Conceptions des élèves sur le circuit électrique, leurs comparaisons
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Conceptions des élèves sur le circuit électrique, leurs comparaisons
UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE 791 Conceptions des élèves sur le circuit électrique, leurs comparaisons avec d’autres modes de transfert d’énergie Classification de ces transferts par Jean-Loup CANAL 12000 Rodez [email protected] RÉSUMÉ Nous proposons quelques conceptions des élèves sur le circuit électrique. Elles sont communes aux élèves de tous les âges, du primaire à la faculté. Il est possible de leur faire correspondre des situations de transfert d’énergie prises dans d’autres domaines de la physique. Le classement et l’étude de ces différentes situations avec leurs spécificités permettent de justifier ou du moins de se représenter et d’accepter des lois de l’électrocinétique qui sont souvent perçues comme illogiques. Le bon sens mène à la vérité puisque la vérité naît du paradoxe et que le paradoxe se définit contre le bon sens. Mais tout au long de ce chemin tortueux, le bon sens doit être travaillé, critiqué. Étienne KLEIN [1] 1. POINTS DE DÉPART 1.1. Comment faire formuler les représentations ? Les situations proposées (cf. figure 1 « des circuits simples »), deux lampes identiques montées en série ou en dérivation, correspondent aux premiers montages susceptibles d’être réalisés par des élèves qui découvrent l’électricité. Elles sont emblématiques de ce domaine. Les comparaisons de leurs éclats sont perçues comme paradoxales car contraires à l’opinion, au bon sens : « sur le montage des lampes en dérivation, le courant se partage et pourtant les deux lampes brillent comme si elles étaient seules, ce n’est pas logique ! ». C’est exactement ce qui transparaît dans un ouvrage scientifique destiné aux jeunes [2] : « Dans un circuit en série, le courant passe tour à tour dans les ampoules qui s’allument faiblement. Dans un circuit en parallèle, le courant se divise et passe dans les deux ampoules en même temps. Elles s’éclairent plus fortement ». Reconnaissons qu’il y a de quoi s’étonner : quand il se divise, le courant est plus efficace ! Vol. 101 - Juillet / Août / Septembre 2007 Jean-Loup CANAL 792 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE Date : Nom : Classe : DES CIRCUITS SIMPLES & Toutes les lampes utilisées dans les divers montages sont absolument identiques, les piles aussi. 1 - Existe-t-il pour l’interrupteur un emplacement privilégié dans le circuit (cf. figure A) Figure A Mon choix 1.a - Place A 1.b - Place B 1.c - Peu importe 1.d - Je ne sais pas Mes justifications En observant, je constate que : 2 - Circuit avec les lampes montées comme sur la figure B Figure B Figure C 2.1. - Dans la figure B, comparons entre elles les éclats des lampes Mon choix 2.1.a - L1 brille comme L2 2.1.b - L1 brille plus que L2 2.1.c - L1 brille moins que L2 2.1.d - Je ne sais pas Mes justifications En observant, je constate que : Figure 1 recto Conceptions des élèves sur le circuit électrique… Le Bup no 896 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE 793 2.2. - Comparons les éclats de chacune des lampes de la figure B avec l’éclat de lampe de la figure C Mon choix 2.2.a - L0 brille comme L1 2.2.b - L0 brille comme L2 2.2.c - L0 brille plus que L1 2.2.d - L0 brille moins que L1 2.2.e - L0 brille plus que L2 2.2.f - L0 brille moins que L2 2.2.g - Je ne sais pas Mes justifications En observant, je constate que : 3 - Circuit avec deux lampes montées comme sur la figure D Figure D Figure E 3.1. - Comparons les éclats des lampes de la figure D entre elles : Mon choix 3.1.a - L3 brille comme L4 3.1.b - L3 brille plus que L4 3.1.c - L3 brille moins que L4 3.1.d - Je ne sais pas Mes justifications En observant, je constate que : 3.2. - Comparons les éclats de chacune des lampes de la figure D avec celui de la lampe de la figure E Mon choix 3.2.a - L3 brille comme L0 3.2.b - L3 brille plus que L0 3.2.c - L3 brille moins que L0 3.2.d - L4 brille comme L0 3.2.e - L4 brille plus que L0 3.2.f - L4 brille moins que L0 3.2.g - Je ne sais pas Mes justifications En observant, je constate que : Figure 1 verso Vol. 101 - Juillet / Août / Septembre 2007 Jean-Loup CANAL 794 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE Ce sont des élèves de la fin du primaire, des collégiens et des lycéens, des professeurs des écoles en formation qui ont testé ces fiches. Il est important de leur signifier que cet exercice ne correspond nullement à une évaluation. Outre l’indication sur les anticipations des résultats, ils notent les « justifications » qui les ont conduits à formuler ces résultats. La rubrique intitulée « en observant, je constate que » est remplie postérieurement à leurs prévisions en utilisant le matériel qui leur sera alors fourni. La distorsion très fréquente entre les prévisions et les résultats expérimentaux provoque une insatisfaction, un étonnement, une curiosité, un questionnement et une demande d’explication qui feront apparaître la suite comme une réponse à des attentes, à un besoin, à une envie d’en savoir plus : « comment s’explique l’électricité ? ». Ils sont fort marris de cette non-concordance. Ils sont également surpris de la diversité des réponses et de la découverte des raisonnements sous-jacents : leurs représentations répondent la plupart du temps à une logique fondée sur d’autres situations de transfert d’énergie. Il est surprenant de constater la similitude des réponses, que leurs auteurs aient suivi ou non une formation scientifique. Parfois, ils utilisent plusieurs représentations successives. Plus rarement, ils refusent de s’exprimer. Les résultats sont présentés dans les paragraphes suivants. Pour chacune des catégories, on précise les justifications avancées et, quand elle a pu être trouvée, l’analogie de référence qui consciemment ou inconsciemment a pu leur servir de modèle. Dans chacune des analogies, on envisage le cas des branchements de deux récepteurs pour les comparer au circuit électrique à deux lampes. 1.2. Quelques mots sur le courant et la tension Rapidement, définissons les acquis de base qui permettraient de caractériser le circuit électrique et de faciliter sa compréhension. Tout ce qui suit s’applique à des situations où les charges sont en déplacement, ce qui se passe dans un circuit ouvert et en électrostatique est donc exclu. Très intentionnellement, convenons de privilégier deux grandeurs, l’énergie et la puissance [3]. Si on analyse un circuit simple à une seule lampe, on peut définir deux lieux, l’un (le générateur) met de l’énergie à disposition, l’autre (le récepteur) l’exploite. Le transfert de l’un à l’autre s’effectue grâce à une circulation de charges électriques. Commercialement parlant, l’utilisateur peut-il définir l’énergie (W) et la puissance (P) qu’il a consommées ? La circulation des charges élémentaires est le courant électrique. Soit Q la charge qui circule pendant un temps t, l’intensité de ce courant (I) est son débit, soit I = Q/t. Pour connaître la puissance consommée dans le récepteur, il faudrait connaître l’énergie échangée par unité de charge qui le traverse. C’est bien en effet ce que signifie la relation liant W, Q et U : U = W/Q, ce rapport définit la tension U. De manière plus générale, la tension entre deux points d’un circuit peut donc se définir comme étant : – aux bornes d’un dipôle actif, l’énergie par unité de charge que perd ce dipôle ; – aux bornes d’un dipôle passif, l’énergie par unité de charge que le dipôle passif acquiert et transforme en l’énergie souhaitée (chaleur, lumière, mouvement, etc.). Conceptions des élèves sur le circuit électrique… Le Bup no 896 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE 795 L’énergie acquise dans le récepteur est égale à celle fournie par le générateur (en n’admettant aucune perte d’énergie dans les fils de conduction). Les grandeurs I et U sont facilement mesurables, la puissance consommée se définit alors simplement : P = U # I. Ces quelques éléments sont peut-être susceptibles de se retrouver et de se transposer à divers systèmes échangeurs d’énergie. 2. RÉSULTATS EXACTS AVEC EXPLICATIONS INCORRECTES OU CORRECTES Seuls les élèves qui ont un vécu expérimental ou ont suivi des cours d’électricité anticipent les résultats expérimentaux correctement. Quant aux justifications, elles sont variées. 2.1. Des réponses exactes non correctement justifiées Ces élèves (8 %) se contentent de décrire les conditions d’alimentation de la lampe pour toute explication : les deux bornes de la pile doivent être reliées aux deux bornes de l’ampoule avec des fils conducteurs. Les didacticiens l’appellent la représentation à contacts mécaniques. En fait, ce qui caractérise cette représentation, c’est de ne pas en être une ! Aucune explication ne transparaît : « c’est comme ça, autrement ça ne marche pas ! » (élève du CM). C’est un premier stade qui correspond au « comment faire pour que ça marche ». C’est une réponse basée sur la connaissance des conditions de fonctionnement. À ce niveau de formulation, elle est caractéristique des jeunes élèves. Mais nous pouvons ranger dans cette catégorie des réponses exactes faites par des élèves plus âgés qui se souviennent des divers branchements d’ampoules avec leurs diverses caractéristiques : « On obtient tel résultat parce que c’est un montage parallèle ! Parce que c’est un montage série ! ». Ces élèves n’ont aucune explication à proposer sur le fonctionnement du circuit électrique. Ils ne sont pas dupes et ajoutent souvent : « Je sais que c’est ça parce que je l’ai appris, mais je ne comprends pas pourquoi ! C’est ce qui me reste de mon enseignement. » (étudiant à bac +4). Certains (3 %) se souviennent des résultats expérimentaux et voulant les justifier, ils inventent des lois, avancent des affirmations non justifiées intervient le concept de courant : ♦ « En série, l’intensité est partagée entre les deux lampes, donc chacune brille moins que quand une lampe est seule. En dérivation, l’intensité ne se partage pas entre les deux lampes et leurs éclats sont les mêmes que celui de L0 ». ♦ « Le montage en dérivation n’implique pas une baisse de l’intensité du courant. Celle-ci reste la même que dans un circuit simple ». 2.2. Résultats exacts faisant intervenir la grandeur « tension » Les fiches qui donnent des réponses exactes en s’appuyant sur la grandeur tension pour les justifier sont très minoritaires (7 %) essentiellement des élèves de lycée. Il est Vol. 101 - Juillet / Août / Septembre 2007 Jean-Loup CANAL 796 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE normal que ceux qui n’ont pas encore étudié cette grandeur ne puissent l’utiliser. Il est plus étonnant que des adultes qui ont suivi un enseignement sur l’électricité n’y fassent majoritairement aucune référence. Cela doit déterminer l’orientation du travail didactique à accomplir. 2.3. De quelle autre situation peut-on rapprocher le circuit électrique ? 2.3.1. Description d’une analogie hydraulique Elle est constituée par un circuit hydraulique (cf. figure 2) décomposable en plusieurs parties : ♦ La distribution de l’énergie se fait au moyen d’un liquide, ici de l’eau, qui circule dans un tuyau et non à l’air libre. Un simple canal de circulation ne pourrait convenir : le tuyau est indispensable si l’on veut que tout récepteur placé dans le circuit interagisse avec l’écoulement du fluide à la sortie du générateur. Figure 2 ♦ Le générateur hydraulique, (c’est un lieu de mise à disposition d’énergie). Comment se fait le transfert ? Dans le réservoir, l’eau possède de l’énergie potentielle de gravitation. Et en bas du réservoir, à la sortie de la conduite ? Souvent, il est écrit que l’énergie potentielle se transforme en énergie cinétique. En admettant que le tube de descente conserve la même section, la vitesse d’écoulement est la même tout au long du tube et l’énergie cinétique est donc la même en haut du conduit et en bas. En fait, l’eau a acquis une énergie potentielle de pression (potentielle encore, car c’est une énergie de position). C’est un générateur de pression. Tout se passe comme si chaque unité de volume d’eau se chargeait d’énergie en le traversant, toujours une même valeur qui caractérise le générateur. Il comprend tout un ensemble : – Un réservoir supérieur, un réservoir inférieur et une pompe (cf. figure 3) qui doit être actionnée afin de remonter l’eau du réservoir inférieur au réservoir supérieur. – Un préposé à la pompe dont la tâche est exactement définie : en observant le niveau d’eau dans le réservoir inférieur, il tourne la manivelle de la pompe à des vitesses Conceptions des élèves sur le circuit électrique… Le Bup no 896 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE 797 Figure 3 différentes afin de maintenir son niveau constant. Cette adaptation de son action est justifiée par le caractère variable du débit dépendant des conditions existantes dans le circuit extérieur au générateur. Par exemple, si un robinet d’arrêt bloque le circuit, le débit devient nul, le préposé doit arrêter d’agir sur la pompe. – Des sacs de nourriture (ou des billets de banque) destinés au préposé symbolisent sa réserve d’énergie. Quand le stock est épuisé, le préposé ne peut plus travailler. ♦ Le récepteur est constitué par une turbine avec, sur son axe, le dispositif entraîné non représenté ici pour ne pas surcharger le dessin. C’est un convertisseur d’énergie : il utilise l’énergie reçue pour une tâche définie. 2.3.2. Description de son fonctionnement L’analogie hydraulique paraît explicite. La « pile hydraulique » (« générateur hydraulique ») n’est pas un réservoir d’eau, mais bien un dispositif produisant une circulation d’eau dont la pression maximale est acquise dès sa sortie de la pile. Cette pression caractérise ce générateur, elle est indépendante de son débit. L’élève est mieux à même de comprendre la répartition des potentiels de pression dans le circuit fermé : ♦ Il existe une augmentation de pression entre l’entrée et la sortie de la pile hydraulique correspondant à une montée du potentiel hydraulique. Aux bornes d’une fermeture du circuit (une vanne en position fermée), quelle que soit sa situation dans le circuit, la chute de pression à ses bornes est constante (le circuit est dans un plan horizontal) et égale à la pression fournie par la pile hydraulique. ♦ En série (cf. figure 4, page ci-après) : – La pression se partage entre les deux récepteurs puisque le même fluide les traverse successivement et comme ils sont identiques les deux chutes de pression seront égales. – La présence de deux récepteurs diminue le débit. Les résultats présentés à la figure 5 (cf. page ci-après) permettent de convaincre les élèves qui auraient des difficultés. Vol. 101 - Juillet / Août / Septembre 2007 Jean-Loup CANAL 798 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE Figure 4 : Avec les deux récepteurs en série : chaque récepteur en série supplémentaire crée un obstacle de plus qui provoque une baisse du débit. Figure 5 : Mesure des durées d’écoulement de l’eau. En mesurant les temps d’écoulement de l’eau dans les deux dispositifs comprenant des tubes étroits (correspondant à des récepteurs), on constate expérimentalement que la durée d’écoulement est plus grande avec le tube long qu’avec le petit tube. Le débit est le même dans les deux récepteurs. La puissance dans chacun des deux sera la même et plus faible que celle qui existait pour un seul récepteur. ♦ En dérivation (cf. figure 6) : – La chute de pression dans chacun des deux est égale à la pression fournie par le générateur. Si on admet le principe que le débit dans chaque récepteur est géré par la chute de pression à ses deux extrémités, chacun fonctionnera comme s’il était seul. Le débit dans le circuit principal sera le double de ce qu’il était quand le circuit comprenait un seul récepteur. On admet que le préposé ne s’essouffle pas et pompe alors deux fois plus vite que lorsqu’il y a une seule turbine. Les résultats présentés à la figure 7 permettent de convaincre les élèves qui auraient des difficultés à envisager ce résultat. ♦ D’autres situations permettent d’établir des rapprochements avec le circuit électrique : – deux générateurs montés en série ont leurs tensions qui s’additionnent ; – deux générateurs identiques montés en dérivation augmentent la réserve énergétique tout en délivrant la même tension ; Conceptions des élèves sur le circuit électrique… Le Bup no 896 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE 799 Figure 6 : Avec les deux récepteurs en dérivation : chaque récepteur supplémentaire monté en dérivation facilite un peu plus l’écoulement de l’eau. Figure 7 : Avec deux tubes en dérivation, le réservoir se vide plus vite. – de nombreux récepteurs en dérivation accroissent les risques d’un débit excessif dans les tuyauteries principales et l’impossibilité pour le générateur d’assumer la puissance demandée ; à la limite, c’est le court-circuit avec tous ses inconvénients. ♦ Le constat d’un débit constant dans tout le circuit conduit à découvrir qu’il n’en est pas de même pour la vitesse. Considérons le cas d’un récepteur constitué par un simple rétrécissement : la vitesse y sera plus grande. C’est encore perçu comme un paradoxe. La situation peut paraître délicate, elle a été soulevée par plusieurs élèves de quatrième. La non-accumulation de fluide et sa conservation induisent un débit constant et la nécessité d’une vitesse plus grande dans la partie rétrécie (le récepteur qui, par frottements, engendre un échauffement plus grand). La pratique du canoë (cf. figure 8, page ci-après) permet de constater que l’écoulement de l’eau est d’autant plus calme que le lit est large. La fluidité peut être prise au sens large : le cas de la circulation routière (cf. figure 9, page ci-après) peut illustrer cette dichotomie entre vitesse et débit. Si le débit de la circulation routière est de quatre voitures, cette valeur doit se Vol. 101 - Juillet / Août / Septembre 2007 Jean-Loup CANAL 800 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE Figure 8 Figure 9 trouver dans la partie à deux voies comme dans celle à une voie. Dans ce dernier cas, la vitesse sera nécessairement double. ♦ Le champ d’identité de l’analogie hydraulique avec le domaine étudié est relativement large. À ce titre, il peut tenir le rôle de modèle dont l’usage est dénigré par certains enseignants, recherché et souhaité par d’autres (1) : « Je trouve dommage de se priver de quelque chose qui permet, non pas de comprendre – c’est un bien trop grand mot – mais en tout cas, de se faire une représentation de ce qui se passe ». 3. LA REPRÉSENTATION « FLEUVE » 3.1. Description Cette représentation est très fréquente (30 %). Ce raisonnement est dénommé « séquentiel » par Jean-Louis CLOSSET : « il est essentiellement local, “ en suivant le circuit ”, ce qui se passe en aval n’influence pas l’amont ». Le générateur délivre un courant constant qui est caractéristique de ce générateur. Nous avons privilégié une appellation plus significative pour les élèves, le « modèle fleuve » par analogie avec l’écoulement d’un fleuve : – « deux lampes en série brillent pareillement comme si elles étaient seules, c’est le même courant qui les traverse » ; – « en parallèle, le courant se divise en deux, donc elles brillent moins » [sous-entendu : « le courant principal, lui, n’a pas changé »]. – « la lampe L0 reçoit tout le courant comme les lampes L1 et L2 en série. Dans les lampes L3 et L4, le courant est obligé de se partager et elles brillent moins que L0 ». (1) Commentaire de Françoise BALIBAR, dans une réunion de débats et d’information, « La physique dans tous ses états », organisée par la SFP et l’UdPPC le 16 novembre 1992, publiée dans le bulletin de la SFP n° 91 d’octobre 1993. Conceptions des élèves sur le circuit électrique… Le Bup no 896 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE 801 3.2. À quelle situation réelle peut-on rapprocher la représentation « fleuve » ? Le mot « courant » appelle une image connue de tous. C’est là le risque d’une analogie non maîtrisée. Mais cette forme de distribution de l’énergie correspond exactement à celle que dispensait le fleuve aux moulins flottants amarrés au quai dans les grandes villes au Moyen-Âge (cf. figure 10). Ce type de moulin fut utilisé en 537 lors du siège de Rome. La présence d’un moulin supplémentaire ne modifiait pas le débit du fleuve. Étant donné l’importance du débit par rapport à l’énergie « utilisée » par chaque moulin, leur nombre n’influe pas sur la puissance reçue par chacun d’eux et ne modifie pas le débit du fleuve. Chacun tourne comme s’il était seul. On ne peut distinguer plusieurs types d’installation (série ou dérivation). 4. LA REPRÉSENTATION À USURE DU COURANT 4.1. Description Cette représentation, classique (20 % des réponses) atteste une prise en compte d’une conservation de l’énergie. Ce modèle correspondrait à une synthèse entre le phénomène circulatoire du courant (le fluide électrique) et la prise en compte de la conservation de l’énergie. Le courant « s’use » au fur et à mesure qu’il passe dans les récepteurs successifs en série, l’intensité du courant diminue à chaque passage : Figure 10 Vol. 101 - Juillet / Août / Septembre 2007 Jean-Loup CANAL 802 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE – « L’électricité s’est usée sur l’ampoule L2 et il y en a moins pour L1 ». « L1 prend de l’électricité donc il en reste moins pour L2 ». « Tout comme la lampe L0, la lampe L1 ne subit pas l’effet d’une résistance située entre elle et le générateur ». « La première lampe L2 traversée utilise de l’énergie qui manquera alors la deuxième ». « L2 reçoit le courant avant L1, L1 reçoit des résidus de courant ». En dérivation, les réponses sont variables. Dans certains cas, il ait tenu compte de la proximité de la lampe avec la pile : « la lampe L4 brille moins que L3, car elle est plus loin ». Chez un autre élève, « la vitesse de l’électricité » rentre en jeu : « il n’y a rien qui freine l’électricité dans sa course, les lampes L0, L3, L4 brillent “ pareil ” ». Pour cet élève, voici quelle était sa réponse pour les lampes en série : « L’éclat de L0 est égal à L2, car l’électricité passe à la même vitesse. Dans L1, l’éclat est moins fort, car l’électricité a été ralentie par L2 ». Généralement, c’est l’aspect du partage de l’énergie qui est envisagé : « Il y a autant d’électricité pour deux lampes que pour une. Donc L3 et L4 brillent moins que L0 ». 4.2. À quelle situation réelle peut-on rapprocher la représentation à usure du courant ? ♦ Dans le cas du montage en série, la correspondance est évidente avec deux turbines montées à ciel ouvert alimentées par une chute d’eau et placées comme sur la figure 11. La première récupère la plus grande partie de l’énergie de l’écoulement d’eau et la suivante bénéficie de peu d’énergie. En disposant des récepteurs en dérivation, on retrouve des résultats qui se rapprochent en partie de ceux obtenus en électricité : les deux turbines de la figure 12 tournent comme si chacune était seule. Le réservoir se Figure 11 Conceptions des élèves sur le circuit électrique… Figure 12 Le Bup no 896 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE 803 vide plus vite. Mais la modification d’une turbine ne modifie pas le débit qu’elle reçoit. Son débit dépend uniquement des caractéristiques géométriques de la sortie du réservoir. ♦ Un autre dispositif illustre de meilleure façon la représentation des élèves. Imaginons un circuit de chauffage central dont les radiateurs au lieu d’être montés en dérivation seraient montés en série (2) (cf. figure 13). La circulation d’eau (fluide caloporteur transmettrait de moins en moins d’énergie aux différents radiateurs du circuit. Le radiateur le plus proche de la sortie de la chaudière diffuserait bien plus de chaleur que le dernier. Figure 13 : Que penser de cette installation d’un chauffage central ? 5. LA REPRÉSENTATION PAR PARTAGE DES RESSOURCES ÉNERGÉTIQUES 5.1. Description Dans cette représentation, les élèves considèrent que la pile dissipe une puissance constante indépendante de la forme du circuit et du nombre de lampes : deux lampes identiques, qu’elles soient en parallèle ou en série, brillent également, mais de façon moindre que si elles étaient seules. Ce sont, là encore, des considérations énergétiques qui déterminent ce raisonnement : – « En série ou en dérivation, comme il n’y a qu’une seule pile, les lampes L1, L2, L3 et L4 brillent moins que L0 ; la pile donne à chacune moins d’énergie s’il y a deux lampes à faire briller ». – « Dans le montage à une seule ampoule, le courant est utilisé pour elle seule alors que (2) Le montage de radiateurs en série se faisait encore il y a une trentaine d’années. On trouve encore des installations répondant à ce type de branchement. L’avantage essentiel était de faire une économie en tuyauterie et en temps d’installation. Les inconvénients sont nombreux, l’inégalité de la répartition de la chaleur, l’arrêt de la distribution de la chaleur à la fermeture d’un des radiateurs. Ce dernier inconvénient pouvait être supprimé en installant un tuyau muni d’un robinet d’arrêt « court-circuitant » le radiateur : le radiateur fermé et ce robinet ouvert permettent l’accès de l’eau chaude au reste de l’installation. Vol. 101 - Juillet / Août / Septembre 2007 Jean-Loup CANAL 804 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE dans le montage en série ou en parallèle, il se répartit sur deux ampoules donc un éclairage moindre ». En général, les prévisions sont plus précises : la puissance dissipée par chacune des deux ampoules montées en série ou en dérivation est moitié de celle qu’elle dissipe dans un montage où elle est seule. 5.2. À quelle situation réelle peut-on rapprocher la représentation par partage des ressources énergétiques ? Description d’un dispositif mécanique à engrenage avec un seul récepteur Étudions le dispositif mécanique de la figure 14. Il se caractérise par : – un générateur (un lest qui en chutant entraîne un tambour et la roue dentée A) ; – un « récepteur mécanique » (le ventilateur entraîné par la roue dentée B) ; – un dispositif permettant le transfert d’énergie d’un lieu à l’autre (la roue à couronne dentée C). Figure 14 : Un ventilateur entraîné mécaniquement par la chute d’un lest. On peut faire correspondre à chaque dent qui défile une énergie transférée qui correspond à la chute du lest pour le passage d’une dent. On définit ce que l’on pourrait appeler, par extension, une tension égale à l’énergie par dent, « Ed », et un débit de dents, « D ». La puissance transférée se définit sans difficulté (P = Ed # D). Tout se passe comme si chaque dent qui défile au niveau du générateur se chargeait d’une énergie, toujours la Conceptions des élèves sur le circuit électrique… Le Bup no 896 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE 805 même et la transférait du générateur au récepteur. Dispositif identique, mais avec deux récepteurs Dans les figures 15 et 16, peut-on dire que dans un cas, les deux récepteurs mécaniques sont montés en série et dans l’autre en dérivation ? Figure 15 : Montage en série des deux ventilateurs ? Figure 16 : Montage en dérivation des deux ventilateurs ? Dans chacun des deux montages, le changement du nombre de récepteurs modifie le débit d’énergie (la puissance) distribué par le générateur : la chute du lest correspond à un transfert d’énergie qui se distribue sur moitié sur chacun des deux récepteurs dans chacune des deux situations. Le blocage d’un récepteur bloque l’ensemble. Le passage d’un à deux récepteurs se traduit par un ralentissement de la chute du lest. Donc, ces résultats identiques obtenus dans les deux types de montage correspondent à un seul mode de transfert d’énergie de type série. Les résultats obtenus sont identiques avec une transmission de l’énergie grâce à une courroie (cf. figures 17 et 18, page ci-après) ou une chaîne. Dans ce cas, les grandeurs à définir sont similaires, la dent est remplacée par l’unité de longueur de la courroie (respectivement au maillon de la chaîne). La « f.m.m. » (la « force mécanomotrice du générateur ») correspond alors à l’énergie qu’il est susceptible de perdre par unité de longueur de la courroie et le débit à la longueur de courroie déplacée par unité de temps. En fait, on ne peut plus parler de débit, mais de vitesse de défilement de la courroie qui est nécessairement la même dans chacun des deux montages, mais aussi la même entre les deux. Les calculs des puissances dissipées donnent des résultats analogues à ceux du montage en série du montage électrique. Les deux montages sont en série ! Comme quoi il ne faut pas se fier aux apparences. Vol. 101 - Juillet / Août / Septembre 2007 Jean-Loup CANAL 806 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE Figure 17 (gauche) et Figure 18 (droite) : La chute du lest entraîne le tambour et la grosse poulie qui lui est solidaire. Dans la figure 17, une seule courroie entraîne les deux récepteurs (des ventilateurs par exemple). Dans la figure 18, cette poulie entraîne deux courroies superposées, chacune entraînant indépendamment un récepteur. Les trois petites poulies n’ont que des fonctions de guidage. Malgré une topologie proche de celle des montages électriques de deux lampes en série et en dérivation, les deux récepteurs mécaniques sont montés chaque fois en série. Comment s’effectue ce transfert d’énergie dans le cas du vecteur solide ? Considérons le transfert par les roues dentées. Curieusement, nous ne nous interrogeons pas sur la façon dont il se fait. Nous acceptons le « tout se passe comme si » la dent passant au générateur se charge d’une énergie qui le caractérise pour aller la déposer aux récepteurs. Nous ne nous interrogeons pas sur « sa stratégie » pour distribuer équitablement aux deux récepteurs cette énergie. C’est une image qui nous arrange. Or ce sont bien les questions qui se posaient dans le cas du circuit électrique ! Il est vrai qu’une recherche élémentaire dans le cas du transfert d’énergie par engrenage permet de constater que ce transfert s’effectue grâce à des leviers entre les différentes dents en contact. Les choses diffèrent dans le cas d’une transmission par courroie ou par chaîne. Par exemple dans le cas du transfert par chaîne, l’image de « tout se passe comme si le maillon en passant dans la roue dentée du générateur se chargeait d’une certaine énergie qu’il transférait aux récepteurs » ne fonctionne pas ! Les maillons issus de la roue motrice Conceptions des élèves sur le circuit électrique… Le Bup no 896 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE 807 qui arrivent au premier récepteur ne transmettent aucune énergie, car la chaîne ne pousse pas, elle tire. C’est par l’autre côté que se situe le transfert d’énergie. En effet, il suffit d’observer la transmission d’énergie sur une chaîne de bicyclette pour s’en convaincre (cf. figure 19). Il suffit de modifier notre image pour la rendre plus générale : « le passage d’un maillon témoigne du transfert du générateur aux récepteurs d’une certaine énergie caractéristique du générateur ». On peut alors sans problème étendre cette expression aux transferts par dents d’engrenage, par courroie ou par charge électrique. Figure 19 : Entraînement du pignon arrière de la bicyclette grâce à la chaîne actionnée par le plateau du pédalier. La partie B de la chaîne est détendue et ce ne sont pas ses maillons provenant du pédalier qui provoquent la rotation du pignon arrière de la bicyclette. Notons que dans le cas du transfert d’énergie du circuit électrique, l’approche précise du mécanisme impliqué est complexe. Le lecteur est invité à consulter l’article d’André DEIBER et de Frédéric PAVIET-SALOMON [4] : le transfert d’énergie se fait par l’extérieur des fils. Y a-t-il incompatibilité avec une approche du circuit où l’électron serait porteur de l’énergie électrique ? Non, introduire le vecteur de Poyting serait préjudiciable à la découverte du circuit électrique. À chaque niveau d’apprentissage, un modèle. Encore faudrait-il présenter le concept de modèle et ses divers objectifs. Remarque : L’étude du transfert d’énergie par roues dentées pourrait faire l’objet d’un exercice en mécanique à proposer à des élèves du lycée (cf. annexe). 6. AUTRES REPRÉSENTATIONS PLUS RAREMENT EXPRIMÉES 6.1. La représentation liée à « la proximité géographique » ♦ C’est là une représentation peu fréquente (même si elle se rencontre à tout âge) fondée uniquement sur la topologie du circuit. En série ou en dérivation, la lampe la plus proche du générateur brille le plus. Dans le cas des deux lampes en série, le sens du courant est même parfois oublié. ♦ La situation réelle correspondrait à celle du transfert d’énergie par onde. On peut envisager : – des ondes sonores qui se diffusent à partir d’un haut-parleur servant de source ; des micros servent de récepteurs ; – un foyer qui rayonne de l’infrarouge dans une pièce ; deux personnes tiennent lieu de récepteurs ; Vol. 101 - Juillet / Août / Septembre 2007 Jean-Loup CANAL 808 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE – des ondes lumineuses qui se propagent à partir d’une source (une étoile ou bien une lampe) ; des planètes de même diamètre (cf. figure 20), ou bien des cellules photoélectriques, jouent le rôle de récepteurs. Dans chaque cas, le récepteur le plus proche du générateur sera celui qui recevra le plus d’énergie : – plus on est près du haut-parleur, mieux on entend ; – plus on est près du foyer, plus on a chaud ; – plus la planète est près de l’étoile, plus sa surface a une température élevée. Figure 20 Plusieurs récepteurs identiques à la même distance du générateur recevront la même énergie. Si deux récepteurs sont bien alignés avec le générateur, le premier fera obstacle au suivant. La modification du nombre de récepteurs ne modifie en rien le débit d’énergie du générateur. Aucun rapprochement ne peut se faire avec le circuit électrique. 6.2. La représentation « chaque lampe prend ce qui lui faut » ♦ Ce ne sont pas des considérations énergétiques qui président à la construction de cette représentation, au demeurant plus rarement rencontrée. C’est l’idée qu’un récepteur, à puissance nominale donnée, emprunte à la pile ce dont il a besoin quelle que soit la nature du branchement : dans cette hypothèse, « Des ampoules identiques, quel que soit le montage, brillent pareillement comme si elles étaient seules. Elles prennent ce qui est écrit dessus ». Poussée à l’extrême, cette représentation autoriserait l’installation d’une ampoule 3,5 volts dans un circuit alimenté par la tension du secteur de 220 volts ou l’inverse soit une ampoule de 220 volts dans un circuit alimenté par une pile de 4,5 volts. Face à cette alternative, les auteurs récusent leur hypothèse. ♦ On peut très bien concevoir une situation réelle correspondant à cette représentation. Imaginons plusieurs satellites de tailles différentes, mais à une même distance de leur étoile. Elles reçoivent une énergie proportionnellement à leurs tailles. CONCLUSIONS Permanence des représentations, nécessité d’images pour les faire évoluer Un certain nombre de représentations, fréquentes, apparaissent à tout âge aussi bien chez ceux qui découvrent l’électricité que ceux qui l’ont rencontrée et étudiée au cours de leurs études au collège, au lycée ou à la faculté. Ce résultat peut s’expliquer : les élèves Conceptions des élèves sur le circuit électrique… Le Bup no 896 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE 809 doivent mémoriser des observations et les lois qui en découlent alors qu’elles leur apparaissent comme de véritables paradoxes contraires à leurs représentations. Ces dernières se construisent et s’élaborent naturellement, elles n’ont pas été formalisées et par conséquent non infirmées. Provisoirement, elles sont occultées pour revenir dès que l’aspect formel de l’enseignement fut oublié. Sans l’aspect formel, rigoureux, s’appuyant sur les mathématiques, il n’y a pas de sciences. Mais on ne peut fonder un enseignement sur la seule formulation de lois. Les élèves assimileraient davantage les concepts de base de l’électricité s’ils pouvaient se convaincre de l’existence d’une logique dans les effets observés. On peut les rendre accessibles en confrontant divers modes de transferts d’énergie et en proposant des modèles explicatifs. Il est évident qu’un chercheur de pointe du XXIe siècle ne se cantonne pas à ce type de raisonnement (3). Mais, admettons l’idée qu’il est recevable pour des élèves qui découvrent une loi de la physique et qu’il leur permettra ensuite d’accéder à des formes de pensée plus complexes et plus abstraites. Une première étape serait d’imaginer des situations qui permettent de construire qualitativement les grandeurs électriques [5]. Une deuxième proposition consisterait ensuite à « travailler » les divers modes de transfert d’énergie précédents. Ils peuvent être considérés comme des analogies et de façon plus générale, comme des modèles, avec leurs qualités, leurs limites. La recherche de leurs différences avec les observations relevées sur le domaine étudié permet de mieux comprendre et d’approfondir ses connaissances. Une analogie parfaite n’existe pas sinon elle serait le domaine lui-même. Le raisonnement analogique n’a pas pour perspective immuable d’unifier deux domaines. Postulons que le rapprochement puisse aider à la conceptualisation de l’un d’eux. Intérêt d’intégrer le circuit électrique dans un chapitre abordant d’autres transferts d’énergie L’étude de divers types de transfert d’énergie permet de les classer. Leur étude conduit de construire des grandeurs permettant de quantifier ce transfert d’énergie. En considérant le vecteur permettant ce transfert, on peut définir l’énergie transférée par unité de la grandeur caractérisant ce vecteur (4) et son débit. Dans le cas de l’électricité, on construit les notions de courant et de tension : l’intensité du courant correspondant au débit de « la chose élémentaire » permettant le transfert d’énergie, la tension à l’énergie transférée lors du passage de la « chose élémentaire ». En outre, le classement de ces (3) Notons que MAXWELL a construit ses équations de propagation des ondes électromagnétiques en imaginant des transmissions de mouvement grâce à des trains d’engrenages. Ce modèle mécanique fut un accessoire indispensable pour les élaborer, mais ensuite, il n’a pas eu besoin de s’y référer. On peut simplement s’interroger sur tout l’intérêt qu’il y aurait à les proposer aux étudiants qui les découvrent. (4) Dans l’ouvrage de P. FLEURY et J.-P. MATHIEU [6], est définie la grandeur V = g $ z appelée « potentiel de la pesanteur ». Les auteurs précisent ensuite : « Quand un point de masse m passe d’un point de potentiel V 1 à un point de potentiel V 2, son énergie potentielle diminue de m _ V 1 - V 2 i = m $ g _ z1 - z2 i ». Vol. 101 - Juillet / Août / Septembre 2007 Jean-Loup CANAL 810 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE différents types de transfert d’énergie conduirait à mieux caractériser l’écoulement des fluides. L’identité entre les deux domaines, écoulement du fluide dans le dispositif hydraulique et circulation des charges dans le circuit électrique, est telle qu’il s’établit une correspondance entre les deux : on peut parler de l’existence d’un isomorphisme. Le transfert d’énergie par électricité perd sa singularité préjudiciable à sa compréhension. Douglas HOFSDATER [7] affirme, à propos de la découverte d’un isomorphisme entre deux structures, que « c’est souvent un “ éblouissement ” et une source d’étonnement ». En osant une généralisation, on pourrait arriver au constat suivant : – un fluide dans un conduit qui le canalise entièrement (liquide, gaz ou charges électriques dont le flux dans un conducteur s’assimile au déplacement d’un fluide) permet deux modes de transfert d’énergie : en série et en dérivation ; – un transfert d’énergie utilisant un matériau solide (engrenage, chaîne, courroie) permet, quelle que soit la disposition des récepteurs, un seul mode de distribution, le mode série. Il resterait à prévoir ce qui serait possible d’aborder aux différents niveaux en tenant compte de l’âge… Pour conclure avec un peu d’humour (5), retrouvons (cf. figure 21) un transfert d’énergie où, ici encore, la puissance fournie par le générateur est égale à celle reçue par le récepteur. Il reste à mesurer l’énergie du vecteur de ce transfert, la gifle, et son débit ! Figure 21 : Extrait de Astérix et les Normands. Reproduit avec l’aimable autorisation des éditions Albert René. 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[9] CANAL J.-L. « Courant, tension, résistance et énergie, essai de conceptualisation des grandeurs fondamentales en électricité ». Thèse, Toulouse, 1996. [10] CLOSSET J.-L. « D’où proviennent certaines erreurs rencontrées chez les élèves et les étudiants en électrocinétique ? Peut-on y remédier ? ». Bull. Un. Phys., octobre 1983, vol. 78, n° 657, p. 81-102. [11] CLOSSET J.-L. Une possible méthodologie pour la recherche sur le raisonnement naturel en physique. Problématique et résultats dans le cas de l’électrocinétique, p. 43-58. In « TIP, l’enseignement des circuits électriques, vol. VII n° 2 ». Publication de l’Université de Provence, 1988. [12] CLOSSET J.-L. « Les obstacles à l'apprentissage de l'électrocinétique ». Bull. Un. Phys., juillet-août-septembre 1989, vol. 83, n° 716, p. 931-949. [13] JOHSUA S. « Contribution à la délimitation du contraint et du possible dans l’enseignement de la physique ». Thèse d’État, Aix-Marseille 2, 1985. [14] JOHSUA S. et DUPIN J.-J. Processus de modélisation en électricité, p. 155-169. In « TIP, l’enseignement des circuits électriques, vol. VII n° 2 ». Publication de l’Université de Provence, 1988, p. 162. [15] JOHSUA S. et DUPIN J.-J. Représentations et modélisations : le “débat scientifique” dans la classe et l’apprentissage de la physique. Peter Lang, 1989. [16] BENSEGHIR A. « Transition électrostatique-électrocinétique : point de vue historique et analyse des difficultés des élèves ». Thèse, Paris VII, 1989. [17] JOHSUA S. et DUPIN J-J. Introduction à la didactique des sciences et des mathématiques. PUF, 1993. [18] TIBERGHIEN A. et DELACOTE G. « Manipulations et représentations de circuits électriques simples par des enfants de 7 à 12 ans ». Revue française de pédagogie, 1976, n° 34, p. 32-44, INRP. Jean-Loup CANAL Retraité IUFM de Midi-Pyrénées Centre départemental de l’Aveyron Vol. 101 - Juillet / Août / Septembre 2007 Jean-Loup CANAL 812 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE Annexe Problème : « Électricité et engrenage », même situation-problème de transfert d’énergie ? Ceci ne peut convenir comme exercice d’évaluation sommative. En effet, les élèves ne connaissent pas les caractéristiques du freinage hydraulique de ces ventilateurs (cf. figures 14, 15 et 16). Le système atteint rapidement un régime stationnaire à vitesse constante. En classe de première, il pourrait se situer à la fin de l’étude de la mécanique avant celle de l’électricité. Remarques ♦ On admettra que le dispositif atteint très rapidement un régime de fonctionnement à vitesse constante. ♦ On admettra qu’il n’y a pas de pertes par frottements dans le transfert d’énergie. ♦ En aucun cas, on ne modifiera les roues dentées. PARTIE A : QUESTIONS RELATIVES AU DISPOSITIF MÉCANIQUE Données : Durée de fonctionnement : t ♦ Masse du lest : M ♦ Rayon du tambour : rt ♦ Nombre de dents de la roue A ou B : n ♦ Rayon de la roue A ou B : r ♦ Nombre de dents de la roue C : N ♦ Rayon de la roue C : R. A.1 - Dans ce dispositif mécanique (cf. figure 14), distinguez les parties qui jouent le rôle d’un générateur ou d’un récepteur. Que pouvez-vous dire de l’énergie produite par l’une et de l’énergie consommée par l’autre ? Exprimer l’énergie Ud « fournie » par le passage d’une dent de la roue C en fonction des caractéristiques du générateur. A.2 - Exprimez la puissance Pv reçue par le ventilateur en fonction du débit D des « dents » et en fonction de l’énergie Ud « fournie » par le passage d’une dent. A.3 - Pour bloquer le dispositif, on dispose une pince sur la grande roue dentée. Où doiton la placer ? A.4 - Comment augmenter la durée de fonctionnement du ventilateur en lui conservant la même puissance ? A.5 - Comment augmenter la puissance délivrée par ce ventilateur sans modifier le ventilateur ? A.6 - Que se passe-t-il si on augmente le nombre de pales, ou la surface de ces pales ? Conceptions des élèves sur le circuit électrique… Le Bup no 896 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE 813 A.7 - Que se passe-t-il si on enlève la roue B ? A.8 - Que se passe-t-il si on dispose un deuxième ventilateur, identique au premier dont la roue Bl serait entraînée par la même grande roue dentée C ? (cf. figure 15) A.9 - Que se passe-t-il si on dispose, un deuxième ventilateur identique au premier dont la roue Bl serait entraînée par deux roues dentées : une grande roue dentée Cl et une roue dentée Al disposée comme la roue A, sur l’axe du tambour ? (cf. figure 16) PARTIE B : QUESTIONS RELATIVES À LA COMPARAISON DU DISPOSITIF MÉCANIQUE AVEC UN CIRCUIT ÉLECTRIQUE En vous aidant des différentes questions de la partie A, essayer d’établir s’il existe une analogie entre ce montage mécanique et un circuit électrique simple constitué d’une pile et d’une ou deux ampoules identiques placées en série ou en dérivation. CORRECTION Réponses aux questions de la partie A R.A.1 - Le système constitué par le lest, le tambour et la roue A peut être considéré comme un générateur d’énergie : il a stocké de l’énergie potentielle de gravitation ; il distribue cette énergie par l’intermédiaire de la roue C au ventilateur qui joue le rôle de récepteur qui produit de l’énergie cinétique à l’air. La roue C transmet directement la rotation de A à B, à une dent de la roue A correspond une dent de la roue B. Comme il est admis que le transfert d’énergie se fait sans pertes par frottements, l’énergie fournie par le générateur est entièrement utilisée par le récepteur. Comme le passage d’une dent de A correspond à la chute du lest de 2 $ π $ rt / n, on peut écrire : Ud = M $ g $ 2 $ π $ rt / n R.A.2 - Pv = Ud $ D. R.A.3 - Le système se bloquera quelle que soit la position de la pince sur la grande roue dentée. Il n’y a pas d’emplacement spécifique. R.A.4 - Il suffit : – d’allonger la longueur de la ficelle soutenant le lest ; – de creuser pour laisser la possibilité à celui-ci de descendre. On peut déterminer « la durée de vie » de la pile mécanique en l’exprimant en nombre de dents qui pourront défiler. Si « L » est la longueur possible de déroulement de la ficelle : L / ^ 2 $ π $ rt/nh R.A.5 - Plusieurs solutions : " L’augmentation de la masse du lest aura deux conséquences : Ud augmente et D, le débit des dents, augmentera aussi. La puissance reçue par le ventilateur, Vol. 101 - Juillet / Août / Septembre 2007 Jean-Loup CANAL 814 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE égale au produit des deux, ne peut qu’augmenter. " En multipliant les « générateurs » sur la roue C, on multiplie d’autant Ud, D aussi et la puissance reçue par le ventilateur s’accroît. " La chute du lest est égale à 2 $ π $ rt/n. Si on augmente le rayon du tambour rt, Ud augmente, D aussi et la puissance reçue par le ventilateur s’accroît. R.A.6 - L’augmentation du nombre de pales ou l’augmentation de la surface de chaque pale accroît la résistance de l’air. Le débit D diminue et, même si Ud n’est pas modifiée, la puissance dissipée par le ventilateur diminue. R.A.7 - Le système n’étant plus freiné, le mouvement est uniformément accéléré (si on continue à admettre que les transmissions par engrenage ont lieu sans frottements). Le débit des dents D s’accroît, le générateur « épuise » rapidement sa réserve d’énergie. R.A.8 - Le doublement des récepteurs ne modifie pas Ud l’énergie dissipée par le passage d’une dent. Mais cette énergie par dent est distribuée aux deux récepteurs. Chacun en reçoit donc la moitié. En outre, le débit D diminue. La puissance de chacun des deux ventilateurs diminue (de plus de la moitié). R.A.9 - Le raisonnement et le résultat sont identiques au précédent. On ne peut distinguer deux types de montages : les deux montages sont de type « série ». Réponses aux questions de la partie B On peut établir des analogies entre les deux systèmes, le mécanique et l’électrique : ♦ Dans le circuit électrique, les charges électriques sont en permanence dans tout le circuit, qu’il soit ouvert ou fermé ; c’est la circulation des charges qui permet le transfert d’énergie du générateur au récepteur. ♦ La pile n’est pas un réservoir de charges électriques, mais un réservoir d’énergie utilisable. ♦ À D correspond I ; à Ud correspond U qui est égale à la tension de la pile (on néglige la résistance interne de la pile). La tension de la pile correspond à l’énergie enlevée à la pile par l’unité de charge électrique (un coulomb) qui la traverse. R.B.1 et R.B.2 - La puissance dissipée dans le récepteur est égale à U.I, l’énergie à U.I.t. R.B.3 - L’interrupteur peut se disposer en n’importe quel point du circuit principal. R.B.4 - Des piles de même tension peuvent avoir des capacités énergétiques différentes. Cette capacité énergétique est liée à leur masse (la masse de l’électrode négative, en zinc par exemple dans le cas d’une pile Zn/Cu). On augmente ainsi le nombre d’électrons susceptibles de circuler soit la charge électrique « Q » qui pourra circuler dans le circuit. On augmente l’énergie stockée dans la pile, mais pas le mode de distribution. On peut aussi associer des piles en dérivation ; dans ce cas, il n’y a pas d’équivalence en mécanique. Conceptions des élèves sur le circuit électrique… Le Bup no 896 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE 815 R.B.5 - En changeant de pile et en prenant une pile dont la tension est plus grande, on modifie sa distribution : l’énergie transférée par unité de charge qui quitte la pile est plus grande. On peut aussi associer des piles en série ; dans le système mécanique, on peut également multiplier les générateurs mécaniques. Remarque : À partir des questions 4 et 5, on peut écrire quelle est l’énergie globalement distribuée par la pile : W = Q $ E, avec « Q » correspondant à la charge électrique qui a circulé et E à la tension de la pile. R.B.6 - Si la résistance de la lampe augmente, la puissance dissipée diminue, car l’intensité du courant diminue. R.B.7 - Si on ôte tout récepteur dans le circuit électrique, la pile est en court-circuit, l’intensité du courant croît et la pile se détériore. R.B.8 - Avec des lampes en série, les résultats sont analogues à ceux obtenus avec le dispositif mécanique : chaque lampe reçoit la moitié de la tension de la pile, mais l’intensité du courant diminue aussi. La puissance dissipée par chacune des deux lampes diminue. R.B.9 - Dans le cas du circuit électrique, le transfert d’énergie se fait suivant un mode de type « fluide ». L’intensité du courant dans la partie commune du circuit double. En effet, dans chaque branche en dérivation, la lampe est soumise à la même différence de potentiel ; il s’en déduit une intensité de courant telle qu’elle était dans chaque lampe quand elle était seule. La puissance dissipée dans chaque lampe reste donc ce qu’elle était. Ce doublement du débit ne peut se produire avec un transmetteur d’énergie rigide. En conclusion, les montages des deux récepteurs mécaniques montrent la limite de cette analogie avec le circuit électrique. Le transfert d’énergie se faisant au moyen d’un vecteur solide ne permet pas une distribution d’énergie de type « en dérivation » que seul un vecteur fluide autorise. Vol. 101 - Juillet / Août / Septembre 2007 Jean-Loup CANAL