Conférence SEPL du 9 janvier 2012
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Conférence SEPL du 9 janvier 2012
Conférence SEPL du 9 janvier 2012 « Nourrir la métropole lyonnaise de manière durable par des circuits de proximité » Patrick MUNDLER Enseignant-chercheur à l’ISARA-Lyon, Agrapôle Alexandre BARONNIER et David RIVET Direction Générale des BOUCHERIES ANDRE Le Président Robert PARIS accueille les invités et remercie en particulier Emmanuel IMBERTON, Vice-président de la CCI de Lyon et délégué par le Président Philippe GRILLOT pour suivre les travaux de la SEPL. Blandine VIGNON, responsable de la communication de la CCI de Lyon, participe également à notre séance de travail. Michel GIELLY, Membre du Bureau de la SEPL, présente Patrick MUNDLER, qui est enseignant-chercheur à l’ISARA Lyon et membre du Laboratoire d’Etudes Rurales. Il est originaire de Suisse où il a commencé par effectuer un apprentissage agricole, avant de poursuivre ses études jusqu’à un doctorat d’économie. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont le dernier écrit avec Lahsen ABDELMALKI (Université Lyon 2) porte sur l’économie de l’environnement et du développement durable (éditions de Boeck). Nicolas MILLET, Membre du Bureau de la SEPL, présente à son tour Alexandre BARONNIER et David RIVET, des Boucheries ANDRE. Alexandre BARONNIER a une formation commerciale et marketing et représente la troisième génération de dirigeants de cette entreprise familiale de 220 employés. David RIVET est le Directeur du développement des Boucheries ANDRE. L’entreprise est un modèle économique innovant caractérisé par la dimension humaine, la vision à long terme, l’ancrage sur le territoire et la valorisation émotionnelle du « pré » au moment de l’acte d’achat. C’est un modèle qui est à l’opposé de celui des traders et des algorithmes qui dominent l’économie mondiale actuellement. 1) Exposé de Patrick MUNDLER Après avoir salué la présence de Louis LEMOINE, ancien Président de l’ISARA, Patrick. Mundler commence son exposé en définissant les circuits courts et de proximité, par opposition aux circuits longs : -les circuits courts (cf. le Plan Barnier) sont définis comme étant sans intermédiaire et avec une distance moyenne inférieure à 80 km, -les circuits de proximité peuvent comprendre un ou deux intermédiaires, et sont plus à même de fournir des gros marchés comme celui des cantines scolaires. 1 Ces propos sont illustrés par quelques images permettant de concrétiser le concept de circuits courts et de proximité : les cabanes à sucre de sirop d’érable au Québec, les paniers hebdomadaires « AMAP » avec un abonnement à l’année pour recevoir des produits de la ferme, le point de vente « Uniferme » à Mornant, un magasin fermier en ville, des éoliennes sur un terrain agricole, et une production de bûchettes de bois de chauffage. Il faut quand même noter que la France n’est pas en avance par rapport à d’autres pays. On peut citer par exemple le cas d’un « agriculteur » allemand de la région d’Augsbourg, dont la ferme produit 10 000 œufs par jour écoulés en circuit court : avec ses 17 employés, il a un restaurant, une mini-usine de pâtes aux œufs, et trois véhicules sillonnent la ville pour livrer les œufs frais et les pâtes. Dans la métropole lyonnaise, les circuits courts sont particulièrement développés dans les Monts du Lyonnais et dans les Coteaux du Lyonnais. On peut encore citer le cas de la cantine du groupe scolaire de Saint Martin en Haut, approvisionnée en circuits très courts grâce à la mise en réseau des agriculteurs de la commune : les élèves mangent à midi des salades ramassées le matin même à 10 h ! Ces exemples tranchent avec les tendances des années passées, notamment de 1945 aux années 90, caractérisées par les phénomènes suivants : -effondrement de la population active agricole, réduite à 800 000 personnes en France, soit 3% de la population active : les agriculteurs sont des survivants, alors qu’il va falloir attirer les jeunes vers cette profession, -contexte d’opulence et oubli des pénuries alimentaires, bien que cette impression d’opulence soit trompeuse compte tenu des tensions de plus en plus fréquentes sur les marchés de produits agricoles, -découplement des systèmes urbains et agricoles, avec l’urbanisation des ceintures agricoles qui existaient autour des villes, -développement sectoriel de l’agriculture, avec une hyper spécialisation des exploitations, une concentration et une financiarisation. Le mouvement de retour vers la territorialisation de l’alimentation correspond à un phénomène visant à contrebalancer la globalisation. Il a été accentué par des crises telles que celles de la vache folle et la pollution à la dioxine. Il s’appuie sur des valeurs de recherche du goût (éducation au goût et à la santé), de militantisme pour l’achat local issu de l’agriculture biologique et il y a une demande sociale croissante pour une alimentation saine. Il trouve aussi son expression dans les orientations du Grenelle de l’Environnement qui imposent par exemple pour les cantine scolaires un pourcentage minimal de 20 % d’approvisionnements issus de l’agriculture biologique. La réforme du code des marchés publics de 2010 permet aussi de favoriser l’approvisionnement de proximité. Il est difficile d’obtenir des statistiques précises sur les circuits courts et de proximité, car les méthodes de recensement ne prenaient pas en compte ce critère jusqu’au recensement de 2010, qui n’est pas encore complètement dépouillé. On peut cependant estimer que près du quart des agriculteurs a des activités rentrant dans cette catégorie, et que cela représente plus de 2% de l’achat alimentaire, et même 4 % si l’on intègre les marchés. Même si la France n’est pas en avance sur cette tendance, on peut estimer que le phénomène tend à se développer puisque plus de la moitié des agriculteurs qui s’installent créent des activités de commercialisation. Ces pourcentages sont même supérieurs dans le cas des productions 2 fromagères et viticoles. En outre, les circuits de distribution jouent de plus en plus le jeu sur les circuits courts, même si le dialogue est parfois difficile sur les prix. Certaines entreprises agro-alimentaires de notre région commencent aussi à re-territorialiser leur approvisionnement. D’un point de vue économique, les circuits courts sont avantageux pour les agriculteurs, grâce à la stabilité des prix et à des revenus plus élevés. Les agriculteurs concernés n’ont par exemple pas souffert de l’effondrement des prix du lait en 2009. Ils bénéficient également d’une plus grande reconnaissance sociale grâce aux relations directes avec les clients : satisfaction de voir son produit arriver jusque chez le consommateur, socialisation grâce aux occasions de rencontres. Cela permet aussi un développement de l’emploi plus important que dans le cas des circuits de grande distribution. Il s’agit d’ailleurs d’emplois non délocalisables et qui contribuent à la vie des territoires en luttant contre la désertification de certaines campagnes. Il faut aussi ajouter que les besoins en investissements sont moindres que pour les grandes exploitations ultra mécanisées qui pâtissent ainsi à la fois d’une barrière à l’entrée et d’une barrière à la sortie en raison des frais sur les successions ou transmissions. En outre, les circuits courts permettent de valoriser les savoir-faire des terroirs, et la métropole lyonnaise dispose de ce point de vue, d’une immense richesse et d’une grande diversité. Des avantages des circuits courts et de proximité sont aussi observés au plan écologique et du développement durable : maintien des espaces naturels et agricoles à proximité des villes de la métropole, biodiversité des espèces cultivées, réduction de la consommation d’énergie grâce à la réduction des frais de transport lorsque les quantités livrées sont suffisantes, moindre besoin de réfrigération grâce à la consommation de produits de saison, etc. Cette évolution apporte un contre-argument aux accusations de pollution qui ont été mal vécues par le monde agricole. Toutefois, le dialogue reste encore difficile avec les associations de défense de l’environnement, notamment parce que la gestion politique de l’agriculture a été centralisée au niveau national et parce que la légitimité des associations environnementales est peu reconnue. On note aussi des difficultés techniques que les consommateurs ne comprennent pas toujours facilement : il y a par exemple des situations où on ne sait pas se passer de certains traitements phytosanitaires. Le développement des circuits courts est accompagné par une diversification des activités de service. Les agriculteurs ont des savoir-faire et des matériels qui permettent de vendre des services tels que le déneigement, le débardage, la semence de gazon, etc.. L’espace agricole peut aussi être valorisé pour les loisirs et des activités pédagogiques. Cette diversification témoigne d’une grande inventivité, et elle nécessite un développement de la polyvalence qui permet le maintien de la main d’œuvre sur le territoire rural de la métropole. Ces évolutions ont toutefois du mal à s’institutionnaliser car elles bouleversent les institutions, le droit et les statuts professionnels. Elle peut aussi être perçue par d’autres métiers comme une concurrence déloyale. 2) Exposé d’ Alexandre BARONNIER et de David RIVET Boucheries ANDRE est une entreprise familiale créée en 1933 à Collonges au Mont d’Or, et qui a ensuite déménagé dans la Dombes. Au moment du passage à la deuxième génération, l’entreprise est devenue fournisseur de la grande distribution, ce qui a entraîné quelques 3 années plus tard une situation de dépendance dangereuse. Grâce à la confiance des fournisseurs, des clients et des banquiers, l’entreprise a créé un premier magasin au Confluent (Lyon, 2ème). Alexandre Baronnier a intégré le groupe en 1994 et a développé l’entreprise, dont l’effectif est passé de 34 personnes à 220 personnes à ce jour. Le siège est situé à Rilleux la Pape et l’entreprise dispose de 7 points de vente dans la métropole : Confluent, Vaulx en Velin, Rilleux, Vénissieux, Champagne, Isle d’Abeau, et Villefranche. Il y a aussi une activité de production qui emploie 70 personnes : un site de valorisation de la viande à Corbas, et un site de traiteur repris en 2004, qui produit les jambons, le pâté en croûte, les brochettes, les saucissons et la charcuterie. « Du pré à l’assiette » : l’entreprise est très intégrée de l’amont à l’aval puisqu’elle a aussi des activités d’élevage de bovins charolais et limousins et elle a noué des partenariats de long terme avec des éleveurs, ce qui garantit la qualité du produit, à la différence des pratiques de vente de vaches laitières réformées sous l’appellation de viande de bœuf. Les Boucheries André sont les seules de la région à disposer d’une autorisation de circuit de distribution de steak haché frais. Une activité de franchise est également envisagée. Un tel modèle d’intégration en circuit de proximité est semble t’il unique en France. L’entreprise revendique des valeurs lyonnaises de développement durable : -le respect de l’environnement : choix d’un élevage de qualité, proximité entre l’élevage et la consommation (maximum d’une heure de transport), l’ancrage dans les terroirs proches de Lyon, la valorisation de tous les quartiers de la viande sans déchet, -le souci du développement économique durable : solidarité avec les éleveurs lorsqu’ils sont en difficulté, réponse aux besoins des consommateurs qui exigent de plus en plus la proximité et les qualités organoleptiques, maîtrise de l’amont et de la traçabilité à la différence des bouchers qui achètent des muscles sans en connaître la provenance, qualité de la viande pour un prix inférieur de 10 à 15 % à celui de la grande distribution, -le respect des hommes : les valeurs de l’entreprise consistent à promouvoir les savoir-faire, le savoir-être et la confiance en soi. Il y a également une prise en compte des valeurs des entreprises familiales, qui font la force du territoire auquel elles sont attachées et qui permettent d’assurer la pérennité de la filière viande de qualité. Cette filière peut être représentée sous la forme d’une pâquerette dont les différents pétales correspondent à des compétences et à des métiers variés qui doivent travailler ensemble pour assurer la fraîcheur du produit. La prouesse des Boucheries ANDRE en termes de modèle économique est toutefois handicapée par deux principales difficultés : -l’impossibilité de créer de nouveaux magasins en ville compte tenu du coût du foncier. -des difficultés de recrutement compte tenu du manque de filières de formation et du faible nombre de vocations pour le métier de boucher. En conclusion, le modèle des Boucheries ANDRE est une contribution au développement harmonieux entre monde rural et monde urbain : il s’agit de ramener la campagne à la ville. 4 5