Deborah et les cheveux d`ange
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Deborah et les cheveux d`ange
Histoire de Noël 2016 – de -minu Deborah et les cheveux d’ange oublier la soif, elle lui chantait la chanson de chambres plongées dans la pé- et des Läckerli. Dehors, on en- maine au vieux cimetière de Wolfsgottesacker. Elle de sorte qu’un tintement nerveux retentit. Debo- l’étoile dorée. Ils avaient dérivé ainsi durant cinq nombre. «Pourquoi des volets fer- tendait les trompettistes du lui apportait des fleurs et discutait de tous ses sou- rah sonnait avec une fébrilité grandissante... elle jours lorsqu’un terrible nuage d’orage apparût. Les més, Münster. Des gens chantaient cis avec elle: «Nous sommes toujours sans nouvelle ne pouvait plus s’arrêter... c’était comme si elle de- Dans l’élégante ruelle, domicile des anciennes vagues ne cessèrent de grandir. La panique s’ins- Deborah. «Afin de préserver les ta des chants de Noël. Et Deborah d’Aster... je me sens très seule dans la grande mai- vait soulager son cœur lourd. Au milieu de ce tinte- chancelleries, Saint-Pierre déroulait un scintillant talla. Le bateau finit par se rompre en son milieu. bleaux. Le soleil est fatal aux tableaux an- sentit une légère tristesse l’envahir. son... bien sûr j’y invite Fnan et ses amis... j’essaie ment, elle perçut une seconde sonnerie. Plus ai- tapis de neige. Les maisons avaient revêtu leurs «Donne-moi Aster», hurla Aaron. Elle confia la pe- ciens. Et il faut dire Mademoiselle. Pas Ma- Elle pensait à sa petite fille. Le tintement aussi de venir en aide à d’autres refugiés... mais guë, plus perçante. C’était la porte d’entrée. costumes de Noël et dans le bureau du notaire, tite aux bras de son mari. Et puis, ce fût le trou dame. Toi, tu es une madame, Deborah, moi je suis l’arracha à ses pensées. Elle entra dans la tout est très difficile...» Deborah pleura douce- Deborah posa la clochette en argent sur la table – une chaleur agréable émanait d’un vieux poêle en noir... avant de reprendre ses esprits dans cet hô- une demoiselle. Et je compte bien le rester!» pièce de Noël. L’arbre avec ses boules d’argent et ment. Le marbre blanc ne lui soufflait aucune ré- de la visite? À cette heure? Et la veille de Noël? Hé- faïence blanc. Deborah regarda le notaire, incré- pital de Lampedusa où une infirmière lui caressait Lorsque Mademoiselle Rüttimeyer avait besoin de les délicats filaments qui l’entouraient à la manière ponse… mais il émanait parfois de lui une force qui sitante, elle ouvrit la lourde porte en bois. Une dule: «Tout?» Celui-ci ôta ses lunettes de lecture la main: «Il va vous falloir être courageuse à pré- quelque chose, elle appelait Deborah en faisant d’un cocon la fascinaient chaque année. «Des che- l’aidait à continuer. Et l’espoir de ne pas abandon- jeune fille se tenait sur les marches en grès. Elle de son nez. «Oui. Tout. Il existe encore un legs sent. Votre mari est mort...» «ET ASTER?». Deborah tinter une petite cloche en argent: «Cette cloche veux d’ange», lui avait expliqué Mademoiselle Rüt- ner. Elle se rappela les mots de la vieille demoiselle: était noire. Et son sourire était le plus lumineux du d’une certaine importance en faveur du jardin zoo- hurla son nom. «ASTER!» La femme sourit triste- servait déjà à mon arrière-grand-mère pour appe- timeyer, «nous décorons nos sapins de Noël avec logique. Hormis cela, tout vous appartient, Debo- ment: «Nous ne savons rien à ce propos...» ler les domestiques», expliqua fièrement Made- ces cheveux depuis des générations. Une vieille rah: la maison, les tableaux, l’argent!» La femme moiselle Rüttimeyer. tradition familiale. Et...», fit-elle avec un sourire noire sanglota: «Elle a toujours été bonne avec *** Après six mois et moult détours, Deborah échoua moi...» L’homme d’un certain âge à côté d’elle lui à Bâle. Plus tard, elle n’avait eu de cesse de racon- prit la main: «C’est vous qui étiez bonne avec elle, ter: «Nous avons traversé un grand pont. Et en- Deborah. Vous avez totalement métamorphosé la suite, je l’ai vue: cette grande église rouge sur la vieille dame au cours de ces dernières années. Ma- colline. Elle m’a tellement rappelé la cathédrale St- demoiselle Rüttimeyer vous aimait beaucoup, Joseph à Asmara. C’était presque comme un retour comme une fille...» Un peu amer, il ajouta: «Avec à la maison. En tous les cas, je savais une chose: «Étoile se dit Aster dans notre langue... comme ma une telle fortune, la naturalisation devrait être un ceci est un bon pays. Ceci est une bonne ville.» petite fille.» De grosses larmes roulèrent sur les jeu d’enfant à présent... l’État ne laisse pas passer C’est d’ailleurs dans cette ville que Deborah fit plus joues sombres de Deborah. «Allons, allons», grom- une telle aubaine...» La jeune Erythréenne leva la tard la connaissance de Fnan, une femme qui avait mela Mademoiselle Rüttimeyer, «Maître Schmid L’espoir fait vivre.» Elle pointa la table tête: «Et mon enfant, Docteur Schmid, ma petite également fui l’Erythrée. Fnan la conduisit chez s’en occupe. As-tu fait tes devoirs?» Mademoiselle du doigt. Elle était dressée pour saisissant l’étoile dorée de sa Aster... c’est une douleur que l’argent ne peut pas Maître Schmid: «Il nous aide tous... peut-être sau- Rüttimeyer autrefois. deux: «À l’avenir, tu ne mangeras chaînette. À l’approche de le grand bonheur tout à la fois. effacer.» L’avocat soupira: «La Croix-Rouge fait ra-t-il découvrir ce qui est arrivé à Aster...» Le vieil Chaque jour, elle faisait la classe à Deborah, trois plus seule à la cuisine. J’apprécie ta Noël, elle voulut inviter Fnan Je vous suis redevable à ja- tout son possible. Mais la mer recèle tant avocat se montra aimable. Il posa des questions. heures de français et d’allemand. Et elle lui parlait présence... nous mangerons en- à la maison. Mais celle-ci mais!» Le silence régnait à d’énigmes… tant de personnes ont disparu, se Et pour la première fois depuis longtemps, Debo- de la Suisse, de Bâle, des valeurs de la démocratie: semble à cette table, dès au- avait déjà sa propre fête à or- présent. Les chanteurs et sont noyées, mais aussi tant d’autres ont été sau- rah put pleurer. Elle lui parla de la fuite – et de sa «Si tu veux que les gens d’ici te comprennent jourd’hui.» Mademoiselle Rüttimeyer ganiser. C’est ainsi que Debo- petite fille dans les bras d’Aaron: «Mais Deborah, il faut d’abord que tu les comprennes... se tamponna les yeux avec un mou- Aaron est mort. Et on ne sait rien j’ai fait pour toi une demande d’obtention de la ci- choir à dentelles blanc: «Je suis une vieille toyenneté!» idiote et j’aurais dû y penser bien avant... j’ai *** C’est d’ailleurs Maître *** C’était une belle période pour Deborah. Un jour, la beaucoup d’affection pour toi, Deborah.» Un petit les trompètes du Münster annoncèrent la période ter entra dans la salle à man- paquet était posé sur l’assiette de Deborah: «C’est de Noël, qu’elle entendit à nouveau les cantiques ger où brillaient les bougies du Schmid qui conduisit police se présenta à la porte. Elle voulait emmener un remerciement pour tout ce que tu as fait pour de Noël, Deborah resta muette dans la grande sapin. «Magnifique», murmura la elle reçut une lettre Deborah à une an- Deborah: «elle doit retourner à la maison.» «Où moi; un souvenir pour le jour où je ne serai plus pièce, le regard fixe: une seule année avait appor- jeune fille, «c’est magnifique... lui indiquant qu’ils cienne et somp- donc à la maison?», demanda Mademoiselle là...» Deborah déballa le cadeau. Dans un écrin de té tant de changements, et pourtant tout était étaient morts en tueuse demeure Rüttimeyer d’un ton glacial, son regard fixé sur l’un velours bleu marine reposait une fine chaînette en comme avant. Sa fille lui manquait, son amie lui prison, tous les dans le quartier des agents. «Connaissez-vous la superficie de or. Une étoile y était accrochée. «Ainsi, tu porteras manquait aussi, cette vieille dame qui voulait tou- deux. Lorsque ses des villas. «C’est notre canton? Savez-vous où Erasme de Rotter- toujours ton Aster sur toi, Deborah...», fit Made- jours rester une demoiselle... Deborah était aussi amis ici qu’habite dam est enterré...» Elle écumait et lança avec mé- moiselle Rüttimeyer en souriant. Deux heures plus passée chercher le pâté chez le confiseur, et elle M a d e m o i s e l l e pris: «Bien sûr que vous ne le savez pas. MAIS tard, lorsque Deborah porta le plat de crème de la attendait. Mais quoi? C’est seulement alors qu’elle Rüttimeyer. Elle DEBORAH LE SAIT! Alors, je vous en prie, la porte cuisine à la chambre, la demoiselle était est très stricte. est là!» Mademoiselle Rüttimeyer avertit immédia- endormie. Mais elle a bon tement son avocat, Maître Schmid. Ils trouvèrent Deborah prit délicatement cœur; chez nous, on ensuite Deborah dans sa chambre. Elle tremblait: la main de la vieille dit un cœur tendre «Je ne veux pas… je ne veux pas.» C’était la pre- dame: dans une carapace d’acier. mière fois que Mademoiselle Rüttimeyer prit sa froide. Elle aimerait t’engager à l’es- gouvernante noire dans les bras: «Bien sûr que était non… ton chez-toi est ici!» seule au monde. Il neigeait. vées. Nous devons faire preuve de patience!» *** Deborah avait à peine 22 ans de ma petite fille...» lorsqu’elle quitta l’Erythrée. Ses frères avaient été déportés. Plus tard, lui flèrent souf- que son mari Aaron serait le prochain, ils prirent la fuite tous les trois, Deborah, son mari et la petite Aster alors âgée de moins d’un an. Ils trouvèrent un passeur en Libye. Deborah lui donna tout leur argent. Et il les fit sai comme gouvernante... tu crois que c’est dans tes cordes?» Deborah sou- Madame?», osa demander «Regarde, une étoile argentée orne le manche en ivoire!» avait été enseignante monde: «Deborah? Est-ce que tu es Deborah? – Je suis Aster...» Les deux restèrent étroitement enla- l’espoir fait vivre … cées durant dix minutes. Chacune marmonnait des moqueur, «...il a toujours été dit que lors du miracle paroles incompréhensibles. Les joues de l’une et de Noël les cheveux prendraient une teinte do- Comme Maître Schmid l’avait prédit, l’obtention du de l’autre étaient mouillées de larmes. Finalement, rée... c’est absurde évidemment. Et sa couleur n’a passeport suisse n’avait été qu’une formalité. Maître Schmid frappa le sol en pierre de son para- jamais changé. Avec satisfaction, Deborah observa les yeux éton- pluie: «Si vous me permettez de dire quelque nés dans la petite salle de l’hôtel de ville, lorsque chose; il fait meilleur à l’intérieur...» la commission l’interrogea sur sa future ville d’origine: «C’est vraiment étonnant de voir *** Comme en transe, Deborah prit sa fille par la main: tout ce que vous savez...» «Une «Nous allons dans la pièce de Noël... j’ai décoré le Mais il faut croire à de tels miracles. amie m’a expliqué ce pays et elle était Deborah désormais cette ville...», fit Deborah en trompettistes de la céa avec les vieilles boules en chemin de la maison pour célébrer Noël en famille. As- … un arbre avec des cheveux d’or, on le dirait sorti d’un autre monde.» comprit combien elle était seule. Elle Comme électrisée, Deborah jeta un regard au sa- saisit la cloche, la cloche avec pin. Les cheveux d’ange blancs et secs s’étaient son manche en ivoire et métamorphosés en fils dorés. Peut-être n’était-ce l’étoile en argent avec laquelle Mademoiselle Rüttimeyer que la lumière? Peut-être une illusion d’optique? Deborah serra sa petite fille contre elle: «C’est un l’avait miracle Aster...» Puis elle posa un baiser sur toujours appelée. l’étoile dorée de sa chaînette – «c’est un miracle Au moins, cette autre voix de amie ré- *** Ce fut une an- une multitude d’autres passagers. La mer Méditer- comme les autres... «C’est un bonheur pour moi...» tement de la clochette à la cuisine. Comme chaque née agitée. sonnait encore. ranée était démontée. Au bout de deux jours, le *** Au début, Deborah était impressionnée: la taille de année, elle avait acheté un pâté en croûte chez le Deborah ren- Deborah cares- moteur les lâcha. Ils avaient soif et la petite Aster confiseur Mademoiselle dait visite à sa sa voulait sans cesse boire l’eau de mer. Deborah sa- la maison, mais aussi cette obscurité. Rares Rüttimeyer. Celui-ci était accompagné d’une sa bienfaitrice sourit vait que cela aurait été fatal. Alors, pour lui faire étaient les rayons de soleil à réchauffer les lade de céleri. Et pour le dessert, une crème vanille une fois par se- 22 les argent. Et les cheveux d’ange. Lorsque *** C’était une veille de Noël. Deborah attendait le tin- pour êtes l’enfant Jésus, le Père Noël et Münsterplatz avaient pris le rit. Après si longtemps, enfin un travail... être marché elle. Et sourit à Maître Schmid. «Vous rah, un peu triste, décora l’épi- embarquer sur un bateau de pêche délabré, avec au sapin... et il y a aussi du pâté...», bafouilla-t- son la cloche, en si- lence, la secoua qui a débuté dans cette ville!» -minu L’histoire de Noël est disponible en ligne dès le jeudi 20 octobre 2016: www.laeckerli-huus.ch