Conceptions des élèves sur le circuit électrique, leurs comparaisons

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Conceptions des élèves sur le circuit électrique, leurs comparaisons
UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE
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Conceptions des élèves sur le circuit électrique,
leurs comparaisons avec d’autres modes de transfert d’énergie
Classification de ces transferts
par Jean-Loup CANAL
12000 Rodez
[email protected]
RÉSUMÉ
Nous proposons quelques conceptions des élèves sur le circuit électrique. Elles sont
communes aux élèves de tous les âges, du primaire à la faculté. Il est possible de leur
faire correspondre des situations de transfert d’énergie prises dans d’autres domaines de
la physique. Le classement et l’étude de ces différentes situations avec leurs spécificités
permettent de justifier ou du moins de se représenter et d’accepter des lois de l’électrocinétique qui sont souvent perçues comme illogiques.
Le bon sens mène à la vérité
puisque la vérité naît du paradoxe
et que le paradoxe se définit contre le bon sens.
Mais tout au long de ce chemin tortueux,
le bon sens doit être travaillé, critiqué.
Étienne KLEIN [1]
1. POINTS DE DÉPART
1.1. Comment faire formuler les représentations ?
Les situations proposées (cf. figure 1 « des circuits simples »), deux lampes identiques montées en série ou en dérivation, correspondent aux premiers montages susceptibles d’être réalisés par des élèves qui découvrent l’électricité. Elles sont emblématiques de
ce domaine. Les comparaisons de leurs éclats sont perçues comme paradoxales car contraires
à l’opinion, au bon sens : « sur le montage des lampes en dérivation, le courant se partage
et pourtant les deux lampes brillent comme si elles étaient seules, ce n’est pas logique ! ».
C’est exactement ce qui transparaît dans un ouvrage scientifique destiné aux jeunes [2] :
« Dans un circuit en série, le courant passe tour à tour dans les ampoules qui s’allument
faiblement. Dans un circuit en parallèle, le courant se divise et passe dans les deux
ampoules en même temps. Elles s’éclairent plus fortement ». Reconnaissons qu’il y a de
quoi s’étonner : quand il se divise, le courant est plus efficace !
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DES CIRCUITS SIMPLES
& Toutes les lampes utilisées dans les divers montages sont absolument identiques, les piles aussi.
1 - Existe-t-il pour l’interrupteur un emplacement privilégié dans le circuit (cf. figure A)
Figure A
Mon choix
1.a - Place A
1.b - Place B
1.c - Peu importe
1.d - Je ne sais pas
Mes justifications
En observant, je constate que :
2 - Circuit avec les lampes montées comme sur la figure B
Figure B
Figure C
2.1. - Dans la figure B, comparons entre elles les éclats des lampes
Mon choix
2.1.a - L1 brille comme L2
2.1.b - L1 brille plus que L2
2.1.c - L1 brille moins que L2
2.1.d - Je ne sais pas
Mes justifications
En observant, je constate que :
Figure 1 recto
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2.2. - Comparons les éclats de chacune des lampes de la figure B avec l’éclat de lampe de la figure C
Mon choix
2.2.a - L0 brille comme L1
2.2.b - L0 brille comme L2
2.2.c - L0 brille plus que L1
2.2.d - L0 brille moins que L1
2.2.e - L0 brille plus que L2
2.2.f - L0 brille moins que L2
2.2.g - Je ne sais pas
Mes justifications
En observant, je constate que :
3 - Circuit avec deux lampes montées comme sur la figure D
Figure D
Figure E
3.1. - Comparons les éclats des lampes de la figure D entre elles :
Mon choix
3.1.a - L3 brille comme L4
3.1.b - L3 brille plus que L4
3.1.c - L3 brille moins que L4
3.1.d - Je ne sais pas
Mes justifications
En observant, je constate que :
3.2. - Comparons les éclats de chacune des lampes de la figure D avec celui de la lampe de la figure E
Mon choix
3.2.a - L3 brille comme L0
3.2.b - L3 brille plus que L0
3.2.c - L3 brille moins que L0
3.2.d - L4 brille comme L0
3.2.e - L4 brille plus que L0
3.2.f - L4 brille moins que L0
3.2.g - Je ne sais pas
Mes justifications
En observant, je constate que :
Figure 1 verso
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Ce sont des élèves de la fin du primaire, des collégiens et des lycéens, des professeurs des écoles en formation qui ont testé ces fiches. Il est important de leur signifier
que cet exercice ne correspond nullement à une évaluation. Outre l’indication sur les anticipations des résultats, ils notent les « justifications » qui les ont conduits à formuler ces
résultats. La rubrique intitulée « en observant, je constate que » est remplie postérieurement à leurs prévisions en utilisant le matériel qui leur sera alors fourni.
La distorsion très fréquente entre les prévisions et les résultats expérimentaux provoque
une insatisfaction, un étonnement, une curiosité, un questionnement et une demande d’explication qui feront apparaître la suite comme une réponse à des attentes, à un besoin, à
une envie d’en savoir plus : « comment s’explique l’électricité ? ». Ils sont fort marris de
cette non-concordance. Ils sont également surpris de la diversité des réponses et de la
découverte des raisonnements sous-jacents : leurs représentations répondent la plupart du
temps à une logique fondée sur d’autres situations de transfert d’énergie. Il est surprenant
de constater la similitude des réponses, que leurs auteurs aient suivi ou non une formation scientifique. Parfois, ils utilisent plusieurs représentations successives. Plus rarement,
ils refusent de s’exprimer.
Les résultats sont présentés dans les paragraphes suivants. Pour chacune des catégories, on précise les justifications avancées et, quand elle a pu être trouvée, l’analogie
de référence qui consciemment ou inconsciemment a pu leur servir de modèle. Dans
chacune des analogies, on envisage le cas des branchements de deux récepteurs pour les
comparer au circuit électrique à deux lampes.
1.2. Quelques mots sur le courant et la tension
Rapidement, définissons les acquis de base qui permettraient de caractériser le circuit
électrique et de faciliter sa compréhension. Tout ce qui suit s’applique à des situations où
les charges sont en déplacement, ce qui se passe dans un circuit ouvert et en électrostatique est donc exclu. Très intentionnellement, convenons de privilégier deux grandeurs,
l’énergie et la puissance [3]. Si on analyse un circuit simple à une seule lampe, on peut
définir deux lieux, l’un (le générateur) met de l’énergie à disposition, l’autre (le récepteur) l’exploite. Le transfert de l’un à l’autre s’effectue grâce à une circulation de charges
électriques. Commercialement parlant, l’utilisateur peut-il définir l’énergie (W) et la puissance (P) qu’il a consommées ? La circulation des charges élémentaires est le courant
électrique. Soit Q la charge qui circule pendant un temps t, l’intensité de ce courant (I)
est son débit, soit I = Q/t. Pour connaître la puissance consommée dans le récepteur, il
faudrait connaître l’énergie échangée par unité de charge qui le traverse. C’est bien
en effet ce que signifie la relation liant W, Q et U : U = W/Q, ce rapport définit la tension
U. De manière plus générale, la tension entre deux points d’un circuit peut donc se définir
comme étant :
– aux bornes d’un dipôle actif, l’énergie par unité de charge que perd ce dipôle ;
– aux bornes d’un dipôle passif, l’énergie par unité de charge que le dipôle passif acquiert
et transforme en l’énergie souhaitée (chaleur, lumière, mouvement, etc.).
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L’énergie acquise dans le récepteur est égale à celle fournie par le générateur (en
n’admettant aucune perte d’énergie dans les fils de conduction). Les grandeurs I et U sont
facilement mesurables, la puissance consommée se définit alors simplement : P = U # I.
Ces quelques éléments sont peut-être susceptibles de se retrouver et de se transposer à
divers systèmes échangeurs d’énergie.
2. RÉSULTATS EXACTS AVEC EXPLICATIONS INCORRECTES
OU CORRECTES
Seuls les élèves qui ont un vécu expérimental ou ont suivi des cours d’électricité
anticipent les résultats expérimentaux correctement. Quant aux justifications, elles sont
variées.
2.1. Des réponses exactes non correctement justifiées
Ces élèves (8 %) se contentent de décrire les conditions d’alimentation de la lampe
pour toute explication : les deux bornes de la pile doivent être reliées aux deux bornes
de l’ampoule avec des fils conducteurs. Les didacticiens l’appellent la représentation à
contacts mécaniques. En fait, ce qui caractérise cette représentation, c’est de ne pas en
être une ! Aucune explication ne transparaît : « c’est comme ça, autrement ça ne marche
pas ! » (élève du CM). C’est un premier stade qui correspond au « comment faire pour
que ça marche ». C’est une réponse basée sur la connaissance des conditions de fonctionnement. À ce niveau de formulation, elle est caractéristique des jeunes élèves. Mais
nous pouvons ranger dans cette catégorie des réponses exactes faites par des élèves plus
âgés qui se souviennent des divers branchements d’ampoules avec leurs diverses caractéristiques : « On obtient tel résultat parce que c’est un montage parallèle ! Parce que
c’est un montage série ! ». Ces élèves n’ont aucune explication à proposer sur le fonctionnement du circuit électrique. Ils ne sont pas dupes et ajoutent souvent : « Je sais que
c’est ça parce que je l’ai appris, mais je ne comprends pas pourquoi ! C’est ce qui me reste
de mon enseignement. » (étudiant à bac +4).
Certains (3 %) se souviennent des résultats expérimentaux et voulant les justifier,
ils inventent des lois, avancent des affirmations non justifiées intervient le concept de
courant :
♦ « En série, l’intensité est partagée entre les deux lampes, donc chacune brille moins
que quand une lampe est seule. En dérivation, l’intensité ne se partage pas entre les
deux lampes et leurs éclats sont les mêmes que celui de L0 ».
♦ « Le montage en dérivation n’implique pas une baisse de l’intensité du courant. Celle-ci
reste la même que dans un circuit simple ».
2.2. Résultats exacts faisant intervenir la grandeur « tension »
Les fiches qui donnent des réponses exactes en s’appuyant sur la grandeur tension
pour les justifier sont très minoritaires (7 %) essentiellement des élèves de lycée. Il est
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normal que ceux qui n’ont pas encore étudié cette grandeur ne puissent l’utiliser. Il est
plus étonnant que des adultes qui ont suivi un enseignement sur l’électricité n’y fassent
majoritairement aucune référence. Cela doit déterminer l’orientation du travail didactique
à accomplir.
2.3. De quelle autre situation peut-on rapprocher le circuit électrique ?
2.3.1. Description d’une analogie hydraulique
Elle est constituée par un circuit hydraulique (cf. figure 2) décomposable en plusieurs
parties :
♦ La distribution de l’énergie se fait au moyen d’un liquide, ici de l’eau, qui circule dans
un tuyau et non à l’air libre. Un simple canal de circulation ne pourrait convenir : le
tuyau est indispensable si l’on veut que tout récepteur placé dans le circuit interagisse
avec l’écoulement du fluide à la sortie du générateur.
Figure 2
♦ Le générateur hydraulique, (c’est un lieu de mise à disposition d’énergie). Comment
se fait le transfert ? Dans le réservoir, l’eau possède de l’énergie potentielle de gravitation. Et en bas du réservoir, à la sortie de la conduite ? Souvent, il est écrit que
l’énergie potentielle se transforme en énergie cinétique. En admettant que le tube de
descente conserve la même section, la vitesse d’écoulement est la même tout au long
du tube et l’énergie cinétique est donc la même en haut du conduit et en bas. En fait,
l’eau a acquis une énergie potentielle de pression (potentielle encore, car c’est une
énergie de position). C’est un générateur de pression. Tout se passe comme si chaque
unité de volume d’eau se chargeait d’énergie en le traversant, toujours une même
valeur qui caractérise le générateur. Il comprend tout un ensemble :
– Un réservoir supérieur, un réservoir inférieur et une pompe (cf. figure 3) qui doit être
actionnée afin de remonter l’eau du réservoir inférieur au réservoir supérieur.
– Un préposé à la pompe dont la tâche est exactement définie : en observant le niveau
d’eau dans le réservoir inférieur, il tourne la manivelle de la pompe à des vitesses
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Figure 3
différentes afin de maintenir son niveau constant. Cette adaptation de son action
est justifiée par le caractère variable du débit dépendant des conditions existantes
dans le circuit extérieur au générateur. Par exemple, si un robinet d’arrêt bloque le
circuit, le débit devient nul, le préposé doit arrêter d’agir sur la pompe.
– Des sacs de nourriture (ou des billets de banque) destinés au préposé symbolisent
sa réserve d’énergie. Quand le stock est épuisé, le préposé ne peut plus travailler.
♦ Le récepteur est constitué par une turbine avec, sur son axe, le dispositif entraîné non
représenté ici pour ne pas surcharger le dessin. C’est un convertisseur d’énergie : il
utilise l’énergie reçue pour une tâche définie.
2.3.2. Description de son fonctionnement
L’analogie hydraulique paraît explicite. La « pile hydraulique » (« générateur
hydraulique ») n’est pas un réservoir d’eau, mais bien un dispositif produisant une circulation d’eau dont la pression maximale est acquise dès sa sortie de la pile. Cette pression
caractérise ce générateur, elle est indépendante de son débit. L’élève est mieux à même
de comprendre la répartition des potentiels de pression dans le circuit fermé :
♦ Il existe une augmentation de pression entre l’entrée et la sortie de la pile hydraulique
correspondant à une montée du potentiel hydraulique. Aux bornes d’une fermeture du
circuit (une vanne en position fermée), quelle que soit sa situation dans le circuit, la
chute de pression à ses bornes est constante (le circuit est dans un plan horizontal) et
égale à la pression fournie par la pile hydraulique.
♦ En série (cf. figure 4, page ci-après) :
– La pression se partage entre les deux récepteurs puisque le même fluide les traverse
successivement et comme ils sont identiques les deux chutes de pression seront égales.
– La présence de deux récepteurs diminue le débit. Les résultats présentés à la figure 5
(cf. page ci-après) permettent de convaincre les élèves qui auraient des difficultés.
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Figure 4 : Avec les deux récepteurs en série : chaque récepteur en série supplémentaire
crée un obstacle de plus qui provoque une baisse du débit.
Figure 5 : Mesure des durées d’écoulement de l’eau. En mesurant les temps d’écoulement de l’eau dans
les deux dispositifs comprenant des tubes étroits (correspondant à des récepteurs), on constate expérimentalement que la durée d’écoulement est plus grande avec le tube long qu’avec le petit tube.
Le débit est le même dans les deux récepteurs. La puissance dans chacun des deux
sera la même et plus faible que celle qui existait pour un seul récepteur.
♦ En dérivation (cf. figure 6) :
– La chute de pression dans chacun des deux est égale à la pression fournie par le
générateur. Si on admet le principe que le débit dans chaque récepteur est géré par
la chute de pression à ses deux extrémités, chacun fonctionnera comme s’il était
seul. Le débit dans le circuit principal sera le double de ce qu’il était quand le
circuit comprenait un seul récepteur. On admet que le préposé ne s’essouffle pas et
pompe alors deux fois plus vite que lorsqu’il y a une seule turbine. Les résultats
présentés à la figure 7 permettent de convaincre les élèves qui auraient des difficultés à envisager ce résultat.
♦ D’autres situations permettent d’établir des rapprochements avec le circuit électrique :
– deux générateurs montés en série ont leurs tensions qui s’additionnent ;
– deux générateurs identiques montés en dérivation augmentent la réserve énergétique
tout en délivrant la même tension ;
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Figure 6 : Avec les deux récepteurs en dérivation : chaque récepteur supplémentaire monté
en dérivation facilite un peu plus l’écoulement de l’eau.
Figure 7 : Avec deux tubes en dérivation, le réservoir se vide plus vite.
– de nombreux récepteurs en dérivation accroissent les risques d’un débit excessif dans
les tuyauteries principales et l’impossibilité pour le générateur d’assumer la puissance demandée ; à la limite, c’est le court-circuit avec tous ses inconvénients.
♦ Le constat d’un débit constant dans tout le circuit conduit à découvrir qu’il n’en est
pas de même pour la vitesse. Considérons le cas d’un récepteur constitué par un simple
rétrécissement : la vitesse y sera plus grande. C’est encore perçu comme un paradoxe.
La situation peut paraître délicate, elle a été soulevée par plusieurs élèves de quatrième.
La non-accumulation de fluide et sa conservation induisent un débit constant et la
nécessité d’une vitesse plus grande dans la partie rétrécie (le récepteur qui, par frottements, engendre un échauffement plus grand). La pratique du canoë (cf. figure 8,
page ci-après) permet de constater que l’écoulement de l’eau est d’autant plus calme
que le lit est large. La fluidité peut être prise au sens large : le cas de la circulation
routière (cf. figure 9, page ci-après) peut illustrer cette dichotomie entre vitesse et
débit. Si le débit de la circulation routière est de quatre voitures, cette valeur doit se
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Figure 8
Figure 9
trouver dans la partie à deux voies comme dans celle à une voie. Dans ce dernier cas,
la vitesse sera nécessairement double.
♦ Le champ d’identité de l’analogie hydraulique avec le domaine étudié est relativement
large. À ce titre, il peut tenir le rôle de modèle dont l’usage est dénigré par certains
enseignants, recherché et souhaité par d’autres (1) : « Je trouve dommage de se priver
de quelque chose qui permet, non pas de comprendre – c’est un bien trop grand mot –
mais en tout cas, de se faire une représentation de ce qui se passe ».
3. LA REPRÉSENTATION « FLEUVE »
3.1. Description
Cette représentation est très fréquente (30 %). Ce raisonnement est dénommé « séquentiel » par Jean-Louis CLOSSET : « il est essentiellement local, “ en suivant le circuit ”, ce
qui se passe en aval n’influence pas l’amont ». Le générateur délivre un courant constant
qui est caractéristique de ce générateur. Nous avons privilégié une appellation plus significative pour les élèves, le « modèle fleuve » par analogie avec l’écoulement d’un fleuve :
– « deux lampes en série brillent pareillement comme si elles étaient seules, c’est le même
courant qui les traverse » ;
– « en parallèle, le courant se divise en deux, donc elles brillent moins »
[sous-entendu : « le courant principal, lui, n’a pas changé »].
– « la lampe L0 reçoit tout le courant comme les lampes L1 et L2 en série. Dans les
lampes L3 et L4, le courant est obligé de se partager et elles brillent moins que L0 ».
(1)
Commentaire de Françoise BALIBAR, dans une réunion de débats et d’information, « La physique dans tous
ses états », organisée par la SFP et l’UdPPC le 16 novembre 1992, publiée dans le bulletin de la SFP n° 91
d’octobre 1993.
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3.2. À quelle situation réelle peut-on rapprocher la représentation
« fleuve » ?
Le mot « courant » appelle une image connue de tous. C’est là le risque d’une
analogie non maîtrisée. Mais cette forme de distribution de l’énergie correspond exactement à celle que dispensait le fleuve aux moulins flottants amarrés au quai dans les
grandes villes au Moyen-Âge (cf. figure 10). Ce type de moulin fut utilisé en 537 lors du
siège de Rome. La présence d’un moulin supplémentaire ne modifiait pas le débit du
fleuve. Étant donné l’importance du débit par rapport à l’énergie « utilisée » par chaque
moulin, leur nombre n’influe pas sur la puissance reçue par chacun d’eux et ne modifie
pas le débit du fleuve. Chacun tourne comme s’il était seul. On ne peut distinguer plusieurs
types d’installation (série ou dérivation).
4. LA REPRÉSENTATION À USURE DU COURANT
4.1. Description
Cette représentation, classique (20 % des réponses) atteste une prise en compte
d’une conservation de l’énergie. Ce modèle correspondrait à une synthèse entre le phénomène circulatoire du courant (le fluide électrique) et la prise en compte de la conservation de l’énergie. Le courant « s’use » au fur et à mesure qu’il passe dans les récepteurs
successifs en série, l’intensité du courant diminue à chaque passage :
Figure 10
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– « L’électricité s’est usée sur l’ampoule L2 et il y en a moins pour L1 ». « L1 prend de
l’électricité donc il en reste moins pour L2 ». « Tout comme la lampe L0, la lampe L1
ne subit pas l’effet d’une résistance située entre elle et le générateur ». « La première
lampe L2 traversée utilise de l’énergie qui manquera alors la deuxième ». « L2 reçoit
le courant avant L1, L1 reçoit des résidus de courant ».
En dérivation, les réponses sont variables. Dans certains cas, il ait tenu compte de
la proximité de la lampe avec la pile : « la lampe L4 brille moins que L3, car elle est plus
loin ». Chez un autre élève, « la vitesse de l’électricité » rentre en jeu : « il n’y a rien qui
freine l’électricité dans sa course, les lampes L0, L3, L4 brillent “ pareil ” ». Pour cet
élève, voici quelle était sa réponse pour les lampes en série : « L’éclat de L0 est égal à
L2, car l’électricité passe à la même vitesse. Dans L1, l’éclat est moins fort, car l’électricité a été ralentie par L2 ». Généralement, c’est l’aspect du partage de l’énergie qui
est envisagé : « Il y a autant d’électricité pour deux lampes que pour une. Donc L3 et L4
brillent moins que L0 ».
4.2. À quelle situation réelle peut-on rapprocher la représentation
à usure du courant ?
♦ Dans le cas du montage en série, la correspondance est évidente avec deux turbines
montées à ciel ouvert alimentées par une chute d’eau et placées comme sur la figure 11.
La première récupère la plus grande partie de l’énergie de l’écoulement d’eau et la
suivante bénéficie de peu d’énergie. En disposant des récepteurs en dérivation, on
retrouve des résultats qui se rapprochent en partie de ceux obtenus en électricité : les
deux turbines de la figure 12 tournent comme si chacune était seule. Le réservoir se
Figure 11
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Figure 12
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vide plus vite. Mais la modification d’une turbine ne modifie pas le débit qu’elle reçoit.
Son débit dépend uniquement des caractéristiques géométriques de la sortie du réservoir.
♦ Un autre dispositif illustre de meilleure façon la représentation des élèves. Imaginons
un circuit de chauffage central dont les radiateurs au lieu d’être montés en dérivation
seraient montés en série (2) (cf. figure 13). La circulation d’eau (fluide caloporteur
transmettrait de moins en moins d’énergie aux différents radiateurs du circuit. Le
radiateur le plus proche de la sortie de la chaudière diffuserait bien plus de chaleur que
le dernier.
Figure 13 : Que penser de cette installation d’un chauffage central ?
5. LA REPRÉSENTATION PAR PARTAGE DES RESSOURCES
ÉNERGÉTIQUES
5.1. Description
Dans cette représentation, les élèves considèrent que la pile dissipe une puissance
constante indépendante de la forme du circuit et du nombre de lampes : deux lampes identiques, qu’elles soient en parallèle ou en série, brillent également, mais de façon moindre
que si elles étaient seules. Ce sont, là encore, des considérations énergétiques qui déterminent ce raisonnement :
– « En série ou en dérivation, comme il n’y a qu’une seule pile, les lampes L1, L2, L3
et L4 brillent moins que L0 ; la pile donne à chacune moins d’énergie s’il y a deux
lampes à faire briller ».
– « Dans le montage à une seule ampoule, le courant est utilisé pour elle seule alors que
(2)
Le montage de radiateurs en série se faisait encore il y a une trentaine d’années. On trouve encore des
installations répondant à ce type de branchement. L’avantage essentiel était de faire une économie en tuyauterie et en temps d’installation. Les inconvénients sont nombreux, l’inégalité de la répartition de la chaleur,
l’arrêt de la distribution de la chaleur à la fermeture d’un des radiateurs. Ce dernier inconvénient pouvait
être supprimé en installant un tuyau muni d’un robinet d’arrêt « court-circuitant » le radiateur : le radiateur
fermé et ce robinet ouvert permettent l’accès de l’eau chaude au reste de l’installation.
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dans le montage en série ou en parallèle, il se répartit sur deux ampoules donc un
éclairage moindre ».
En général, les prévisions sont plus précises : la puissance dissipée par chacune des
deux ampoules montées en série ou en dérivation est moitié de celle qu’elle dissipe dans
un montage où elle est seule.
5.2. À quelle situation réelle peut-on rapprocher la représentation
par partage des ressources énergétiques ?
Description d’un dispositif mécanique à engrenage
avec un seul récepteur
Étudions le dispositif mécanique de la figure 14. Il se caractérise par :
– un générateur (un lest qui en chutant entraîne un tambour et la roue dentée A) ;
– un « récepteur mécanique » (le ventilateur entraîné par la roue dentée B) ;
– un dispositif permettant le transfert d’énergie d’un lieu à l’autre (la roue à couronne
dentée C).
Figure 14 : Un ventilateur entraîné mécaniquement par la chute d’un lest.
On peut faire correspondre à chaque dent qui défile une énergie transférée qui correspond à la chute du lest pour le passage d’une dent. On définit ce que l’on pourrait appeler,
par extension, une tension égale à l’énergie par dent, « Ed », et un débit de dents, « D ».
La puissance transférée se définit sans difficulté (P = Ed # D). Tout se passe comme si
chaque dent qui défile au niveau du générateur se chargeait d’une énergie, toujours la
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même et la transférait du générateur au récepteur.
Dispositif identique, mais avec deux récepteurs
Dans les figures 15 et 16, peut-on dire que dans un cas, les deux récepteurs mécaniques sont montés en série et dans l’autre en dérivation ?
Figure 15 : Montage en série
des deux ventilateurs ?
Figure 16 : Montage en dérivation
des deux ventilateurs ?
Dans chacun des deux montages, le changement du nombre de récepteurs modifie
le débit d’énergie (la puissance) distribué par le générateur : la chute du lest correspond
à un transfert d’énergie qui se distribue sur moitié sur chacun des deux récepteurs dans
chacune des deux situations. Le blocage d’un récepteur bloque l’ensemble. Le passage
d’un à deux récepteurs se traduit par un ralentissement de la chute du lest. Donc, ces
résultats identiques obtenus dans les deux types de montage correspondent à un seul
mode de transfert d’énergie de type série.
Les résultats obtenus sont identiques avec une transmission de l’énergie grâce à une
courroie (cf. figures 17 et 18, page ci-après) ou une chaîne. Dans ce cas, les grandeurs à
définir sont similaires, la dent est remplacée par l’unité de longueur de la courroie
(respectivement au maillon de la chaîne). La « f.m.m. » (la « force mécanomotrice du
générateur ») correspond alors à l’énergie qu’il est susceptible de perdre par unité de
longueur de la courroie et le débit à la longueur de courroie déplacée par unité de temps.
En fait, on ne peut plus parler de débit, mais de vitesse de défilement de la courroie qui
est nécessairement la même dans chacun des deux montages, mais aussi la même entre
les deux. Les calculs des puissances dissipées donnent des résultats analogues à ceux du
montage en série du montage électrique. Les deux montages sont en série ! Comme quoi
il ne faut pas se fier aux apparences.
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Figure 17 (gauche) et Figure 18 (droite) : La chute du lest entraîne le tambour et la grosse poulie qui
lui est solidaire. Dans la figure 17, une seule courroie entraîne les deux récepteurs (des ventilateurs par
exemple). Dans la figure 18, cette poulie entraîne deux courroies superposées, chacune entraînant indépendamment un récepteur. Les trois petites poulies n’ont que des fonctions de guidage. Malgré une topologie proche de celle des montages électriques de deux lampes en série et en dérivation, les deux récepteurs mécaniques sont montés chaque fois en série.
Comment s’effectue ce transfert d’énergie dans le cas du vecteur solide ?
Considérons le transfert par les roues dentées. Curieusement, nous ne nous interrogeons pas sur la façon dont il se fait. Nous acceptons le « tout se passe comme si » la
dent passant au générateur se charge d’une énergie qui le caractérise pour aller la déposer
aux récepteurs. Nous ne nous interrogeons pas sur « sa stratégie » pour distribuer équitablement aux deux récepteurs cette énergie. C’est une image qui nous arrange. Or ce
sont bien les questions qui se posaient dans le cas du circuit électrique ! Il est vrai qu’une
recherche élémentaire dans le cas du transfert d’énergie par engrenage permet de
constater que ce transfert s’effectue grâce à des leviers entre les différentes dents en
contact.
Les choses diffèrent dans le cas d’une transmission par courroie ou par chaîne. Par
exemple dans le cas du transfert par chaîne, l’image de « tout se passe comme si le
maillon en passant dans la roue dentée du générateur se chargeait d’une certaine énergie
qu’il transférait aux récepteurs » ne fonctionne pas ! Les maillons issus de la roue motrice
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qui arrivent au premier récepteur ne transmettent aucune énergie, car la chaîne ne pousse
pas, elle tire. C’est par l’autre côté que se situe le transfert d’énergie. En effet, il suffit
d’observer la transmission d’énergie sur une chaîne de bicyclette pour s’en convaincre
(cf. figure 19). Il suffit de modifier notre image pour la rendre plus générale : « le passage
d’un maillon témoigne du transfert du générateur aux récepteurs d’une certaine énergie
caractéristique du générateur ». On peut alors sans problème étendre cette expression
aux transferts par dents d’engrenage, par courroie ou par charge électrique.
Figure 19 : Entraînement du pignon arrière de la bicyclette grâce à la chaîne actionnée par le plateau du
pédalier. La partie B de la chaîne est détendue et ce ne sont pas ses maillons provenant du pédalier qui
provoquent la rotation du pignon arrière de la bicyclette.
Notons que dans le cas du transfert d’énergie du circuit électrique, l’approche
précise du mécanisme impliqué est complexe. Le lecteur est invité à consulter l’article
d’André DEIBER et de Frédéric PAVIET-SALOMON [4] : le transfert d’énergie se fait par l’extérieur des fils. Y a-t-il incompatibilité avec une approche du circuit où l’électron serait
porteur de l’énergie électrique ? Non, introduire le vecteur de Poyting serait préjudiciable
à la découverte du circuit électrique. À chaque niveau d’apprentissage, un modèle.
Encore faudrait-il présenter le concept de modèle et ses divers objectifs.
Remarque : L’étude du transfert d’énergie par roues dentées pourrait faire l’objet
d’un exercice en mécanique à proposer à des élèves du lycée (cf. annexe).
6. AUTRES REPRÉSENTATIONS PLUS RAREMENT EXPRIMÉES
6.1. La représentation liée à « la proximité géographique »
♦ C’est là une représentation peu fréquente (même si elle se rencontre à tout âge) fondée
uniquement sur la topologie du circuit. En série ou en dérivation, la lampe la plus
proche du générateur brille le plus. Dans le cas des deux lampes en série, le sens du
courant est même parfois oublié.
♦ La situation réelle correspondrait à celle du transfert d’énergie par onde. On peut envisager :
– des ondes sonores qui se diffusent à partir d’un haut-parleur servant de source ; des
micros servent de récepteurs ;
– un foyer qui rayonne de l’infrarouge dans une pièce ; deux personnes tiennent lieu
de récepteurs ;
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– des ondes lumineuses qui se propagent à partir d’une source (une étoile
ou bien une lampe) ; des planètes de
même diamètre (cf. figure 20), ou
bien des cellules photoélectriques,
jouent le rôle de récepteurs.
Dans chaque cas, le récepteur le plus
proche du générateur sera celui qui recevra
le plus d’énergie :
– plus on est près du haut-parleur, mieux
on entend ;
– plus on est près du foyer, plus on a
chaud ;
– plus la planète est près de l’étoile, plus
sa surface a une température élevée.
Figure 20
Plusieurs récepteurs identiques à la même distance du générateur recevront la même
énergie. Si deux récepteurs sont bien alignés avec le générateur, le premier fera obstacle
au suivant. La modification du nombre de récepteurs ne modifie en rien le débit d’énergie
du générateur. Aucun rapprochement ne peut se faire avec le circuit électrique.
6.2. La représentation « chaque lampe prend ce qui lui faut »
♦ Ce ne sont pas des considérations énergétiques qui président à la construction de cette
représentation, au demeurant plus rarement rencontrée. C’est l’idée qu’un récepteur,
à puissance nominale donnée, emprunte à la pile ce dont il a besoin quelle que soit la
nature du branchement : dans cette hypothèse, « Des ampoules identiques, quel que
soit le montage, brillent pareillement comme si elles étaient seules. Elles prennent ce
qui est écrit dessus ». Poussée à l’extrême, cette représentation autoriserait l’installation
d’une ampoule 3,5 volts dans un circuit alimenté par la tension du secteur de 220 volts
ou l’inverse soit une ampoule de 220 volts dans un circuit alimenté par une pile de
4,5 volts. Face à cette alternative, les auteurs récusent leur hypothèse.
♦ On peut très bien concevoir une situation réelle correspondant à cette représentation.
Imaginons plusieurs satellites de tailles différentes, mais à une même distance de leur
étoile. Elles reçoivent une énergie proportionnellement à leurs tailles.
CONCLUSIONS
Permanence des représentations, nécessité d’images pour les faire évoluer
Un certain nombre de représentations, fréquentes, apparaissent à tout âge aussi bien
chez ceux qui découvrent l’électricité que ceux qui l’ont rencontrée et étudiée au cours
de leurs études au collège, au lycée ou à la faculté. Ce résultat peut s’expliquer : les élèves
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doivent mémoriser des observations et les lois qui en découlent alors qu’elles leur apparaissent comme de véritables paradoxes contraires à leurs représentations. Ces dernières
se construisent et s’élaborent naturellement, elles n’ont pas été formalisées et par conséquent non infirmées. Provisoirement, elles sont occultées pour revenir dès que l’aspect
formel de l’enseignement fut oublié. Sans l’aspect formel, rigoureux, s’appuyant sur les
mathématiques, il n’y a pas de sciences. Mais on ne peut fonder un enseignement sur la
seule formulation de lois. Les élèves assimileraient davantage les concepts de base de
l’électricité s’ils pouvaient se convaincre de l’existence d’une logique dans les effets observés.
On peut les rendre accessibles en confrontant divers modes de transferts d’énergie et en
proposant des modèles explicatifs.
Il est évident qu’un chercheur de pointe du XXIe siècle ne se cantonne pas à ce type
de raisonnement (3). Mais, admettons l’idée qu’il est recevable pour des élèves qui découvrent une loi de la physique et qu’il leur permettra ensuite d’accéder à des formes de
pensée plus complexes et plus abstraites.
Une première étape serait d’imaginer des situations qui permettent de construire
qualitativement les grandeurs électriques [5].
Une deuxième proposition consisterait ensuite à « travailler » les divers modes de
transfert d’énergie précédents. Ils peuvent être considérés comme des analogies et de
façon plus générale, comme des modèles, avec leurs qualités, leurs limites. La recherche
de leurs différences avec les observations relevées sur le domaine étudié permet de mieux
comprendre et d’approfondir ses connaissances. Une analogie parfaite n’existe pas sinon
elle serait le domaine lui-même. Le raisonnement analogique n’a pas pour perspective
immuable d’unifier deux domaines. Postulons que le rapprochement puisse aider à la
conceptualisation de l’un d’eux.
Intérêt d’intégrer le circuit électrique dans un chapitre abordant
d’autres transferts d’énergie
L’étude de divers types de transfert d’énergie permet de les classer. Leur étude
conduit de construire des grandeurs permettant de quantifier ce transfert d’énergie. En
considérant le vecteur permettant ce transfert, on peut définir l’énergie transférée par
unité de la grandeur caractérisant ce vecteur (4) et son débit. Dans le cas de l’électricité,
on construit les notions de courant et de tension : l’intensité du courant correspondant au
débit de « la chose élémentaire » permettant le transfert d’énergie, la tension à l’énergie
transférée lors du passage de la « chose élémentaire ». En outre, le classement de ces
(3)
Notons que MAXWELL a construit ses équations de propagation des ondes électromagnétiques en imaginant
des transmissions de mouvement grâce à des trains d’engrenages. Ce modèle mécanique fut un accessoire
indispensable pour les élaborer, mais ensuite, il n’a pas eu besoin de s’y référer. On peut simplement s’interroger sur tout l’intérêt qu’il y aurait à les proposer aux étudiants qui les découvrent.
(4)
Dans l’ouvrage de P. FLEURY et J.-P. MATHIEU [6], est définie la grandeur V = g $ z appelée « potentiel de
la pesanteur ». Les auteurs précisent ensuite : « Quand un point de masse m passe d’un point de potentiel
V 1 à un point de potentiel V 2, son énergie potentielle diminue de m _ V 1 - V 2 i = m $ g _ z1 - z2 i ».
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différents types de transfert d’énergie conduirait à mieux caractériser l’écoulement des
fluides. L’identité entre les deux domaines, écoulement du fluide dans le dispositif
hydraulique et circulation des charges dans le circuit électrique, est telle qu’il s’établit
une correspondance entre les deux : on peut parler de l’existence d’un isomorphisme. Le
transfert d’énergie par électricité perd sa singularité préjudiciable à sa compréhension.
Douglas HOFSDATER [7] affirme, à propos de la découverte d’un isomorphisme entre deux
structures, que « c’est souvent un “ éblouissement ” et une source d’étonnement ». En
osant une généralisation, on pourrait arriver au constat suivant :
– un fluide dans un conduit qui le canalise entièrement (liquide, gaz ou charges électriques dont le flux dans un conducteur s’assimile au déplacement d’un fluide) permet
deux modes de transfert d’énergie :
en série et en dérivation ;
– un transfert d’énergie utilisant un matériau solide (engrenage, chaîne, courroie) permet, quelle que soit la disposition des récepteurs, un seul mode de
distribution, le mode série.
Il resterait à prévoir ce qui serait
possible d’aborder aux différents niveaux
en tenant compte de l’âge…
Pour conclure avec un peu d’humour (5), retrouvons (cf. figure 21) un
transfert d’énergie où, ici encore, la puissance fournie par le générateur est égale à
celle reçue par le récepteur. Il reste à
mesurer l’énergie du vecteur de ce transfert, la gifle, et son débit !
Figure 21 : Extrait de Astérix et les Normands.
Reproduit avec l’aimable autorisation des éditions Albert René.
BIBLIOGRAPHIE
[1] KLEIN E. Conversations avec le Sphinx. Albin Michel, 1991, p. 54.
[2] L’encyclopédie. Google. Éditions Gallimard-Jeunesse, 2004.
[3] CANAL J.-L. « Pourquoi l’apprentissage de l’électricité reste problématique ? ». Bull.
Un. Prof. Phys. Chim., avril 2007, vol. 101, n° 893, p. 413-425.
[4] DEIBER A. et PAVIET-SALOMON F. « L’énergie électrique ne passe pas par les fils ».
Bull. Un. Prof. Phys. Chim., novembre 2003, vol. 97, n° 858 (2), p. 35-60.
[5] CANAL J.-L. « Une simulation du circuit électrique ». Bull. Un. Prof. Phys. Chim.,
juillet-août-septembre 2006, vol. 100, n° 886 (1), p. 939-953.
(5)
UDERZO A. et GOSCINNY R. Astérix et les Normands. Dargaud éditeur, 1966, p. 28.
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[6] FLEURY P. et MATHIEU J.-P. Mécanique physique. Tome 5. Eyrolles, 1965, p. 220.
[8] HOFSDATER D. Gödel, Escher, Bach. InterÉditions, 1985, p. 57.
[9] CANAL J.-L. « Courant, tension, résistance et énergie, essai de conceptualisation des
grandeurs fondamentales en électricité ». Thèse, Toulouse, 1996.
[10] CLOSSET J.-L. « D’où proviennent certaines erreurs rencontrées chez les élèves et les
étudiants en électrocinétique ? Peut-on y remédier ? ». Bull. Un. Phys., octobre 1983,
vol. 78, n° 657, p. 81-102.
[11] CLOSSET J.-L. Une possible méthodologie pour la recherche sur le raisonnement
naturel en physique. Problématique et résultats dans le cas de l’électrocinétique,
p. 43-58. In « TIP, l’enseignement des circuits électriques, vol. VII n° 2 ». Publication de l’Université de Provence, 1988.
[12] CLOSSET J.-L. « Les obstacles à l'apprentissage de l'électrocinétique ». Bull. Un.
Phys., juillet-août-septembre 1989, vol. 83, n° 716, p. 931-949.
[13] JOHSUA S. « Contribution à la délimitation du contraint et du possible dans l’enseignement de la physique ». Thèse d’État, Aix-Marseille 2, 1985.
[14] JOHSUA S. et DUPIN J.-J. Processus de modélisation en électricité, p. 155-169. In
« TIP, l’enseignement des circuits électriques, vol. VII n° 2 ». Publication de l’Université de Provence, 1988, p. 162.
[15] JOHSUA S. et DUPIN J.-J. Représentations et modélisations : le “débat scientifique”
dans la classe et l’apprentissage de la physique. Peter Lang, 1989.
[16] BENSEGHIR A. « Transition électrostatique-électrocinétique : point de vue historique
et analyse des difficultés des élèves ». Thèse, Paris VII, 1989.
[17] JOHSUA S. et DUPIN J-J. Introduction à la didactique des sciences et des mathématiques. PUF, 1993.
[18] TIBERGHIEN A. et DELACOTE G. « Manipulations et représentations de circuits électriques simples par des enfants de 7 à 12 ans ». Revue française de pédagogie, 1976,
n° 34, p. 32-44, INRP.
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Retraité
IUFM de Midi-Pyrénées
Centre départemental de l’Aveyron
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Annexe
Problème : « Électricité et engrenage »,
même situation-problème de transfert d’énergie ?
Ceci ne peut convenir comme exercice d’évaluation sommative. En effet, les élèves
ne connaissent pas les caractéristiques du freinage hydraulique de ces ventilateurs (cf.
figures 14, 15 et 16). Le système atteint rapidement un régime stationnaire à vitesse
constante. En classe de première, il pourrait se situer à la fin de l’étude de la mécanique
avant celle de l’électricité.
Remarques
♦ On admettra que le dispositif atteint très rapidement un régime de fonctionnement à
vitesse constante.
♦ On admettra qu’il n’y a pas de pertes par frottements dans le transfert d’énergie.
♦ En aucun cas, on ne modifiera les roues dentées.
PARTIE A : QUESTIONS RELATIVES AU DISPOSITIF MÉCANIQUE
Données :
Durée de fonctionnement : t ♦ Masse du lest : M ♦ Rayon du tambour : rt ♦ Nombre
de dents de la roue A ou B : n ♦ Rayon de la roue A ou B : r ♦ Nombre de dents de la
roue C : N ♦ Rayon de la roue C : R.
A.1 - Dans ce dispositif mécanique (cf. figure 14), distinguez les parties qui jouent le
rôle d’un générateur ou d’un récepteur. Que pouvez-vous dire de l’énergie produite
par l’une et de l’énergie consommée par l’autre ? Exprimer l’énergie Ud « fournie »
par le passage d’une dent de la roue C en fonction des caractéristiques du générateur.
A.2 - Exprimez la puissance Pv reçue par le ventilateur en fonction du débit D des
« dents » et en fonction de l’énergie Ud « fournie » par le passage d’une dent.
A.3 - Pour bloquer le dispositif, on dispose une pince sur la grande roue dentée. Où doiton la placer ?
A.4 - Comment augmenter la durée de fonctionnement du ventilateur en lui conservant
la même puissance ?
A.5 - Comment augmenter la puissance délivrée par ce ventilateur sans modifier le ventilateur ?
A.6 - Que se passe-t-il si on augmente le nombre de pales, ou la surface de ces pales ?
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A.7 - Que se passe-t-il si on enlève la roue B ?
A.8 - Que se passe-t-il si on dispose un deuxième ventilateur, identique au premier dont
la roue Bl serait entraînée par la même grande roue dentée C ? (cf. figure 15)
A.9 - Que se passe-t-il si on dispose, un deuxième ventilateur identique au premier dont
la roue Bl serait entraînée par deux roues dentées : une grande roue dentée Cl et une
roue dentée Al disposée comme la roue A, sur l’axe du tambour ? (cf. figure 16)
PARTIE B : QUESTIONS RELATIVES À LA COMPARAISON
DU DISPOSITIF MÉCANIQUE AVEC UN CIRCUIT ÉLECTRIQUE
En vous aidant des différentes questions de la partie A, essayer d’établir s’il existe
une analogie entre ce montage mécanique et un circuit électrique simple constitué d’une
pile et d’une ou deux ampoules identiques placées en série ou en dérivation.
CORRECTION
Réponses aux questions de la partie A
R.A.1 - Le système constitué par le lest, le tambour et la roue A peut être considéré
comme un générateur d’énergie : il a stocké de l’énergie potentielle de gravitation ; il distribue cette énergie par l’intermédiaire de la roue C au ventilateur qui
joue le rôle de récepteur qui produit de l’énergie cinétique à l’air. La roue C
transmet directement la rotation de A à B, à une dent de la roue A correspond
une dent de la roue B. Comme il est admis que le transfert d’énergie se fait sans
pertes par frottements, l’énergie fournie par le générateur est entièrement utilisée
par le récepteur. Comme le passage d’une dent de A correspond à la chute du
lest de 2 $ π $ rt / n, on peut écrire :
Ud = M $ g $ 2 $ π $ rt / n
R.A.2 - Pv = Ud $ D.
R.A.3 - Le système se bloquera quelle que soit la position de la pince sur la grande roue
dentée. Il n’y a pas d’emplacement spécifique.
R.A.4 - Il suffit :
– d’allonger la longueur de la ficelle soutenant le lest ;
– de creuser pour laisser la possibilité à celui-ci de descendre.
On peut déterminer « la durée de vie » de la pile mécanique en l’exprimant en
nombre de dents qui pourront défiler. Si « L » est la longueur possible de déroulement de la ficelle :
L / ^ 2 $ π $ rt/nh
R.A.5 - Plusieurs solutions :
" L’augmentation de la masse du lest aura deux conséquences : Ud augmente et
D, le débit des dents, augmentera aussi. La puissance reçue par le ventilateur,
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égale au produit des deux, ne peut qu’augmenter.
" En multipliant les « générateurs » sur la roue C, on multiplie d’autant Ud, D
aussi et la puissance reçue par le ventilateur s’accroît.
" La chute du lest est égale à 2 $ π $ rt/n. Si on augmente le rayon du tambour rt,
Ud augmente, D aussi et la puissance reçue par le ventilateur s’accroît.
R.A.6 - L’augmentation du nombre de pales ou l’augmentation de la surface de chaque
pale accroît la résistance de l’air. Le débit D diminue et, même si Ud n’est pas
modifiée, la puissance dissipée par le ventilateur diminue.
R.A.7 - Le système n’étant plus freiné, le mouvement est uniformément accéléré (si on
continue à admettre que les transmissions par engrenage ont lieu sans frottements). Le débit des dents D s’accroît, le générateur « épuise » rapidement sa
réserve d’énergie.
R.A.8 - Le doublement des récepteurs ne modifie pas Ud l’énergie dissipée par le passage
d’une dent. Mais cette énergie par dent est distribuée aux deux récepteurs. Chacun
en reçoit donc la moitié. En outre, le débit D diminue. La puissance de chacun
des deux ventilateurs diminue (de plus de la moitié).
R.A.9 - Le raisonnement et le résultat sont identiques au précédent. On ne peut distinguer deux types de montages : les deux montages sont de type « série ».
Réponses aux questions de la partie B
On peut établir des analogies entre les deux systèmes, le mécanique et l’électrique :
♦ Dans le circuit électrique, les charges électriques sont en permanence dans tout le
circuit, qu’il soit ouvert ou fermé ; c’est la circulation des charges qui permet le transfert d’énergie du générateur au récepteur.
♦ La pile n’est pas un réservoir de charges électriques, mais un réservoir d’énergie utilisable.
♦ À D correspond I ; à Ud correspond U qui est égale à la tension de la pile (on néglige
la résistance interne de la pile). La tension de la pile correspond à l’énergie enlevée à
la pile par l’unité de charge électrique (un coulomb) qui la traverse.
R.B.1 et R.B.2 - La puissance dissipée dans le récepteur est égale à U.I, l’énergie à U.I.t.
R.B.3 - L’interrupteur peut se disposer en n’importe quel point du circuit principal.
R.B.4 - Des piles de même tension peuvent avoir des capacités énergétiques différentes.
Cette capacité énergétique est liée à leur masse (la masse de l’électrode négative, en zinc par exemple dans le cas d’une pile Zn/Cu). On augmente ainsi le
nombre d’électrons susceptibles de circuler soit la charge électrique « Q » qui
pourra circuler dans le circuit. On augmente l’énergie stockée dans la pile, mais
pas le mode de distribution.
On peut aussi associer des piles en dérivation ; dans ce cas, il n’y a pas d’équivalence en mécanique.
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R.B.5 - En changeant de pile et en prenant une pile dont la tension est plus grande, on
modifie sa distribution : l’énergie transférée par unité de charge qui quitte la pile
est plus grande.
On peut aussi associer des piles en série ; dans le système mécanique, on peut
également multiplier les générateurs mécaniques.
Remarque : À partir des questions 4 et 5, on peut écrire quelle est l’énergie
globalement distribuée par la pile : W = Q $ E, avec « Q » correspondant à la
charge électrique qui a circulé et E à la tension de la pile.
R.B.6 - Si la résistance de la lampe augmente, la puissance dissipée diminue, car l’intensité du courant diminue.
R.B.7 - Si on ôte tout récepteur dans le circuit électrique, la pile est en court-circuit, l’intensité du courant croît et la pile se détériore.
R.B.8 - Avec des lampes en série, les résultats sont analogues à ceux obtenus avec le
dispositif mécanique : chaque lampe reçoit la moitié de la tension de la pile,
mais l’intensité du courant diminue aussi. La puissance dissipée par chacune des
deux lampes diminue.
R.B.9 - Dans le cas du circuit électrique, le transfert d’énergie se fait suivant un mode
de type « fluide ». L’intensité du courant dans la partie commune du circuit
double. En effet, dans chaque branche en dérivation, la lampe est soumise à la
même différence de potentiel ; il s’en déduit une intensité de courant telle qu’elle
était dans chaque lampe quand elle était seule. La puissance dissipée dans chaque
lampe reste donc ce qu’elle était. Ce doublement du débit ne peut se produire
avec un transmetteur d’énergie rigide.
En conclusion, les montages des deux récepteurs mécaniques montrent la limite de
cette analogie avec le circuit électrique. Le transfert d’énergie se faisant au moyen d’un
vecteur solide ne permet pas une distribution d’énergie de type « en dérivation » que seul
un vecteur fluide autorise.
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