elle utilise des aspects-clés des TCC, comme l'acceptation, l'exposition à des stimuli aversifs, la mise en place d'un apprentissage qui permet au patient de faire face à la situation pathologique ou d'autres éléments stressants. b) Le MBSR, une nouvelle prévention low-cost et tout public Sur la base de toutes les études citées, on peut dire que la pleine conscience, sous la forme du MBSR, est une technique bon marché, ouverte au grand public sans restriction et qui peut apporter des bienfaits considérables concernant des troubles psychiques répandus tels que l'anxiété, le stress et la dépression. c) La pleine conscience, une méthode de promotion de la santé ou une démarche spirituelle ? Il a été précisé que le Dr John Kabat-Zinn a sélectionné des techniques de méditation qui proviennent du bouddhisme et de l'hindouisme, mais en ne reprenant que l'aspect méthodique tout en laissant de côté les aspects spirituels. Toutefois, l'étude de Shapiro, Jazaieri et Goldin (2012) indique que la pleine conscience développe des qualités telles que la bienveillance envers soi-même et les autres, la sagesse et l'altruisme. Cette étude a même démontré que la pleine conscience augmentait le raisonnement moral et l'éthique lors de la prise de position chez les participants. Il s'avère que cette séparation entre « méthode » et « spiritualité » a tendance à devenir floue ou perméable au fur et à mesure que les études à ce sujet s'accumulent. Comme les qualités précédemment citées sont des valeurs centrales dans le bouddhisme, il s'avère de plus en plus difficile de faire une séparation claire entre « méthode de promotion de la santé » et « démarche spirituelle » en ce qui concerne la pleine conscience. 6 Références Arch, J. J., & Ayers, C. R. (2013). Which treatment worked better for whom? Moderators of group cognitive behavioral therapy versus adapted mindfulness based stress reduction for anxiety disorders. Behaviour Research and Therapy, 51, 434-442. Baer, R. A., Carmody, J., & Hunsinger, M. (2012). Weekly change in mindfulness and perceived stress in a Mindfulness-Based Stress Reduction Program. Journal of Clinical Psychology. 68(7), 755–765. Berghmans, C., Godard, R., Joly, J., Tarquinio, C., & Cuny, P. (2012). Effets de l’approche de réduction du stress Mindfulness Based Stress Reduction (MBSR) sur la santé psychique (stress, anxiété, dépression) et le mode de coping chez des patients diabétiques : une étude pilote contrôlée et randomisée. Annales MédicoPsychologiques, 170, 312–317. Goldin, P. R., & Gross, J. J. (2010). Effects of mindfulness-based stress reduction (MBSR) on emotion regulation in social anxiety disorder. Emotion, 10(1), 83. Goldin, P., Ziv, M., Jazaieri, H., Hahn, K., & Gross, J. J. (2012). MBSR vs aerobic exercise in social anxiety: fMRI of emotion regulation of negative self-beliefs. Social cognitive and affective neuroscience, 8(1), 65-72. Hawley, L. L., Schwartz, D., Bieling, P. J., Irving, J., Corcoran, K., Farb, N. A., Andersen, A. K., & Segal, Z. V. (2013). Mindfulness practice, rumination and clinical outcome in mindfulness-based treatment. Cognitive Therapy and Research, 1-9. Shapiro, S. L., Jazaieri, H., & Goldin, P. R. (2012). Mindfulness-based stress reduction effects on moral reasoning and decision making. The Journal of Positive Psychology, 7(6), 504-515. 7